Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : AC c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 528

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Appelante : A. C.
Intimé : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 23 avril 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Tanille Turner
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 21 avril 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante

Date de la décision : Le 10 mai 2022
Numéro de dossier : GP-21-1600

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante, A. C., a droit à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements prennent effet au mois de juillet 2020. Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante a 39 ans. Elle a terminé un cours de réceptionniste en médecine vétérinaire d’un an au collège. Elle a travaillé comme préposée aux soins à domicile de 2016 à 2021. Elle a reçu une formation en cours d’emploi dans ce rôle.

[4] L’appelante a subi une gastrectomie totale en 2014. Elle a maintenant certains diagnostics dus à son intervention chirurgicale. Ils affectent ses habitudes alimentaires et sa défécation. Ses affections l’affaiblissent. Elle ne peut pas toujours manger les calories dont elle a besoin au quotidien. Ses affections la rendent déprimée et anxieuse.

[5] Elle a cessé de travailler en mars 2020 en raison de son état. Elle a tenté de reprendre le travail en juin 2021. Elle travaillait à temps partiel. Ses quarts de travail duraient de trois à quatre heures. Elle a cessé de travailler au bout de deux semaines. Elle se sentait faible parce qu’elle ne pouvait pas gérer ses habitudes alimentaires en travaillant. Elle a dû passer beaucoup de temps à la salle de bain tout en prenant soin des clients.

[6] L’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC le 27 février 2020. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. L’appelante a porté en appel la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[7] L’appelante dit que ses besoins en matière de consommation de nourriture et de défécation doivent être surveillés de près. Elle est atteinte de glycémie hyporéactive, ce qui fait baisser son taux de glycémie. C’est imprévisible. Ces réactions signifient qu’elle est trop faible pour conduire en toute sécurité ou pour travailler jusqu’à ce que sa glycémie devienne sécuritaire.

[8] Le ministre dit que l’appelante devrait pouvoir effectuer un travail modifié dans un environnement souple. Son médecin ne lui a pas recommandé d’arrêter de travailler. On ignorait si elle pourrait retourner au travail à l’avenirNote de bas page 1.

[9] L’ancien employeur de l’appelante a déclaré que son état de santé n’affectait pas sa capacité de travailler. Elle était affectée par sa disponibilité pour effectuer des quarts de travail, et non sa capacité de travaillerNote de bas page 2.

Ce que l’appelante doit prouver

[10] Pour obtenir gain de cause, l’appelante doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée à la date de l’audienceNote de bas page 3.

[11] Le Régime de pensions du Canada définit « grave » et « prolongée ».

[12] Une invalidité n’est grave que si elle rend une partie appelante régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas page 4.

[13] Cela signifie que je dois examiner l’ensemble des problèmes de santé de l’appelante pour voir quel effet ils ont sur sa capacité de travailler. Je dois également tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité et son expérience professionnelle et personnelle antérieure. Et ce pour que je puisse obtenir une image réaliste de la gravité de son invalidité. Si l’appelante est en mesure d’effectuer régulièrement un travail qui lui permettrait de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[14] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas page 5.

[15] Cela signifie que l’invalidité de l’appelante ne peut comporter une date prévue de rétablissement. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche l’appelante de travailler longtemps.

[16] L’appelante doit prouver qu’elle a une invalidité grave et prolongée. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est invalide.

Motifs de ma décision

[17] Je conclus que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au 21 avril 2022. J’ai pris cette décision en tenant compte des questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelante est-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelante est-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelante est-elle grave?

[18] L’invalidité de l’appelante est grave. J’en suis arrivée à cette conclusion en tenant compte de plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci-après.

Les limitations fonctionnelles de l’appelante affectent sa capacité de travailler

[19] L’appelante a reçu les diagnostics suivants :

  • Syndrome de chasse rapide précoce
  • Syndrome de chasse rapide tardive
  • Glycémie hyporéactive
  • Dépression
  • Trouble anxieux généralisé

[20] Toutefois, je ne peux me concentrer sur les diagnostics de l’appelanteNote de bas page 6. Je dois plutôt me demander si elle a des limitations fonctionnelles qui l’empêchent de gagner sa vieNote de bas page 7. Dans le cadre de cette démarche, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelante (pas seulement le problème principal) et réfléchir à leur incidence sur sa capacité de travaillerNote de bas page 8.

[21] Je juge que l’appelante a des limitations fonctionnelles.

Ce que l’appelante dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[22] L’appelante affirme que ses troubles de santé ont entraîné des limitations fonctionnelles qui affectent sa capacité de travailler. Elle affirme ce qui suit :

  • Elle ne peut pas soulever de charges lourdes. Elle a perdu beaucoup de masse musculaire depuis sa gastrectomie.
  • Elle se sent souvent dépassée. Elle ne peut pas toujours rester organisée ou accomplir des tâches en temps opportun.
  • Elle se sent faible. Elle ne peut rester debout plus de 20 minutes.
  • Elle ne peut marcher plus de 20 minutes. Lorsqu’elle le fait, il lui faut de 10 à 15 minutes pour se rétablir.
  • Elle a peu d’énergie. On lui a dit de ne pas promener son chien. Elle dépense plus d’énergie qu’elle ne parvient à en accumuler en mangeant.
  • Elle ne peut pas dormir toute la nuit sans devoir manger quelque chose. Sa glycémie chute. Cette situation la réveille et elle se sent désorientée jusqu’à ce qu’elle mange quelque chose.

Ce que la preuve médicale révèle au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelante

[23] L’appelante doit fournir une preuve médicale démontrant que ses limitations fonctionnelles ont nui à sa capacité de travailler au 21 avril 2022Note de bas page 9.

[24] La preuve médicale étaye les propos de l’appelante.

[25] La diététicienne de l’appelante, Lisa Yetman, affirme que le syndrome de chasse rapide de l’appelante comporte des symptômes une fois que la nourriture est sortie rapidement de l’estomac et entrée dans l’intestin grêle. Ces symptômes comprennent la nausée, la diarrhée et des étourdissements. Cela peut se produire de 30 minutes à 3 heures après avoir mangé.

[26] L’hypoglycémie réactive entraîne un faible taux de glycémie. L’appelante éprouve les problèmes de santé suivants :

  • Transpiration
  • Anxiété
  • Confusion
  • Tremblements
  • Étourdissements
  • Faiblesses

[27] Ces symptômes peuvent durer de 30 minutes à une heure.

[28] L’appelante doit manger un petit repas toutes les trois heures. Cela demande beaucoup de temps et de concentration, car elle doit se concentrer à mastiquer chaque bouchée pour bien digérerNote de bas page 10.

[29] L’appelante dit qu’il lui faut de 10 à 15 minutes pour manger un repas qu’elle décrit comme une poignée de nourriture. Elle doit manger sans distraction. Elle doit se concentrer sur la mastication. Si elle parle en mangeant, elle avale de l’air et une grosse bulle se forme dans son corps. Elle se sent alors comme si une roche se déplace dans son ventre. Elle doit finir par se débarrasser de la poche d’air.

[30] Si elle se déplace tout en essayant de manger, elle peut être distraite et avaler quelque chose sans trop mastiquer. Elle sent alors une bosse dans son ventre.

[31] Selon la nourriture, elle pourrait devoir mâcher et avaler de nouveau ses aliments s’ils reviennent. Elle ne peut prédire quels aliments elle pourra manger et digérer facilement.

[32] Par exemple, elle a connu du succès avec les arachides pendant un certain temps avant que son corps ne commence à les rejeter. Le rejet signifiait qu’elle les vomirait et qu’elle devait cesser de les manger. À l’heure actuelle, elle tolère bien le fromage. Elle ne sait pas combien de temps cela durera, ni quel sera prochain aliment qu’elle pourra manger en toute fiabilité.

[33] L’abdomen de l’appelante est gonflé pendant qu’elle digère sa nourriture. Cela peut durer entre 25 et 45 minutes. Elle éprouve des douleurs fulgurantes sur le côté. Elle a des crampes lorsqu’elle est penchée. Elle est soulagée lorsqu’elle se couche ou s’assied.

[34] Elle doit aller aux toilettes pour déféquer de dix minutes à une heure après s’être nourrie. Cela peut lui prendre jusqu’à 30 minutes.

[35] Ce cycle de repas, de ballonnement et de défécation peut durer jusqu’à 90 minutes. Elle doit ensuite répéter le processus en consommant un autre repas 90 minutes plus tard.

[36] L’endocrinologue de l’appelante, la Dre Murray, a confirmé que les repas de l’appelante peuvent varier. Elle a également confirmé que l’appelante passe les 30 premières minutes de la journée aux toilettesNote de bas page 11.

[37] Sa médecin de famille, la Dre Angel, confirme la preuve susmentionnée. Elle affirme que les épisodes d’hypoglycémie de l’appelante sont imprévisibles. L’appelante ne peut pas travailler plus de quelques heures à la fois. Elle ne peut prédire quand et pendant combien de temps elle pourra tolérer la consommation de certains alimentsNote de bas page 12.

[38] Le conseiller de l’appelante, George Andrews, dit qu’elle tente de maîtriser sa dépression et son anxiété compte tenu de ses troubles de santé. Ses troubles de santé physique et mentale drainent la majeure partie de son énergie. Cela affecte sa capacité de travaillerNote de bas page 13.

[39] L’appelante affirme qu’il est difficile de prévoir sa journée en fonction de ses troubles parce qu’elle ne peut pas prédire ses symptômes, leur moment ou leur durée.

[40] La preuve médicale confirme que la faiblesse de l’appelante, ses selles fréquentes et ses périodes de repos de 45 minutes après un repas l’ont empêchée d’accomplir son travail habituel avant le 21 avril 2022.

[41] J’examinerai ensuite si l’appelante a suivi les conseils médicaux.

L’appelante a suivi les conseils médicaux

[42] Pour recevoir une pension d’invalidité, une appelante doit suivre les conseils médicauxNote de bas page 14. Si elle ne le fait pas, elle doit avoir une explication raisonnable. Je dois également examiner l’effet, le cas échéant, que les conseils médicaux auraient pu avoir sur son invaliditéNote de bas page 15.

[43] L’appelante a suivi les conseils médicauxNote de bas page 16.

[44] Elle prend les médicaments suivants :

  • Quétiapine. Il s’agit d’un antipsychotique qu’elle prend pour sa dépression. Cela la rend somnolente. Elle le prend au coucher.
  • Buproprion. C’est aussi pour sa dépression et son anxiété. Ça aide à arrêter de fumer.
  • Lorazepam aide à gérer son anxiété et sa panique. Elle les prend au besoin.
  • Elle se donne une injection de vitamines B12 une fois par mois.
  • Le fumarate ferreux est un supplément de fer qu’elle prend quotidiennement.
  • Le benzoate de rizatriptan aide à traiter les migraines. Elle en prend au besoin.

[45] Elle consulte la Dre Angel tous les deux mois pour obtenir des conseils, des mises à jour sur son état et des renouvellements d’ordonnances.

[46] Elle voit la Dre Murray une fois par année, sauf s’il y a un changement dans ses affections.

[47] Elle consulte annuellement sa nutritionniste, Melissa Brothers. Mme Brothers a présenté des recommandations de régime alimentaire à l’appelante. Il comprend des lignes directrices sur la façon de gérer sa nutrition après sa gastrectomie.

[48] M. Andrews confirme que l’appelante tente de préserver sa santé physique et mentale en recevant des conseilsNote de bas page 17.

[49] Je dois maintenant décider si l’appelante peut effectuer sur une base régulière d’autres types de travail. Pour pouvoir être qualifiées de sévères, les limitations fonctionnelles de l’appelante doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, pas seulement dans son emploi habituelNote de bas page 18.

L’appelante ne peut pas travailler dans le monde réel

[50] Lorsque je décide si l’appelante peut travailler, je ne peux pas simplement examiner ses problèmes de santé et leur incidence sur ce qu’elle peut faire. Je dois également tenir compte de facteurs comme :

  • son âge
  • son niveau de scolarité
  • ses compétences linguistiques
  • son expérience de travail et de vie antérieure.

[51] Ces facteurs m’aident à décider si l’appelante peut travailler dans le monde réel, c’est-à-dire s’il est réaliste de dire qu’elle peut travaillerNote de bas page 19.

[52] Je conclus que l’appelante ne peut pas travailler dans le monde réel.

[53] L’appelante est âgée de 39 ans et a fait 2 années d’études postsecondaires. Elle parle couramment l’anglais et possède une expérience de travail, notamment en soins à domicile et en restauration rapide. Toutefois, son état l’empêche de travailler et de se recycler.

[54] Le ministre a soutenu que l’employeur de l’appelante a dit qu’elle travaillait en fonction de la disponibilité des clients et non de sa capacité de fournir un rendementNote de bas page 20.

[55] L’employeur de l’appelante a déclaré qu’elle était une travailleuse fiable en soins à domicile qui prenait parfois des jours de maladie ou qui avait des problèmes sur le plan de la météo. Il lui arrivait de s’absenter pour des raisons médicales. Elle accomplissait toutes les tâches. Elle ne pouvait pas travailler de longs quarts avec plusieurs clients en raison de ses problèmes de santéNote de bas page 21.

[56] L’appelante affirme que son travail n’était pas supervisé. Elle et d’autres personnes exerçant les mêmes fonctions présentaient des rapports tous les mois. Il était inexact de dire que ses heures de travail dépendaient de la disponibilité des clients et non de sa capacité de travailler. Le travail était très difficile pour elle. Elle a dû sacrifier sa propre santé en ne mangeant pas avant un quart de travail. Sinon, elle devrait prendre de longues pauses chez ses clients en raison de son syndrome de chasse rapide précoce et tardive.

[57] Je crois le témoignage de l’appelante plutôt que celui de son employeur. Elle n’était pas supervisée. Elle ne travaillait pas avec un partenaire qui aurait surveillé chacun de ses mouvements. Si elle l’avait fait, ses employeurs auraient été au courant du nombre de pauses dont elle avait besoin et du temps qu’elles devaient durer en raison de ses problèmes de santé.

[58] M. Andrews confirme qu’il a été recommandé à l’appelante de cesser de travailler en raison de ses problèmes de santé physique et mentaleNote de bas page 22.

[59] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était grave au 21 avril 2022.

L’invalidité de l’appelante est-elle prolongée?

[60] L’invalidité de l’appelante est prolongée.

[61] Les problèmes de santé de l’appelante ont commencé en 2014 lorsqu’elle a d’abord subi sa gastrectomie. L’intervention chirurgicale constituait une mesure préventive en raison d’antécédents familiaux de cancer d’origine génétique. Ces affections se sont poursuivies depuis et elles se poursuivront probablement pour une durée indéfinieNote de bas page 23.

[62] L’appelante n’a pas de traitements ou de consultations à venir outre ses rendez-vous habituels.

[63] La Dre Angel affirme que les affections de l’appelante ne s’amélioreront probablement pasNote de bas page 24.

[64] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était prolongée au 21 avril 2022.

Début des paiements

[65] L’invalidité de l’appelante est devenue grave et prolongée en mars 2020. C’est la dernière fois qu’elle a pu travailler à un taux véritablement rémunérateur. Elle a tenté de reprendre le travail en juin 2021. Elle n’y est pas parvenue en raison de ses problèmes de santé.

[66] Il y a une période d’attente de quatre mois avant le début des paiementsNote de bas page 25. Cela signifie que les paiements commencent au mois de juillet 2020.

Conclusion

[67] Je conclus que l’appelante a droit à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité est grave et prolongée.

[68] Cela signifie que l’appel est accueilli.

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