Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : SK c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 407

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : S. K.
Représentante ou représentant : A. B.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Stephanie Pilon-Millette

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 6 juillet 2022 (GP-21-718)

Membre du Tribunal : Kate Sellar
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 22 février 2023
Personness présentes à l’audience : Partie appelante
Représentant de la partie appelante
Représentante de la partie intimée
Date de la décision : Le 5 avril 2023
Numéro de dossier : AD-22-748

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Décision

[1] J’accueille l’appel. La division générale a commis une erreur de droit. Je vais rendre la décision que la division générale aurait dû rendre : la requérante a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent en novembre 2018.

Aperçu

[2] S. K. (requérante) a fréquenté l’école secondaire en Inde. Sa langue maternelle est le pendjabi. Elle a déménagé au Canada en 2008. Elle connaît un peu l’anglais, qu’elle a appris à l’école et au travail au Canada.

[3] La requérante a travaillé dans un établissement de restauration rapide d’août 2009 à juillet 2018. Elle a cessé de travailler en raison de maux de dos. Elle trouvait difficile de faire plus de trois quarts de travail par semaine. Ses quarts de travail ne duraient pas de plus de quatre heures.

[4] La requérante a demandé une pension d’invalidité du RPC le 11 octobre 2019. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande une première fois et après révision. La requérante a fait appel au Tribunal. La division générale a conclu que les maux de dos de la requérante l’empêchaient de faire les tâches ménagères, de conduire et de faire son travail habituel à la fin de sa période de protection (période minimale d’admissibilité ou PMA). Toutefois, la requérante n’avait pas suivi les conseils médicaux et elle n’avait donc pas droit à une pension d’invalidité.

[5] J’ai accordé à la requérante une prolongation du délai pour faire appel. J’ai estimé qu’on pouvait soutenir que la division générale avait commis une erreur de droit.

[6] Je dois maintenant décider si la division générale a commis une erreur au titre de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social et, s’il y a eu une erreur, ce que je vais faire pour la corrigerNote de bas de page 1.

Question en litige

[7] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a)  La division générale a-t-elle omis d’offrir à la requérante un processus équitable en fournissant une interprétation linguistique déficiente à l’audience?
  2. b)  La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en tirant une conclusion sur l’incidence prévue du traitement sur l’état de santé de la requérante sans avoir de preuve pour appuyer cette conclusion?
  3. c)  Si la division générale a effectivement commis une erreur, que dois-je faire pour la corriger?

Analyse

[8] Je vais d’abord expliquer le rôle de la division d’appel dans l’examen des décisions de la division générale. Ensuite, je vais expliquer comment j’ai conclu que :

  • La division générale a offert une procédure équitable.
  • La division générale a commis une erreur de droit en tirant une conclusion sur l’incidence prévue du traitement sur l’état de santé de la requérante.

[9] Enfin, je vais corriger (réparer) l’erreur en rendant la décision que la division générale aurait dû rendre : la requérante a droit à une pension d’invalidité.

La première question : la division générale a offert une procédure équitable

[10] La division générale a offert une procédure équitable à la requérante. La division générale s’est fiée à un interprète linguistique pour communiquer avec la requérante pendant l’audience. L’interprétation n’a pas été tout à fait harmonieuse, mais le processus était tout de même équitable.

[11] Le fils de la requérante était son représentant à l’audience de la division générale. Il a témoigné en anglais et comprend le pendjabi. Il ne s’est pas opposé à la qualité de l’interprétation linguistique ni pendant l’audience ni dans la demande d’appel de la décision.

[12] Toutefois, avant l’audience de la division d’appel, le fils de la requérante a expliqué que l’interprétation linguistique à l’audience de la division générale s’était mal passée. Selon lui, l’interprétation avait été rudimentaire. Il a surtout insisté sur l’idée que l’interprète du pendjabi à l’anglais avait donné une interprétation incomplète du témoignage de la requérante.

[13] Un interprète différent a appuyé le Tribunal à l’audience de la division d’appel. La requérante et son fils ont témoigné de leur expérience lors de l’audience de la division généraleNote de bas de page 2. Le fils de la requérante a critiqué la qualité de l’interprétation du pendjabi à l’anglais. Cependant, il n’est pas allé jusqu’à dire que cela avait rendu l’audience entière injuste, pas plus que la requérante.

[14] J’ai écouté l’audience de la division générale. Je ne parle ni ne comprends le pendjabi, alors je ne peux pas vérifier de façon indépendante si la traduction de la preuve de la requérante était complète. Cependant, j’ai remarqué que le fils de la requérante essayait parfois de traduire certaines phrases pour sa mère.

[15] Le fils de la requérante a déclaré à la division d’appel que, même si l’interprétation avait été mauvaise, il était incertain que l’ensemble de l’audience avait été injuste.

[16] Le ministre a fait valoir que l’interprétation n’avait aucune incidence sur l’équité de l’audience. Le ministre a souligné que, de toute façon, la requérante aurait dû mentionner le problème plus tôt pour alléguer un manquement à la justice naturelle.

[17] Je conclus que la procédure de la division générale était équitable. L’interprétation linguistique était importante pour l’équité du processus pour la requérante. Bien que l’interprétation n’ait pas été parfaite, je ne peux pas conclure que les problèmes ont eu une incidence sur l’équité du processus dans son ensemble d’une manière qui nécessiterait une correction. Le fils de la requérante n’a pas pu me citer une partie du témoignage où l’interprétation aurait eu une incidence sur ce que la division générale a compris du témoignage. Sans plus d’information, je ne peux pas analyser en profondeur la préoccupation selon laquelle l’interprétation a été globalement « rudimentaire ».

La deuxième question en litige : la division générale a commis une erreur de droit en tirant une conclusion de fait sur le traitement que la preuve n’appuyait pas

[18] La division générale a commis une erreur de droit.

[19] La division générale a décidé que la requérante n’était pas admissible à une pension d’invalidité parce qu’elle n’a pas suivi les conseils médicaux et qu’elle n’a pas fourni d’explication raisonnable pour ne pas les avoir suivisNote de bas de page 3.

[20] La division générale a tiré les conclusions suivantes sur les traitements de cortisone proposés à la requéranteNote de bas de page 4 :

  • Si elle suivait les conseils médicaux sur les injections de cortisone aux épaules « [s]es symptômes de douleur aux épaules pourraient diminuer. »
  • Le fait de suivre les conseils médicaux « aurait pu améliorer l’état de santé de [la requérante]. »
  • Toutefois, la division générale a reconnu qu’elle n’avait « aucune preuve médicale démontrant l’efficacité des injections de cortisone pour [la requérante]. Elle n’a pas encore commencé les traitements. Il est possible que les injections aient une incidence sur son invalidité. »

[21] Je suis d’avis que la division générale a commis une erreur de droit. La Cour d’appel fédérale a clairement indiqué que le traitement est important et que les parties requérantes ne peuvent pas refuser un traitement de façon déraisonnable. Toutefois, la personne qui rend la décision doit tenir compte de l’incidence que le traitement pourrait avoir sur l’état de santé de la partie requéranteNote de bas de page 5.

[22] Le ministre soutient que je ne peux pas intervenir dans les conclusions de la division générale. La façon dont la division générale applique le droit établi aux faits n’est pas une erreur que je peux corriger dans ma décisionNote de bas de page 6. Je n’essaie pas de soupeser de nouveau la preuve pour décider que le refus était raisonnable ou que l’incidence était différente simplement parce que je ne suis pas d’accord avec les conclusions.

[23] Dans la présente affaire, la division générale a expressément tiré une conclusion sur l’incidence du traitement sans preuve, ce qui constitue ici une erreur de droitNote de bas de page 7.

[24] La division générale a décidé que les injections de cortisone auraient pu faire diminuer les symptômes de douleur aux épaules de la requérante et donc avoir une incidence sur son invalidité. Toutefois, la division générale a également déclaré qu’elle n’avait pas de preuve qu’il y aurait une diminution, forte ou légère, de la douleur et, par conséquent, à propos de l’incidence du traitement sur l’état de la requérante.

[25] À mon avis, conclure sans preuve que les douleurs de la requérante auraient peut-être diminué n’est pas ce que la Cour voulait dire par examiner l’incidence sur l’invalidité de la requérante. Il se peut qu’une diminution de la douleur chez la requérante ne change pas son état d’invalidité : elle pourrait tout de même avoir une invalidité grave au sens du RPC. Elle pourrait toujours être régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[26] Je suis d’avis que la division générale ne peut pas simplement déduire que l’état d’invalidité de la requérante allait vraisemblablement changer en raison des injections de cortisone aux épaules.

[27] Même si je me trompe à ce sujet et que ce que la division générale a déduit n’était pas une erreur de droit, il y a une autre erreur de droit découlant de l’exposé de la division générale sur les injections de cortisone. Le médecin a recommandé ces injections à la requérante après la fin de la période de protection. La Cour d’appel fédérale est claire : si une personne refuse un traitement de façon déraisonnable, il est possible qu’elle n’ait pas droit à la pension d’invalidité (son invalidité n’est pas grave). La loi met l’accent sur la question de prouver qu’une invalidité est grave et prolongée au plus tard à la fin de la période de protection. Par conséquent, les efforts de traitement devraient également être concentrés durant la période de protectionNote de bas de page 8.

La troisième question : corriger l’erreur en rendant la décision que la division générale aurait dû rendre

[28] Une fois que j’ai conclu que la division générale a commis une erreur, je dois choisir la façon de la corriger. Je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre ou je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamenNote de bas de page 9. Je peux trancher toute question de droit nécessaire pour décider un appelNote de bas de page 10.

[29] Le ministre et la requérante ne se sont pas opposés à ce que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre. Il s’agit d’une façon efficace d’aller de l’avant dans de nombreux cas.

[30] Je rendrai la décision qu’elle aurait dû rendre. J’ai écouté l’enregistrement audio de l’audience de la division générale et examiné les documents de l’affaire. J’ai les renseignements dont j’ai besoin pour décider si la requérante a droit à une pension d’invalidité. Dans les circonstances, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre est juste, rapide et équitable.

L’invalidité est grave

[31] Pour avoir droit à une pension d’invalidité, la requérante doit avoir une invalidité grave au sens du RPC. Une personne atteinte d’une invalidité grave est « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 11 ».

[32] Chaque élément de cette définition est important. Une invalidité grave dans le contexte du RPC est liée à ce qu’une personne peut et ne peut pas faire (par rapport au travail). Les choses que les personnes ne peuvent pas faire en raison d’une invalidité sont parfois appelées des « limitations fonctionnelles ».

[33] À mon avis, la requérante a prouvé qu’elle avait une invalidité grave et prolongée au sens du RPC. Son invalidité était grave et prolongée lorsqu’elle a cessé de travailler en juillet 2018. Sa période de protection a pris fin le 31 décembre 2020Note de bas de page 12.

[34] J’ai tenu compte de chacun des éléments suivants :

  • les problèmes de santé de la requérante (ce qui comprend l’évaluation des problèmes de santé dans leur ensemble, c’est-à-dire toutes les déficiences possibles qui pourraient nuire à sa capacité de travail)Note de bas de page 13;
  • ses antécédents (y compris son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et ses expériences de vie)Note de bas de page 14;
  • les mesures prises par la requérante pour gérer ses problèmes de santé et la question de savoir si elle a refusé un traitement de façon déraisonnableNote de bas de page 15.

[35] Compte tenu de ces trois éléments, je conclus que la requérante n’a même pas une certaine capacité de travail (ou une capacité résiduelle). Elle a des limitations fonctionnelles qui l’empêchent de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Il y a d’autres circonstances personnelles qui entraînent des difficultés ou des obstacles à l’emploi. Elle a pris des mesures pour gérer ses problèmes de santé et elle n’a pas refusé un traitement de façon déraisonnable. Comme j’ai conclu qu’elle n’a pas la capacité de travailler, elle n’a pas à démontrer que ses efforts pour obtenir et garder un emploi ont échoué en raison de ses problèmes de santé.

Les problèmes de santé sont liés à des maux de dos chroniques

[36] Les problèmes de santé de la requérante sont liés à des maux de dos chroniques.

[37] Dans le rapport médical pour le RPC, le médecin de la requérante a expliqué qu’elle a que ses maux de dos chroniques ont commencé en 2012. Il a déclaré que la douleur s’est progressivement aggravée et que la requérante présente des symptômes subjectifs d’incapacité à exercer une activité. Le médecin a énuméré des limitations fonctionnelles comme l’incapacité d’effectuer des tâches ménagères, les douleurs ressenties au moment de faire toute activité et l’aide qu’elle doit avoir de sa famille dans toutes les activités ménagères.

[38] L’imagerie par résonance magnétique du 27 avril 2018 a révélé des changements dégénératifs à plusieurs niveauxNote de bas de page 16.

[39] Le médecin a confirmé que le pronostic était susceptible de rester le même, qu’il devait durer plus d’un an et qu’il était continu. Le même médecin a commencé à traiter la requérante en janvier 2018, et il a déclaré qu’il traitait son problème de santé principal depuis 2019. Il a alors recommandé à la requérante de cesser de travailler, mais il a remarqué qu’elle était en congé depuis longtemps et que son ancien médecin avait déménagé, raison pour laquelle elle avait commencé à le voir.

Les maux de dos chroniques entraînent des limitations fonctionnelles qui nuisent à la capacité de travail

[40] Lorsque la requérante a demandé une pension d’invalidité, elle a qualifié de [traduction] « médiocre » sa capacité à accomplir de nombreuses tâches courantes, notamment :

  • rester debout pendant 20 minutes;
  • monter et descendre de 12 à 15 marches;
  • rester assise pendant au moins 20 minutes;
  • faire le transfert depuis un lit, une chaise, les toilettes ou une voiture;
  • tirer ou pousser une porte lourde;
  • porter deux sacs de provisions et marcher un pâté de maisons;
  • faire des tâches ménagèresNote de bas de page 17.

[41] Dans le même document, la requérante a qualifié de [traduction] « passable », la plupart du temps, sa capacité à prendre soin de son hygiène et d’elle-même, comme s’habiller et se nourrir.

[42] La division générale a conclu que la requérante avait les limitations suivantes et que la preuve médicale appuyait ce que la requérante disait :

  • Elle a mal aux pieds et aux genoux après s’être tenue debout pendant 20 minutes. Elle doit s’asseoir durant 5 à 7 minutes avant de pouvoir se relever.
  • Elle dort de 5 à 6 heures par nuit. Ses douleurs perturbent son sommeil. Elle peut seulement s’étendre sur le côté gauche durant 5 à 10 minutes avant de devoir se tourner.
  • Elle n’a pas besoin de dormir durant la journée, mais elle doit souvent s’étendre à cause de ses douleurs. Elle passe la majeure partie de la journée au lit.
  • Elle ne peut pas lever les bras au-dessus des épaules à cause de ses douleurs aux épaules. Elle a donc de la difficulté à se brosser les cheveux. Elle a besoin d’aide pour essuyer les comptoirs. Sa fille fait la vaisselle. Son fils doit laver les planchers.
  • Elle peut s’asseoir ou conduire durant 10 à 15 minutes. Cela lui cause des douleurs au bas du dos et aux épaules. Elle ne conduit pas sur de longues distancesNote de bas de page 18.

[43] La division générale a décidé que ces limitations fonctionnelles appuyaient le fait que les maux de dos chroniques de la requérante l’empêchaient de faire des tâches ménagères, conduire et faire son travail habituel au plus tard le 31 décembre 2020Note de bas de page 19.

[44] J’adopte les conclusions de la division générale sur les limitations fonctionnelles de la requérante. J’accepte la preuve présentée par la requérante lorsqu’elle a demandé une pension d’invalidité au sujet de ses capacités fonctionnelles. À mon avis, d’après la même preuve médicale et le même témoignage, ainsi que sa situation personnelle, l’invalidité de la requérante était grave. Elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

Les antécédents de la requérante

[45] Pour décider si la requérante a des limitations fonctionnelles qui nuisent à sa capacité de travail, je dois évaluer son employabilité dans un contexte réaliste, compte tenu des éléments suivants :

  • son âge
  • son niveau de scolarité
  • son aptitude à parler, à lire et à écrire en anglais
  • ses antécédents de travail et son expérience de vieNote de bas de page 20.

[46] La requérante avait seulement 45 ans lorsqu’elle a cessé de travailler en 2018. Son âge n’est pas un obstacle au retour au travail et elle a de nombreuses années devant elle avant d’atteindre l’âge normal de la retraite au Canada.

[47] Toutefois, la scolarité et la capacité de la requérante à parler anglais constituent des obstacles à son employabilité au Canada. La requérante a fait des études secondaires en IndeNote de bas de page 21. Elle a déclaré (et j’admets) qu’elle a appris un peu l’anglais pendant ses études. Lorsqu’elle travaillait en restauration rapide, elle communiquait avec ses collègues en pendjabi et elle n’avait aucun contact avec la clientèle. Elle dit qu’elle a appris un peu d’anglais de ses collègues.

[48] La requérante n’a aucune expérience de travail en Inde. Son expérience de travail au Canada s’est déroulée dans les cuisines d’un établissement de restauration rapide. Elle n’utilise pas d’ordinateur ou de tablette à la maison. Elle n’a jamais travaillé sur une caisse enregistreuse ou un ordinateur au travail.

[49] Pour obtenir un travail moins physique que celui qu’elle a faisait, la requérante doit peut-être améliorer ses compétences en anglais et peut-être se recycler. Son expérience de travail dans le nettoyage des planchers et des tables ainsi que dans le lavage de la vaisselle au restaurant est peu susceptible de se traduire par un emploi moins exigeant sur le plan physique. À mon avis, la communication en anglais peut être souvent nécessaire pour ce genre d’emplois.

[50] La situation personnelle de la requérante, en particulier son manque de compétences en anglais et son manque d’expérience de travail ou de compétences qui seraient transférables vers un emploi moins physique, constitue un obstacle réel à son employabilité dans un contexte réaliste. De plus, certaines des mêmes limitations physiques qui empêchent la requérante d’effectuer un travail physique constituent également un obstacle à la formation en anglais, au recyclage et au travail sédentaire. Par exemple, rester assis ou conduire pendant plus de 10 à 15 minutes sans ressentir de douleur au bas du dos.

[51] Pour démontrer qu’elle a droit à la pension d’invalidité, la requérante doit aussi démontrer qu’elle a fait des démarches pour gérer ses maux de dos et qu’elle n’a pas refusé un traitement de façon déraisonnable.

Les démarches faites pour gérer les maux de dos pendant la période de protection; le refus d’un traitement était raisonnable

[52] La requérante a pris des mesures pour gérer ses problèmes de santé et elle n’a refusé aucun conseil médical de façon déraisonnable.

[53] Les parties requérantes ont l’obligation de démontrer qu’elles ont fait des efforts pour gérer leurs problèmes de santéNote de bas de page 22. Il n’y a pas d’exigence précise selon laquelle la preuve doit provenir du médecin de la partie requérante, bien que les médecins incluent souvent ce genre d’information dans leurs déclarations. Il n’y a pas d’exigence expresse selon laquelle les efforts doivent être substantiels, étendus ou autrement exhaustifs.

[54] Dans la décision Sharma, la Cour d’appel fédérale semble être d’accord avec le critère des « démarches raisonnables » et de l’« explication raisonnable » pour ne pas avoir suivi les conseils médicaux que la division d’appel a énoncéNote de bas de page 23.

[55] Il est important que le critère soit celui des « démarches raisonnables » et d’une « explication raisonnable » parce que les parties requérantes qui sont régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice n’ont pas toujours essayé tous les traitements associés à leurs problèmes de santé. Il leur suffit de faire des efforts raisonnables.

[56] La requérante est obèse et est atteinte de diabète. Ses dossiers médicaux mentionnent sa perte de poidsNote de bas de page 24. Je suis convaincue qu’elle fait assez d’efforts pour perdre du poids. La lettre de révision du ministre reconnaît ces effortsNote de bas de page 25.

[57] La requérante a déclaré qu’elle essaie de faire des exercices et des étirements, mais qu’elle trouve cela trop douloureuxNote de bas de page 26. À la lumière de l’ensemble de la preuve sur sa douleur, son manque de sommeil et sa mobilité réduite, j’estime qu’il s’agit d’une explication raisonnable pour ne pas avoir fait plus d’exercices et d’étirements.

[58] La requérante prend les médicaments qui lui ont été prescrits. Elle explique que c’est la raison pour laquelle elle n’a pas consulté son médecin régulièrement en 2019 : elle suivait les recommandations de son médecin.

[59] La division générale a conclu que la requérante avait refusé un traitement de façon déraisonnable parce qu’elle ne souhaitait pas avoir une consultation chirurgicale en juin 2019Note de bas de page 27. La requérante a dit qu’elle ne voulait pas se faire opérer parce qu’on lui avait dit que ses douleurs pouvaient empirer des suites de l’opération. J’accepte l’explication de la requérante comme étant raisonnable. La requérante s’inquiétait de la douleur. Étant donné qu’elle n’a pas eu d’information qui laissait croire que l’opération allait probablement améliorer sa situation, elle a écarté cette option. Quoi qu’il en soit, après la fin de la période de protection, la requérante a consulté un chirurgien qui ne lui a clairement pas recommandé d’opération au dos. Il explorait plutôt la possibilité de gérer la douleur de la requérante à l’aide d’injections de cortisone.

[60] En 2022, ce chirurgien a remarqué qu’en plus de ses maux de dos, la requérante ressentait des douleurs au cou et aux épaules. Il a recommandé la réduction de son épaule droite et l’essai d’injections de cortisone. Il a toutefois déclaré qu’elle n’était [traduction] « pas prête à prendre des injections actuellement ». Il a déclaré que même si, pour l’instant, elle n’était pas capable de travailler sur le plan fonctionnel, elle est [traduction] « très jeune et peut suivre d’autres traitementsNote de bas de page 28 ».

[61] Au moment de l’audience de la division générale, la requérante n’avait pas encore reçu d’injections de cortisone aux épaules. Son fils a déclaré qu’elle avait peur, mais qu’ils la forceraient à les prendre, essentiellementNote de bas de page 29. La requérante a peur des aiguilles et, selon la preuve, elle était inquiète parce qu’un membre de sa famille recevait des injections semblables, sans résultat. Je suis d’avis que la crainte de la requérante est raisonnable. Ce n’est pas idéal, et c’est une crainte qui pourrait être (ou même qui a déjà été) surmontée. Les craintes sont souvent par nature déraisonnables d’un point de vue purement objectif. Toutefois, il n’est pas déraisonnable pour une personne de se méfier d’injections pour traiter des maux de dos.

[62] Même si cette explication avait été déraisonnable, je n’ai pas assez d’information sur l’incidence que les injections de cortisone aux épaules était censée avoir sur l’invalidité de la requérante. Pour la pension d’invalidité, l’accent est mis sur la capacité de travailler et les problèmes de santé de la personne pendant la période de protection. Dans ce dossier, le problème de santé qui existait pendant cette période était des maux de dos chroniques, et non des douleurs aux épaules.

[63] Étant donné les douleurs que la requérante a mentionnées, je ne déduirai pas que le médecin pensait que recommander des injections de cortisone aux épaules (des années après la fin de la période de protection) mènerait à un retour au travail.

[64] La requérante prend ses médicaments, a consulté des médecins, a essayé de faire des étirements et de l’exercice, a perdu du poids et avait peur des injections. Je suis convaincue qu’elle a participé à son propre traitement et que lorsqu’elle n’a pas suivi une recommandation, elle a été raisonnable.

La requérante n’a pas la capacité de travailler, alors elle n’a pas besoin de démontrer que ses efforts pour obtenir et garder un emploi ont échoué en raison de son invalidité

[65] Selon moi, rien ne prouve l’existence d’une capacité de travailler et je n’ai donc pas à examiner si les efforts de la requérante pour travailler ont échoué en raison de son invalidité.

[66] Les rapports médicaux de la requérante énumèrent clairement ses limitations fonctionnelles. Ses douleurs au dos limitent sa capacité à marcher et à se tenir debout, mais aussi à s’asseoir. Elle ne peut pas s’étirer. Au quotidien, elle passe son temps à essayer de composer avec ses douleurs. Elle fait un peu la cuisine et sa famille l’aide pour toutes les autres tâches ménagères.

[67] De toute évidence, elle ne peut plus travailler en restauration rapide. Ce travail dépasserait sa capacité de marcher, se tenir debout, s’asseoir et passer d’une tâche à une autre. Cependant, puisqu’elle doit changer de position régulièrement et que sa capacité à s’asseoir est restreinte, elle ne peut pas non plus faire régulièrement un travail sédentaire.

[68] Je vois que dans une lettre datée du 22 octobre 2020, son médecin lui a suggéré d’essayer un travail sédentaireNote de bas de page 30. Je ne peux pas accepter cette suggestion comme preuve de capacité pour deux raisons.

[69] Premièrement, je dois tenir compte de la situation personnelle de la requérante ainsi que de ses limitations fonctionnelles. Ainsi, le médecin peut lui avoir suggéré d’essayer un travail sédentaire d’un point de vue physique, mais sa capacité d’accéder à un travail sédentaire est limitée en raison de sa situation personnelle. Il s’agit d’un obstacle supplémentaire à son employabilité. Je ne peux pas présumer que son médecin a tenu compte de ces facteurs, alors que la loi exige que j’en tienne compte.

[70] Deuxièmement, je ne peux pas accorder beaucoup d’importance à cette lettre rédigée en octobre 2020 par le médecin de la requérante. Le médecin a fourni un tableau beaucoup plus détaillé des limitations fonctionnelles de la requérante dans le rapport médical du RPC, qu’il a rempli seulement un an auparavant. Cette lettre indique qu’un examen n’a révélé aucun résultat significatif, sauf des muscles du dos endolori, une douleur subjective. Cependant, comme le problème de santé de la requérante est un mal de dos chronique, il ne faut pas s’attendre à un résultat d’examen significatif. Les limitations fonctionnelles de la requérante que le médecin a déjà mentionnées dans le rapport médical du RPC découlent de cette douleur chronique. Le médecin ne précise pas que les limitations fonctionnelles ne sont plus présentes.

[71] Je suis d’avis que le médecin a rédigé la lettre d’octobre 2020 en pensant au diabète de la requérante, car il s’agit du seul problème de santé sur lequel le médecin fait des commentaires dans les antécédents médicaux. Autrement dit, cette lettre soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses au sujet de la capacité de la requérante. Je ne suis pas convaincue que les commentaires qu’elle contient sur la capacité de la requérante à travailler tiennent compte de ses maux de dos chroniques, qui est la question que j’examine.

[72] La requérante n’a pas consulté son médecin régulièrement en 2019. Je ne déduirai pas que cela signifie que son invalidité n’était pas grave. Elle avait les médicaments dont elle avait besoin pour soulager ses douleurs. Le fait de ne pas voir un médecin ne signifie pas nécessairement qu’une invalidité n’est pas grave. La surveillance ou le traitement médical et la fréquence des visites chez le médecin ne me disent pas nécessairement comment les limitations fonctionnelles de la requérante nuisaient à sa capacité de travailler.

[73] Dans la décision Villani, la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué que la division générale doit décider « en pratique » si la personne est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La division générale n’est pas censée mentionner de vagues catégories de travail qu’une personne pourrait faire et qui ne sont pas liées à la réalité. Plus précisément, la Cour a expliqué ce qui suit dans la décision Villani :

[...] les décideurs ignorent le libellé de la loi en concluant par exemple que, puisque [la requérante] est capable d’effectuer certaines tâches ménagères ou, à strictement parler, de demeurer assis[e] pendant de courtes périodes, [elle] est en mesure, en théorie, d’exercer un certain type d’occupation sédentaire non spécifiée qui correspond à « n’importe quelle » occupation au sens du sous-alinéa 42(2)a)(i) du RégimeNote de bas de page 31. (mis en évidence par moi)

[74] De plus, j’accepte le témoignage de la requérante au sujet de l’incidence de son invalidité sur sa vie quotidienne. J’admets également qu’elle n’est pas physiquement capable du type de recyclage dont elle aurait besoin pour occuper un emploi sédentaire. Elle ne peut pas rester assise plus de 15 minutes. Ses connaissances limitées de l’anglais sont un obstacle important à l’obtention d’un travail sédentaire au Canada. Il serait difficile pour elle d’apprendre l’anglais et de se recycler à cause de son incapacité à rester assise.

[75] La requérante n’a pas à démontrer que ses efforts pour obtenir et garder un emploi ont échoué en raison de son problème de santé.

L’invalidité est prolongée

[76] L’invalidité de la requérante doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie. L’invalidité est donc prolongée au sens du RPCNote de bas de page 32.

[77] Dans le rapport médical du RPC, le médecin de la requérante a déclaré que, d’un point de vue strictement médical, il était incertain que la requérante retourne un jour sur le marché du travail. Il a déclaré que la requérante ressentait constamment de la douleur et que le fait de rester dans une même position pendant longtemps fait augmenter sa douleur. Elle doit continuellement changer de position. Il a noté qu’elle avait consulté un spécialiste, mais qu’aucun traitement n’avait encore aidéNote de bas de page 33.

[78] En août 2019, le chirurgien orthopédiste a déclaré que le pronostic relatif à une amélioration fonctionnelle importante et un retour au travail [traduction] « n’est pas très bon actuellementNote de bas de page 34 ».

[79] En avril 2021, son médecin a déclaré qu’il [traduction] « ne la voyait pas retourner au travail dans un avenir rapprochéNote de bas de page 35 ».

[80] Des années plus tard, durant son témoignage à l’audience de la division générale, la requérante a expliqué que ses douleurs étaient pires qu’avant. Cette détérioration a eu lieu malgré des années de traitement, y compris des médicaments.

[81] Je suis convaincue que la requérante avait une invalidité grave et prolongée en juillet 2018, lorsqu’elle a cessé de travailler. Sa période de protection s’est terminée seulement le 31 décembre 2020. La requérante a demandé une pension d’invalidité en octobre 2019Note de bas de page 36.

[82] Juillet 2018 est aussi le premier mois où la requérante peut être considérée comme invalide au sens du RPC parce que c’est 15 mois avant qu’elle présente sa demande en octobre 2019Note de bas de page 37. Les paiements commencent quatre mois plus tard, en novembre 2018.

Conclusion

[83] J’ai accueilli l’appel. La division générale a commis une erreur de droit. J’ai rendu la décision que la division générale aurait dû rendre : la requérante a droit à une pension d’invalidité du RPC. Les paiements commencent en novembre 2018.

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