Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : DP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 837

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : D. P.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 17 février 2021 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Pierre Vanderhout
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 2 août 2022
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Interprète
Date de la décision : Le 10 août 2022
Numéro de dossier : GP-21-1069

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelant, D. P., est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent en mai 2019. La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelant a 57 ans. À son dernier emploi, il était plongeur dans un restaurant, mais il a cessé de travailler en février 2020 en raison de ses problèmes de santé. Il a eu une surdité toute sa vie. À l’origine, il a appris le langage des signes dans sa Pologne natale, mais il s’est établi plus tard au Canada et a depuis appris la langue des signes américaine (langue ASL). L’anglais n’est pas sa langue maternelle et il a beaucoup de difficulté à lire. Il ne peut pas lire l’anglais sur les lèvres et ne peut lire qu’un peu le polonais sur les lèvres. Depuis au moins 2008, il est également atteint d’une carence en vitamine B12 et d’une neuropathie au bas de la jambe. Ces problèmes de santé lui causent des douleurs aux jambes, de l’enflure, des engourdissements et une incapacité à se tenir debout ou être actif pendant de longues périodes. Au début de 2020, il a reçu un diagnostic de diabète, qui est probablement lié à ses symptômes aux jambes.

[4] L’appelant a demandé une pension d’invalidité du RPC le 3 avril 2020. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. L’appelant a porté la décision du ministre en appel au Tribunal.

[5] L’appelant affirme qu’il veut travailler malgré ses limitations. Cependant, sa dernière tentative de travail a échoué en raison de ses problèmes aux jambes. De plus, il est capable de travailler à temps partiel seulement, soit au plus cinq heures par jour et trois jours par semaine. Enfin, ses limitations physiques et ses limitations de communication restreignent grandement les types d’emploi qui lui sont offerts. Il dit que son invalidité est causée par la combinaison de ses problèmes de santé, pas par un seul problème.

[6] Le ministre affirme que l’appelant n’était pas invalide au plus tard le 31 décembre 2016 (une date importante dans ce dossier). L’appelant a suivi des cours après cette date et a fait du travail rémunéré et du bénévolat. Le ministre affirme que son médecin croyait qu’il était capable de travailler au moins à temps partiel. L’appelant a déclaré avoir de fortes capacités fonctionnelles lorsqu’il a demandé une pension d’invalidité. Le ministre souligne également ses antécédents de travail et sa formation approfondie, qui lui donnent plus d’options de travail et de formation. Le ministre conclut qu’il pouvait encore faire un travail quelconque avant la fin de 2016. De plus, le ministre laisse entendre qu’il n’a pas suivi de traitement chez l’ORL (otorhinolaryngologiste).

Ce que l’appelant doit prouver

[7] Pour avoir gain de cause, l’appelant doit prouver qu’il avait une invalidité grave et prolongée au plus tard le 31 décembre 2016. Cette date est établie en fonction des cotisations qu’il a versées au RPCNote de bas de page 1.

[8] Le Régime de pensions du Canada définit les termes « grave » et « prolongée ».

[9] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 2.

[10] Je dois donc examiner l’ensemble des problèmes de santé de l’appelant pour voir leur effet global sur sa capacité de travailler. Je dois aussi tenir compte de ses antécédents (y compris son âge, son niveau de scolarité, ses antécédents de travail et son expérience de vie). Ces éléments me permettent de voir de façon réaliste si son invalidité est grave ou non. Si l’appelant peut régulièrement faire un travail quelconque qui lui permet de gagner sa vie, il n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[11] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner le décèsNote de bas de page 3.

[12] Par conséquent, l’invalidité de l’appelant ne peut pas avoir une date de rétablissement prévue. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité tienne l’appelant à l’écart du travail pendant longtemps.

[13] L’appelant doit prouver qu’il est atteint d’une invalidité grave et prolongée. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) qu’il est invalide.

Motifs de ma décision

[14] J’estime que l’appelant avait une invalidité grave et prolongée à partir de juillet 2015. J’ai pris cette décision après avoir examiné les questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelant était-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelant était-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelant était-elle grave au plus tard le 31 décembre 2016?

[15] L’invalidité de l’appelant était grave en date du 31 décembre 2016. J’ai tiré cette conclusion en examinant plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci-dessous.

Les limitations fonctionnelles de l’appelant nuisent à sa capacité de travailler

[16] L’appelant est sourd. Il est diabétique. Il a également une carence continue en vitamine B12 et une neuropathie au bas de la jambe.

[17] Cependant, je ne peux pas me concentrer sur les diagnostics de l’appelantNote de bas de page 4. Je dois plutôt voir si des limitations fonctionnelles l’empêchaient de gagner sa vieNote de bas de page 5. Dans cette optique, je dois examiner tous ses problèmes de santé (pas juste du plus important) et de leur effet sur sa capacité de travaillerNote de bas de page 6.

[18] Je conclus que l’appelant a des limitations fonctionnelles qui ont nui à sa capacité de travailler.

Ce que l’appelant dit de ses limitations fonctionnelles

[19] L’appelant affirme que ses problèmes de santé entraînent des limitations fonctionnelles qui nuisent à sa capacité de travailler. Il dit avoir de la difficulté à se tenir debout. Il peut marcher seulement pendant une courte période. Il doit se reposer après toute activité. Il doit partager son temps entre des positions assise et debout. En raison de son diabète, il a parfois des maux de tête ou de violents étourdissements. Sa surdité l’empêche de communiquer de vive voix. Comme il ne communique qu’avec ses mains, sa capacité de communiquer est grandement restreinte. Ses faibles aptitudes en anglais écrit nuisent également à sa capacité de communiquer. Il est difficile pour lui d’interagir sans interprétation de la langue ASL vers l’anglais.

[20] Bien que l’appelant ait décrit les limitations ci-dessus à l’audience, je juge que la quasi-totalité d’entre elles s’appliquait déjà à la fin de 2016. Les limitations liées à la surdité auraient certainement existé en 2016, et je n’ai aucune raison de croire qu’elles avaient moins d’incidence à ce moment-là. À l’audience, il a dit qu’il avait des douleurs aux jambes et qu’il ne pouvait pas rester debout trop longtemps en 2016 non plus. Les maux de tête et les étourdissements n’étaient peut-être pas un problème alors, car il a reçu un diagnostic de diabète seulement récemment.

[21] Lorsqu’il a demandé des prestations d’invalidité du RPC au début de 2020, l’appelant a également caractérisé sa capacité de faire les activités suivantes comme « faible »Note de bas de page 7 :

  • Regarder un écran d’ordinateur pendant au moins 20 minutes;
  • transporter des sacs d’épicerie sur 100 mètres;
  • conduire une voiture;
  • savoir comment réagir en cas de stress;
  • répondre au téléphone.

[22] L’appelant a fourni un curriculum vitae qui résume son expérience de travail antérieure. Ses antécédents donnent à penser que sa surdité et ses aptitudes limitées en anglais le restreignent à certaines tâches comme le ménage, le lavage de la vaisselle, le travail en entrepôt et le stockage des rayonsNote de bas de page 8. Ses limitations physiques l’empêchent également de faire des activités physiques soutenues.

[23] J’ai jugé que l’appelant était crédible. Il a montré à maintes reprises sa frustration de ne pas pouvoir être actif, surtout durant la pandémie. Il préférerait s’engager activement dans le monde et avec d’autres personnes. Cette frustration est ressortie très clairement, même s’il s’est exprimé par l’entremise de l’interprète.

[24] Le ministre a souligné que l’appelant a déclaré avoir d’« excellentes » capacités physiques lorsqu’il a demandé une pension d’invalidité du RPC en avril 2020. Ce formulaire de demande semble démontrer une certaine capacité physique qui contredit ses autres éléments de preuve. Par exemple, il a dit que sa capacité à rester debout pendant au moins 20 minutes était « excellente ». Il a estimé que sa capacité à marcher 100 mètres sur un sol plat était aussi « excellente ». Cependant, il a jugé « faible » sa capacité à soulever deux sacs d’épicerie et marcher 100 mètresNote de bas de page 9. Sur le même formulaire, il a également dit que des douleurs neuropathiques aux pieds l’invalidaientNote de bas de page 10.

[25] L’appelant a rempli ce formulaire seulement deux jours après que le Dr Salem (médecin de famille) lui a remis un billet pour s’absenter du travail pour des raisons médicalesNote de bas de page 11. L’appelant a également cessé de travailler de façon permanente le même mois. Je concilie ces faits apparemment contradictoires en soulignant que l’appelant a admis une certaine capacité de travail, mais qui n’était pas suffisante pour travailler plus de 15 heures par semaine. Se tenir debout pendant 20 minutes à la fois, ou pouvoir marcher 100 mètres (mais seulement sans effectuer d’autres tâches en même temps), ne contredit pas cette capacité.

Ce que la preuve médicale révèle sur ses limitations fonctionnelles

[26] L’appelant doit fournir des éléments de preuve médicale qui montrent que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travailler en date du 31 décembre 2016Note de bas de page 12.

[27] La preuve médicale confirme la version des faits de l’appelant. Ses médecins ont confirmé à plusieurs reprises qu’il est sourdNote de bas de page 13. Je reconnais pleinement que sa surdité est continue depuis au moins 2008, comme le démontrent ses premiers documentsNote de bas de page 14. Le Dr Salem (médecin de famille) a ajouté qu’il était incapable de parlerNote de bas de page 15. Le docteur a également signalé la frustration de l’appelant à l’égard de ses limitations de communication et une diminution des facultés cognitives résultant de sa surditéNote de bas de page 16.

[28] Bien que je constate certaines lacunes dans la preuve médicale, sa neuropathie au bas de la jambe et sa carence en vitamine B12 ont également été observées depuis de nombreuses années. Le Dr Hurtan a noté le problème de la vitamine B12 à la fin de 2008. Il a confirmé ce fait au début de 2009, ainsi que le problème au bas de la jambeNote de bas de page 17. Le Dr Salem a souligné ses douleurs au pied à la fin de 2018Note de bas de page 18. Au début de 2019, il a confirmé que la carence en vitamine B12 perdurait et que les problèmes aux jambes y étaient associésNote de bas de page 19. Le Dr Salem a de nouveau souligné ces problèmes de santé persistants en janvier 2021 et en juin 2022. Le Dr Salem a ajouté que l’appelant gérait ses douleurs au pied en se reposant après s’être tenu debout et avoir marchéNote de bas de page 20.

[29] La preuve médicale appuie le fait que la surdité et les limitations physiques de l’appelant l’ont empêché de travailler longtemps comme plongeur dans un restaurant et employé d’entrepôt. Le ministre a raison de dire que l’appelant a une certaine capacité lui permettant d’occuper un emploi convenable. Mais la vraie question est de savoir si cette capacité lui permettrait de gagner un revenu véritablement rémunérateur. J’y reviendrai plus tard.

[30] Je vais maintenant vérifier si l’appelant a suivi les conseils médicaux.

L’appelant a suivi les conseils médicaux

[31] Pour recevoir une pension d’invalidité, une personne doit suivre les conseils médicauxNote de bas de page 21. Si elle ne le fait pas, elle doit avoir une explication raisonnable. Je dois aussi examiner l’effet potentiel de ces conseils sur l’invalidité de la personneNote de bas de page 22.

[32] L’appelant a suivi les conseils médicauxNote de bas de page 23. À l’audience, il a dit avoir essayé les différents traitements qui lui étaient recommandés. Comme je l’ai mentionné, j’ai jugé son témoignage crédible. Il a dit qu’il recevait des injections mensuelles de vitamine B12. Le Dr Salem l’a confirmé en juin 2022Note de bas de page 24. En février 2019, le Dr Salem a dit qu’il suivait le plan de traitement recommandéNote de bas de page 25. À l’audience, l’appelant a déclaré qu’il avait modifié son régime alimentaire après son diagnostic de diabète.

[33] J’ai interrogé l’appelant au sujet d’une lettre du Dr Salem datée de janvier 2021. Dans cette lettre, le Dr Salem a dit qu’il avait recommandé à l’appelant de consulter un ou une ORL, [traduction] « mais on n’y avait pas donné suite ». Je ne peux pas savoir qui n’y a pas donné suite. L’appelant a dit qu’il n’a jamais consulté d’ORL. Il se rend parfois chez l’audiologiste pour vérifier son audition. Il l’a fait en 2019Note de bas de page 26.

[34] L’appelant a également décrit ses difficultés de communication avec ses médecins. À moins d’être accompagné d’une personne qui sert d’interprète anglais-ASL, il y a souvent des malentendus. Ses aptitudes d’écriture en anglais sont faibles, et il peut aussi être difficile pour une personne s’exprimant en langue ASL de formuler des phrases écrites qui seront comprises par une personne anglophone qui ne connaît pas l’ASL. La langue ASL a une syntaxe différente de l’anglais.

[35] L’appelant n’a pas consulté d’ORL, mais je ne suis pas convaincu que cette consultation aurait changé quelque chose à son invalidité. Il est sourd de naissance. Il est très peu probable qu’une consultation chez l’ORL aurait eu un effet important sur une perte auditive totale. Je souligne également que l’appelant a suivi plusieurs cours pour améliorer sa capacité à communiquerNote de bas de page 27.

[36] Je dois maintenant décider si l’appelant est régulièrement capable d’effectuer d’autres types d’emploi. Pour être graves, les limitations fonctionnelles de l’appelant doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, et pas seulement dans son emploi habituelNote de bas de page 28.

L’appelant peut travailler dans un contexte réaliste

[37] Pour décider si l’appelant est capable de travailler, je ne peux pas me contenter d’examiner ses problèmes de santé et leurs effets sur ce qu’il peut faire. Je dois aussi tenir compte des facteurs suivants :

  • âge
  • niveau de scolarité
  • aptitudes linguistiques
  • antécédents de travail et expérience de vie

[38] Ces éléments m’aident à décider si l’appelant est capable de travailler dans un contexte réaliste, c’est-à-dire s’il est réaliste de dire qu’il peut travaillerNote de bas de page 29.

[39] Je conclus que l’appelant est capable de travailler dans un contexte réaliste.

[40] L’appelant a 57 ans. Il a grandi en Pologne et a appris la langue des signes polonaise quand il était enfant. Il dit avoir fait moins de deux ans d’études secondaires, mais avoir par la suite suivi certains cours collégiaux au Canada. Il a également obtenu un certificat général de machiniste et suivi une formation de soudeur dans le cadre d’un programme d’apprentissage en Pologne. Par la suite, il a appris la langue ASL, obtenu un diplôme d’anglais langue seconde et terminé un programme d’alphabétisation pour les sourds. Sa formation comprend un cours récent sur le SIMDUTNote de bas de page 30.

[41] L’appelant a été longtemps concierge de restaurant et aide-cuisinier. Il a été préposé à l’expédition et à la réception, associé d’épicerie (nettoyage et stockage), plongeur en cuisine et employé d’entrepôt. De plus, il a fait du bénévolat récemment à une banque alimentaire, où il préparait et pesait des sacs de pommes de terre.

[42] J’ai interrogé l’appelant sur sa capacité à travailler comme machiniste ou soudeur, car il a terminé son programme d’apprentissage en Pologne il y a près de 40 ans. Il a dit que le programme polonais n’était pas reconnu au Canada. Il a ajouté que ses faibles compétences en lecture et en anglais constituent un obstacle à l’obtention d’une qualification et d’un emploi au Canada. J’admets que ses compétences en anglais sont inférieures à ce qui serait acceptable dans un rôle demandant beaucoup de communication.

[43] Les facteurs ci-dessus, y compris l’âge de l’appelant, donnent à penser que ses options de travail dans un contexte réaliste se limiteraient aux rôles qu’il a déjà occupés. Ces rôles comprennent des emplois relativement physiques comme le lavage de la vaisselle, le nettoyage et le travail en entrepôt. Cependant, je dois aussi tenir compte de ses limitations médicales.

[44] Les limitations physiques de l’appelant, comme son incapacité à marcher ou se tenir debout pendant de longues périodes, restreignent davantage sa capacité à trouver et conserver un emploi dans un contexte réaliste. Il laisse entendre qu’il aimerait essayer le travail sédentaire (en position assise), pour éviter son problème de ne pas pouvoir se tenir debout longtemps. Cependant, il n’est pas apte au travail sédentaire. Il n’a pas les compétences, la scolarité ou la capacité de communication qui lui permettraient de réussir dans un tel travail.

[45] Je vois des références répétées à l’incapacité de l’appelant à travailler à temps plein. Il pouvait travailler seulement des demi-journées en 2009Note de bas de page 31. Il a pu travailler à temps plein dans un entrepôt pendant un certain temps à partir de 2011, mais il a dit qu’un billet médical datant de 2013 le limitait au travail à temps partielNote de bas de page 32. Le Dr Salem a dit que sa capacité de travail était de 15 heures par semaine en octobre 2018 et de 12 heures par semaine pour des tâches légères en janvier 2021Note de bas de page 33. Le Dr Salem a aussi noté une déficience « majeure ou complète » pour le travail en janvier 2019Note de bas de page 34.

[46] Je conclus que l’appelant pouvait travailler dans un contexte réaliste au moins de la fin de 2016 à la date de l’audience. Cependant, il avait la capacité de le faire à temps partiel.

L’appelant a essayé de trouver et de conserver un emploi convenable

[47] Si l’appelant peut travailler dans un contexte réaliste, il doit démontrer qu’il a essayé de trouver et de garder un emploi. Il doit aussi démontrer que ses efforts ont échoué en raison de ses problèmes de santéNote de bas de page 35. Trouver et garder un emploi, c’est aussi se recycler ou chercher un emploi qu’il peut occuper avec ses limitations fonctionnellesNote de bas de page 36.

[48] L’appelant a fait des efforts pour travailler. Ces efforts montrent que son invalidité l’a empêché de gagner sa vie.

[49] Sa dernière tentative était un emploi comme plongeur dans un restaurant. Ce travail lui convenait, comme il l’avait déjà fait auparavant, et il n’exigeait pas beaucoup de communications. Il a commencé cet emploi en juin 2019. Il a cessé de travailler en février 2020. Il gagnait 15 $ l’heure. Il travaillait 3 jours par semaine, des quarts de travail de 6 heures maximum, pour un total de 16 heures par semaine.

[50] Pour laver la vaisselle, il était debout pendant tout son quart de travail. Lorsqu’il a commencé à travailler en juin 2019, il pensait pouvoir se tenir debout pendant 5 heures (3 jours par semaine). Cependant, il n’était plus capable d’assumer cette charge de travail réduite en février 2020. Il a dit qu’il était très occupé au travail : il avait très mal aux jambes et il ne pouvait pas répondre à la demande. Comme je l’ai mentionné, le Dr Salem a encore réduit sa capacité maximale à 12 heures par semaine en janvier 2021.

[51] J’admets que les efforts de l’appelant pour réussir dans ce travail étaient sincères. Je le crois quand il dit qu’il ne veut pas rester chez lui à ne rien faire. Il a également suivi une formation et fait du bénévolat (à temps partiel) avant d’être plongeurNote de bas de page 37.

[52] Je conclus que son invalidité était grave. Les efforts de l’appelant démontrent qu’à compter de juillet 2015, il ne pouvait régulièrement effectuer aucun travail lui permettant de gagner sa vie. Je vais maintenant expliquer comment je suis arrivé à cette date.

[53] L’appelant a cessé de travailler à l’entrepôt de X vers la mi-septembre 2014Note de bas de page 38. Il a dit que ses douleurs aux jambes l’empêchaient de travailler. Il avait aussi des problèmes avec son superviseur, qui faisait pression sur lui et lui disait d’être plus rapide. Il travaillait déjà à temps partiel. À l’audience, il a dit que sa capacité de travailler vers la fin de 2016 aurait été de 15 heures par semaine. Comme sa capacité de travailler s’est ensuite stabilisée pour plusieurs années et qu’il était incapable de travailler en septembre 2014, même à temps partiel, cette capacité à partir de septembre 2014 ne dépassait probablement pas 15 heures par semaine.

[54] Malgré tout, je dois tenir compte du fait que l’appelant a reçu des prestations régulières d’assurance-emploi pendant environ neuf mois après la fin de son travail chez X. Pour recevoir des prestations régulières d’assurance-emploi, il faut qu’une personne soit « capable de travailler et disponible pour le faireNote de bas de page 39 ». Je ne peux pas conclure que l’appelant avait une invalidité grave pendant qu’il recevait ces prestations. En tenant compte du bref délai de carence avant le début des prestations, je conclus qu’il aurait été atteint d’une invalidité grave au début de juillet 2015.

[55] L’appelant pouvait probablement travailler environ 15 heures par semaine, mais je juge qu’il était « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». En effet, en juin 2014, la loi a clarifié le sens de « véritablement rémunératrice ». Il s’agit d’une occupation qui rapporte au moins la somme annuelle maximale qu’une personne recevrait en pension d’invaliditéNote de bas de page 40. Cette somme aurait été de 15 175,08 $ en 2015 et de 15 489,72 $ en 2016.

[56] La capacité de l’appelant, qui est d’environ 15 heures par semaine, est un facteur essentiel. Si l’on compte au moins deux semaines de vacances, on arrive à un maximum de 750 heures par année. Je remarque qu’il a gagné 15 $ l’heure comme plongeur en 2019 et en 2020. Même avec ce salaire gonflé par l’inflation, il aurait été en mesure de gagner seulement environ 11 250 $ à partir de 2015. Ce chiffre est bien au‑dessous d’un niveau « véritablement rémunérateur ». Son salaire chez X était probablement inférieur à 15 $ l’heure. En effet, même l’année où sa rémunération a été la plus élevée (2013), il a gagné seulement 21 163 $, alors qu’il a travaillé à temps plein pendant un certain tempsNote de bas de page 41.

[57] Enfin, j’ai tenu compte du fait que l’appelant a suivi des cours et a fait du bénévolat après 2016. De 2015 à 2017, il a suivi un programme d’alphabétisation des personnes sourdes à un collège local. Il s’y rendait deux fois par semaine, pour deux heures à la fois. Sa formation sur le SIMDUT a compté environ 6 ou 7 jours de cours, répartis durant le mois de juin 2018. L’appelant a dit avoir été bénévole à la banque alimentaire pour 10 heures par semaine en 2018. Aucune de ces activités ne me convainc qu’il pouvait travailler plus de 15 heures par semaine dans un milieu concurrentiel. Je ne pense pas non plus qu’il puisse se recycler pour faire un travail sédentaire. Il aurait besoin de trop améliorer ses aptitudes linguistiques et de communication pour que ce soit possible.

[58] Comme j’ai conclu que l’appelant avait une invalidité grave à la fin de 2016, je dois maintenant vérifier si elle était aussi prolongée à cette date.

L’invalidité de l’appelant était-elle prolongée à la fin de 2016?

[59] L’appelant avait une invalidité prolongée à la fin de 2016.

[60] L’appelant est sourd de naissance. Il a une carence en vitamine B12 et une neuropathie au bas de la jambe depuis au moins le début de 2009Note de bas de page 42. Je conclus que son invalidité provient de l’effet combiné de ces problèmes de santé. Dans le cadre du présent appel, ses problèmes de santé ont donc commencé en janvier 2009. Ils durent depuis, et il est plus que probable qu’ils dureront indéfinimentNote de bas de page 43.

[61] En février 2019, le Dr Salem a déclaré que l’appelant avait une perte auditive de naissance. Le docteur a dit que la durée de ce problème de santé était indéfinie. On ne s’attendait pas à ce qu’un traitement change ou atténue sa surdité avec le tempsNote de bas de page 44.

[62] En janvier 2021, le Dr Salem a confirmé le diagnostic de surdité congénitale. Le Dr Salem a également confirmé ses douleurs neuropathiques chroniques au pied et sa carence en vitamine B12, des problèmes de santé interreliés. Le Dr Salem a dit que l’invalidité de l’appelant était de longue durée et que son pronostic était [traduction] « plutôt mauvaisNote de bas de page 45 ».

[63] En juin 2022, le Dr Salem a de nouveau confirmé les diagnostics de surdité congénitale et de neuropathie chronique qui affectaient des nerfs multiples. Il ne croyait pas que l’appelant serait capable de travailler dans un avenir rapprochéNote de bas de page 46.

[64] Toujours en juin 2022, le Dr Salem a écrit que des injections de vitamine B12 avaient [traduction] « légèrement amélioréNote de bas de page 47 » l’état de l’appelant. Cependant, le docteur a ensuite conclu que l’appelant ne pourrait pas travailler dans un avenir rapproché. J’accorde donc peu d’importance à cette amélioration apparente. Elle est trop petite pour avoir une incidence sur la conclusion qu’il a une invalidité prolongée.

[65] J’accorde peu d’importance à l’auto-évaluation de l’appelant, mais sa preuve correspond aussi à une invalidité prolongée. Selon lui, son état de santé est pire qu’en 2016. Maintenant, il a parfois des étourdissements et des nausées. Cette situation empire lorsque son diabète est difficile à contrôler. Il a aussi de graves maux de tête quand sa tension artérielle est élevée. Il dit que l’hypertension est liée au diabète. Il n’a pas encore eu à suivre un traitement invasif comme des injections d’insuline.

[66] Par conséquent, je suis convaincu que l’invalidité de l’appelant durera vraisemblablement pendant une période longue, continue et indéfinie. Elle est donc prolongée. Je conclus aussi que son invalidité est prolongée depuis au moins juillet 2015 (date à laquelle elle est devenue grave). Les problèmes de santé qui causent son invalidité existent depuis au moins janvier 2009. Au départ, il pouvait encore travailler à temps plein, mais il ne peut plus le faire depuis environ neuf ans. Ces dernières années, son état s’est peu amélioré.

Début du versement de la pension

[67] L’appelant avait une invalidité grave et prolongée en juillet 2015.

[68] Toutefois, le Régime de pensions du Canada précise qu’une personne ne peut pas être considérée comme invalide plus de 15 mois avant la date où le ministre reçoit sa demande de pension d’invaliditéNote de bas de page 48. Il y a ensuite une attente de 4 mois avant le versement de la pensionNote de bas de page 49.

[69] Le ministre a reçu la demande de l’appelant en avril 2020. Par conséquent, on considère qu’il est devenu invalide en janvier 2019.

[70] Le versement de sa pension commence en mai 2019.

Conclusion

[71] Je conclus que l’appelant est admissible à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité était grave et prolongée à la fin de 2016.

[72] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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