Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : AV c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 241

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Appelant : A. V.
Intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 8 septembre 2020 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : James Beaton
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 8 mars 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 9 mars 2023
Numéro de dossier : GP-22-1994

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelant, A. V., a droit à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent en septembre 2018. Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelant a 40 ans. Il a travaillé pour la dernière fois comme représentant du soutien au réseau pour une entreprise de télécommunications. Il a pris congé de maladie de septembre 2015 à septembre 2016 pour des troubles de santé mentaleNote de bas de page 1. En juin 2017, il a retrouvé son ami mort dans l’appartement qu’ils partageaient. Cet incident a été très traumatisant pour lui et a aggravé l’impact de ses problèmes de santé mentale préexistants. Son médecin de famille lui a recommandé de cesser de travailler le 7 juin 2017Note de bas de page 2. Il n’est pas retourné au travail depuis.

[4] L’appelant a demandé une pension d’invalidité du RPC le 19 août 2019. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande, une décision que l’appelant a portée en appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] Le ministre affirme que l’appelant n’est peut‑être pas en mesure d’exécuter son travail habituel, mais qu’il peut quand même faire un certain type de travail. Comme il n’a pas essayé, il n’est pas admissible à une pension d’invalidité. De plus, le ministre soutient que l’appelant a cessé de prendre des médicaments sans consulter son psychiatre. Cela signifie qu’il n’a pas suivi les conseils médicauxNote de bas de page 3.

[6] L’appelant affirme qu’il n’est pas régulièrement capable d’occuper un emploi, quel qu’il soit. Son médecin de famille lui a dit d’arrêter de prendre ses médicaments en raison des effets secondaires.

Ce que l’appelant doit prouver

[7] Pour obtenir gain de cause, l’appelant doit prouver qu’il avait une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2019. Cette date est fondée sur ses cotisations au RPCNote de bas de page 4.

[8] Le Régime de pensions du Canada définit « grave » et « prolongée ».

[9] Une invalidité n’est grave que si elle rend une partie appelante régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 5.

[10] Cela signifie que je dois examiner l’ensemble des problèmes de santé de l’appelant pour voir quel effet ils ont sur sa capacité de travailler. Je dois également examiner ses antécédents (notamment son âge, son niveau de scolarité, ses compétences linguistiques et son expérience professionnelle et personnelle). Et ce pour que je puisse obtenir une image réaliste de la gravité de son invalidité. Si l’appelant est capable d’effectuer régulièrement un travail qui lui permettrait de gagner sa vie, il n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[11] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 6.

[12] Cela signifie que l’invalidité de l’appelant ne peut être assortie d’une date prévue de rétablissement. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche l’appelant de travailler longtemps.

[13] L’appelant doit prouver qu’il a une invalidité grave et prolongée. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’il est invalide.

Questions que je dois d’abord examiner

J’ai accepté les documents tardifs du ministre

[14] Le ministre a présenté des arguments écrits après la date limite pour le faire. J’ai décidé de les accepter parce que l’appelant a pu les examiner avant l’audience et que le ministre aurait pu présenter les mêmes arguments à l’audience de toute façonNote de bas de page 7.

Motifs de ma décision

[15] Je conclus que l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée au mois de juin 2017. J’ai pris cette décision en tenant compte des questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelant était-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelant était-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelant était-elle grave?

[16] L’invalidité de l’appelant était grave au 31 décembre 2019. J’en suis arrivé à cette conclusion en tenant compte de plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci‑après.

Les limitations fonctionnelles de l’appelant ont nui à sa capacité de travailler

[17] L’appelant est atteint :

[18] Toutefois, je ne peux me concentrer sur les diagnostics de l’appelantNote de bas de page 9. Je dois plutôt me demander s’il a des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vie au 31 décembre 2019Note de bas de page 10. Dans le cadre de cette démarche, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelant (pas seulement le problème principal) et réfléchir à leur incidence sur sa capacité de travaillerNote de bas de page 11.

[19] Je conclus que l’appelant avait des limitations fonctionnelles au 31 décembre 2019.

Ce que l’appelant dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[20] L’appelant affirme que ses problèmes de santé ont entraîné des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travailler au 31 décembre 2019Note de bas de page 12. Il dit ce qui suit :

  • Il dort mal. Il s’endort sans problème, mais il se réveille la nuit en raison de cauchemars et de retours en arrière liés au fait qu’il a trouvé son colocataire mort. La plupart du temps, il ne dort que deux ou trois heures consécutives. Il est donc fatigué le jour. Il a tendance à faire une ou deux siestes le jour aussi.
  • En raison de son sommeil irrégulier, il ne peut pas respecter un horaire. Il rate des activités, comme le fait d’assister à des matchs de hockey et à des services religieux.
  • En raison de la fatigue, il a l’impression de vivre dans un « brouillard cérébral ». Il a de la difficulté à se concentrer, à se rappeler d’informations, à apprendre de nouvelles choses, à communiquer clairement et à prendre des décisions.
  • Il est irritable, peu motivé et facilement stressé.

[21] Il avait l’habitude de souffrir d’anxiété dans les lieux publics. Il dit que ce n’est plus aussi problématiqueNote de bas de page 13.

Ce que la preuve médicale révèle au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelant

[22] L’appelant doit fournir une preuve médicale démontrant que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travailler au 31 décembre 2019Note de bas de page 14.

[23] Les témoignages du Dr Ho (son médecin de famille)Note de bas de page 15, du Dr Rizvi (un psychiatre)Note de bas de page 16 et du Dr Palfy (un psychologue)Note de bas de page 17 appuient tous les propos de l’appelant au sujet de ses diagnostics et de ses limitations fonctionnelles. La preuve couvre la période de janvier 2017 à septembre 2020 et documente les problèmes constants de sommeil, de fatigue et cognitifs de l’appelant. Les dossiers médicaux montrent que l’appelant a annulé des rendez‑vous en raison d’un mauvais sommeilNote de bas de page 18. La preuve médicale ne contredit aucun des propos de l’appelant.

[24] La preuve médicale confirme que les limitations fonctionnelles de l’appelant empêchaient ce dernier d’exécuter son travail de représentant du soutien au réseau au 31 décembre 2019. Son manque de sommeil a nui à sa capacité de penser clairement, tandis qu’en raison de ses habitudes de sommeil irrégulières, il ne pouvait pas respecter un horaire de travail prévisible.

[25] J’examinerai ensuite si l’appelant a suivi les conseils médicaux.

L’appelant a suivi les conseils médicaux

[26] Pour recevoir une pension d’invalidité, un appelant doit suivre les conseils médicauxNote de bas de page 19. S’il ne le fait pas, il doit avoir une explication raisonnableNote de bas de page 20. S’il n’a aucune explication raisonnable, je dois ensuite examiner l’effet, le cas échéant, que les conseils médicaux auraient pu avoir sur l’invalidité de l’appelantNote de bas de page 21.

[27] L’appelant a suivi les conseils médicaux. Il a essayé plusieurs médicaments pour améliorer sa santé mentale et son sommeilNote de bas de page 22. Il utilise à l’heure actuelle de l’huile de CBD et des gélatines, ainsi que de la mélatonine. Ceux‑ci l’aident à s’endormir, mais il se réveille encore en raison de cauchemars et de retours en arrière. Il continue de consulter régulièrement un psychologue pour régler ce problème. Il est inscrit également à une liste d’attente pour consulter un psychiatreNote de bas de page 23.

[28] Le ministre soutient que l’appelant n’a pas suivi les conseils médicaux parce qu’il a cessé de prendre des médicaments (Cipralex et Seroquel) sans consulter le Dr Rizvi, qui les a prescrits. Je ne suis pas d’accord. Je conclus que l’appelant a suivi les conseils médicaux.

[29] L’appelant a expliqué qu’il n’a consulté le Dr Rizvi qu’une seule fois. Aucun rendez‑vous de suivi n’a été fixé. L’appelant a plutôt continué de voir le Dr Ho. Il a dit à ce dernier que les médicaments ne l’aidaient pas et qu’ils lui causaient des effets secondairesNote de bas de page 24.

[30] Rien n’indique que le Dr Ho a expressément dit à l’appelant de cesser de prendre ses médicaments. Toutefois, le médecin a rempli deux formulaires d’assurance mentionnant que le Cipralex et le Seroquel avaient des effets limitésNote de bas de page 25. L’appelant a déclaré avoir des maux de tête et des maux d’estomac, lesquels à son avis étaient des effets secondairesNote de bas de page 26. Le Dr Ho a par la suite confirmé que l’appelant avait cessé de prendre des médicaments, signalant que le Cipralex et le Seroquel étaient inefficaces et avaient des effets secondairesNote de bas de page 27. Même si l’appelant a pris lui‑même la décision de cesser de prendre ses médicaments, rien ne prouve que le Dr Ho s’est opposé à cette décision.

[31] J’accepte comme étant raisonnable l’explication de l’appelant sur les raisons pour lesquelles il a cessé de prendre ses médicaments. Je prends note de l’argument du ministre selon lequel le Dr Rizvi était au courant des essais de médication antérieurs de l’appelant et aurait pu formuler d’autres recommandations en tenant compte des effets secondaires que l’appelant avait ressentis. Toutefois, selon le rapport du Dr Rizvi, l’appelant a été avisé de communiquer avec la clinique du Dr Rizvi ou son médecin de famille s’il ressentait des effets secondairesNote de bas de page 28. C’est ce qu’a fait l’appelant. Je conclus que le Dr Ho, en tant que médecin de famille de l’appelant, savait aussi bien que le Dr Rizvi quels médicaments l’appelant avait pris.

[32] Je dois maintenant décider si l’appelant peut effectuer sur une base régulière d’autres types de tâches. Pour pouvoir être qualifiées de sévères, les limitations fonctionnelles de l’appelant doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, pas seulement dans son emploi habituelNote de bas de page 29.

L’appelant ne peut pas travailler dans le monde réel

[33] Lorsque je décide si l’appelant peut travailler, je ne peux pas simplement examiner ses problèmes de santé et leur incidence sur ce qu’il peut faire. Je dois également tenir compte de facteurs comme :

  • son âge;
  • son niveau de scolarité;
  • ses compétences linguistiques;
  • son expérience de travail et de vie antérieure.

[34] Ces facteurs m’aident à décider si l’appelant peut travailler dans le monde réel, c’est‑à‑dire s’il est réaliste de dire qu’il peut travaillerNote de bas de page 30.

[35] Je conclus que l’appelant ne peut pas travailler dans le monde réel. Il était incapable de travailler au 31 décembre 2019.

[36] Les caractéristiques personnelles de l’appelant favorisent l’employabilité. Il est jeune et parle couramment l’anglais. Depuis qu’il a obtenu son diplôme universitaire en 2005, il a travaillé comme vérificateur de nuit d’hôtel, vendeur dans un magasin d’électronique et, plus récemment, dans une entreprise de télécommunications, où il a occupé un emploi dans le domaine techniqueNote de bas de page 31.

[37] Toutefois, les limitations fonctionnelles de l’appelant l’emportent sur ces facteurs positifs. Il n’est plus apte à effectuer un travail exigeant sur le plan cognitif ou stressant. Mais surtout, il ne peut pas respecter un horaire. Son sommeil médiocre et irrégulier le rend incapable de se présenter au travail de façon prévisible, peu importe le type de travail ou le nombre d’heures. L’appelant a déclaré qu’il s’agit de l’obstacle le plus important qui l’empêche de travailler. En fait, l’appelant a tenté de faire du bénévolat pour son église et une banque alimentaire, mais il n’a pas effectué les quarts de travail prévus à son horaire en raison d’un mauvais sommeilNote de bas de page 32.

[38] Le ministre affirme que le dernier rapport du Dr Palfy confirme que l’appelant a une capacité de travailler. Le Dr Palfy a écrit que l’appelant ne pouvait pas travailler [traduction] « normalement », mais qu’il pourrait être en mesure de travailler de la maison à son propre rythmeNote de bas de page 33.

[39] À mon avis, le rapport du Dr Palfy confirme que l’appelant n’a pas la capacité de travailler. Le Dr Palfy est d’accord pour dire que l’appelant ne peut pas travailler « normalement », ce qui signifie à mon avis selon un horaire établi. Un employé qui peut travailler à son propre rythme et selon son propre horaire n’est pas régulièrement capable d’exercer quelque profession que ce soitNote de bas de page 34.

[40] Je conclus que l’invalidité de l’appelant était grave en juin 2017, lorsque son expérience traumatisante a amené le Dr Ho à recommander qu’il cesse de travailler.

L’invalidité de l’appelant était-elle prolongée?

[41] L’invalidité de l’appelant était prolongée au 31 décembre 2019.

[42] Les problèmes de santé mentale de l’appelant ont, ensemble, rendu ce dernier gravement invalide en juin 2017. La gravité de ces problèmes de santé s’est maintenue depuisNote de bas de page 35.

[43] La dernière preuve médicale au dossier (datant de septembre 2020) confirme qu’il ne peut pas encore travaillerNote de bas de page 36.

[44] Cette preuve date d’il y a plus de deux ans. Mais j’accepte ce que l’appelant m’a dit au sujet de l’incidence continue de ses limitations fonctionnelles sur lui. Son témoignage concordait avec la preuve médicale et avec ce qu’il a dit à Service Canada. Il a répondu spontanément aux questions et a reconnu que l’anxiété dont il souffrait s’était effectivement atténuée. Cela confirme que son témoignage était véridique et fiable.

[45] Les problèmes de santé de l’appelant se poursuivront probablement indéfiniment. Il en souffre depuis des années maintenant. Le Dr Ho considérait déjà que ses perspectives étaient réservées au mois d’avril 2018Note de bas de page 37.

[46] Il continue de faire ce qu’il peut pour améliorer son état en consultant un psychologue deux ou trois fois par mois et en discutant de médicaments avec le Dr Ho, qui lui a prescrit du Trintellix il y a quelques moisNote de bas de page 38. Il n’a encore remarqué aucun effet à cet égard. Selon la prépondérance des probabilités, ces traitements ne permettent pas de croire raisonnablement que l’appelant sera en mesure de travailler de nouveau dans un avenir prévisible. Il a déjà essayé de nombreux médicaments et il consulte un psychologue depuis des années.

[47] Je conclus que l’invalidité de l’appelant était prolongée au mois de juin 2017, date à laquelle le Dr Ho lui a dit d’arrêter de travailler.

Début des paiements

[48] L’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en juin 2017.

[49] Toutefois, en vertu du Régime de pensions du Canada, une partie appelante ne peut être considérée comme invalide plus de 15 mois avant que le ministre reçoive sa demande de pension d’invaliditéNote de bas de page 39. Par la suite, il y a un délai de carence de quatre mois avant le début des paiementsNote de bas de page 40.

[50] Le ministre a reçu la demande de l’appelant en août 2019. L’appelant est donc considéré comme étant invalide depuis le mois de mai 2018.

[51] Le paiement de sa pension commence en septembre 2018.

Conclusion

[52] Je conclus que l’appelant a droit à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité était grave et prolongée au 31 décembre 2019.

[53] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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