Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : KB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 713

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : K. B.
Représentante : O. E.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentant : Ian McRobbie

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 10 février 2023
(GP-22-2000)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 3 mai 2023

Personnes présentes à l’audience :

Appelante
Représentante de l’appelante
Représentant de l’intimé

Date de la décision : Le 5 juin 2023
Numéro de dossier : AD-23-216

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. L’appelante ne peut pas faire appel de la décision de Service Canada de lui refuser une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

Aperçu

[2] L’appelante, K. B., est une ancienne femme de ménage qui a travaillé pour la dernière fois en décembre 2010. Elle dit qu’elle ne peut plus travailler parce qu’elle a des douleurs au dos et aux genoux, et qu’elle fait de l’anxiété et de la dépression. Elle est âgée de 50 ans.

[3] L’appelante a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en novembre 2019. Service Canada a rejeté sa demande parce que, à son avis, l’appelante n’avait pas prouvé qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée pendant sa période de couverture, qui a pris fin le 31 décembre 2012Note de bas de page 1.

[4] L’appelante a demandé une révision. Dans une lettre datée du 30 septembre 2020, Service Canada a maintenu sa décision de refuser des prestations d’invalidité à la requéranteNote de bas de page 2. La lettre contenait également des instructions sur la façon de faire appel de ce refus auprès du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] Plus de deux ans se sont écoulés. Le 12 décembre 2022, le Tribunal a reçu un avis d’appel à la division générale, que l’avocat de l’appelante a envoyé par courriel.

[6] L’avocat de l’appelante a affirmé qu’il avait d’abord déposé l’appel par la poste en janvier 2021. Il a dit qu’après avoir remarqué qu’il n’avait pas reçu de date d’audience, il a déposé un autre appel par courriel en septembre 2022. Il a affirmé qu’après avoir découvert que cet appel avait également disparu, il a déposé un troisième appel en décembre 2022.

[7] La division générale a examiné les documents au dossier et a rejeté l’appel. Elle a conclu que l’appelante n’avait pas reçu la décision découlant de la révision de Service Canada avant le 24 janvier 2021. Elle n’a trouvé aucun élément de preuve montrant que l’appelante avait fait appel à la division générale avant le 12 décembre 2022. Elle a donc décidé qu’elle ne pouvait pas examiner l’appel de l’appelante parce qu’il avait plus d’un an de retard.

[8] Plus tôt cette année, l’une de mes collègues de la division d’appel a accordé à l’appelante la permission de faire appel parce qu’elle a jugé qu’il était possible de soutenir que la division générale n’avait pas fourni de motifs adéquats pour sa décision. Le mois dernier, j’ai tenu une audience pour discuter de la question de savoir si une prolongation du délai pour faire appel devrait être accordée à l’appelante.

Questions préliminaires

[9] Le 5 décembre 2022, les règles régissant les appels au Tribunal de la sécurité sociale ont changé. Selon les nouvelles règles, la division d’appel, une fois qu’elle a accordé la permission d’aller de l’avant, doit maintenant tenir une nouvelle audience sur les mêmes questions que celles dont la division générale était saisie. Comme je l’ai expliqué au début de l’audience, cela voulait dire que j’examinerais tous les éléments de preuve disponibles pour savoir si l’appel de l’appelante était en retard et, dans l’affirmative, si je pouvais renoncer aux délais de dépôt applicables. J’ai également précisé que je ne serais pas lié par les conclusions de la division générale.

[10] Une grande partie de l’affaire de l’appelante dépendait de ce que son ancien avocat a fait ou n’a pas fait en son nom. Pour cette raison, V. M. a témoigné à l’audience en présentant des éléments de preuve sous forme d’affidavit et de témoignage sous serment.

[11] Les parties ont convenu de tenir l’audience en deux parties. Elles ont compris que si je décidais que l’appel de l’appelante n’était pas en retard ou qu’il ne valait pas la peine de fournir une prolongation pour le déposer, alors je planifierais une deuxième vidéoconférence pour discuter du bien-fondé de la demande de prestations d’invalidité de l’appelante.

Questions en litige

[12] Dans le présent appel, je devais trancher les questions suivantes :

  • L’appel de l’appelante au Tribunal a-t-il été déposé en retard? Si oui, de combien de temps a-t-il dépassé le délai prévu par la loi?
  • Si l’appel est en retard, la loi me permet-elle de prolonger le délai?

Analyse

[13] Maintenant que j’ai examiné les éléments de preuve et les arguments des parties, j’ai conclu que l’appelante ne peut pas gagner sa cause. Comme son appel avait plus d’un an de retard, la loi m’interdit de lui accorder une prolongation.

La loi prévoit deux délais d’appel

[14] Au titre de la loi régissant le Tribunal, un appel doit être présenté à la division générale dans les 90 jours suivant la communication à la partie appelante de la décision découlant de la révision de Service CanadaNote de bas de page 3. La division générale peut accorder un délai supplémentaire pour faire appel, mais un appel ne peut en aucun cas être fait plus d’un an après la date à laquelle la décision a été communiquée à la partie appelanteNote de bas de page 4.

[15] Ces dispositions signifient qu’une partie appelante potentielle doit respecter un délai « souple » et un délai « ferme ». Un appel qui a plus de 90 jours de retard peut quand même être entendu si la partie appelante a une explication raisonnable pour son retard. Toutefois, si plus d’un an s’est écoulé, il est interdit à la division générale d’accorder une prolongation.

Un appel est déposé seulement lorsque le Tribunal le reçoit

[16] Le Tribunal doit recevoir un avis d’appel pour qu’il soit réputé avoir été déposé auprès du Tribunal. Selon les règles qui étaient en vigueur au moment où l’appelante tentait de présenter son appel, la date de dépôt d’un appel envoyé par la poste ordinaire est réputée être la date indiquée par le timbre dateur apposé sur le document par le TribunalNote de bas de page 5. Une disposition semblable figure dans les nouvelles règles qui sont entrées en vigueur le 5 décembre 2022Note de bas de page 6.

L’appel de l’appelante avait plus d’un an de retard

[17] Les questions clés dans la présente affaire sont : i) le moment où la décision découlant de la révision de Service Canada a été communiquée à l’appelante, et ii) le moment où l’ancien avocat de l’appelante a réussi à porter l’appel devant la division générale.

La décision découlant de la révision a été communiquée à l’appelante le 24 janvier 2021

[18] La lettre contenant la décision découlant de la révision de Service Canada était datée du 30 septembre 2020, mais l’appelante dit l’avoir seulement reçue beaucoup plus tard. Je ne sais pas ce qu’il est advenu de la lettre entre-temps, mais ce qui est clair, c’est qu’en janvier 2021, l’appelante a embauché un avocat, qui a demandé à Service Canada de réviser son refus de prestations. Dans une lettre datée du 21 janvier 2021, Service Canada a répondu qu’il avait déjà envoyé une lettre contenant la décision découlant de sa révision, dont il a joint une copieNote de bas de page 7. Il a également fourni l’adresse postale de la division générale du présent Tribunal.

[19] Dans son avis d’appel, l’appelante indique avoir reçu la lettre contenant la décision découlant d’une révision le 24 janvier 2021. Cela signifie que la date limite « ferme » pour que l’appelante dépose son appel à la division générale était le 25 janvier 2022Note de bas de page 8.

L’appelante n’a pas fait appel à la division générale avant le 12 décembre 2022

[20] V. M., l’ancien avocat de l’appelante, prétend qu’il a présenté des avis d’appel valides à la division générale à trois reprises. Il soutient que le premier avis, qu’il aurait posté le 31 janvier 2021, constitue un appel valide. Il soutient également que le Tribunal a dû égarer cet avis ainsi qu’un deuxième, qu’il indique avoir envoyé par courriel le 2 septembre 2022. Il insiste sur le fait que le Tribunal a tort de reconnaître seulement le troisième avis, qu’il a reçu par la poste le 12 décembre 2022, comme étant un appel valide.

[21] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que V. M. a réussi à faire appel au nom de l’appelante avant le 12 décembre 2022.

Il n’y a pas suffisamment de preuves montrant que le premier appel de l’appelante a été reçu

[22] La première tentative de V. M., en janvier 2021, de déposer un avis d’appel est la seule qui importe dans la présente affaire. En effet, les deux autres, y compris celle que le Tribunal reconnaît avoir reçu en décembre 2022, se situent bien au-delà du délai d’un an.

[23] La pièce maîtresse de la preuve de l’appelante est un affidavit signé sous serment par V. M. détaillant ses démarches pour faire appel au nom de son ancienne cliente. V. M. a écrit qu’après avoir appris qu’une lettre contenant la décision découlant d’une révision avait déjà été émise, il a préparé l’avis d’appel de l’appelante et a pris des mesures pour l’envoyer par la poste à l’adresse que Service Canada avait fournie dans sa lettre de réponse :

[traduction]
Le même jour (c.-à-d. le 31 janvier), j’ai placé la première demande dans une grande enveloppe, imprimé l’adresse sur l’enveloppe et estampillé l’enveloppe (à l’aide d’une machine à timbres dont dispose mon bureau). À ce moment-là, mon entreprise avait pour habitude de placer tout le courrier sortant dans un chariot postal. À la fin de la journée ouvrable, notre réceptionniste transportait tout le courrier restant dans ce chariot dans une boîte aux lettres de Postes Canada près de notre bureau et plaçait les colis dans la boîte aux lettres à envoyer. J’ai laissé l’enveloppe contenant la première demande dans ce chariot le 31 janvier 2021. Je n’ai aucune raison de croire que la réceptionniste n’a pas placé l’enveloppe dans la boîte aux lettres. De plus, il n’y a eu aucun autre cas à ce moment-là où des envois postaux ne sont pas arrivés à leur destination prévue. Je crois sincèrement que notre réceptionniste a placé la première demande dans la boîte aux lettresNote de bas de page 9.

[24] Il s’agit du seul passage qui décrit des événements dont V. M. avait personnellement connaissance au cours de la période critique d’un an suivant la communication à l’appelante de la lettre contenant la décision découlant d’une révision. Essentiellement, il démontre seulement que V. M. a placé une enveloppe sur un chariot de bureau dans l’espoir qu’elle serait livrée à sa destination. Il ne contient aucun renseignement concret sur ce qui est arrivé à l’enveloppe après qu’elle a été vue pour la dernière fois sur le chariot, pas plus que le reste de l’affidavit de V. M.

[25] L’affidavit contient uniquement des suppositions et beaucoup d’hypothèses. V. M. prétend, de façon plutôt invraisemblable, qu’il n’avait jamais vu d’autre courrier du bureau disparaître avant. Il dit qu’il a supposé que sa réceptionniste posterait l’enveloppe et qu’elle serait livrée au Tribunal. Il soutient qu’il n’avait aucune raison de croire que l’avis n’atteindrait pas sa destination, même si 19 mois se sont écoulés sans qu’il y ait de communications du Tribunal. Il a supposé que le Tribunal s’occupait [traduction] « simplement des retards et des arriérés causés par la pandémie de COVID-19 (problèmes auxquels de nombreux autres aspects de la société s’attaquaient également) Note de bas de page 10 ».

[26] Le mémoire de l’appelant continue dans la même veine, accusant [traduction] « le chaos organisationnel qui régnait au beau milieu de la pandémie » de la perte par le Tribunal de l’avis d’appel de janvier 2022Note de bas de page 11. Toutefois, ni l’affidavit ni le mémoire ne fournissent d’éléments de preuve montrant que le Tribunal, en particulier, a été touché par le « chaos » lié à la pandémie et, le cas échéant, que ce chaos l’a plus touché que d’autres organisations, comme Postes Canada ou même le cabinet d’avocats de V. M.

[27] Le récit de V. M. est également contredit par le fait que, même s’il n’a reçu aucune confirmation de quelque nature que ce soit que l’appel de janvier 2021 avait été correctement déposé, il lui a fallu 19 mois pour faire un suivi auprès de la division générale. À ce moment-là, il était trop tard. V. M. reproche encore une fois à ce qu’il a présumé être un « chaos organisationnel » le silence du Tribunal et la décision subséquente de ne pas s’informer, mais il est tout aussi probable que lui ou quelqu’un dans son bureau ait simplement oublié le dossier de l’appelante. V. M. insiste pour dire qu’il a continué à recueillir des éléments de preuve concernant l’appel au cours des 19 mois suivants, mais, curieusement, il n’en a déposé aucun auprès du Tribunal pendant toute la périodeNote de bas de page 12. S’il l’avait fait, il aurait peut-être découvert le problème plus tôt.

[28] La division d’appel a déjà conclu qu’une partie prestataire ne peut pas présumer que ses documents seront reçus s’ils sont envoyés par la posteNote de bas de page 13. Lorsqu’une personne envoie des documents à Service Canada ou au Tribunal par la poste, elle court le risque qu’ils n’atteignent pas leur destination. L’appelante cite une affaire de la division générale intitulée GC, qui a conclu qu’il était plus probable qu’improbable que la demande de prestations du Régime de pensions du Canada d’un requérant a été reçue par Service Canada immédiatement après sa mise à la poste, plutôt que trois mois plus tard, lorsque la demande a été traitée et estampilléeNote de bas de page 14. Toutefois, cette affaire ne portait pas sur la question de savoir si un document avait été déposé, mais quand il l’avait été. De plus, la division d’appel a par la suite infirmé GC parce que la division générale n’avait pas le pouvoir de tirer une conclusion sur la mauvaise gestion potentielle de la demande par Service CanadaNote de bas de page 15.

[29] V. M. affirme qu’il n’y a aucune raison de croire que le Tribunal n’a pas reçu l’avis d’appel, mais cela, à proprement parler, n’est pas vrai. Par la suite, un agent de liaison lui a dit que le Tribunal n’avait aucun document indiquant que l’avis d’appel de janvier 2021 avait déjà été reçuNote de bas de page 16. En fin de compte, j’ai dû décider ce qui était advenu de l’avis en choisissant entre deux récits de sources tout aussi crédibles. L’appelante devait prouver que l’avis avait été livré, mais je suis d’avis qu’elle n’a pas réussi à le faire.

Le deuxième appel de l’appelante est prescrit par la loi

[30] V. M. affirme qu’il a fait une deuxième tentative de déposer un avis d’appel par courriel le 2 septembre 2022. Il a déposé une copie du courriel, mais, encore une fois, rien ne prouve qu’il a été reçu par le TribunalNote de bas de page 17. Quoi qu’il en soit, peu importe si le Tribunal a reçu le courriel ou non, il est pertinent parce qu’il a été envoyé bien après la date limite d’un an.

Le troisième appel de l’appelante est également prescrit par la loi

[31] Le Tribunal a reconnu la troisième tentative de V. M. de déposer un avis d’appel, celle-ci par courriel le 12 décembre 2022. Cependant, l’avis d’appel a également été déposé en dehors du délai d’un an. Le présent appel ne peut pas aller de l’avant parce que la division générale et la division d’appel n’ont pas le droit de l’examiner.

Conclusion

[32] Il faut dire que l’appelante et son équipe juridique ont eu une malchance inhabituelle en ce qui concerne l’envoi et la réception de documents importants pour sa demande de prestations d’invalidité. À trois reprises, des documents clés ont disparu en cours de route de façon inexplicable : i) la lettre contenant la décision découlant d’une révision de Service Canada du 30 septembre 2020; ii) l’avis d’appel de V. M. du 30 janvier 2022; et iii) l’avis d’appel de V. M. du 2 septembre 2022.

[33] V. M. a laissé entendre que Service Canada ou le Tribunal étaient responsables de chacun de ces incidents. Il a expressément insisté sur le fait qu’un avis d’appel a été posté à partir de son bureau le 30 janvier 2022, mais il a fourni peu d’éléments de preuve à l’appui de cette affirmation, à l’exception d’une copie datée de l’avis et de sa propre assurance que le courrier sortant n’avait pas été égaré par le personnel de son bureau.

[34] Cela ne me suffisait pas. V. M. a affirmé, sans preuve, que le « chaos » causé par la pandémie au sein du Tribunal aurait pu lui faire perdre l’avis. Mais il ne lui est apparemment jamais venu à l’esprit que la pandémie aurait tout aussi bien pu causer un chaos semblable dans son propre bureau (ou, d’ailleurs, à Postes Canada). En fin de compte, j’ai conclu que la preuve de V. M. était hypothétique et peu convaincante.

[35] Pour cette raison, je rejette l’appel. Pour les appels déposés plus d’un an après la révision, la loi est stricte et sans ambiguïté. La loi habilitante prévoit qu’en aucun cas un appel ne peut être fait plus d’un an après que la décision découlant d’une révision a été communiquée à la partie prestataire. Bien que des circonstances atténuantes puissent être prises en compte pour les appels qui surviennent après 90 jours, mais au cours d’une année, le libellé de la loi élimine toute possibilité pour un décideur d’exercer son pouvoir discrétionnaire une fois l’année écoulée. Les explications de l’appelante pour avoir déposé son appel en retard sont donc rendues non pertinentes, tout comme d’autres facteurs, comme le bien-fondé de sa demande de prestations d’invalidité.

[36] Il est malheureux que l’absence d’une date limite de dépôt ait coûté à l’appelante l’occasion de faire appel. Cependant, je suis tenu de suivre la lettre de la loi. L’appelante peut considérer ce résultat comme injuste, mais je peux seulement exercer les pouvoirs qui me sont donnés par la loi habilitante du TribunalNote de bas de page 18.

[37] L’appel est rejeté.

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