Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

Régime de pensions du Canada – invalidité – caractère grave – capacité de travail – caractéristiques personnelles (employabilité dans un contexte réaliste) – division d’appel – erreur de droit – mauvaise interprétation ou non-respect de la jurisprudence

Le prestataire a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en mars 2019. Il a expliqué qu’il était incapable de travailler depuis août 1985. Le ministre a rejeté la demande du prestataire initialement et après révision.

Le prestataire a fait appel de la décision du ministre à la division générale (DG). Celle-ci a conclu que le prestataire n’avait pas démontré qu’il était atteint d’un problème de santé grave au plus tard le 31 décembre 2022. Le prestataire a fait appel de cette décision à la division d’appel (DA).

La DA a conclu que la DG avait commis une erreur de droit en omettant d’expliquer pourquoi il n’était pas nécessaire de tenir compte des circonstances personnelles du prestataire, étant donné qu’il y avait des preuves médicales selon lesquelles il était atteint de problèmes de santé au plus tard à la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA). La DG a affirmé « puisque je ne suis pas convaincue que le [prestataire] était atteint d’une invalidité grave, il n’est pas nécessaire que j’applique l’approche du “contexte réalisteˮ ». La DG a fait un renvoi en bas de page à la décision Giannaros, 2004 CAF 187 de la Cour d’appel fédérale (décision Giannaros). La DA a conclu que la DG avait commis une erreur de droit en omettant d’expliquer comment ou pourquoi la décision Giannaros signifiait qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte des circonstances personnelles dans la présente affaire. Les faits de la décision Giannaros diffèrent de ceux de l’affaire qui nous occupe. Il est possible que la DG ait cru que la décision Giannaros disait qu’il était acceptable de ne pas tenir compte des circonstances personnelles lorsqu’il était difficile de prouver l’existence d’une invalidité grave exposée par la preuve médicale ou par le fait que la personne effectuait un travail. Mais pour s’appuyer ainsi sur la décision Giannaros, la DG devait expliquer son interprétation. Les raisons de la DG pour omettre d’analyser les circonstances personnelles d’un prestataire lorsque l’on n’est pas convaincu qu’il est atteinte d’une invalidité grave ne « suivent » pas nécessairement la décision Giannaros si aucune autre explication n’est fournie. La décision Giannaros ne semble pas dire que l’on peut faire fi des circonstances personnelles lorsque la preuve médicale est insuffisante de quelque façon que ce soit. Dans la présente affaire, plusieurs preuves médicales démontrent clairement que le prestataire avait de la douleur au dos et aux jambes à la fin de sa PMA. La DG s’est interrogée sur la question de l’incidence que cela avait sur sa capacité à travailler, mais cela n’est qu’une raison de plus pour qu’elle tienne compte de tous les facteurs qui avaient des répercussions sur l’employabilité du prestataire à l’époque.

La DA a corrigé l’erreur en rendant la décision que la DG aurait dû rendre. Pour décider si le prestataire était atteint d’une invalidité grave, la DA a évalué dans quelle mesure il était employable dans un contexte réaliste. Elle n’était pas convaincue que le prestataire était régulièrement incapable de détenir toute occupation véritablement rémunératrice au plus tard en décembre 2002. Elle a conclu que le prestataire n’avait pas prouvé qu’il était atteint d’une invalidité grave. Par conséquent, la DA est arrivée à la même conclusion que la DG, à savoir que le prestataire n’a pas droit à une pension d’invalidité au titre du RPC.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : LG c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1136

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante (requérant) : L. G.
Représentante ou représentant : J. H.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Jared Porter

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 28 décembre 2021 (GP-20-1086)

Membre du Tribunal : Kate Sellar
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 12 juillet 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Représentant de l’intimé

Date de la décision : Le 27 octobre 2022
Numéro de dossier : AD-22-179

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel. La division générale a commis une erreur. Cependant, l’erreur ne change pas le résultat de l’affaire du requérant : il n’a pas droit à une pension d’invalidité. Les motifs de ma décision sont expliqués ci-dessous.

Aperçu

[2] L. G. (requérant) a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en mars 2019. Il a expliqué qu’il était incapable de travailler depuis août 1985 en raison d’un nerf coincé dans le dos, de diabète et d’une maladie vasculaire dans les deux jambes.

[3] Le ministre a rejeté la demande du requérant initialement et après révision. Le requérant a fait appel devant le Tribunal. La division générale a conclu que le requérant n’avait pas démontré que son état de santé était grave le 31 décembre 2002 ou avant cette date.

[4] Je dois décider si la division générale a commis une erreur aux termes de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[5] La division générale a commis une erreur de droit en n’expliquant pas pourquoi il n’était pas nécessaire de prendre en compte la situation personnelle du requérant, étant donné qu’il y avait des preuves médicales indiquant qu’il avait des problèmes de santé à la fin ou avant la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA). Je vais donc rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Compte tenu de tous les facteurs, y compris de la situation personnelle du requérant, celui-ci n’a pas prouvé que son invalidité était grave le 31 décembre 2002 ou avant cette date. Le requérant n’a pas droit à une pension d’invalidité.

Questions en litige

[6] Voici les questions en litige dans le cadre de cet appel :

  1. a) La division générale a-t-elle tiré ses conclusions sur les limitations fonctionnelles du requérant en décembre 2002 ou avant cette date en ignorant ou en comprenant mal la preuve médicale et le témoignage du requérant lors de l’audience?
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la situation personnelle du requérant avant de conclure que son invalidité n’était pas grave?
  3. c) Si la division générale a commis l’une de ces erreurs, que dois-je faire pour les corriger (réparation)?

Analyse

[7] Dans la présente décision, je vais décrire l’approche adoptée par la division d’appel lors de la révision des décisions de la division générale. Je vais ensuite expliquer ce que j’ai décidé au sujet des erreurs prétendues. Je vais ensuite rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

Examen des décisions de la division générale

[8] La division d’appel ne donne pas au requérant ou au ministre la possibilité de plaider à nouveau leur cause depuis le débutNote de bas page 1. La division d’appel examine plutôt la décision de la division générale pour décider si elle contient des erreurs.

[9] Cet examen est fondé sur le texte de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social qui établit les « moyens d’appel ». Une partie requérante dispose d’un moyen d’appel lorsque la division générale commet une importante erreur de fait, soit en ignorant ou en comprenant mal la preuve (de sorte que la conclusion n’est pas soutenue par la preuve)Note de bas page 2.

[10] Pour suivre la loi en la matière, il faut supposer que la division générale a examiné tous les éléments de preuve, même si la division générale ne traite pas de tous ces éléments dans sa décision. Cependant, une partie requérante peut contourner cette supposition si la preuve était suffisamment importante pour que la division générale en discuteNote de bas page 3.

[11] Une partie requérante a également un moyen d’appel lorsque la division générale commet une erreur de droitNote de bas page 4.

Aucune erreur de fait sur les limitations fonctionnelles du requérant à la fin ou avant la fin de la PMA

[12] La division générale n’a pas commis d’erreur de fait quant au moment où l’invalidité du requérant a causé des limitations fonctionnelles qui ont nui à sa capacité de travailler.

[13] J’ai accordé au requérant la permission de faire appel parce que j’ai conclu que l’on pouvait soutenir que la division générale avait commis une erreur de fait concernant l’incidence des problèmes de santé du requérant sur sa capacité à travailler pendant sa PMA. Cependant, j’ai bénéficié d’une argumentation complète de la part du requérant et du ministre sur cette question.

[14] Je ne peux pas conclure que la division générale a ignoré la preuve médicale ou le témoignage d’une manière qui équivaut à une erreur de fait en ce qui concerne l’incidence des problèmes de santé du requérant sur sa capacité à travailler avant la fin de sa PMA.

[15] La division générale n’a pas abordé le rapport de la médecin du requérant daté d’après la PMA, mais je ne peux pas conclure que cela a mené à une erreur de fait. Le rapport était daté de neuf ans après la PMA et rédigé par une médecin qui ne traitait pas le requérant pendant la PMA. Le rapport n’était pas clair quant au moment où les problèmes de santé du requérant ont commencé et l’incidence qu’ils ont eue sur son fonctionnement avant la fin de la PMA. La division générale ne s’est pas demandé si le requérant avait de la douleur avant la fin de la PMA; la question était de savoir si cette douleur l’empêchait de travailler de façon constante à ce moment-là. À la lumière de cette question plus précise, le rapport n’était pas assez important pour que je puisse en déduire que la division générale l’a ignoré.

[16] De même, la division générale n’a pas abordé certains aspects du témoignage du requérant et de celui de sa témoin, mais je ne peux pas conclure qu’elle a commis une erreur de fait en ignorant le témoignage. L’argument du requérant concernant le témoignage porte surtout sur le poids que le requérant aurait souhaité que la division générale accorde à cette preuve. La façon dont la division générale a apprécié la preuve ne peut pas constituer la base d’un appel accueilliNote de bas page 5.

Le rapport

[17] Le rapport de la médecin du requérant, daté de décembre 2020, précise que le requérant est son patient depuis juillet 2011Note de bas page 6. La médecin déclare que les douleurs au dos et aux jambes du requérant existaient [traduction] « depuis longtemps » lorsque le requérant est devenu son patient. Elle déclare qu’elle n’est pas en mesure de préciser la durée exacte de l’invalidité, mais que le requérant en est atteint [traduction] « depuis certainement plus de dix ans, voire depuis probablement beaucoup plus longtemps ».  

[18] Le rapport explique que le requérant présente différents types de douleurs provenant : d’une discopathie dégénérative lombaire, de douleurs nerveuses dues à de l’arthrite spinale, d’une maladie artérielle périphérique et d’une possible neuropathie diabétique. La lettre précise que cela signifie qu’il a des douleurs mécaniques au dos, des douleurs neurologiques au dos et aux jambes et des douleurs ischémiques aux jambes. Elle énumère des restrictions particulières en ce qui concerne le fait de marcher et de porter, soulever, pousser et tirer des charges.

[19] Une interprétation possible du rapport est la suivante : il donne l’avis de la médecin selon lequel le requérant avait des douleurs au dos et aux jambes qui ont commencé au moins 10 ans avant qu’elle n’écrive la lettre, c’est-à-dire en 2010, mais que ces douleurs seraient probablement apparues beaucoup plus tôt (ce qui peut inclure ou non la PMA du requérant qui a pris fin en 2002).

[20] Une autre interprétation possible est la suivante : la médecin affirme que le début de l’invalidité a eu lieu 10 ans avant qu’elle ne commence à traiter le requérant en 2011, ce qui correspondrait à 2001 (soit pendant la PMA du requérant), mais que l’invalidité serait probablement apparue beaucoup plus tôt.

[21] Dans un cas comme dans l’autre, cette lettre décrit les types de douleurs que le requérant avait et les limitations fonctionnelles qu’il avait en conséquence.

[22] La médecin a écrit la lettre longtemps après la fin de la PMA du requérant, mais ce n’est pas une raison pour l’ignorer. La division générale a déclaré que lorsqu’une partie requérante ne parvient pas à prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave avant la date de fin de sa PMA, les preuves médicales datant d’après cette date ne sont pas pertinentes. La division générale a cité en note de bas de page la décision Dean de la Cour fédérale pour appuyer cette idéeNote de bas page 7.

[23] À mon avis, cette partie de la décision Dean ne dispense pas la division générale de tenir compte de la preuve datant d’après la PMA lorsque le requérant a fourni des preuves objectives d’une invalidité à la date de fin de la PMA ou avant cette date. Dans les notes de la médecin datant d’avant la fin de la PMA, il y a une référence à la douleur au dos du requérant, et il y a un document datant d’immédiatement après la PMA qui révèle que le problème du requérant était de longue date et avait été exacerbé le 26 décembre 2002 (pendant la PMA).

[24] Le ministre soutient que la lettre de suivi de la médecin de famille n’était pas assez importante pour que la division générale doive en discuter : elle n’aide pas à expliquer si le requérant avait une invalidité grave en décembre 2002, soit à la date de fin de sa PMA. Le ministre dit que le rapport de la médecin [traduction] « ne dit rien » sur cette période.

[25] À mon avis, le fait que la division générale n’ait pas traité de la note de la médecin ne me permet pas de déduire que la division générale a ignoré la note et qu’elle a donc commis une erreur de fait. La division générale n’a pas commis d’erreur en ne discutant pas du rapport parce qu’il n’était pas assez important pour la question clé que la division générale essayait de trancher. Ce rapport n’a pas aidé la division générale à décider de l’incidence de la douleur sur la capacité du requérant à travailler avant la fin de la PMA.

[26] Il semble, d’après la décision de la division générale, que ce n’était pas le moment où les problèmes de santé du requérant ont commencé qui était en cause, mais plutôt la question de savoir si le requérant était en mesure de prouver que ses problèmes étaient graves et prolongés à la date de fin de la PMA ou avant cette date. La division générale a conclu que la preuve médicale n’a pas démontré que le requérant souffrait de façon constante de douleurs au dos et aux jambes avant la fin de décembre 2002Note de bas page 8.

[27] La lettre du médecin est potentiellement importante dans le sens où elle explique le type de douleur que ressent le requérant et l’incidence de cette douleur sur des fonctions précises comme porter et soulever des charges. Cependant, ce n’est pas la seule preuve qui démontre que le requérant avait des douleurs aux jambes et au dos avant la fin de la PMA.

[28] La décision de la division générale est axée plus précisément sur la question de savoir si la douleur et les limitations du requérant faisaient en sorte qu’il était « régulièrement incapable » de détenir un emploi véritablement rémunérateur avant la fin de la PMA. La lettre de la médecin ne peut pas vraiment aider à trancher cette question : la médecin ne peut pas dresser un tableau détaillé des limitations fonctionnelles constantes du requérant parce qu’elle ne traitait pas le requérant à ce moment-là.

[29] La division générale n’a pas discuté de ce rapport dans sa décision, mais elle n’a pas eu à le faire parce qu’il n’était pas assez important. J’estime que le rapport ne traite pas de la question clé avec laquelle la division générale était aux prises, à savoir si les douleurs au dos et aux jambes du requérant entraînaient des limitations qui l’empêchaient d’être régulièrement capable de travailler.

[30] La question suivante est de savoir si les témoignages du requérant et de sa témoin à l’audience ont pu combler cette lacune dans la preuve relevée par la division générale. La division générale a-t-elle ignoré les témoignages, menant ainsi à une erreur quant à savoir si les limitations fonctionnelles du requérant nuisaient à sa capacité à travailler avant la fin de la PMA?

Le témoignage

[31] Le requérant soutient que la division générale a commis une erreur en ne tenant pas compte du témoignage à l’audience. Le requérant soutient que si la division générale avait compris le témoignage donné lors de l’audience ou en avait discuté (et ne l’avait pas ignoré), la division générale aurait alors accueilli l’appel du requérant. Le requérant et sa témoin ont témoigné sous serment et ils étaient crédibles. Le témoignage a clairement montré que les douleurs au dos du requérant l’empêchaient de travaillerNote de bas page 9.

[32] Il est clair pour moi que la division générale n’a pas ignoré les témoignages entendus à l’audience. En examinant les observations du requérant sur ce point, on constate qu’en fait, il soutient que la division générale n’a pas accordé suffisamment de poids au témoignage concernant son invalidité le 31 décembre 2002 ou avant cette dateNote de bas page 10.

[33] Je comprends la préoccupation du requérant selon laquelle le témoignage ne semble pas constituer un élément clé de l’analyse de la division générale. Une partie requérante n’a pas toujours des documents médicaux qui exposent toutes les limitations fonctionnelles associées à ses problèmes de santé. Par conséquent, le témoignage sur la façon dont son invalidité a nui à ses capacités fonctionnelles à la date de fin de la PMA ou avant cette date est important. Lorsque le témoignage est crédible et fiable, il peut contribuer à fournir à la division générale une image plus complète des capacités fonctionnelles d’une partie requérante à la date de fin de la PMA ou avant cette date.

[34] Dans la présente affaire, je ne peux pas conclure que la division générale a ignoré les témoignages. La décision consacre plusieurs paragraphes à résumer les témoignages du requérant et de sa témoinNote de bas page 11.  

[35] C’est le travail de la division générale d’entendre la preuve et de l’apprécier. La division d’appel ne peut pas conclure que la division générale a commis une erreur en appliquant les faits au droitNote de bas page 12. La division d’appel ne peut pas conclure que la division générale a commis une erreur parce qu’elle n’a pas accordé plus de poids aux témoignages.

[36] Selon les témoignages, il est clair que le requérant avait des douleurs au dos à la fin ou avant la fin de la PMA. Toutefois, la question de savoir si les témoignages établissaient que la douleur du requérant le rendait régulièrement incapable de travailler était une question que la division générale devait trancher. Il s’agit d’appliquer les faits à la loi. Je ne vois aucune partie des témoignages que la division générale ait mal compris sur ce point.

[37] La question de savoir si j’aurais tiré les mêmes conclusions sur les limitations fonctionnelles du requérant pendant la PMA en me fondant sur ces témoignages en combinaison avec les preuves médicales n’est pas pertinente.

[38] J’ai une dernière remarque concernant les témoignages. Il est essentiel de déterminer à quel moment l’invalidité a entraîné les limitations fonctionnelles qui ont nui au travail. Pour avoir droit à une pension d’invalidité, une partie requérante doit fournir à l’appui de sa demande des preuves médicales concernant son état de santé à la date de fin de la PMA ou avant cette dateNote de bas page 13. La partie requérante peut le démontrer au moyen de preuves médicales datant d’après la PMA et portant sur son état de santé pendant la PMANote de bas page 14. La loi n’exige pas que les preuves médicales objectives établissent à elles seules l’existence des limitations fonctionnelles pendant la PMA.

[39] Dans la présente affaire, je peux comprendre que le requérant puisse avoir l’impression que la décision de la division générale porte principalement sur la preuve médicale et qu’elle n’explique pas clairement de quelle façon son témoignage a également fait partie de l’analyse, plutôt que d’être seulement résumé au début. Cependant, la façon dont la division générale a évalué le témoignage du requérant n’est pas un moyen d’appel que je peux considérer.

Aucune explication quant au motif pour lequel il n’était pas nécessaire de prendre en compte la situation personnelle du requérant

[40] La division générale a commis une erreur de droit en n’expliquant pas pourquoi il n’était pas nécessaire de prendre en compte la situation personnelle du requérant.

[41] Dans la décision Villani, la Cour guide les décideurs sur la bonne façon d’appliquer le critère relatif à une invalidité grave. La Cour a examiné le texte, le contexte et l’objet de l’article qui définit une invalidité grave.

[42] La Cour a expliqué que pour décider si une invalidité est grave, il faut nécessairement se demander si la partie requérante est employable. L’employabilité comprend l’examen de la situation particulière de la personne. L’évaluation de la gravité d’une invalidité doit être pratique et ne pas se limiter à une théorie sur la capacité de travailler de la partie requérante. La partie requérante doit néanmoins présenter une preuve médicale : ce ne sont pas toutes les personnes qui ont des difficultés à trouver et à conserver un emploi qui ont droit à une pension d’invaliditéNote de bas page 15.

[43] La division générale a affirmé ce qui suit : « Comme je ne suis pas convaincue que [le requérant] était atteint d’une invalidité grave, je n’ai pas besoin d’appliquer l’approche du “contexte réaliste”Note de bas page 16 ». La division générale a cité en note de bas de page la décision Giannaros de la Cour d’appel fédéraleNote de bas page 17.

[44] Le ministre soutient que la division générale n’a commis aucune erreur en ne tenant pas compte de la situation personnelle du requérant. Le ministre soutient que la décision Giannaros énonce clairement que lorsqu’un décideur n’est pas convaincu qu’une partie requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée pendant sa PMA, il n’est pas nécessaire qu’il tienne compte de la situation personnelle de la personne.

[45] À mon avis, la division générale devait quand même expliquer comment ou pourquoi la décision Giannaros s’applique dans cette affaire.

[46] Il doit y avoir des preuves objectives d’un problème de santé graveNote de bas page 18. Cependant, les preuves médicales à elles seules n’ont pas à démontrer l’existence d’une invalidité grave. Les preuves médicales pourraient démontrer une certaine capacité de travail. Dans ce cas, le décideur doit tenir compte de la situation personnelle de la partie requérante. Dans certains cas, des preuves médicales indiqueront un problème de santé, mais l’incidence de celui-ci sur la capacité à travailler de la partie requérante pourrait bien provenir de son témoignage au sujet de ses démarches de travail et des limitations fonctionnelles qu’elle a constatées dans le cadre de ces démarches.

[47] La division générale a commis une erreur de droit en omettant d’expliquer comment ou pourquoi la décision Giannaros signifie qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte de la situation personnelle du requérant dans la présente affaire. Les faits dans la décision Giannaros diffèrent des faits de l’affaire qui nous occupe. Peut-être que la division générale croyait que la décision Giannaros permettait de faire abstraction de la situation personnelle du requérant chaque fois qu’il y avait des difficultés à prouver l’existence d’une invalidité grave compte tenu de la preuve médicale ou du fait que le requérant avait travaillé. Toutefois, pour s’appuyer de cette façon sur la décision Giannaros, la division générale devait expliquer son interprétation.

[48] Le pronostic de Giannaros était équitable : la preuve médicale montrait qu’elle avait été avisée à deux reprises de retourner au travail. Elle n’a pas non plus fait de démarches raisonnables pour suivre les traitements recommandésNote de bas page 19. Le premier décideur n’a pas tenu compte de la situation personnelle de Giannaros. La Cour a décidé, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, que la décision était tout de même raisonnable.

[49] La division d’appel a examiné la décision Giannaros et son interprétation était que l’évaluation de la situation personnelle serait « inutile […] s’il n’exist[ait] pas au moins certains éléments de preuve médicale donnant lieu de croire [que la personne était] d’abord atteint[e] d’une invalidité graveNote de bas page 20 ». Cette compréhension de la décision Giannaros fait ressortir le fait que les éléments de preuve médicale ont conseillé à Giannaros :

  • de prendre des mesures de traitement qu’elle n’a pas prises;
  • de retourner au travail, ce qu’elle n’a pas fait.

[50] Ainsi, dans la décision Giannaros, il n’y avait même pas quelques preuves médicales qui portaient à croire à l’existence d’une invalidité grave, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de sa situation personnelle. Les lacunes dans les preuves médicales ne sont pas toutes aussi flagrantes qu’elles l’étaient dans la décision Giannaros.

[51] L’omission de fournir des motifs sur une question clé dans des circonstances qui exigent une explication peut constituer une erreur de droitNote de bas page 21.

[52] Les motifs invoqués par la division générale pour ne pas analyser la situation personnelle du requérant sont insuffisants. Déclarer qu’il n’était pas nécessaire de prendre en compte la situation personnelle du requérant alors qu’on n’est pas convaincu que le requérant est atteint d’une invalidité grave ne revient pas nécessairement à « suivre » les principes énoncés dans la décision Giannaros sans autre explication. La décision Giannaros ne semble pas dire qu’il faut oublier la situation personnelle chaque fois que les preuves médicales sont insuffisantes d’une certaine façon.

[53] Dans la présente affaire, il est clair, d’après plusieurs preuves médicales, que le requérant avait des douleurs au dos et aux jambes pendant la PMANote de bas page 22. L’incidence que cela a eue sur sa capacité à travailler était en question, mais c’est une raison de plus pour que la division générale examine tous les facteurs qui ont nui à l’employabilité du requérant à ce moment-là.

Correction de l’erreur

[54] Maintenant que j’ai conclu que la division générale a commis une erreur, j’ai un choix à faire sur la façon de la corriger.

[55] Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, ou je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamenNote de bas page 23. Je peux trancher toute question de droit pour rendre une décision dans un appelNote de bas page 24.

[56] Le requérant et le ministre ont tous deux convenu que si je constatais une erreur, je devrais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[57] Rendre la décision que la division générale aurait dû rendre est une façon efficace d’aller de l’avant dans de nombreuses affairesNote de bas page 25. J’ai écouté l’audience de la division générale et examiné les documents au dossier. J’ai les renseignements dont j’ai besoin pour décider si le requérant a droit à une pension d’invalidité. Rendre la décision que la division générale aurait dû rendre est la solution qui est juste, rapide et équitable.

Que devez-vous prouver pour avoir droit à une pension d’invalidité?

[58] Pour avoir droit à une pension d’invalidité, le requérant doit avoir une invalidité grave au sens du Régime de pensions du Canada. Une personne est réputée être atteinte d’une invalidité grave si elle est « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas page 26 ».

[59] Chaque partie de cette définition a un sens précis. Une invalidité grave dans le contexte du Régime de pensions du Canada est liée à ce qu’une personne est capable et incapable de faire dans le cadre d’un travail. Les choses que les gens ne peuvent pas faire en raison d’une invalidité sont parfois appelées « limitations fonctionnelles ».

Examen du droit du requérant à une pension d’invalidité

[60] Selon moi, le requérant n’a pas prouvé qu’il avait une invalidité grave et prolongée au sens du Régime de pensions du Canada à la fin de sa PMA. J’ai examiné :

  • les problèmes médicaux du requérant (ce qui comprend une évaluation d’ensemble des problèmes, c’est-à-dire de toutes les déficiences qui auraient pu nuire à sa capacité de travaillerNote de bas page 27);
  • les caractéristiques de la personne (son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents professionnels et son expérience de vieNote de bas page 28);
  • les démarches effectuées par le requérant pour gérer ses problèmes médicaux, et s’il a refusé de façon déraisonnable un traitement recommandéNote de bas page 29.

Problèmes de santé

[61] Le requérant n’a pas beaucoup de preuves médicales datant de sa PMA.

[62] D’après le témoignage du requérant, je comprends qu’il a déménagé à l’Île-du-Prince-Édouard pour des raisons familiales. Il a témoigné qu’il avait vu plusieurs spécialistes du dos avant de déménager, mais que le ministre n’a pas pu avoir accès à ces dossiers.  

[63] La médecin de famille du requérant à l’Île-du-Prince-Édouard a vu le requérant pour des douleurs au dos en février 2002. Ses notes sont presque impossibles à lire, mais elles révèlent qu’il a reçu une ordonnance pour son mal de dosNote de bas page 30.

[64] Puis, l’un des derniers jours avant la fin de la PMA (le lendemain de Noël 2002), l’état du dos du requérant s’est aggravé. Il avait essayé de pelleter de la neige. Il s’est présenté à la salle d’urgence de l’hôpital en janvier 2003 avec une douleur au dos et à la jambe gauche. Le médecin de la salle d’urgence a déclaré que le requérant avait une hernie discale lombaire. Il a également déclaré qu’il avait une discopathie de longue date au niveau de L4 et de L5 qui s’était récemment exacerbée dans sa jambe gaucheNote de bas page 31. La douleur était suffisamment grave pour que le médecin prescrive des opioïdes au requérant.

[65] L’état du dos du requérant ne semble pas s’être amélioré. Il a eu d’autres problèmes de santé diagnostiqués après la PMA, comme des hémorroïdes, une angine, du diabète et une maladie vasculaire périphérique. Ces diagnostics ne sont pas aussi importants pour la demande de pension d’invalidité du requérant, car ils ont été posés après la fin de la PMA.

[66] En 2006, après la PMA, il ressentait une douleur aiguë dans le bas du dos. Sa médecin lui a prescrit des médicaments contre la douleur et les spasmes musculairesNote de bas page 32.

[67] Le requérant a commencé à voir sa médecin de famille actuelle en juillet 2011. Cette médecin n’est pas en mesure de préciser quand la douleur au dos et aux jambes du requérant a commencé. Elle ne traitait pas le requérant avant 2011. Je ne sais vraiment pas si la médecin essayait de dire que les problèmes de dos et de jambes du requérant avaient déjà commencé en décembre 2002 ou non. Il y a plus d’une façon d’interpréter sa lettreNote de bas page 33.

[68] Cependant, lorsque j’examine la preuve médicale dans son ensemble, je conclus que le requérant avait des douleurs au dos et aux jambes. Il faisait du travail physique dans une ferme laitière à la fin de la PMA, et il semble qu’éventuellement, ce travail était trop pénible pour lui et qu’il a dû arrêter.

[69] La médecin actuelle du requérant ne peut pas préciser la date à laquelle les problèmes de dos et de jambes du requérant ont commencé. Elle ne dit pas (et ne pourrait pas vraiment savoir) si toutes les limitations fonctionnelles qu’elle énumère, que le requérant a plus récemment, affectaient également le requérant en décembre 2002. Cependant, ce rapport n’est pas la seule preuve médicale objective concernant le mal de dos du requérant. Il y a d’autres preuves aussi, dont les suivantes :

  • la référence au dos douloureux du requérant dans les notes de la médecin en février 2002Note de bas page 34;
  • la déclaration faite par le médecin de la salle d’urgence immédiatement après la fin de la PMA en janvier 2003 selon laquelle le requérant avait une discopathie de longue date en L4 et en L5 qui s’était récemment exacerbée dans la jambe gauche, et selon laquelle il s’était blessé davantage à la fin de décembre 2002 (c’est-à-dire avant la fin de la PMA);
  • le témoignage du requérant, selon lequel ses douleurs au dos et aux jambes ont commencé avant qu’il ne commence à travailler à la ferme laitière en 2002 et selon lequel il a cessé ce travail parce qu’il ne pouvait plus supporter la douleur;
  • le témoignage de la témoin du requérant, qui a expliqué de façon assez détaillée que le dos du requérant était en mauvais état lorsqu’elle a emménagé avec lui pour la première fois en 2000 ou en 2001, et qu’il était en [traduction] « mauvais état » lorsqu’il a essayé de travailler en 2002.

[70] Compte tenu de toutes ces preuves, je suis convaincue que les douleurs au dos et aux jambes du requérant ont commencé avant la fin de la PMA.

Le requérant avait des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité à effectuer un travail physique

[71] Il n’est pas suffisant pour le requérant d’avoir des preuves médicales selon lesquelles il avait des douleurs au dos et aux jambes pendant la PMA. Il doit aussi démontrer qu’il avait des limitations fonctionnelles (des choses qu’il ne pouvait pas faire) qui auraient nui à sa capacité à travailler.

[72] Les meilleures preuves concernant les limitations fonctionnelles du requérant dans ce dossier proviennent de plusieurs endroits.

[73] Premièrement, je vais examiner le témoignage. Le requérant a déclaré que son principal problème en 2002 était son mal de dos. Il avait vu des spécialistes du dos avant 2002 (c’est-à-dire avant de déménager à l’Île-du-Prince-Édouard). Il a dit que le spécialiste lui avait dit qu’il y avait 50 % de chances que l’opération le laisse paralysé. Il a témoigné qu’il était en arrêt de travail en raison de douleurs au dos avant de partir pour l’Île-du-Prince-Édouard. Le requérant n’a pas produit de dossiers pour appuyer son histoire au sujet de ses douleurs au dos avant son départ pour l’Île-du-Prince-Édouard.

[74] Cependant, j’ai trouvé qu’il témoignait d’une manière claire et que ses propos avaient du sens. Il a déclaré qu’il avait des douleurs au dos et aux jambes et que cela nuisait à sa capacité de faire des tâches comme pelleter ou utiliser une scie à chaîne. Il a dit qu’il ne pouvait pas rester sur ses jambes trop longtemps. Il a confirmé qu’il cuisinait à la maison, mais qu’il avait cessé de travailler à la ferme laitière lorsqu’il n’a plus été capable de supporter ses douleurs au dos. Il faisait des travaux dans les champs et nourrissait le bétail.

[75] Il y a quelques renseignements médicaux datant d’avant la fin de la PMA qui laissent entendre que le requérant avait des problèmes avec son dos et sa jambe. Il n’y a aucune preuve médicale datant d’après la PMA pour contredire le requérant au sujet de son dos – rien ne laisse entendre qu’il était un bon candidat à une opération avant de déménager à l’Île-du-Prince-Édouard ou qu’il était capable de travailler avant son départ pour l’Île-du-Prince-Édouard. Le témoignage du requérant ne me donne aucune raison de douter de ce qu’il a dit au sujet de ses soins de santé à partir du moment où il a déménagé, ou sur la façon dont il a cessé de travailler sur la ferme laitière et pourquoi il a mis fin à cet emploi. Mais je reviendrai plus tard sur le sujet de la ferme laitière.

[76] La témoin du requérant a également fourni des preuves sur les limitations fonctionnelles de ce dernier. Elle a expliqué qu’il n’avait jamais eu d’emploi à long terme durant leur relation. Elle a aussi expliqué qu’il ne pouvait pas transporter de bois dans la maison pour elle. Elle a dit qu’il faisait ce qu’il pouvait autour de la maison. À un moment donné, il pouvait faire quelques courses, mais plus maintenant. Elle a témoigné que le requérant était en [traduction] « mauvais état » lorsqu’elle venait le chercher au travail à la ferme laitière.

[77] Le questionnaire du requérant est d’une aide limitéeNote de bas page 35. Il l’a rempli bien après la fin de sa PMA. La façon dont le requérant décrit sa douleur dans ce document est conforme à la façon simple dont il l’a décrite dans son témoignage. Lorsque la douleur est à son comble, il ne peut rien faire d’autre et [traduction] « la douleur est insupportableNote de bas page 36 ». Il est regrettable qu’il n’ait pas pu en dire plus sur l’incidence de sa douleur avant la fin de la PMA.

[78] Troisièmement, j’estime que la description des limitations du requérant par sa médecin est également moins utile, car cette description est axée sur l’état du requérant depuis qu’elle a commencé à le traiter en 2011. Elle a déclaré qu’il avait des douleurs chroniques au bas du dos qui irradiaient vers une ou deux de ses jambes. Elle a également déclaré qu’il ressent de la douleur chronique quotidiennement ainsi que des poussées de douleur exacerbées par des tensions dans le dos lorsqu’il essaie de porter, soulever, pousser ou tirer des charges. Elle a déclaré qu’il devait changer fréquemment de position et ne pouvait pas rester assis pendant de longues périodes. Cela est vrai lorsque sa douleur est relativement bien contrôlée, et encore plus lorsque sa douleur s’intensifieNote de bas page 37.

[79] Je suis convaincue que le requérant avait des limitations fonctionnelles en raison de ses douleurs au dos en décembre 2002, lesquelles ont eu une incidence sur sa capacité à effectuer un travail physique impliquant de porter, soulever, pousser ou tirer des charges ou de rester debout pendant de longues périodes.

[80] Cependant, à la lumière du témoignage du requérant et de sa témoin et de la preuve médicale, je conclus qu’à la date de fin de la PMA ou avant cette date, le requérant avait une certaine capacité de travail sédentaire, soit la capacité de faire des tâches plus légères que de travailler dans les champs et de nourrir le bétail. La preuve médicale et son témoignage démontrent que durant sa PMA, le requérant ressentait une certaine douleur et travaillait dans une ferme.

Autres preuves de la capacité de travail

[81] Je reconnais qu’il existe d’autres preuves qui, selon le ministre, démontrent que le requérant avait une certaine capacité à travailler avant la fin de sa PMA.

[82] Plus précisément, je dois examiner si l’une des preuves suivantes démontre que le requérant avait une certaine capacité de travail :

  • l’aide que le requérant donnait à sa conjointe à la maison;
  • le travail qu’il a fait à la ferme laitière;
  • la lettre de la médecin datant de 2007, dans laquelle elle ne mentionnait pas le mal de dos du requérant.

Aide apportée à la maison

[83] À mon avis, le fait que le requérant aide son épouse à la maison ne constitue pas une preuve de sa capacité de travail.

[84] En 2007, la médecin de famille du requérant a déclaré que celui-ci faisait un travail exigeant en prenant soin de sa conjointe atteinte d’une invaliditéNote de bas page 38. Je ne suis pas en mesure de conclure que le travail effectué par le requérant était [traduction] « exigeant physiquement ». La médecin du requérant a fait cette déclaration afin d’obtenir des bons d’alimentation pour son patient bénéficiaire de l’aide sociale. Elle n’a pas décrit ce qu’était un travail « exigeant physiquement ».

[85] La conjointe du requérant a témoigné au sujet de sa sclérose en plaques. Elle a dit qu’il y a des moments où elle est en rémission, mais qu’il y a des moments où elle a eu besoin de l’aide du requérant. À ces moments-là, elle dit que le requérant l’aide autant qu’il le peut. Elle a dit qu’il cuisinait beaucoup et qu’il faisait les courses à l’époque de la PMA. Ce témoignage sur la nature du travail effectué par le requérant est plus détaillé que la note de la médecin de famille. Dans la mesure où les descriptions du travail du requérant à la maison diffèrent, je préfère le témoignage de la conjointe du requérant. Son témoignage était franc et clair, et elle est la mieux placée pour se rappeler le genre d’aide qu’elle a reçue.

[86] Le fait d’être capable d’effectuer de petites tâches à la maison n’est pas nécessairement la preuve d’une capacité à effectuer ce type de travail dans le cadre d’un hypothétique emploi sédentaire ou semi-sédentaire qui pourrait être considéré comme « n’importe quel emploi concevable » au sens du Régime de pensions du CanadaNote de bas page 39.

[87] Je suis consciente du contexte dans lequel le requérant aidait sa conjointe. Celle-ci travaillait dans un restaurant à service rapide lorsque son invalidité était en rémission, puis lorsque son état s’aggravait, elle cessait de travailler. Le requérant a témoigné qu’il avait reçu de l’aide sociale lorsqu’il est arrivé à l’Île-du-Prince-Édouard. Il a fini par avoir trop de douleur pour continuer à travailler à la ferme laitière. Je reconnais qu’il a pris soin de sa conjointe du mieux qu’il pouvait. Je ne suis pas certaine du caractère [traduction] « exigeant » de ce travail et, par conséquent, je ne trouve pas que la participation du requérant aux tâches ménagères prouve qu’il avait une capacité à travailler.  

Formulaire médical de 2007 qui ne fait pas référence à des douleurs au dos ou aux jambes

[88] À mon avis, le formulaire médical n’est pas une preuve de la capacité à travailler du requérant. La médecin du requérant a rempli un formulaire médical en 2007 et n’a rien dit au sujet de douleurs au dos ou aux jambes, déclarant que les principaux problèmes de santé du requérant étaient le stress et l’hypertension.

[89] Il semble s’agir d’un formulaire que la médecin a rempli pour confirmer les besoins diététiques du requérant (préconisant des coupons alimentaires pour le requérant). Elle explique dans le formulaire que le requérant a besoin de ces coupons pour réduire son niveau de stress et son hypertension. Je doute qu’il y ait eu quoi que ce soit au sujet du dos ou des jambes du requérant que la médecin aurait eu besoin de signaler en 2007 sur ce formulaire pour aider le requérant à obtenir des coupons alimentaires.

[90] Je ne peux pas conclure que le fait que la médecin n’a pas mentionné les douleurs au dos et aux jambes du requérant dans cette lettre signifie que ces douleurs ne l’empêchaient pas de travailler.

Travail pour la ferme laitière

[91] À mon avis, le travail du requérant sur la ferme laitière n’était pas suffisamment détaillé pour que je puisse conclure qu’il s’agissait d’une preuve de sa capacité à travailler.

[92] Le requérant a travaillé dans une ferme laitière de 2002 à 2003. Il a témoigné qu’il recevait de l’aide sociale pendant qu’il travaillait dans cette ferme.

[93] Sa conjointe a décrit cet emploi comme étant une [traduction] « affaire familiale » et a indiqué que l’employeur était très flexible avec lui. Je comprends de ce témoignage que la ferme était gérée par une famille, mais qu’elle n’était pas gérée par la famille du requérant. Le requérant a déclaré qu’il travaillait dans les champs et qu’il nourrissait le bétail. S’il ne pouvait pas se rendre au travail, il téléphonait à l’employeur. La preuve n’était pas détaillée sur ce point, mais il semble que l’employeur ait permis au requérant de faire un travail moins exigeant physiquement. Je ne sais pas exactement de quelles tâches il s’agissait. Le requérant a cessé de travailler à cet endroit en raison de ses douleurs au dos. La conjointe du requérant a dit que lorsque le requérant travaillait, il était en [traduction] « mauvais état ». Elle a décrit être allée le chercher au travail et s’être inquiétée pour lui.

[94] La preuve qu’une partie requérante a travaillé après la fin de la PMA peut démontrer que celle-ci a une certaine capacité à travailler, mais pas dans tous les casNote de bas page 40.

[95] J’accepte le témoignage de sa conjointe concernant le caractère informel de cet arrangement de travail. Lorsqu’il n’était pas assez bien, il ne faisait qu’appeler et ne pas se présenter au travail. Même si ce travail était davantage une [traduction] « affaire familiale », le requérant n’était pas en bon état et n’a pas réussi à travailler pour cet employeur pendant une année complète en raison de la douleur. Ce travail n’était pas véritablement rémunérateur.

[96] Le travail du requérant à la ferme laitière montre qu’il n’était pas capable de maintenir ce travail qui était exigeant physiquement. Cependant, sans avoir des renseignements plus détaillés sur l’étendue de ses mesures d’adaptation dans le cadre de ce travail, je ne peux pas dire s’il était capable de détenir un emploi sédentaire.

Démarches pour gérer ses problèmes de santé

[97] Le requérant a fait des démarches pour gérer ses problèmes de santé et il n’a pas refusé de façon déraisonnable de suivre un traitement.

[98] Une partie requérante est tenue de démontrer qu’elle a fait des démarches pour gérer ses problèmes de santéNote de bas page 41. Elle ne doit pas refuser un traitement de manière déraisonnableNote de bas page 42.

[99] J’accepte le témoignage du requérant selon lequel il a vu des médecins (y compris des spécialistes) pour son dos avant de déménager dans une autre province. J’accepte qu’il ait compris qu’il n’était pas un bon candidat à l’opération. Il est mentionné dans les notes médicales qu’il a vu sa médecin de famille au sujet de maux de dos après avoir déménagé à l’Île-du-Prince-Édouard. Lorsque ses maux de dos se sont aggravés à la fin de décembre 2002 après avoir pelleté de la neige, il s’est rendu à l’urgence de l’hôpital.

[100] Pendant plusieurs années après la fin de la PMA, il est vrai que rien n’indique que le requérant se soit rendu régulièrement au bureau de son médecin au sujet de ses maux de dos. J’accepte le témoignage du requérant selon lequel il faisait de l’hypertension artérielle et de la rétention d’eau à la fin de 2002 et selon lequel il pensait que les médecins ne pouvaient rien faire pour soulager ses maux de dos. Il a commencé à avoir plusieurs autres problèmes de santé par la suite, et il y a des documents concernant ses démarches pour traiter ces problèmes également.

[101] Le requérant a pris des mesures pour gérer son état de santé. Il n’est pas un bon candidat à l’opération et il a demandé des soins d’urgence supplémentaires lorsqu’il en avait besoin. Le requérant a de multiples problèmes de santé pour lesquels il consulte des médecins. Sa médecin actuelle affirme que les multiples examens et avis de spécialistes [traduction] « au fil des ans » n’ont pas permis d’espérer une intervention curative ou réparatriceNote de bas page 43. Je ne vois aucune preuve dans le dossier (en particulier de la part de sa médecin de famille actuelle) qui me laisserait penser qu’il a refusé de manière déraisonnable tout traitement qui aurait pu faire une différence en ce qui concerne son invalidité.

La situation du requérant

[102] Pour décider si l’invalidité du requérant est grave, je dois aussi tenir compte de son degré d’employabilité dans un contexte réaliste, étant donné :

  • son âge;
  • son niveau d’instruction;
  • son aptitude à parler, à lire et à écrire en anglais;
  • ses antécédents de travail et son expérience de vieNote de bas page 44.

[103] Le requérant avait 38 ans à la date de fin de sa PMA, le 31 décembre 2002. Normalement, un travailleur de cet âge a encore des décennies de travail devant lui. L’âge du requérant ne constituait pas un obstacle à son employabilité.

[104] Le requérant a témoigné qu’il a redoublé sa 5e année et qu’il a une 6e année. J’estime qu’il s’agit d’un obstacle important à l’emploi au Canada.

[105] La langue maternelle du requérant est l’anglais. Cependant, j’estime que je ne peux pas présumer d’une manière ou d’une autre de la capacité du requérant à lire et à écrire en anglais étant donné ce faible niveau d’instruction. La division générale n’a pas discuté du niveau d’alphabétisation en anglais du requérant avec ce dernier.   

[106] Le requérant travaille depuis l’âge de 15 ans. Il a exercé des emplois physiquement exigeants, par exemple des travaux routiers et agricoles. Il a bénéficié de l’aide sociale. Il avait un permis pour conduire des camions à un certain moment.

[107] J’estime que les antécédents de travail et les expériences de vie du requérant constituent en quelque sorte un obstacle à l’emploi dans un contexte réaliste. Il manque de compétences transférables issues de ses emplois physiques qui l’aideraient à trouver un emploi qu’il serait capable de faire physiquement. Cependant, étant donné son âge, il aurait pu parfaire son éducation et ses compétences en vue de trouver un emploi sédentaire.

Démarche pour trouver et conserver un emploi

[108] La preuve médicale et le témoignage m’ont amené à conclure uniquement que le requérant ne pouvait pas faire un travail physiquement exigeant comme celui qu’il faisait sur la ferme. Les preuves médicales et les témoignages attestent d’une certaine capacité de travail. Les témoignages et la preuve médicale laissent entendre que le requérant ne pouvait pas pousser, tirer, soulever et transporter des charges. Cependant, un emploi sédentaire ne nécessiterait pas ce genre de tâches. Le requérant était en mauvais état après avoir travaillé dans les champs lorsque sa conjointe venait le chercher, mais il n’y avait pas de témoignage ou de preuve médicale laissant entendre que le requérant ne pouvait pas se recycler ou faire un travail plus sédentaire à la date de fin de la PMA ou avant cette date.

[109] Puisqu’il y a certaines preuves selon lesquelles le requérant avait une capacité de travail, je dois examiner s’il a démontré que les démarches pour trouver et conserver un emploi ont été infructueuses en raison de son invaliditéNote de bas page 45.

[110] Le requérant a essayé de trouver et de conserver un emploi en travaillant à la ferme laitière. Le salaire n’était pas véritablement rémunérateur, il n’était pas en mesure de conserver son travail en raison de ses douleurs, et son travail avait été modifié grâce à une certaine flexibilité au niveau des tâches et des attentes, comme l’a mentionné sa témoinNote de bas page 46. Le requérant a cessé de travailler à la ferme en raison de ses douleurs.

[111] Cependant, j’estime que le requérant n’a pas fait de démarches soutenues pour trouver et conserver un emploi moins exigeant physiquement que le travail qu’il faisait à la ferme.

L’invalidité du requérant n’est pas grave

[112] Les renseignements médicaux et le témoignage du requérant m’indiquent qu’il a plusieurs types de douleurs au dos. Il avait des douleurs au dos et aux jambes avant la fin de la PMA. Je constate qu’il avait mal au dos avant décembre 2002 et que son état s’est aggravé en 2002, le lendemain de Noël. Il faisait le travail physique qu’il avait toujours fait (mais avec difficulté) parce qu’il avait du mal à supporter la douleur. Il ne pouvait pas soulever ou porter des charges, se pencher, marcher ou se tenir debout facilement. C’est pourquoi il a arrêté de faire son travail exigeant physiquement. Il semble que le mal de dos ait empiré lorsqu’il a pelleté de la neige juste avant la fin de la PMA. Il y a un manque d’informations sur la façon dont ses problèmes de dos nuisent à sa capacité à exercer des emplois moins exigeants physiquement. Il avait certaines limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité à exercer un emploi physique.

[113] La situation personnelle du requérant montre qu’il a quelques obstacles supplémentaires concernant son employabilité. Il lui restait de nombreuses années de travail à l’époque de la PMA, son parcours scolaire laisse penser qu’il pourrait bien avoir des obstacles en ce qui a trait à trouver un emploi dans un contexte réaliste, compte tenu de ses restrictions physiques. Il est possible que les emplois moins exigeants physiquement qu’il aurait été capable de faire aient nécessité une mise à niveau et un recyclage. Cependant, le requérant n’a pas exploré cette avenue, et on ne sait pas si cela aurait été difficile pour lui de le faire, compte tenu de son niveau d’instruction limité.

[114] Compte tenu de l’ensemble de ces facteurs, je ne suis pas convaincue que le requérant était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice en décembre 2002. Je n’ai aucun doute que le requérant avait des douleurs au dos et aux jambes en décembre 2002. La douleur s’est aggravée en pelletant de la neige, et peu de temps après décembre 2002, il est devenu évident qu’il ne pouvait plus faire de travail physique comme son travail agricole. Cependant, le requérant n’a pas démontré qu’il était régulièrement incapable de détenir tout type de travail rémunérateur à ce moment-là. Il n’a pas fait de démarches pour trouver et conserver un emploi moins exigeant physiquement, ou pour se recycler dans un emploi moins exigeant qui ne nécessite pas de marcher, ou de tirer, pousser, porter ou soulever des charges.

[115] Il semble qu’à un moment donné, plus près de la date de l’audience devant la division générale, la douleur du requérant est devenue si intense qu’il ne pouvait plus travailler du tout. Malheureusement, il semble que le requérant ait atteint ce point après la fin de la PMA.

[116] Puisque j’ai conclu que l’invalidité du requérant n’est pas grave, je n’ai pas besoin d’examiner si elle est prolongée.

Conclusion

[117] Je rejette l’appel. La division générale a commis une erreur, mais lorsque je rends la décision que la division générale aurait dû rendre, j’arrive à la même conclusion : le requérant n’a pas droit à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.