Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : DD c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 723

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : D. D.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel :

Décision découlant d’une révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 2 février 2021 (communiquée par Service Canada)


Membre du Tribunal : James Beaton
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 12 juillet 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 19 juillet 2022
Numéro de dossier : GP-21-1090

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante, D. D., a droit à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent au mois d’octobre 2020. Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante a 53 ans. Elle a travaillé pour la dernière fois comme concierge, effectuant en cette qualité des travaux de nettoyage et d’entretien. Elle a arrêté en février 2019, après s’être blessée à l’épaule. L’état de son épaule s’est amélioré, mais ses douleurs au dos (qu’elle avait avant d’arrêter de travailler) se sont aggravées. Elle n’est pas retournée au travail depuis.

[4] L’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC le 14 septembre 2020. Le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre) a rejeté sa demande. L’appelante a porté en appel la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal).

[5] Le ministre dit que l’appelante n’est peut‑être pas en mesure de reprendre le travail de conciergerie, mais qu’elle peut accomplir un autre type de travail qui n’est pas aussi exigeant physiquement. Comme elle n’a pas essayé de travailler ou de se recycler pour effectuer un travail qu’elle peut faire, elle n’est pas handicapée.

[6] L’appelante affirme qu’elle n’a pas essayé de travailler ou de se recycler parce qu’elle ne peut accomplir aucun type de travail.

[7] Je suis d’accord avec l’appelante.

Ce que l’appelante doit prouver

[8] Pour obtenir gain de cause, l’appelante doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée à la date d’audience, soit le 12 décembre 2022Note de bas de page 1.

[9] Le Régime de pensions du Canada définit « grave » et « prolongée ».

[10] Une invalidité n’est grave que si elle rend une partie appelante régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 2.

[11] Cela signifie que je dois examiner l’ensemble des problèmes de santé de l’appelante pour voir quel effet ils ont sur sa capacité de travailler. Je dois également tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques et son expérience professionnelle et personnelle antérieure. Et ce pour que je puisse obtenir une image réaliste de la gravité de son invalidité. Si l’appelante est en mesure d’effectuer régulièrement un travail qui lui permettrait de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[12] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 3.

[13] Cela signifie que l’invalidité de l’appelante ne peut comporter une date prévue de rétablissement. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche l’appelante de travailler longtemps.

[14] L’appelante doit prouver qu’elle a une invalidité grave et prolongée. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est invalide.

Motifs de ma décision

[15] Le Tribunal conclut que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au mois de juin 2020. J’ai pris cette décision en tenant compte des questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelante était-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelante était-elle grave?

[16] L’invalidité de l’appelante était grave au 12 juillet 2022. J’en suis arrivé à cette conclusion en tenant compte de plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci‑après.

Les limitations fonctionnelles de l’appelante ont affecté sa capacité de travailler

[17] L’appelante souffre :

  • de diabète
  • d’hypertension artérielle
  • d’obésité
  • de douleurs à l’épaule
  • de douleurs au dos qui irradient parfois jusqu’aux hanches et aux jambes

[18] Toutefois, je ne peux me concentrer sur les diagnostics de l’appelanteNote de bas de page 4. Je dois plutôt me demander si elle a des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vie au 12 juillet 2022Note de bas de page 5. Dans le cadre de cette démarche, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelante (pas seulement le problème principal) et réfléchir à leur incidence sur sa capacité de travaillerNote de bas de page 6.

[19] Je conclus que l’appelante avait des limitations fonctionnelles au 12 juillet 2022.

Ce que l’appelante dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[20] L’appelante affirme que son état de santé a entraîné des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travailler au 12 juillet 2022Note de bas de page 7. Bien que je doive tenir compte de tous les problèmes de santé de l’appelante ensemble, il ressort clairement de son témoignage que ses maux de dos sont ce qui a une incidence sur sa capacité de travailler. Elle affirme ce qui suit :

  • le diabète dont elle souffre est actuellement géré au moyen de l’insuline et de médicaments
  • en raison de l’hypertension, elle a parfois des sensations de vertige ou se sent étourdie si elle se fatigue trop, mais ce n’est pas un problème majeur pour elle
  • elle ne croit pas que l’obésité ait une incidence sur sa capacité de travailler, puisqu’elle a « toujours » fait de l’embonpoint – elle a été capable de travailler malgré son embonpoint
  • elle a subi une intervention chirurgicale aux deux épaules et elle souffre seulement de douleurs occasionnelles aux épaules maintenant; elle a une amplitude de mouvement complète dans les épaules.

[21] En revanche, ses maux de dos sont presque constants, bien qu’ils se déplacent. Parfois, le bas du dos fait le plus mal; parfois, le milieu du dos fait le plus mal. Il lui arrive aussi de ressentir des douleurs aux hanches et aux jambes.

[22] En raison de ses douleurs au dos, elle dit ce qui suit :

  • elle ne peut pas rester assise plus de 10 minutes sur une surface dure ou plus d’une heure dans un fauteuil inclinable; après cela, elle doit normalement s’étendre pendant environ une heure;
  • elle ne peut pas se tenir debout parce que cela lui cause une trop grande pression sur le dos;
  • elle ne peut pas marcher pendant plus de 20 minutes; les escaliers sont particulièrement difficiles et il arrive parfois que sa jambe cède sous elle;
  • elle ne peut conduire pendant de longues périodes;
  • elle ne peut soulever un poids de plus de 25 livres (moins si elle doit soulever des objets de façon répétitive); elle évite de soulever des articles d’épicerie lourds;
  • elle ne peut pas faire de travaux ménagers sans prendre plusieurs pauses.

Ce que la preuve médicale révèle au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelante

[23] L’appelante doit fournir une preuve médicale démontrant que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travailler au 12 juillet 2022Note de bas de page 8.

[24] La preuve médicale étaye les propos de l’appelante. Si l’imagerie diagnostique ne révèle rien d’inhabituel aux hanches, elle montre toutefois des changements dégénératifs dans le bas et le milieu du dosNote de bas de page 9. Son médecin de famille, le Dr Solomon, a également signalé en novembre 2020 que l’appelante souffrait d’une sténose lombaire, d’une discopathie dégénérative et d’arthropathie des facettes articulaires — toutes des affections pouvant causer des douleurs au dos, à la hanche et aux jambesNote de bas de page 10.

[25] Plus important encore, le Dr Solomon a déclaré que la capacité de l’appelante de s’asseoir, de se tenir debout, de marcher et de conduire était affectéeNote de bas de page 11. Il explique de manière détaillée dans ses notes cliniques que l’appelante s’est plainte de douleurs au dos (allant parfois jusqu’aux hanches et aux jambes) dès mai 2019. Selon ces notes, ces douleurs se sont atténuées temporairement à un moment donné entre novembre 2020 et février 2021. Puis elles se sont de nouveau aggravéesNote de bas de page 12.

[26] Le Dr Solomon n’a pas mentionné de restrictions à la capacité de soulever des objets en lien avec les douleurs au dos, mais son témoignage ne contredit pas non plus le témoignage de l’appelante. Il est logique qu’elle ait de la difficulté à soulever des objets en raison de douleurs au dos.

[27] La preuve médicale confirme que les maux de dos de l’appelante l’empêchaient de faire son travail de concierge au 12 juillet 2022. Son travail l’obligeait à rester debout, à marcher et à soulever des objets pendant des heures, ce qu’elle ne pouvait faire.

[28] J’examinerai maintenant si l’appelante a suivi les conseils médicaux.

L’appelante a suivi les conseils médicaux

[29] Pour recevoir une pension d’invalidité, la partie appelante doit suivre les conseils médicauxNote de bas de page 13. Si elle ne le fait pas, elle doit avoir une explication raisonnable. Je dois également examiner l’effet, le cas échéant, que les conseils médicaux auraient pu avoir sur l’invalidité de l’appelanteNote de bas de page 14.

[30] L’appelante a suivi les conseils médicauxNote de bas de page 15. Le ministre ne le conteste pas.

[31] Pour ses douleurs au dos, elle prend de la duloxétine et de la gabapentine. Elle a reçu une injection de stéroïdes jusqu’à maintenant. Elle pense que cela a permis que sa jambe ne cède plus sous elle lorsqu’elle marche. Mais cela n’a soulagé ses maux de dos que pendant deux semainesNote de bas de page 16.

[32] Elle a essayé la physiothérapie, mais elle a dû arrêter, ce qui était une décision raisonnable. En effet, elle devait conduire plus d’une heure pour se rendre aux rendez‑vous dans une autre ville et une heure pour revenir chez elle. Cela lui causait trop de douleur. Elle continue toutefois de faire de nombreux exercices à la maison. Elle fait des exercices pour renforcer ses muscles du tronc. Elle utilise des bandes d’exercices, un ballon d’exercice, des poids légers et une roue pour exercices abdominaux. Elle fait de courtes promenades pour tenter d’augmenter sa tolérance à la marcheNote de bas de page 17.

[33] Je dois maintenant décider si l’appelante peut effectuer sur une base régulière d’autres types de tâches. Pour pouvoir être qualifiées de sévères, les limitations fonctionnelles de l’appelante doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, pas seulement dans son emploi habituelNote de bas de page 18.

L’appelante ne peut pas travailler dans le monde réel

[34] Lorsque je décide si l’appelante peut travailler, je ne peux pas simplement examiner ses problèmes de santé et leur incidence sur ce qu’elle peut faire. Je dois également tenir compte de facteurs comme :

  • son âge
  • son niveau de scolarité
  • ses compétences linguistiques
  • son expérience de travail et de vie antérieure

[35] Ces facteurs m’aident à décider si l’appelante peut travailler dans le monde réel, c’est‑à‑dire s’il est réaliste de dire qu’elle peut travaillerNote de bas de page 19.

[36] Je conclus que l’appelante ne peut pas travailler dans le monde réel.

[37] Son niveau de scolarité, ses compétences linguistiques et son expérience sont des facteurs positifs. Elle a terminé ses études secondaires et quatre semestres d’études postsecondaires. Elle parle couramment l’anglais. Elle compte environ 16 années d’expérience comme préposée aux soins personnels, puis 7 années d’expérience comme concierge. Je ne considère pas son âge (53 ans) comme étant un facteur important en faveur ou à l’encontre de sa capacité de travaillerNote de bas de page 20.

[38] Toutefois, ses limitations fonctionnelles l’emportent sur ces facteurs positifs. Elle ne peut pas faire de travail physique parce qu’elle a de la difficulté à soulever des objets de façon répétitive, à rester debout (pendant un certain temps) et à marcher pendant plus de 20 minutes. Elle ne peut pas faire de travail sédentaire parce qu’elle ne peut pas rester assise pendant plus d’une heure. Il lui arrive ensuite souvent de devoir se coucher pendant une heure avant de pouvoir s’asseoir à nouveau. En réalité, aucun employeur dans le monde réel ne l’embaucherait dans de telles conditions.

[39] J’ai demandé à l’appelante dans quelle mesure elle croyait pouvoir travailler maintenant. Son témoignage était authentique et spontané. Je crois ce qu’elle m’a dit. Son témoignage confirme qu’elle ne peut pas régulièrement occuper un emploi véritablement rémunérateur.

[40] Elle pense pouvoir faire jusqu’à deux heures de travail de conciergerie, deux jours par semaine. Avant même de cesser de travailler, elle avait des maux de dos. Elle comptait sur le fait qu’après quatre jours de travail, elle pouvait faire une pause de quatre jours et ainsi se rétablir physiquementNote de bas de page 21. Ses douleurs sont bien pires maintenant. À mon avis, son estimation du nombre d’heures qu’elle pourrait travailler aujourd’hui est exacte. À ce rythme, compte tenu de son salaire de 31 $ l’heureNote de bas de page 22, elle gagnerait environ 6 448 $ par année, ce qui est bien inférieur à un revenu véritablement rémunérateurNote de bas de page 23.

[41] Elle croit qu’elle pourrait faire deux ou trois heures de travail sédentaire par jour, cinq jours par semaine, si elle pouvait prendre les pauses dont elle aurait besoin entre chaque heure de travail. J’ai déjà constaté qu’il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’un employeur, dans le monde réel, accepte un tel horaire. Même si l’appelante pouvait trouver un tel emploi, elle aurait besoin de gagner 22,54 $ l’heure pour toucher un revenu véritablement rémunérateur en travaillant 15 heures par semaine. Cela dépasse de près de 50 % le salaire minimum de 15,20 $ en Colombie‑Britannique, où vit l’appelanteNote de bas de page 24. Je trouve peu probable qu’elle puisse gagner un tel salaire, étant donné qu’elle n’a aucune expérience de travail sédentaire.

[42] Comme l’appelante n’avait pas la capacité résiduelle d’occuper régulièrement un emploi véritablement rémunérateur, elle n’avait pas à essayer d’occuper un autre emploi ou à se recycler pour en occuper unNote de bas de page 25. Tout effort en ce sens serait inutile. Il ne prouverait que ce que la preuve démontre déjà : qu’elle ne peut pas faire régulièrement un travail qui lui permet de gagner sa vie.

[43] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était grave au mois de juin 2020. Elle a cessé de travailler en février 2019, mais elle a témoigné que c’était en raison d’une blessure subie à l’épaule. De même, le Dr Solomon a recommandé à l’appelante de cesser de travailler en mars 2020 en raison de ses douleurs à l’épauleNote de bas de page 26. L’état de son épaule s’est amélioré. Son invalidité résulte de ses maux de dos. Elle a déjà travaillé malgré des douleurs au dosNote de bas de page 27. Mais la situation s’est aggravée en juin 2020. C’est à ce moment‑là que le Dr Solomon a écrit que les douleurs au dos nuisaient au sommeil de l’appelante et à sa capacité de fonctionnerNote de bas de page 28. Comme elle ne travaillait pas à ce moment‑là, cela signifie que ses douleurs avaient une incidence sur ses activités de la vie quotidienne. Ses douleurs au dos ont continué de s’aggraver par la suiteNote de bas de page 29.

L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?

[44] L’invalidité de l’appelante était prolongée au 12 juillet 2022.

[45] Les douleurs au dos de l’appelante ont commencé quelque temps avant qu’elle cesse de travailler en février 2019. Elles se sont poursuivies depuis, et elles se poursuivront probablement indéfinimentNote de bas de page 30.

[46] Bien qu’elle ait essayé différents médicaments et exercices, son état ne s’est pas amélioré. Elle a été dirigée vers un établissement antidouleur en juin 2021, mais elle n’a toujours pas de rendez‑vousNote de bas de page 31. L’on ne peut dire si elle en obtiendra un, quand elle en obtiendra un et quelles seront les répercussions sur son invalidité.

[47] Le Dr Solomon s’attendait à ce qu’elle retourne au travail au plus tard au mois de septembre 2021, bien que cette prédiction semble reposer uniquement sur ses douleurs à l’épauleNote de bas de page 32. De toute façon, cette date est passée. Il n’a pas fixé de nouvel échéancier en ce qui concerne l’amélioration de son état de santé.

[48] Compte tenu de la preuve dont je dispose, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que son invalidité demeurera grave indéfiniment.

[49] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était prolongée au mois de juin 2020, soit à la date à laquelle elle est devenue grave. À ce moment‑là, elle souffrait déjà de douleurs au dos depuis plus d’un an. Elles n’ont fait qu’empirer depuis.

Début des paiements

[50] L’invalidité de l’appelante est devenue grave et prolongée en juin 2020.

[51] Par la suite, il y a une période d’attente de quatre mois avant le début des paiementsNote de bas de page 33. Cela signifie que les versements commencent en octobre 2020.

Conclusion

[52] Je conclus que l’appelante a droit à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité était grave et prolongée au 12 juillet 2022.

[53] Cela signifie que l’appel est accueilli.

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