Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

L’intimée a reçu un diagnostic de cancer du sein en juin 2011. Elle a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en octobre 2011. Le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre) a approuvé sa demande. En mai 2021, le ministre a entamé une enquête pour établir si l’intimée était toujours admissible à la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. En août 2021, le ministre a conclu que l’intimée avait cessé d’être invalide à compter de janvier 2021.

L’intimée a fait appel de la décision du ministre à la division générale. Celle-ci a accueilli l’appel et conclu que même si le cancer de l’intimée n’était pas revenu, son problème de santé demeurait grave et prolongé. Elle a admis que l’intimée ne pouvait pas travailler dans un contexte réaliste parce qu’elle courait un risque accru de contracter la COVID-19. Elle a aussi pris officiellement connaissance du fait que la COVID-19 a rendu les lieux de travail moins sûrs, en particulier pour les personnes qui ont eu un cancer. Le ministre a fait appel de la décision de la division générale à la division d’appel.

La division d’appel a conclu que la division générale avait commis une erreur de droit en fondant sa décision sur des faits dont elle n’aurait pas dû prendre officiellement connaissance. Malgré les perspectives et les antécédents relativement positifs de l’intimée, la division générale a quand même réussi à conclure que l’intimée ne pouvait plus travailler. Elle l’a fait en prenant officiellement connaissance des propositions suivantes :

• « Depuis le début de 2020, les milieux de travail doivent gérer le risque de propagation du virus de la COVID-19. Beaucoup ne sont plus aussi sécuritaires qu’avant. »
• « Les milieux de travail sont particulièrement dangereux pour de nombreuses personnes atteintes d’une maladie chronique ou d’une autre maladie, y compris certaines personnes ayant survécu au cancer, parce qu’elles courent un risque grave si elles contractent la COVID-19. »

La Cour suprême du Canada a déclaré que la connaissance officielle devrait seulement être utilisée pour se dispenser de la nécessiter de prouver des actes qui ne prêtent clairement pas à controverse ou qui sont à l’abri de toute contestation de personnes raisonnables. Les propositions avancées par la division générale pouvaient porter à controverse ou être contestées par une personne raisonnable. La pandémie et les mesures de santé publique prises pour la contrer ont fait l’objet d’un débat public continu. Il subsiste des incertitudes quant à l’ampleur de la menace que la COVID-19 fait peser non seulement sur le grand public, mais aussi sur des sous populations spécifiques du public, même après l’introduction des vaccins. Selon la division d’appel, aucune des propositions relevées par la division générale n’était évidente, facilement vérifiable ou ne dépassait le débat entre des personnes raisonnables. Si l’on considère la décision de la division générale dans son ensemble, il est clair qu’elle reposait presque entièrement sur les deux propositions qu’elle a jugé légitimes en appliquant la connaissance officielle. Cependant, même si ces propositions étaient manifestement vraies, elles ne seraient pas suffisantes pour permettre de conclure à une invalidité continue.

La division d’appel a accueilli l’appel et rendu la décision que la division générale aurait dû rendre. Elle a conclu que le ministre s’était acquitté du fardeau de prouver que l’invalidité de l’intimée n’était plus grave ou prolongée et que l’intimée, dont le cancer du sein est en rémission depuis 10 ans, avait cessé d’être atteinte d’une invalidité grave depuis janvier 2021.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Ministre de l’Emploi et du Développement social c CY, 2023 TSS 260

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentant : Jared Porter
Partie intimée : C. Y.
Représentante ou représentant : Z. Z.

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 15 août 2022
(GP-22-253)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 7 février 2023

Personnes présentes à l’audience :

Représentant de l’appelante
Intimée
Personne représentant l’intimée

Date de la décision : Le 8 mars 2023
Numéro de dossier : AD-22-823

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille le présent appel. La division générale a commis des erreurs de droit et de fait en permettant à l’intimée de conserver sa pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Pour corriger ces erreurs, j’ai décidé de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, et de conclure que l’intimée a cessé d’être invalide à compter de janvier 2021.

Aperçu

[2] L’intimée est une ancienne ouvrière d’usine âgée de 53 ans qui a reçu un diagnostic de cancer du sein en juin 2011. Elle a subi une intervention chirurgicale, suivie de chimiothérapie et de radiothérapie. Les traitements ont été efficaces et le cancer est entré en rémission. L’intimée n’a jamais repris son ancien emploi et elle n’a pas fait d’autre travail.

[3] L’intimée a demandé une pension d’invalidité du RPC en octobre 2011. Le ministre a accueilli la demande après avoir conclu que l’intimée était atteinte d’une invalidité grave et prolongée.

[4] En mai 2021, le ministre a entamé une enquête pour déterminer si l’intimée était toujours admissible à la pension d’invalidité du RPC. En août 2021, le ministre a conclu que l’intimée avait cessé d’être invalide à compter de janvier 2021. Il a exigé que l’intimée rembourse les versements de pension d’invalidité de plus de 5 600 $ qu’elle avait reçus entre février 2021 et août 2021.

[5] L’intimée a porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par téléconférence et a accueilli l’appel. Elle a conclu que, même si le cancer de l’intimée n’était pas revenu, son problème de santé demeurait grave et prolongé. Elle a admis qu’elle ne pouvait pas travailler dans un contexte réaliste parce qu’elle courait un risque accru de contracter la COVID-19. Elle a pris officiellement connaissance du fait que la COVID-19 a rendu les lieux de travail moins sûrs, en particulier pour les personnes ayant survécu à un cancer.

Motifs d’appel de la ministre

[6] La ministre demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Elle prétend que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • elle a commis une erreur de droit en concluant, en l’absence de preuve médicale matérielle, que le risque futur de contracter la COVID-19 représentait une invalidité grave et prolongée;
  • elle a commis une erreur de droit en utilisant la doctrine de la connaissance officielle d’une manière incompatible avec la jurisprudence.

[7] J’ai accordé à la ministre la permission d’aller de l’avant parce que j’estimais qu’elle avait soulevé au moins un argument défendable. Le mois dernier, j’ai tenu une audience pour discuter en détail des allégations de la ministre.

[8] Après avoir examiné les observations des deux parties, j’ai conclu que la décision de la division générale ne peut pas être maintenue.

Question préliminaire

[9] Les 15 et 16 janvier 2023, l’intimée a envoyé au Tribunal par courriel deux trousses de documents distinctes, dont :

  • un récit personnel de ses recherches récentes et de ses traitements contre le cancer;
  • sa preuve de vaccination contre la COVID-19;
  • un rapport de mammographie daté du 10 décembre 2022Note de bas de page 1

[10] Pour les raisons que j’ai expliquées au début de l’audience, j’ai refusé d’admettre ces documents, car ils n’avaient pas été soumis auparavant à la division générale. La division d’appel n’a pas le pouvoir d’examiner de nouveaux éléments de preuve ou d’examiner des arguments sur le fond d’une demande de prestations d’invaliditéNote de bas de page 2. Le mandat de la division d’appel est plutôt d’établir si la division générale a commis des erreurs en rendant sa décision.

Questions en litige

[11] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie demanderesse doit démontrer que la division générale a :

  • agi de façon injuste;
  • outrepassé ses pouvoirs ou refusé de les exercer;
  • mal interprété la loi;
  • fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 3. Mon travail consiste à établir si l’une ou l’autre des allégations de la ministre correspond à un ou plusieurs des moyens d’appel permis et, dans l’affirmative, si l’une ou l’autre de ces allégations est fondée.

Analyse

[12] J’ai conclu que la division générale a commis une erreur de droit en fondant sa décision sur des faits dont on n’aurait pas dû prendre officiellement connaissance. Comme la décision de la division générale tombe pour cette seule raison, je ne vois pas la nécessité d’examiner l’autre allégation du ministre.

La division générale a mal appliqué la doctrine de la connaissance officielle

La connaissance officielle peut seulement s’appliquer aux faits évidents

[13] La ministre allègue que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a appliqué la doctrine de la connaissance officielle d’une manière incompatible avec la jurisprudence. Selon la ministre, la division générale a accepté deux propositions comme étant des faits, même si elles continuent de faire l’objet d’un débat entre personnes raisonnables.

[14] Je suis d’accord avec la ministre sur ce point. Je suis convaincue que la division générale a dépassé les limites permises par la doctrine de la connaissance officielle.

[15] Les cours et les tribunaux doivent généralement appuyer leurs conclusions sur des éléments de preuve. Toutefois, il arrive parfois qu’un décideur prenne connaissance « de façon judiciaire » ou « officielle » de faits qui sont notoires ou largement connus.

[16] La connaissance officielle suppose qu’une chose est vraie parce qu’il s’agit d’un fait qui est si généralement accepté :

  • qu’il ne fait pas l’objet d’un débat entre des personnes raisonnables;
  • qu’il est possible d’en faire une vérification immédiate à l’aide d’une source facilement accessible et d’une exactitude incontestableNote de bas de page 4.

[17] Lorsqu’un tribunal prend officiellement connaissance d’un fait, il n’est plus nécessaire que l’une ou l’autre des parties prouve ce fait. De plus, les tribunaux ont une plus grande latitude pour prendre connaissance des faits lorsque ceux-ci se rapportent aux connaissances ou à l’expertise spécialisées du tribunalNote de bas de page 5.

Les faits notés officiellement par la division générale étaient discutables

[18] En concluant que l’intimée était toujours invalide, la division générale a suivi une voie difficile. Au début de son analyse, elle a concédé que le cancer de la requérante s’était amélioré en décembre 2020 :

C’est à ce moment-là que le Dr Xing a signalé qu’il n’y avait aucune preuve de récidive du cancer du sein. L’appelante [traduction] « se portait plutôt bien au cours de la dernière année ». Elle avait terminé un traitement actif à la B.C. Cancer Agency, et elle n’avait plus besoin de suivi à cet endroit. Elle devait subir un examen mammaire annuel et une mammographie, et elle devait continuer de prendre du tamoxifène jusqu’en février 2022Note de bas de page 6.

[19] Malgré ces antécédents et ces perspectives relativement positifs, la division générale a quand même réussi à conclure que l’intimée ne pouvait plus travailler. Elle l’a fait en prenant officiellement connaissance des propositions suivantes :

  • « Depuis le début de 2020, les milieux de travail doivent gérer le risque de propagation du virus de la COVID-19. Beaucoup ne sont plus aussi sécuritaires qu’avant. »
  • « Les milieux de travail sont particulièrement dangereux pour de nombreuses personnes atteintes d’une maladie chronique ou d’une autre maladie, y compris certaines personnes ayant survécu au cancer, parce qu’elles courent un risque grave si elles contractent la COVID-19Note de bas de page 7. »

[20] La Cour suprême du Canada a déclaré que la connaissance officielle devrait seulement être utilisée pour dispenser de la preuve des faits qui ne prêtent clairement pas à controverse ou qui sont à l’abri de toute contestationNote de bas de page 8.

[21] Les propositions avancées par la division générale n’étaient pas non plus incontestées ou ne dépassaient pas le cadre d’une contestation raisonnable. La pandémie et les mesures de santé publique prises pour la contrer ont fait l’objet d’un débat public continu. Il demeure des incertitudes quant à l’ampleur de la menace que la COVID-19 représente non seulement pour le grand public, mais aussi pour des sous-populations précises du public, même après l’introduction des vaccins.

[22] Plus particulièrement, deux aspects des conclusions de la division générale me semblent loin d’être évidents :

  • Même s’il est vrai que « beaucoup » de lieux de travail n’étaient pas aussi sûrs qu’avant la pandémie, il ne s’ensuit pas nécessairement que tous les lieux de travail sont devenus moins sûrs. Même avant la pandémie, certains emplois pouvaient être occupés à distance; après la pandémie, de nombreux emplois étaient reconfigurés pour être faits à domicile.
  • Même si « certaines » ou « plusieurs » personnes ayant survécu au cancer peuvent être plus à risque de contracter une maladie grave si elles attrapent la COVID-19, il n’est peut-être pas vrai que toutes les personnes qui survivent au cancer sont également en danger. Il existe de nombreux types de personnes ayant survécu au cancer, et il n’est pas évident pour moi qu’une personne qui a reçu son diagnostic il y a dix ans et dont le cancer n’est pas revenu doive être classée aux côtés d’une autre personne qui est, par exemple, toujours au milieu d’un traitement primaire.

[23] Je suis d’avis qu’aucune des propositions officiellement relevées par la division générale n’était évidente, facilement vérifiable ou à l’abri de tout débat entre des personnes raisonnables. De plus, aucune de ces propositions n’était en mesure d’avoir le poids que la division générale leur a accordé.

La division générale a fondé sa décision sur des conclusions non appuyées

[24] Si l’on examine la décision de la division générale dans son ensemble, il est clair qu’elle reposait presque entièrement sur les deux propositions rendues légitimes par une connaissance officielle. Cependant, même si ces propositions étaient manifestement vraies (et encore une fois, je ne pense pas qu’elles l’étaient), elles n’auraient tout de même pas été suffisantes pour appuyer une conclusion d’invalidité continue. En effet, elles dépendaient elles-mêmes de conclusions que la division générale a tirées sans preuve, par exemple :

  • La division générale a supposé que l’intimée était particulièrement vulnérable à la COVID-19, même si elle avait depuis longtemps terminé son traitement actif et était demeurée sans cancer 10 ans après son diagnostic initial.
  • La division générale aassimilé l’invalidité au simple risque de contracter une maladie, qu’il s’agisse du cancer ou de la COVID-19, mais la jurisprudence dit que les décideurs doivent se concentrer sur la perte réelle de la capacité fonctionnelle, et pas seulement sur la possibilité ou la probabilité de cette perte.
  • La division générale a supposé que la crise de santé publique déclenchée par la pandémie de COVID-19 était permanente et que les travailleuses et travailleurs, y compris les personnes qui appartiennent à des sous-populations potentiellement vulnérables, ne seraient plus jamais en mesure de s’engager sur le marché du travail sans mettre leur santé à risque.

[25] La décision de la division générale reposait sur chacune des hypothèses ci-dessus, même si aucune d’entre elles n’était appuyée par des éléments de preuve médicale. Ce faisant, la division générale a tiré une conclusion de fait erronée, tirée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

La Cour fédérale a exprimé sa réticence à faire un large usage de la connaissance d’office pour les questions liées à la pandémie

[26] Comme le fait remarquer la ministre, la Cour fédérale semble avoir adopté une approche prudente pour tirer des conclusions sur la pandémie de COVID-19. Même si la Cour a pris connaissance de l’existence de la pandémie de façon judiciaire, elle a été réticente à aller plus loin, car les connaissances sur la maladie continuent d’évoluer :

Je tiens également à souligner que le procureur général me demande d’admettre d’office un seul fait précis et fondamental concernant la pandémie de COVID-19, soit l’existence du virus qui cause cette maladie. Bien entendu, le savoir relatif à la COVID-19 progresse sans cesse, et la question de savoir quelles mesures de santé publique sont les plus appropriées pour lutter contre cette pandémie suscite un débat vigoureux. À cet égard, il est possible que certains faits autres que la simple existence du virus ne soient pas suffisamment incontestables ou notoires pour justifier qu’ils soient admis d’office. Je n’ai toutefois pas à me prononcer sur l’étendue de la connaissance d’office au sujet de la pandémie de COVID-19Note de bas de page 9.

[27] Ce passage donne à penser que la Cour fédérale n’appuierait probablement pas les hypothèses générales concernant une pandémie dont les causes, les répercussions et les solutions potentielles demeurent controversées.

Réparation

Il y a deux façons de corriger l’erreur de la division générale

[28] Lorsque la division générale commet une erreur, la division d’appel peut la corriger de l’une des deux façons suivantes : i) elle peut renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience ou ii) elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 10.

[29] Le Tribunal est tenu de mener ses procédures aussi rapidement que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent. La Cour d’appel fédérale a également déclaré que les décideurs devraient tenir compte des retards dans la conclusion des demandes de prestations. Près de deux ans se sont écoulés depuis que la ministre a réexaminé l’admissibilité de l’intimée à la pension d’invalidité du RPC. Si cette affaire est renvoyée à la division générale, cela retardera inutilement la résolution finale.

Le dossier est assez complet pour trancher la présente affaire sur le fond

[30] Je suis convaincu que le dossier dont je dispose est complet. L’intimée a déposé de nombreux rapports médicaux au Tribunal et elle a témoigné au sujet de son état de santé lors d’une audience devant la division générale. J’ai beaucoup d’information sur le cancer de l’intimée, les traitements qu’elle a suivis et les répercussions que tout cela a eues sur sa santé mentale. Je ne pense pas que la preuve de l’intimée serait bien différente si cette affaire était instruite de nouveau.

[31] Contrairement aux observations de la ministre, l’enregistrement audio de l’audience est complet. Même si le représentant du ministre a écrit que l’enregistrement s’est terminé prématurément à la barre des 48 minutes, l’enregistrement auquel j’ai eu accès dure 1 h 14 s et semble documenter entièrement le témoignage de l’intimée. J’ai écouté tout l’enregistrement et rien n’indique que l’intimée n’a pas eu l’occasion de témoigner.

[32] Par conséquent, je suis en mesure d’évaluer la preuve dont disposait la division générale et de rendre la décision qu’elle aurait dû rendre, si elle n’avait pas commis d’erreur. À mon avis, si la division générale avait appliqué correctement la doctrine de la connaissance officielle, elle en serait arrivée à un résultat différent. Ma propre évaluation du dossier me convainc que l’intimée a perdu son droit à la pension d’invalidité du RPC à compter de janvier 2021.

Le ministre devait prouver que l’invalidité de la requérante avait cessé d’être grave et prolongée

[33] Une pension d’invalidité du RPC n’est plus payable un mois après que la personne y ayant droit cesse d’être invalideNote de bas de page 11.

[34] Dans les cas où la ministre a mis fin à une pension d’invalidité qu’elle avait déjà accordée, il lui incombe de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne a cessé d’être atteinte d’une invalidité grave et prolongéeNote de bas de page 12. Autrement dit, la personne bénéficiaire est présumée invalide jusqu’à preuve du contraire et elle n’est pas tenue de prouver qu’elle est toujours invalide.

[35] Le Régime de pensions du Canada prévoit qu’une personne est invalide si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongéeNote de bas de page 13. Une invalidité est grave si elle rend une personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie, ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décès.

[36] L’invalidité doit être à la fois grave et prolongée. Dans la présente affaire, cela signifie que la ministre devait prouver que le problème de santé de l’intimée avait cessé d’être grave ou qu’il avait cessé d’être prolongé. La ministre n’avait pas à prouver les deux.

[37] Après avoir examiné le dossier, je suis convaincu que la ministre s’est acquittée du fardeau de prouver que l’invalidité de la requérante n’est plus grave ou prolongée.

La preuve ne révèle aucune invalidité grave

[38] Je n’ai aucun doute que l’intimée a des problèmes de santé, mais je n’ai tout simplement pas trouvé assez d’éléments de preuve qui laissaient entendre qu’ils l’empêchent maintenant de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice.

[39] L’intimée affirme qu’elle est toujours invalide parce qu’étant donné qu’elle a eu un cancer, elle est vulnérable à la COVID-19. Elle dit que depuis son diagnostic de cancer, elle a développé des problèmes de santé mentale. Elle soutient également qu’il est injuste que la ministre décide rétroactivement qu’elle a cessé d’être invalide ou qu’elle s’attende à ce qu’elle retourne au travail alors que le taux de chômage était si élevé en raison de la pandémie.

[40] Même si l’intimée peut avoir l’impression qu’elle est toujours incapable de travailler, je dois fonder ma décision sur plus que sa vision subjective de sa capacité. Dans la présente affaire, la preuve, considérée dans son ensemble, ne me porte pas à croire qu’elle avait une déficience grave qui l’a empêchée d’effectuer un travail convenable après janvier 2021. L’intimée demeure assujettie à certaines limitations, mais elle n’est pas incapable de faire tous les types de travail.

[41] Je fonde mes conclusions sur les facteurs suivants :

Le cancer de la requérante est en rémission

[42] L’intimée a reçu un diagnostic très grave il y a 12 ans. En juin 2011, son oncologue lui a dit qu’elle avait un cancer du sein métastatique de stade IIINote de bas de page 14. Elle a reçu des traitements de chimiothérapie, une chirurgie et de la radiothérapie, qui étaient tous terminés en février 2012. Après ces traitements primaires, on lui a prescrit du tamoxifène, un traitement préventif qui devait durer 10 ans.

[43] Plus d’une décennie plus tard, la preuve indique que le cancer de la requérante, s’il n’est pas guéri, est en rémission.

[44] Aucune [traduction] « lésion de masse suspecteNote de bas de page 15 » n’a été détectée lors d’une mammographie effectuée en janvier 2020. Aussi, une échographie réalisée à peu près au même moment a donné un résultat normalNote de bas de page 16. Le médecin de famille de l’intimée a examiné ces constatations et a conclu que le cancer du sein était en rémissionNote de bas de page 17.

[45] En décembre 2020, l’oncologue de l’intimée a écrit qu’elle se portait [traduction] « assez bien depuis un an » et qu’une mammographie avait été effectuée du côté droit plus tôt ce mois-là et qu’elle n’avait révélé aucune preuve de récurrence du cancer. Elle a poursuivi le traitement au tamoxifène jusqu’à sa fin en février 2022Note de bas de page 18.

[46] À la lumière de cette preuve médicale, j’estime qu’il est raisonnable de conclure que le cancer de l’intimée ne l’a pas empêchée de réintégrer le marché du travail.

Les traitements du cancer de l’intimée n’ont pas produit d’effets secondaires invalidants

[47] Je n’ai vu aucune preuve montrant que les traitements ou les médicaments de l’intimée nuisaient à sa capacité d’avoir un rendement constant en milieu de travail.

[48] Comme je l’ai mentionné, la radiothérapie et la chimiothérapie de l’intimée ont pris fin il y a plus de dix ans. Rien dans les rapports de suivi disponibles ne laisse croire que ces traitements ont causé un préjudice important ou durable à la défenderesse.

[49] L’intimée a affirmé que le fait d’avoir pris du tamoxifène pendant tant d’années l’avait rendue faible et fatiguée, mais les rapports ne confirment pas cette affirmation. Il est vrai qu’à partir de 2017, l’intimée a eu des problèmes de fatigue et des bouffées de chaleur, mais ses médecins ont attribué ces symptômes à la ménopause, et non aux médicaments. À plusieurs reprises, ses oncologues ont tenu à dire qu’elle tolérait bien le traitement adjuvantNote de bas de page 19.

[50] Je ne vois aucune preuve que les effets secondaires des traitements de l’intimée l’ont rendue invalide.

Les problèmes de santé mentale de la requérante ne sont pas invalidants

[51] L’intimée a déclaré que depuis qu’elle a reçu son premier diagnostic de cancer, elle est déprimée et irritable. Elle a de la difficulté à se concentrer, elle dort mal et elle se met facilement en colèreNote de bas de page 20.

[52] Cependant, la preuve médicale n’appuie pas ce qu’elle dit. Le dossier médical de l’intimée ne montre aucun problème de santé mentale avant juin 2021, lorsqu’elle a dit à son médecin de famille qu’elle était déprimée et qu’elle avait récemment fait état d’insomnie et d’anhédonie (incapacité à ressentir du plaisir dans la vie)Note de bas de page 21. Je remarque que l’intimée a seulement parlé de ces symptômes à un fournisseur de traitement peu de temps après que la ministre l’a informée que sa pension d’invalidité était à l’étudeNote de bas de page 22. Il est également révélateur que même si l’intimée a vu ou parlé avec son médecin de famille à plusieurs reprises en 2020 et au début de 2021, elle n’a jamais mentionné de problèmes psychologiques.

[53] En l’absence de toute preuve autre que les plaintes subjectives et tardives de l’intimée, je juge peu probable que des problèmes de santé mentale l’aient empêchée de travailler.

Les autres problèmes de santé de l’intimée ne l’empêcheraient pas de travailler

[54] En plus du cancer du sein, l’intimée a cité l’hypertension et les calculs biliaires parmi les raisons pour lesquelles elle ne peut pas travailler. Toutefois, l’intimée n’a pas expliqué quels symptômes ces problèmes de santé produisaient et, le cas échéant, comment ils l’empêchaient de travailler régulièrement. Quoi qu’il en soit, les deux problèmes de santé peuvent être traités à l’aide de médicaments et d’une chirurgie, respectivement.

[55] L’intimée a également déclaré qu’elle avait des saignements vaginaux anormaux, mais je n’ai pas trouvé assez d’éléments de preuve montrant que ce problème de santé contribuait à une déficienceNote de bas de page 23. Son dossier médical contenait un rapport d’échographie pelvienne, qui était normal, à l’exception d’un endomètre épaissiNote de bas de page 24. Elle a ensuite subi une hystéroscopie et une biopsie de l’endomètre, qui a révélé des adhérences intra-utérines et des lésions endométriales polypoïdesNote de bas de page 25. Néanmoins, le dossier ne contient aucun autre examen ou traitement, et l’étendue, la fréquence et la durée des saignements demeurent incertaines. Surtout, la prestataire n’a jamais expliqué en termes concrets comment ce problème l’empêchait de travailler.

Les antécédents et les caractéristiques personnelles de l’intimée n’étaient pas des obstacles au travail

[56] Une affaire appelée Villani exige que les décideurs considèrent les personnes qui demandent des prestations d’invalidité comme des personnes à part entière, en tenant compte d’antécédents comme l’âge, l’éducation, les aptitudes linguistiques, le travail et l’expérience de vieNote de bas de page 26.

[57] L’intimée avait seulement 51 ans lorsque la ministre a révisé son dossier. Elle a fait des études universitaires, même si cela était en Chine. Même si elle maîtrise peu l’anglais, elle avait déjà démontré qu’elle était capable d’obtenir et de conserver des emplois au CanadaNote de bas de page 27. Je ne vois aucune raison de croire que, même avec ses problèmes de santé, elle était inapte au travail à compter de janvier 2021.

L’intimée n’a pas d’invalidité prolongée

[58] Comme je l’ai mentionné, une invalidité doit être à la fois grave et prolongée. L’invalidité de l’intimée n’est pas grave, alors sa demande est rejetée pour cette seule raison. Même si je n’ai pas à trancher cette question, sa demande est également rejetée parce que son invalidité n’est pas prolongée non plus.

[59] Selon le Régime de pensions du Canada, une invalidité est prolongée si elle doit « vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ». Lorsque le ministre a approuvé la pension d’invalidité de l’intimée en mars 2012, il l’a fait parce qu’elle était sur le point de suivre [traduction] « un long traitement » et qu’elle [traduction] « aurait besoin de plus d’un an avant de pouvoir retourner au travail »Note de bas de page 28.

[60] Il y a maintenant plus de 10 ans que l’intimée a terminé son traitement primaire. Son cancer n’est pas revenu et, depuis février 2022, elle ne prend plus de tamoxifène. Compte tenu de cela, il est difficile pour l’intimée de soutenir que son cancer du sein est [traduction] « d’une durée longue, continue et indéfinie ».

[61] Je juge également qu’il est peu probable que le cancer de l’intimée entraîne vraisemblablement son décès. Après des années de rémission, il n’est pas évident que le risque de décès de l’intimée, qu’il s’agisse d’un cancer ou d’une maladie infectieuse comme la COVID-19, soit plus élevé que celui de toute autre personne de son groupe d’âge. Il est vrai que les autorités de santé publique ont déclaré que les personnes ayant survécu à un cancer étaient particulièrement vulnérables à la COVID-19 au début de la pandémie, mais c’était avant le développement et la distribution des vaccins et le retour à des conditions proches de la normale au fur et à mesure que la crise passait. L’intimée semble soutenir que les lieux de travail ne seront plus jamais sûrs pour les personnes ayant son profil, mais je ne vois aucune preuve devant moi qui le confirme.

Conclusion

[62] Je rejette l’appel. La division générale a commis une erreur de droit en prenant officiellement connaissance de la vulnérabilité particulière des personnes ayant survécu à un cancer à la COVID-19 en milieu de travail. Après avoir procédé à mon propre examen du dossier, je suis convaincu que l’intimée, dont le cancer du sein est en rémission depuis 10 ans, a cessé d’être atteinte d’une invalidité grave à compter de janvier 2021.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.