Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : ML c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 992

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-617

ENTRE :

M. L.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Adam Picotte
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 13 novembre 2020
Date de la décision : Le 15 novembre 2020

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Décision

[1] La requérante est admissible aux versements d’une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) à partir de janvier 2019.

Aperçu

[2] La requérante a cessé de travailler en septembre 2018 après avoir reçu un diagnostic de cancer du sein et subi une double mastectomie. Il s’agissait de son deuxième diagnostic de cancer. Elle a eu son premier diagnostic à 27 ans. Le ministre a reçu la demande de pension d’invalidité de la requérante le 10 janvier 2019. Il a rejeté cette demande initialement et après révision. La requérante a fait appel de la décision de révision devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, la requérante doit satisfaire aux exigences énoncées dans le RPC. Plus précisément, elle doit être déclarée invalide au sens du RPC au plus tard à la date marquant la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA). Le calcul de la PMA est fondé sur les cotisations de la requérante au RPC. J’estime que la PMA de la requérante prendra fin le 31 décembre 2020. Étant donné que la PMA est à venir, j’ai limité mon examen de l’admissibilité au 13 novembre 2020, c’est-à-dire à la date de l’audience.

Questions en litige

[4] Le cancer du sein de la requérante a-t-il entraîné chez elle une invalidité grave qui la rendait régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice le 13 novembre 2020?

[5] Dans l’affirmative, l’invalidité de la requérante était-elle également d’une durée longue, continue et indéfinie en date du 13 novembre 2020?

Analyse

[6] Une personne est considérée comme invalide si elle est atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongéeNote de bas de page 1. Une personne est réputée avoir une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès. Il revient à la requérante de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son invalidité satisfait aux deux volets du critère. Ainsi, si la requérante ne satisfait qu’à un seul volet, elle n’est pas admissible aux prestations d’invalidité.

Invalidité grave

Est-ce que les limitations fonctionnelles de la requérante la rendent régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice?

[7] J’ai établi que la requérante est atteinte d’une invalidité grave. Le ministre a précisé que même si la requérante a certaines limitations fonctionnelles, ces dernières ne devraient pas la rendre incapable de détenir toute occupation véritablement rémunératrice. Cependant, je suis arrivé à une conclusion différente. Je présenterai ci-dessous les renseignements médicaux, les témoignages et le droit applicable qui m’ont aidé à arriver à cette conclusion.

[8] Je dois évaluer la gravité du critère dans un contexte réalisteNote de bas de page 2. Cela signifie que pour décider si l’invalidité d’une personne est grave, je dois tenir compte de facteurs tels que l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie.

[9] La requérante a cessé de travailler parce qu’elle a subi une double mastectomie suivie d’une reconstruction mammaire et de traitements de chimiothérapieNote de bas de page 3. Elle a précisé que depuis son opération et ses traitements, elle se sent léthargique et extrêmement fatiguée, et elle a des nausées. Elle manque d’énergie et est souvent essouffléeNote de bas de page 4.

[10] Dans un rapport médical daté du 28 janvier 2019, le Dr Kulkarni, oncologue, a indiqué que la requérante avait subi une mastectomie bilatérale. La requérante était fatiguée et ressentait des douleurs pour cette raisonNote de bas de page 5.

[11] J’ai posé des questions à la requérante sur la façon dont elle a vécu la fatigue et la douleur.

[12] Elle doit utiliser une attelle sur son bras, ce qui limite grandement sa mobilité au niveau du bras gauche.

[13] Elle m’a dit avoir eu quelques mauvaises infections du côté droit et que cela avait entraîné des lésions nerveuses. Elle ressent maintenant un certain inconfort ainsi qu’une douleur sourde et constante. Elle a de la difficulté à effectuer des tâches courantes. Par exemple, il lui est douloureux d’ouvrir un bocal ou de tourner sa main d’une certaine manière.

[14] La requérante m’a dit que ratisser les feuilles lui causait de la douleur. Après avoir fait cela, elle a dû se reposer pendant deux jours en raison de la douleur résiduelle qu’elle avait sous le bras droit.

[15] Elle m’a dit qu’elle ne pouvait plus marcher aussi longtemps qu’avant.

[16] Elle est constamment fatiguée, même si elle ne peut pas dormir la nuit. Elle m’a dit qu’elle ressentait une douleur au milieu de la poitrine lorsqu’elle montait les escaliers. Elle éprouve aussi une sensation de fatigue constante. Si elle fait une promenade, elle est limitée dans ses activités pendant les deux jours suivants. Elle se fait poser un implant dans son abdomen une fois par mois, ce qui la rend incapable de fonctionner pendant quatre jours.

[17] Une note de progrès datée du 18 octobre 2019 précisait que la requérante était atteinte de fatigue et de dépression importantesNote de bas de page 6.

[18] La requérante a indiqué qu’elle avait de bonnes et de mauvaises journées. Elle doit s’arrêter et prendre son temps pour accomplir ses tâches. Elle a déclaré qu’elle était très triste et déprimée en ce momentNote de bas de page 7. Sa dépression faisait en sorte qu’elle se sentait stressée et qu’elle avait du mal à se concentrer. Elle ne dormait pas bien et s’inquiétait beaucoup.

[19] Les notes au dossier de la requérante de 2018 à 2020 font état de plaintes constantes concernant l’anxiété et la dépression. Elle avait de la difficulté à dormir et à faire face à son diagnostic de cancerNote de bas de page 8.

[20] Dans une lettre datée du 22 juin 2020, le Dr Kulkarni a noté que la requérante continuait d’avoir des problèmes d’anxiété et de dépression liés à son diagnostic de cancerNote de bas de page 9.

[21] Pendant l’audience orale, j’ai demandé à la requérante de m’expliquer comment son bien-être psychologique avait été affecté par le cancer. Elle m’a dit que son traitement n’avait pas donné les résultats attendus. Elle a de la difficulté à faire face à cela. Elle a une prescription pour des antidépresseurs et des médicaments contre l’anxiété. Elle prend également des médicaments pour dormir.

[22] Elle m’a dit qu’elle vivait un moment difficile et qu’elle avait du mal à sortir du lit le matin. Elle ne peut pas se détendre mentalement.

[23] De plus, elle m’a dit qu’elle était constamment anxieuse. Elle est inquiète en permanence. Chaque fois que quelque chose ne va pas ou ne lui semble pas correct, cela la préoccupe énormément.

[24] La requérante m’a dit que ses relations interpersonnelles avaient été touchées. Elle est devenue solitaire et ne socialise plus avec ses amis. Elle a des amis qui essaient de prendre de ses nouvelles, mais elle est incapable de faire face à cela ou d’en parler.

[25] Elle m’a dit que son anxiété lui causait beaucoup de chagrin et qu’elle ne se sentait plus comme la personne qu’elle était auparavant.

[26] Elle m’a également dit qu’elle était constamment fatiguée. Elle se sent fatiguée tout le temps et a du mal à fonctionner à cause de cela. Elle m’a dit qu’elle allait dans un endroit très sombre mentalement. Elle n’a pas envie d’interagir avec le monde. Elle n’aime pas parler à qui que ce soit. Elle était très active avec sa famille et ses amis. Aujourd’hui, elle n’a plus envie d’être sociable ni même de quitter sa maison.

[27] En plus de son anxiété et de sa dépression, la requérante a également des difficultés de concentration importantes.

[28] La requérante m’a dit qu’elle avait du mal à se concentrer. Elle a des pertes de mémoire. Elle a aussi tendance à se renfermer sur elle-même à la maison; ce n’est pas le genre de personne qu’elle était. Elle perd de vue les tâches à accomplir et ne peut pas se concentrer pour faire quoi que ce soit. Elle est facilement distraite. Elle m’a dit que c’est presque comme un brouillard cérébral. Elle peut terminer une tâche, mais ne pas se rappeler l’avoir faite.

[29] Elle m’a dit que c’est la même chose avec son enfant. Elle doit tout écrire pour s’assurer de faire les choses correctement. Lorsque son enfant a eu une infection, elle a eu du mal à se souvenir de lui donner ses médicaments ou de ne pas lui en donner une dose excessive en raison de ses problèmes de concentration et de mémoire.

[30] Elle a un comportement obsessionnel compulsif. Elle doit vérifier à plusieurs reprises pour confirmer qu’elle a bien accompli ses tâches.

[31] J’estime que la requérante était honnête et sincère. Je n’ai eu aucune difficulté à accorder un poids important à son témoignage.

[32] La preuve médicale et le témoignage ont tous deux démontré l’existence d’une invalidité grave. La requérante est constamment déprimée et anxieuse. Elle est repliée sur elle-même et incapable de faire face aux activités quotidiennes requises pour fonctionner dans un milieu de travail. Elle est léthargique et fatiguée. Elle a du mal à se concentrer. Elle est obsédée par certaines tâches et oublie d’en faire d’autres.

[33] Essentiellement, elle est mal équipée pour exercer tout type d’emploi rémunérateur. Selon mon interprétation des faits, elle peut à peine faire face à sa situation, et peut encore moins chercher et conserver un emploi rémunéré. Je conclus donc qu’elle est atteinte d’une invalidité grave.

Invalidité prolongée

[34] Le Dr Kulkarni pensait que l’état de la requérante s’améliorerait dans les 6 à 12 mois suivant l’opérationNote de bas de page 10. Cependant, bien plus de temps s’est écoulé, et la requérante est toujours atteinte d’anxiété, de dépression, de fatigue, de douleur et d’un manque de concentration. Elle continue de prendre des médicaments et de suivre un traitement pour ces problèmes de santé. Il n’y a pas d’autre indication d’amélioration. Je conclus donc que l’invalidité est maintenant prolongée.

[35] La requérante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en septembre 2018, date à laquelle elle a cessé de travailler en raison de son cancer. Le versement des prestations commence quatre mois après la date du début de l’invalidité, soit à partir de janvier 2019Note de bas de page 11.

[36] L’appel est accueilli.

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