Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : JR c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 1333

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : J. R.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision datée du 17 février 2022 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Anne S. Clark
Mode d’audience : Sur la foi du dossier
Date de la décision : Le 30 novembre 2022
Numéro de dossier : GP-22-957

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] Le requérant, J. R., a droit à la révision de la décision rendue le 27 février 2020 au sujet de ses prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[3] Le requérant a demandé des prestations d’invalidité du RPC en octobre 2019. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande dans une décision rendue le 27 février 2020. Le requérant a demandé au ministre de réviser sa décision le 21 décembre 2021.

[4] Le 17 février 2022, le ministre a refusé de réviser sa décision. Il a dit que la demande de révision du requérant avait été soumise en retard.

Ce que je dois décider

[5] Je dois décider si la demande de révision du requérant est en retard.

[6] Si oui, je dois aussi décider si le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire (c’est-à-dire s’il a rendu correctement sa décision) lorsqu’il a refusé d’accorder plus de temps au requérant afin qu’il puisse demander la révision de la décision.Note de bas page 1

[7] Si le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire, je rendrai la décision qu’il aurait dû rendre. Ma décision portera sur la question de savoir si le requérant a une explication raisonnable justifiant son retard et s’il a démontré une intention continue de demander au ministre de réviser sa décision. Je me pencherai également sur la question de savoir si la demande de révision a une chance raisonnable de succès et si le fait d’accorder plus de temps causerait préjudice à une autre partie.

Motifs de ma décision

La demande de révision du requérant était en retard

[8] La demande de révision du requérant était en retard. Il a demandé au ministre de réviser sa décision du 27 février 2020 plus d’un an après le jour où le ministre lui en a parlé.

[9] Une partie appelante a 90 jours pour demander au ministre de réviser une décision.Note de bas page 2

[10] Si la partie appelante attend plus de 90 jours, sa demande de révision est considérée comme étant en retard.

[11] Je considère que le ministre a informé le requérant de la décision du 27 février 2020 au début du mois de mars 2020. Selon le requérant, c’est à ce moment-là qu’il a probablement reçu la décision.

[12] Le requérant affirme avoir reçu la décision du ministre lui refusant des prestations d’invalidité au début de la pandémie, alors il n’était pas certain de la façon de demander au ministre de réviser sa décision. Il pensait que le gouvernement faisait l’objet d’un [traduction] « confinement massif ». Il ne croyait pas pouvoir communiquer avec qui que ce soit au sujet de sa demande.

[13] Je considère que le requérant a demandé au ministre de réviser sa décision du 27 février 2020 plus d’un an après que le ministre lui en a parlé.

Ce qu’il faut considérer lorsqu’une demande de révision est en retard

[14] Le ministre peut réviser une décision même si la demande de révision est en retard. Pour que cela se produise, la loi prévoit qu’une partie requérante doit convaincre le ministre de deux choses. La partie requérante doit démontrer ce qui suitNote de bas page 3 :

  • elle a une explication raisonnable pour justifier son retard;
  • elle a toujours voulu demander au ministre de réviser sa décision, c’est ce qu’on appelle son « intention continue ».

[15] Si la partie requérante a demandé au ministre de réviser sa décision plus de 365 jours après que le ministre lui a communiqué par écrit la décision, la loi prévoit que la partie requérante doit aussi convaincre le ministre de deux autres choses. Elle doit démontrer ce qui suitNote de bas page 4 :

  • sa demande de révision a une chance raisonnable de succès;
  • le fait d’accorder plus de temps ne serait pas injuste envers une autre partie.

[16] En tout, le requérant doit remplir quatre critères. Par conséquent, si le requérant ne remplit pas l’un de ces quatre critères, on ne peut pas réviser la décision rendue par le ministre le 27 février 2020.

Le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire

[17] La décision du ministre d’accepter ou de rejeter une demande de révision tardive est une décision discrétionnaire. Le pouvoir discrétionnaire est le pouvoir de décider de faire ou non quelque chose. Le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.Note de bas page 5

[18] Si le ministre a fait l’une des choses suivantes, il n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaireNote de bas page 6 :

  • il a agi de mauvaise foi;
  • il a agi dans un but ou pour un motif irrégulier;
  • il a considéré un facteur non pertinent;
  • il a ignoré un facteur pertinent;
  • il a agi de façon discriminatoire (c’est-à-dire, injustement).

Le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire

[19] Le ministre a rejeté la demande de révision du requérant. Le ministre a dit que c’était parce que le requérant n’avait pas fourni d’explication raisonnable justifiant son retard. Il ajoute que le requérant n’a pas démontré qu’il avait toujours eu l’intention de demander la révision de la décision.Note de bas page 7

[20] Rien ne prouve que le ministre a agi de mauvaise foi, dans un but ou pour un motif irrégulier ou de façon discriminatoire.

[21] Cependant, le ministre a ignoré des facteurs pertinents. Cela signifie que le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire lorsqu’il a défini les critères que le requérant devait remplir. Je vais m’expliquer ci-dessous.

L’interprétation du ministre d’une « explication raisonnable » était trop étroite

[22] La loi prévoit que lorsqu’une partie requérante ne respecte pas le délai de 90 jours, le ministre doit vérifier si elle a une explication raisonnable justifiant son retard.Note de bas page 8

[23] Lorsqu’il a examiné si le requérant avait une explication raisonnable justifiant son retard, le ministre a été plus sévère que ce que la loi exigeait. Le ministre a conclu que le requérant n’avait pas d’explication raisonnable parce qu’il n’y avait aucune preuve montrant qu’il avait attendu de présenter sa demande de révision en raison d’un problème de santé ou de circonstances exceptionnelles.

[24] La division d’appel du Tribunal a traité auparavant ce type de situation. Par exemple, en avril 2021, elle a déclaré que des circonstances atténuantes ou exceptionnelles qui échappent au contrôle d’une partie appelante ne sont pas la même chose qu’une explication raisonnable.Note de bas page 9 La division d’appel a déclaré qu’imposer à une partie appelante un standard aussi élevé limiterait la capacité du décideur à tenir compte des autres explications courantes, comme la perte de courrier et les mauvais conseils. Je suis d’accord avec la division d’appel.

[25] Comme l’interprétation d’une explication raisonnable du ministre était trop sévère, il a ignoré les facteurs pertinents qu’il aurait dû prendre en considération.

L’interprétation d’une « intention continue » du ministre était trop sévère

[26] La loi prévoit que lorsqu’une demande de révision est présentée en retard, le ministre doit vérifier si la partie appelante a démontré qu’elle avait toujours eu l’intention de demander au ministre de réviser sa décision.Note de bas page 10

[27] En examinant si le requérant a démontré qu’il avait toujours eu l’intention de demander au ministre de réviser sa décision, le ministre a également été trop sévère. Le ministre a conclu que le requérant n’avait pas une intention continue parce qu’il n’a pas communiqué avec le ministre avant décembre 2021.

[28] Cela pose problème parce que cela sous-entend que le critère de l’intention continue ne peut être satisfait que si une partie requérante tient le gouvernement informé. C’est trop strict. Le fait de démontrer une intention continue ne signifie pas qu’une partie requérante doit tenir le gouvernement informé.

[29] Comme le ministre était trop sévère quant à ce qu’il considérait comme une intention continue, il a ignoré les facteurs pertinents qu’il aurait dû prendre en considération.

Que se passe-t-il lorsque le ministre n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire?

[30] J’ai conclu que le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. Par conséquent, je dois maintenant évaluer moi-même si le requérant devrait obtenir plus de temps.

[31] Si je conclus que le requérant devrait obtenir plus de temps, je dois alors renvoyer l’affaire au ministre et lui dire de réviser la décision rendue le 27 février 2020. Si je juge que le requérant ne devrait pas obtenir plus de temps, je dois rejeter son appel.

Le requérant répond aux quatre critères

[32] Le requérant a demandé au ministre de réviser sa décision plus d’un an après le jour où le ministre lui en a probablement parlé. Il doit donc démontrer qu’il répond aux quatre critères.Note de bas page 11 Le requérant satisfait aux quatre critères.

Le requérant a une explication raisonnable justifiant son retard

[33] Je conclus que le requérant a une explication raisonnable justifiant son retard. Il dit qu’il croyait que le gouvernement n’était pas en mesure d’accepter et de traiter les demandes. Sa confusion est raisonnable compte tenu de l’incidence de la pandémie sur les ministères et les services gouvernementaux. Il ne pensait pas pouvoir demander au ministre de réviser sa décision.

[34] Il affirme également que le processus judiciaire lui a causé de l’anxiété, ce qui a rendu difficile le traitement des documents. Il devait prendre des médicaments qui lui donnaient l’impression d’être [traduction] « engourdi ». Il n’était pas motivé et incapable de faire face à quoi que ce soit. De plus, il était préoccupé du fait que personne de Service Canada ne l’ait contacté pour s’informer de son état de santé.

[35] Il est facile de comprendre pourquoi le requérant se sentait mêlé par le processus judiciaire. De plus, il composait avec le fait que ses symptômes de santé mentale empiraient alors que les restrictions liées à la pandémie augmentaient. Il dit qu’il espérait que son état de santé s’améliore afin qu’il puisse retourner travailler. Cependant, ses symptômes n’ont pas été guéris et il avait de la difficulté à s’adapter à ses limitations.Note de bas page 12 L’explication qu’il a donnée pour son retard est raisonnable.

Le requérant a toujours voulu demander au ministre de réviser sa décision

[36] J’estime que le requérant a toujours voulu obtenir des prestations d’invalidité du RPC. En raison de ses symptômes de santé mentale et des restrictions liées à la COVID-19, il ne pensait pas pouvoir communiquer avec le ministre. Lorsqu’il a appris qu’il pouvait envoyer sa demande de révision au ministre, il l’a fait.  

[37] Il n’est pas logique de s’attendre à ce qu’il reste en contact avec le ministre alors qu’il croyait ne pas être en mesure de communiquer avec lui.

[38] Le requérant a démontré qu’il avait probablement l’intention de recevoir des prestations d’invalidité au cours du processus de révision.

Il y a une chance raisonnable de succès

[39] Une demande n’a aucune chance raisonnable de succès si elle est clairement vouée à l’échec, peu importe les éléments de preuve que la partie requérante peut présenter.Note de bas page 13

[40] La demande de révision du requérant porte sur sa demande de prestations d’invalidité du RPC et cette demande a une chance raisonnable de succès.

[41] Le requérant a demandé des prestations d’invalidité du RPC liées à sa santé physique et mentale.

[42] Il y a des éléments de preuve au dossier qui confirment que le requérant avait des problèmes de santé avant la fin de sa période de référence, soit le 31 décembre 2021. Il est possible qu’il y ait des éléments de preuve, y compris sa description de ses limitations, qui montreront qu’il avait une invalidité grave et prolongée au plus tard le 31 décembre 2021.

Accorder plus de temps au requérant ne causerait pas préjudice à une autre partie

[43] Le ministre est la seule autre partie au présent appel. Si je donne plus de temps au requérant pour demander au ministre de réviser sa décision, les intérêts du ministre seront quand même respectés.

Conclusion

[44] Le requérant répond aux quatre critères. Il a donc le droit de faire réviser la décision rendue par le ministre le 27 février 2020.

[45] Je renvoie donc l’affaire au ministre. Le ministre doit réviser sa décision du 27 février 2020.

[46] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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