Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : NF c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 1295

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Appelante : N. F.
Intimé : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 26 janvier 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Tanille Turner
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 23 novembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Témoin de l’appelante
Date de la décision : Le 14 décembre 2022
Numéro de dossier : GP-21-835

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante, N. F., a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent au mois d’octobre 2019. Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante a 54 ans. Elle détient un diplôme d’études collégiales d’un an en commerce. Elle a notamment travaillé dans une salle du courrier pour traiter des chèques et comme administratrice pour l’entreprise de vitres automobiles de son mari. 

[4] L’appelante a reçu un diagnostic de sclérose en plaques en 2016. Ses symptômes se sont aggravés, ce qui fait qu’elle a cessé de travailler en juin 2019. Ces symptômes comprennent une perte de force dans ses jambes et ses bras. Elle éprouve de la difficulté à marcher sans déambulateur. Elle a développé une incontinence vésicale depuis son diagnostic. Elle ressent des maux de tête et des douleurs au bas du dos et aux jambes.

[5] L’appelante a demandé une pension d’invalidité du RPC le 4 novembre 2019. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. L’appelante a porté en appel la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[6] L’appelante affirme qu’elle ne peut pas travailler parce qu’elle n’a pas la capacité mentale de se concentrer sur l’apprentissage d’un nouvel emploi. Elle n’a pas de compétences en informatique. Elle ne peut pas répondre aux attentes de travail selon un horaire fiable. Elle a besoin de pauses fréquentes pour changer de position, quelle qu’elle soit. Elle ne peut pas s’asseoir, se tenir debout ou marcher pendant plus de 5 à 15 minutes.

[7] Le ministre affirme que l’appelante tolère bien ses médicaments. Il n’y a aucune preuve de tests officiels à l’appui de l’existence de déficiences cognitives. Aucune preuve ne démontre que l’appelante a mis à l’essai toutes les options de traitement disponiblesNote de bas de page 1.

Ce que l’appelante doit prouver

[8] Pour obtenir gain de cause, l’appelante doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2021. Cette date est fondée sur ses cotisations au  RPCNote de bas de page 2.

[9] Le Régime de pensions du Canada définit « grave » et « prolongée ».

[10] Une invalidité n’est grave que si elle rend une partie appelante régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3.

[11] Cela signifie que je dois examiner l’ensemble des problèmes de santé de l’appelante pour voir quel effet ils ont sur sa capacité de travailler. Je dois également tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité et son expérience professionnelle et personnelle antérieure. Et ce pour que je puisse obtenir une image réaliste de la gravité de son invalidité. Si l’appelante est régulièrement en mesure d’effectuer un travail qui lui permettrait de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[12] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 4.

[13] Cela signifie que l’invalidité de l’appelante ne peut comporter une date prévue de rétablissement. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche l’appelante de travailler longtemps.

[14] L’appelante doit prouver qu’elle a une invalidité grave et prolongée. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est invalide.

Motifs de ma décision

[15] Je conclus que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2021. J’ai pris cette décision en tenant compte des questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelante était-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelante était-elle grave?

[16] L’invalidité de l’appelante était grave. J’en suis arrivée à cette conclusion en tenant compte de plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci-après.

Les limitations fonctionnelles de l’appelante nuisent à sa capacité de travailler

[17] L’appelante est atteinte :

  • De la sclérose en plaques (SP);
  • D’un trouble anxieux généralisé (TAG);
  • D’hypertension artérielle.

[18] Toutefois, je ne peux me concentrer sur les diagnostics de l’appelanteNote de bas de page 5. Je dois plutôt me demander si elle avait des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vieNote de bas de page 6. Dans le cadre de cette démarche, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelante (pas seulement le problème principal) et réfléchir à leur incidence sur sa capacité de travaillerNote de bas de page 7.

[19] Je suis d’avis que l’appelante a des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travailler.

Ce que l’appelante dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[20] L’appelante a déclaré dans son témoignage qu’en 2021, ses problèmes de santé ont entraîné des limitations fonctionnelles qui affectent sa capacité de travailler des façons suivantes :

  • Elle ne peut pas utiliser les escaliers sans beaucoup de difficulté. Elle a du mal à lever les jambes assez haut. Elle doit parfois utiliser ses mains pour soulever ses jambes. Cela lui cause également de la frustration, ce qui rend ses jambes plus rigides.
  • Elle ne peut pas se pencher sans devoir s’accrocher à quelque chose. Elle doit utiliser la force de ses bras pour se pousser vers le haut.
  • Elle ne peut pas regarder l’écran d’un ordinateur pendant plus de 20 minutes. Elle a mal aux yeux lorsqu’elle doit se concentrer. Elle ressent des maux de tête.
  • Elle ne peut pas soulever des objets au‑dessus de sa tête en raison de la raideur de ses bras. Par exemple, sa fille doit lui sécher les cheveux au séchoir.
  • Elle ne peut pas attacher des boutons ou nouer des lacets de chaussures. Elle n’a pas la dextérité manuelle pour effectuer ces mouvements de motricité fine.
  • Elle ne peut pas marcher plus de cinq minutes. Avec son déambulateur. Elle doit s’asseoir sur le siège de son déambulateur pendant deux minutes avant de pouvoir se lever à nouveau pour cinq autres minutes. Elle peut marcher pendant au plus 15 minutes, y compris les pauses. Ses jambes sont raides. Elle se fatigue.
  • Elle ne peut pas rester assise plus de 10 minutes. Elle ressent des raideurs au bas du dos, aux hanches et aux jambes. Elle doit se lever et s’étirer pendant deux minutes avant de pouvoir s’asseoir à nouveau.
  • Elle ne peut pas se concentrer sur une tâche pendant plus d’une heure.

[21] La fille de l’appelante, E. F., a également témoigné à l’audience. Elle a déclaré que l’appelante avait commencé à utiliser son déambulateur en mars 2021. Elle en a besoin même pour franchir de courtes distances, comme lorsqu’elle se promène dans la maison. Lorsqu’elle prévoit des marches plus longues, l’appelante utilise un scooter motorisé. Cela a commencé à l’été 2020.

[22] Mme F. dit que sa sœur, son père et elle aident l’appelante dans la maison. Ils font la lessive, la cuisine et sortent des plats du four. Cela s’explique par le fait que la force et l’équilibre de l’appelante ont diminué de façon constante depuis 2019. On craint que l’appelante tombe dans la douche ou lorsqu’elle sort la vaisselle de l’armoire.

[23] La famille de l’appelante l’aide à gérer ses rendez-vous et à s’y préparer. Cette aide diminue aussi son stress.

[24] J’estime que l’appelante et sa fille sont crédibles. Elles ont mis en contexte la preuve médicale de façon sincère et cohérente à la fois avec la preuve médicale et le témoignage de l’autre.

Ce que la preuve médicale révèle au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelante

[25] L’appelante doit fournir une preuve médicale démontrant que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travailler au 31 décembre 2021Note de bas de page 8.

[26] La preuve médicale étaye les propos de l’appelante.

[27] Le Dr Steckley est le neurologue de l’appelante. Le 18 juillet 2016, il a écrit qu’un examen confirmait la spasticité et la surréflexivité du bras et de la jambe de l’appelante avec des orteils remontantsNote de bas de page 9.

[28] En guise de contexte, l’appelante affirme que la raideur de ses bras fait en sorte qu’elle a de la difficulté à effectuer certaines choses comme lever ses bras au-dessus de sa tête pour sortir des choses d’une armoire ou se sécher les cheveux.

[29] Il a également rédigé une lettre d’appui datée du 16 septembre 2020. Il a déclaré que la démarche de l’appelante avait empiré par rapport à l’année précédente. À l’époque, elle marchait avec une canne, et elle devait parfois en utiliser deux. Elle éprouvait de la difficulté à marcher jusqu’à 100 mètres. À ce moment-là, elle utilisait déjà à l’occasion un déambulateur. Elle avait une faiblesse dans ses deux jambes et son équilibre avait empiré. Elle avait aussi une mauvaise concentration et une mauvaise mémoireNote de bas de page 10.

[30] Cette lettre confirme un rapport fourni par le Dr Bodkin en avril 2020. Il a déclaré que l’appelante avait des troubles progressifs de la démarche depuis 2015. Elle ne pouvait pas marcher avec sa famille. La faiblesse et la raideur de ses jambes ont aggravé sa situation, et encore davantage le stress et la tension. Cela a été causé par sa sclérose en plaques progressive primaireNote de bas de page 11.

[31] L’appelante affirme qu’elle a commencé à utiliser un déambulateur en mars 2021. Elle dit que ses problèmes d’équilibre se sont aggravés depuis 2019. Elle avait donc besoin de mettre ses deux mains sur le déambulateur pour se déplacer.

[32] Une deuxième lettre du Dr Steckley datée du 19 juillet 2022 révèle que la mobilité de l’appelante a diminué progressivement. Cette diminution a eu une incidence sur la faiblesse de ses deux jambes (la jambe gauche est plus faible), la rigidité et la dépendance à son déambulateur.

[33] Son anxiété aggrave aussi sa mémoire.

[34] Dans cette lettre, il affirme également que l’appelante n’a pas de douleurs importantes aux jambes. Cependant, ce n’est pas la douleur de l’appelante qui compte. Ses limitations fonctionnelles comptent. La lettre du Dr Steckley appuie le fait que l’appelante a des limitations fonctionnellesNote de bas de page 12.

[35] La preuve médicale confirme que la faiblesse et la raideur des jambes de l’appelante l’ont empêchée de faire de courtes promenades sans appareils fonctionnels. La raideur dans ses bras l’empêche de pouvoir atteindre quelque chose au-dessus de sa tête ou de porter de lourdes charges. Elle ne pouvait effectuer son travail habituel en raison de ces problèmes combinés.

[36] J’examinerai ensuite si l’appelante a suivi les conseils médicaux.

L’appelante a suivi les conseils médicaux

[37] Pour recevoir une pension d’invalidité, une partie appelante doit suivre les conseils médicauxNote de bas de page 13. Si elle ne le fait pas, elle doit avoir une explication raisonnable. Je dois également examiner l’effet, le cas échéant, que les conseils médicaux auraient pu avoir sur l’invalidité de l’appelanteNote de bas de page 14.

[38] L’appelante a suivi les conseils médicauxNote de bas de page 15. Elle reçoit son injection d’Ocrevus tous les six mois comme prescrit. Le Dr Steckley affirme qu’il s’agit du seul traitement disponible pour la SP progressiveNote de bas de page 16.

[39] Le ministre affirme que rien n’indique que l’appelante a essayé toutes les options de traitement pour sa SP. Il s’agirait notamment d’activité physique et de counseling pour faire face à ses difficultés émotionnellesNote de bas de page 17.

[40] L’appelante affirme qu’elle effectue des exercices de mobilité de trois à cinq fois par semaine. Les exercices sont propres aux patients atteints de SP et portent sur les connexions cerveau-corps. Elle fait aussi un peu d’entraînement en force musculaire.

[41] Il n’y a aucune trace de cela parce qu’elle utilise des vidéos d’exercices sur internet. Elle les fait depuis 2020. J’accepte son témoignage sur ce point.

[42] Elle suit un régime anti-inflammatoire.

[43] L’appelante a déclaré dans son témoignage qu’elle reçoit des conseils par l’entremise de son église. Elle parle à son prêtre une fois par mois. D’autres membres de son église l’appellent chaque semaine. Elle affirme que ces conseils renforcent sa foi et ont un effet apaisant. Toutefois, ils ne suffisent pas pour faire disparaître complètement son TAG.

[44] Elle n’a pas de protection d’assurance pour la psychothérapie.

[45] Je dois maintenant décider si l’appelante peut effectuer sur une base régulière d’autres types de tâches. Pour pouvoir être qualifiées de sévères, les limitations fonctionnelles de l’appelante doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, pas seulement dans son emploi habituelNote de bas de page 18.

L’appelante ne peut pas travailler dans le monde réel

[46] Lorsque je décide si l’appelante peut travailler, je ne peux pas simplement examiner ses problèmes de santé et leur incidence sur ce qu’elle peut faire. Je dois également tenir compte de facteurs comme :

  • son âge
  • son niveau de scolarité
  • ses compétences linguistiques
  • son expérience de travail et de vie antérieure.

[47] Ces facteurs m’aident à décider si l’appelante peut travailler dans le monde réel, c’est-à-dire s’il est réaliste de dire qu’elle peut travaillerNote de bas de page 19.

[48] Je conclus que l’appelante ne peut pas travailler dans le monde réel.

[49] Elle a 54 ans. Elle possède un diplôme d’un an en administration des affaires. Elle parle couramment l’anglais.

[50] Une grande partie de son expérience de travail se limite à vérifier les détails des chèques avant leur envoi par la poste par une compagnie d’assurance et à effectuer des tâches administratives pour l’entreprise de son mari.

[51] L’appelante affirme que, lorsqu’elle travaillait pour son époux, elle répondait aux appels téléphoniques, organisait les factures pour une aide-comptable et apportait des colis de sa maison à la boutique de son époux dans la cour arrière. Elle a cessé de livrer des colis lorsqu’elle a dû commencer à utiliser un déambulateur plutôt qu’une canne. Elle ne pouvait plus transporter de colis pesant jusqu’à 20 livres. C’était en juin 2019.

[52] Elle travaillait de la maison de façon occasionnelle de trois à quatre heures par jour. On ne pouvait s’attendre à ce qu’un autre employeur lui procurant un revenu véritablement rémunérateur lui fournisse les mesures d’adaptation dont elle bénéficiait lorsqu’elle travaillait pour son mariNote de bas de page 20.

[53] Les compétences transférables de l’appelante sont peu nombreuses, étant donné qu’elle n’est pas à l’aise d’utiliser des ordinateurs et qu’elle n’a pas eu d’emploi où elle devait le faire.

[54] Elle ne peut pas se recycler parce que ses problèmes mentaux et physiques l’en empêchent.

[55] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était grave au mois de juin 2019. C’est la dernière fois qu’elle a pu travailler parce que ses problèmes de santé l’en ont empêchée.

L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?

[56] L’invalidité de l’appelante était prolongée.

[57] Les affections de l’appelante ont commencé en juin 2019. Ces affections se sont poursuivies depuis et elles se poursuivront probablement pour une durée indéfinieNote de bas de page 21.

[58] Les symptômes de SP de l’appelante ont commencé il y a sept ans, soit en 2015Note de bas de page 22. La lettre de juillet 2022 du Dr Steckley montre comment les symptômes de l’appelante se sont aggravés. Il note également que l’appelante a maintenant des problèmes de concentration et de mémoireNote de bas de page 23.

[59] L’appelante prend le seul médicament disponible pour la SP progressive primaire, OcrevusNote de bas de page 24.

[60] Son pronostic est que son état risque de se détériorer. Son trouble d’anxiété généralisée devrait rester le mêmeNote de bas de page 25.

[61] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était prolongée au mois de juin 2019.

Début des paiements

[62] L’invalidité de l’appelante est devenue grave et prolongée en juin 2019.

[63] Par la suite, il y a un délai de carence de quatre mois avant le début des paiementsNote de bas de page 26. Cela signifie que les versements commencent en octobre 2019.

Conclusion

[64] Je conclus que l’appelante a droit à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité était grave et prolongée.

[65] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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