Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : AT c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 1273

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie demanderesse : A. T.
Représentante ou représentant : Chantelle Yang
Partie défenderesse : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Sandra Doucette

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 11 octobre 2022
(GP-21-966)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 20 juillet 2023

Personnes présentes à l’audience :

Partie appelante
Représentante de la partie appelante
Représentante de la partie intimée

Date de la décision : Le 14 septembre 2023
Date du corrigendum : Le 19 septembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-6

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. J’accorde à l’appelant une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

Aperçu

[2] L’appelant est un ingénieur qui a travaillé pendant longtemps. Il possède aussi une maîtrise en psychologie. En janvier 2018, il a subi une commotion cérébrale lors d’un accident de voiture. Après un congé de quelques jours, il a tenté de retourner au travail. Il a toutefois cessé de travailler un mois plus tard parce qu’il se sentait dépassé. Il n’est pas retourné travailler depuis. Il est maintenant âgé de 57 ans.

[3] En août 2019, l’appelant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Il a affirmé être incapable de travailler, car il était atteint du syndrome post-commotion cérébrale et d’un trouble de stress post-traumatique. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande après avoir établi que l’appelant n’était pas atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2021, soit la date qui met fin à sa période de protection contre l’invalidité du Régime de pensions du Canada.

[4] L’appelant a porté le refus du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par téléconférence, et elle a rejeté l’appel. Elle a conclu que, même si l’appelant [ne] pouvait plus travailler comme ingénieur, il était probablement capable d’occuper un emploi moins stressant.

[5] L’appelant a ensuite demandé la permission de porter la décision de la division générale en appel à la division d’appel. Plus tôt cette année, une de mes collègues à la division d’appel a accordé à l’appelant la permission de faire appel. Le mois dernier, j’ai tenu une audience pour discuter en détail de sa demande de prestations d’invalidité.

Questions préliminaires

Le présent appel était régi par de nouvelles règles

[6] Le 5 décembre 2022, les règles régissant les appels au Tribunal de la sécurité sociale ont changéNote de bas de page 1. Selon les nouvelles règles, si la division d’appel accorde la permission d’aller de l’avant, elle doit tenir une audience de novo (nouvelle audience) sur les mêmes questions que celles dont la division générale était saisie. Comme je l’ai expliqué au début de l’audience, cela veut dire que je ne suis lié par aucune des conclusions tirées par la division générale. J’ai également précisé que j’examinerais tous les éléments de preuve portés à ma connaissance, y compris les nouveaux éléments de preuve, pour savoir si l’appelant est devenu invalide pendant sa période de protection.

Les parties sont parvenues à une entente après l’audience

[7] Après l’audience, j’ai donné aux parties la permission de présenter des documents supplémentaires et je leur ai accordé un délai de réponse raisonnableNote de bas de page 2. Après avoir examiné la preuve présentée par l’appelant après l’audience, le ministre a reconnu que l’appelant était invalide pendant sa période de protection. Il a demandé qu’une conférence de règlement soit organisée pour discuter plus en détail de l’affaireNote de bas de page 3.

[8] À la conférence de règlement, les parties sont parvenues à une entente. Elles m’ont demandé de préparer une décision qui reflète cette ententeNote de bas de page 4.

Question en litige

[9] Pour avoir gain de cause, l’appelant doit prouver qu’il était plus probable qu’improbable qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée pendant sa période de protection. Les parties conviennent que la période de protection du requérant a pris fin le 31 décembre 2021Note de bas de page 5.

[10] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 6. Si la personne est régulièrement capable de faire un quelconque travail qui lui permet de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[11] Une invalidité est prolongée si elle doit durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 7. Pour être prolongée, l’invalidité du requérant doit l’obliger à quitter le marché du travail pendant très longtemps.

[12] Dans le présent appel, je devais décider si l’appelant est devenu invalide avant le 31 décembre 2021et s’il l’est toujours depuis.

Analyse

[13] Après avoir appliqué la loi à la preuve dont je disposais, j’ai conclu que l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2021. Je suis convaincu que les problèmes de santé mentale et psychologique de l’appelant ne lui permettent pas d’offrir un rendement régulier, ce qui est exigé dans un milieu de travail commercial.

L’invalidité de l’appelant est grave

L’accident de voiture de l’appelant a entraîné des déficiences importantes

[14] Avant son accident de voiture, l’appelant occupait un emploi exigeant comme gestionnaire de projet pour une entreprise d’ingénierie. Il a notamment supervisé des équipes multidisciplinaires d’ingénieurs et de concepteurs responsables de planifier et d’exécuter des projets industriels à grande échelle.

[15] Le 14 janvier 2018, alors qu’il conduisait, l’appelant a heurté un autre véhicule qui s’était soudainement arrêté devant lui sur une route. Il a subi un coup de fouet cervical à la tête et au cou, mais, à ce moment-là, ses blessures ne semblaient pas assez graves pour qu’il ait recours à des soins médicaux. Le lendemain, il est allé au travail, mais il n’était pas capable de lire et il ne pouvait pas se concentrer. Il a terminé sa journée de travail, puis il a consulté son médecin de famille, qui a établi un plan de traitement et l’a orienté vers une grande variété de thérapeutes et de spécialistes.

[16] Au cours du mois qui a suivi l’accident, l’appelant a continué d’essayer de travailler, mais il était incapable de composer avec les pressions de son emploi. Il présentait les symptômes suivants :

  • perte de mémoire à court terme;
  • incapacité de se concentrer;
  • anxiété et crises de panique;
  • maux de tête constants d’intensité variable;
  • nausées associées à l’anxiété et aux maux de tête;
  • insomnie;
  • fatigue diurne;
  • fluctuations de l’humeur.

[17] L’état de santé de l’appelant s’est amélioré grâce au traitement, mais il n’a plus les fonctions analytiques ou exécutives nécessaires pour faire son ancien travail. Plus précisément, ses déficiences cognitives et psychologiques le rendent régulièrement incapable de détenir un quelconque emploi véritablement rémunérateur.

Le rétablissement de l’appelant a probablement atteint un plateau

[18] À la suite de son accident, les premières perspectives de rétablissement de l’appelant étaient optimistes. En mars 2018, le Dr Wilson, son médecin de famille de l’époque, a déclaré que l’appelant [traduction] « faisait des progrès » et qu’il serait probablement de retour au travail dans un moisNote de bas de page 8. En juin 2018, le Dr Josephs, son neuropsychologue, s’attendait à ce que l’appelant retourne progressivement au travail d’ici l’automne : [traduction] « Bien que le pronostic d’une guérison complète soit bon, si un plan de retour au travail rigoureux n’est pas soigneusement respecté, son état peut régresser et il peut se sentir dépassé et fatigué »Note de bas de page 9.

[19] Ces rapports indiquent que l’état de santé de l’appelant était fragile dans les mois qui ont suivi son accident. Néanmoins, le Dr Josephs a continué de signaler des progrès [traduction] « lents »Note de bas de page 10. En janvier 2020, la compagnie d’assurances de l’appelant l’a dirigé vers Emma Haley, une ergothérapeute. Après évaluation, Mme Haley a conclu que l’appelant ne répondait pas aux exigences physiques, fonctionnelles ou cognitives nécessaires au poste d’ingénieur principal, soit l’emploi qu’il occupait avant d’être atteint d’une invaliditéNote de bas de page 11. Elle n’a pas fait de commentaires sur sa capacité à occuper un autre emploi, mais elle a fait les observations suivantes :

  • L’appelant a pu rester assis pendant 120 minutes et faire des activités nécessitant l’usage de ses bras pendant 60 minutes. Il a pu utiliser un ordinateur de bureau pendant 40 minutes, mais il a dit qu’il se sentait terriblement mal par la suite.
  • Les résultats des tests passés par l’appelant, plus précisément les tests portant sur vitesse de motricité visuelle et le temps de réaction, révèlent que son score se situe dans le décile le plus bas. Le résultat à l’indice d’efficacité cognitive (0,26) se situait tout juste au-dessus de « mauvais ».
  • La réponse de l’appelant au stress a été évaluée comme « grave » et sa fatigue a été évaluée comme « moyenne ».

[20] Mme Haley a conclu que l’appelant avait des limitations en raison de la fatigue, de la douleur, d’une surstimulation et de son fonctionnement cognitif. Elle a ajouté qu’elle avait parlé au Dr Josephs, et qu’il lui avait dit que le cerveau de l’appelant se remettait encore de la commotion cérébrale et que la guérison pourrait prendre de six mois à un anNote de bas de page 12.

[21] Toutefois, malgré l’estimation optimiste du Dr Joseph, la preuve médicale montre que l’appelant avait encore des symptômes découlant de sa blessure à la tête plus d’un an plus tard. Le Dr Wilson et la Dre Maleki, celle qui lui a succédé en tant que médecin de famille de l’appelant, ont documenté les problèmes de mémoire, d’anxiété et cognitifs de l’appelantNote de bas de page 13.

[22] En décembre 2020, la compagnie d’assurances de l’appelant a demandé une évaluation neuropsychologique indépendanteNote de bas de page 14. L’évaluatrice, la Dre Rachelle Dominelli, a conclu que l’appelant avait de fortes capacités de raisonnement, de fortes capacités mathématiques et de fortes capacités de perception visuelle, ainsi que des symptômes neurocognitifs et d’anxiété « légers ». Cependant, elle a également noté un [traduction] « niveau élevé de détresse associé à l’exécution de tâches exigeantes sur le plan cognitif ». Lorsqu’elle a répondu à la question portant sur la capacité de l’appelant à retourner travailler à un emploi où les exigences cognitives sont moins élevées, la Dre Dominelli a répondu que les perspectives de l’appelant étaient [traduction] « passables à bonnes » :

[traduction]
[L’appelant] a les capacités cognitives nécessaires pour occuper un autre emploi où les exigences cognitives sont moins élevées. Les facteurs qui empêchent actuellement son retour à un emploi rémunéré sont la fatigue, l’endurance et une tolérance limitée pour faire des tâches cognitives ou physiques ainsi qu’un niveau de détresse élevé lorsqu’il est confronté aux pressions liées au rendement et au respect des échéances. Ces problèmes persistants pourraient probablement entraîner une détérioration de son état dans un environnement de travail à l’heure actuelle. Si un traitement continu est suivi pour l’aider à soigner sa détresse psychologique persistante, à atteindre un sommeil profond et à avoir une meilleure endurance, il pourrait tenter un retour progressif à un autre emploi où les exigences cognitives sont moins élevées et où il peut travailler selon un horaire de travail flexible et à temps partiel.

[23] Ces nombreux facteurs donnent à penser que, malgré l’optimisme dont fait preuve la Dre Dominelli, elle ne pensait pas non plus qu’il était certain que l’appelant allait réussir à réintégrer le marché du travail, même à un poste au premier échelon.

[24] En avril 2022, soit plus de quatre ans après l’accident de l’appelant et seulement quelques mois après la fin de sa période de protection, le Dr Josephs a continué d’observer des progrès, bien que ces progrès étaient lents. Néanmoins, son pronostic autrefois positif avait évolué :

[traduction]
À ce stade-ci, je ne crois pas que le patient serait capable de composer avec les exigences et les pressions accrues d’un emploi. Il peut faire certaines tâches chez lui parce qu’il va à son propre rythme et il arrête quand il n’en peut plus, donc son horaire est très imprévisibleNote de bas de page 15.

[25] En tant que principal fournisseur de soins de santé de l’appelant, il est compréhensible que le Dr Josephs soit prédisposé à voir une amélioration continue de l’état de santé de son patient. Cependant, selon ses propres dires, une telle amélioration, s’il y en a eu, a été tout au plus modeste. Dans son plus récent rapport, le Dr Josephs concède que, plusieurs années après l’accident, l’appelant est incapable de composer avec les exigences et les pressions de son emploi précédent. C’est aussi le cas pour tout emploi dont l’horaire est prévisible.

[26] D’après ces éléments de preuve, je suis convaincu que l’état de santé de l’appelant avait effectivement atteint un plateau à la fin de sa période de protection.

Les déficiences de l’appelant l’empêchent d’offrir un rendement constant

[27] L’appelant est atteint d’anxiété et de déficiences cognitives qui résultent directement de son accident de voiture. La preuve indique que les problèmes de l’appelant sont principalement d’ordre mental et psychologique, mais ils ne sont pas moins invalidants pour autant. À l’audience, l’appelant a déclaré qu’il fait des crises de panique environ une fois par semaine, même s’il ne travaille pas. Il a dit que, comme ces crises sont déclenchées par des situations stressantes, il ne pourrait pas composer avec les exigences d’un emploi :

[traduction]
Je dois ralentir le rythme de mes activités. Je n’en suis pas au point où je pourrais postuler à un emploi dans la vente au détail, car je finirais par travailler pendant 20 minutes avant de devoir prendre une pause, et ensuite faire une crise de panique en raison de toute cette activité autour de moi, comme la musique, les personnes présentes et les demandes. Donc, plutôt que de devoir me mettre dans une situation qui entraîne une forte probabilité d’échec, je fais les choses à mon rythme à la maison pour voir si je peux augmenter mon enduranceNote de bas de page 16.

[28] Le témoignage de l’appelant sur ses limitations concorde avec deux rapports récents, qui ont été déposés après l’audience. Ces rapports ont été demandés par les services juridiques auxquels a recours l’appelant.

[29] Le Dr Jeremy Quickfall, neuropsychiatre, a diagnostiqué chez l’appelant un léger traumatisme cérébral, des symptômes post-commotion cérébrale persistants, un syndrome de stress post-traumatique partiel ainsi qu’une perturbation comportementale avec de l’anxiété. Le Dr Quickfall a observé un niveau de tolérance limité aux situations stressantes, au travail multitâche ainsi qu’aux tâches plus intenses liées à un travail exigeant sur le plan cognitif.

[30] Le Dr Quickfall a conclu qu’il était probable que l’appelant resterait invalide et qu’il ne pourrait pas occuper son emploi d’ingénieur électricien ou de gestionnaire de projet dans un avenir rapproché. Il a également jugé que la capacité de l’appelant à faire n’importe quel type de travail ou à accroître son niveau d’activité serait entravée par sa faible tolérance au stress, et que sa résilience avait été grandement affectée depuis l’accident :

[traduction]
Il continue de se sentir facilement dépassé et ses symptômes sont encore susceptibles de s’intensifier subitement... Avec un traitement médical additionnel, on peut raisonnablement s’attendre à une certaine amélioration de ses symptômes. Néanmoins, compte tenu du temps écoulé depuis l’accident, de ses symptômes récalcitrants et du degré élevé d’invalidité perçue, il est difficile de savoir si le traitement serait efficace. Il est aussi très peu probable que d’autres traitements permettent à [l’appelant] de retrouver son état d’avant l’accident ou même de s’en approcher. Par conséquent, il est fort possible que les déficiences qu’ont révélées les diagnostics posés à la suite de l’accident durent indéfiniment [mis en évidence par le soussigné]Note de bas de page 17.

[31] L’évaluation du Dr Quickfall renforce mon impression quant au fait que l’état psychologique particulier de l’appelant fait en sorte qu’il aurait de la difficulté à effectuer le type travail fiable auquel les employeurs s’attendent.

[32] Jessica Mullins, ergothérapeute, a évalué la capacité fonctionnelle de l’appelant au cours de deux séances qui ont eu lieu plus tôt cette annéeNote de bas de page 18. Elle a conclu que l’appelant présentait une gamme de limitations, en particulier une diminution de sa tolérance à des activités exigeantes sur le plan cognitif, démontrée par plusieurs symptômes, dont l’oubli, une moins bonne concentration, un processus de réflexion lent et une difficulté à trouver ses mots. Mme Mullins a jugé que l’appelant n’avait pas la capacité nécessaire pour retourner travailler et pour occuper un autre emploi, même de façon graduelle. Elle a ajouté ce qui suit :

[traduction]
Bien qu’il soit de nouveau capable de s’administrer ses soins personnels, de travailler dans la cour et de faire des tâches simples de gestion et d’entretien de la maison, il a besoin de plus de temps et de stratégies (ralentir son rythme) pour accomplir ces activités. Il a besoin de l’aide de sa femme et d’un soutien à domicile externe pour la majorité des tâches de gestion et d’entretien de la maison. Il a recommencé à faire des activités de loisirs sédentaires, mais il n’a pas été en mesure de reprendre toutes ses activités de loisirs de plein air. Il a besoin de beaucoup de temps chaque jour pour prendre part à des stratégies de gestion des symptômes... [mis en évidence par le soussigné]Note de bas de page 19.

[33] Encore une fois, il en ressort l’image d’une personne ayant des déficiences cognitives importantes qui l’empêchent d’accomplir ses tâches de façon fiable. Ces deux rapports récents concordent avec la conclusion du Dr Josephs, selon laquelle l’appelant aurait de la difficulté à composer avec les exigences d’un milieu de travail.

[34] J’ai pris soin de ne pas pénaliser l’appelant simplement parce qu’il a déjà occupé un poste de gestion dans lequel il était très fonctionnel et où il était capable de travailler sous pression. Il est tentant de conclure qu’une telle personne, même si son état est très fragilisé, doit être capable d’occuper un quelconque emploi « facile » ou peu stressant. Mais cela soulève une question : combien d’emplois de ce genre existent réellement dans le vrai monde, et non dans un monde imaginaire? Même les emplois de services au salaire minimum entraînent une certaine pression. Comme tout emploi, il y a des attentes auxquelles le personnel doit satisfaire, et le travail de la gestion est de faire en sorte que le personnel réponde à ces attentes.

[35] Selon la jurisprudence, la gravité d’une situation repose sur la capacité d’une partie prestataire à se présenter au travail et à accomplir ses tâches lorsque nécessaire et aussi souvent que nécessaire : « La prévisibilité est essentielle pour déterminer si une personne travaille régulièrement »Note de bas de page 20. Tout compte fait, la preuve dont je dispose semble indiquer que l’appelant n’est plus capable d’offrir une telle prévisibilitéNote de bas de page 21.

Le témoignage de l’appelant était crédible et convaincant

[36] L’appelant était un témoin sympathique et franc. Il a expliqué en détail comment il se sent souvent dépassé en raison de son anxiété et de sa dépression, ce qui l’empêche d’offrir le genre de rendement régulier et constant auquel les employeurs s’attendent. Il l’a déclaré à l’audience :

[traduction]
Généralement, je peux faire une activité cognitive, comme regarder mes factures, ou physique pendant environ 20 minutes, parfois plus longtemps. Je dois alors arrêter et me reposer. Je dois ralentir le rythme de mes activités, autrement je me surmène et je fais une crise d’anxiété ou une crise de paniqueNote de bas de page 22.

[37] Le fait que les antécédents de travail de l’appelant montrent qu’il a occupé divers emplois véritablement rémunérateurs pendant plus de 30 ans (depuis le milieu des années 1980) renforce sa crédibilitéNote de bas de page 23. La preuve montre que l’appelant a participé de façon motivée et résiliente au marché du travail pendant toute sa vie d’adulte, jusqu’à ce qu’il subisse une blessure importante à la tête cinq ans plus tôt. On peut raisonnablement supposer qu’une personne ayant ces antécédents professionnels n’aurait pas renoncé à travailler, à moins qu’il y ait une cause sous-jacente réelle.

L’appelant n’est pas capable de travailler lorsque l’on tient compte de son état global

[38] La principale décision portant sur l’interprétation du terme « grave » est la décision Villani. Dans cette décision, on dit que pour rendre une décision sur l’invalidité, le Tribunal doit examiner [traduction] « l’état global » de la partie appelante dans un contexte réaliste Note de bas de page 24 . L’employabilité ne doit pas être évaluée de façon abstraite, mais plutôt en tenant compte de « toutes les circonstances ». Il faut tenir compte des circonstances qui s’inscrivent dans les deux catégories suivantes :

  • Le profil de la personne, par exemple « son âge, son niveau d’éducation, ses capacités linguistiques, son expérience de travail et son expérience personnelle ».
  • L’état de santé de la personne. Un examen approfondi doit être mené, et l’état de santé de la personne doit être évalué dans son ensemble.

[39] Je ne pense pas que l’appelant ait quelque chose de plus à offrir à employeur dans un contexte réaliste. À 55 ans, on ne peut plus prendre en considération qu’il est jeune dans le cadre des conditions qu’il doit remplir pour recevoir des prestations. Il a une formation avancée et une riche expérience de travail, mais les compétences qu’il a acquises en cours de route ne sont d’aucune utilité s’il est incapable de composer avec les pressions quotidiennes qui accompagnent tout emploi. À l’audience, lorsqu’on lui a demandé s’il pouvait faire un travail moins difficile sur le plan cognitif, il a répondu :

[traduction]
Même une activité de saisie de données demande un minimum d’endurance. Et comme je dois ralentir mon rythme, je ne vois pas comment je pourrais être en mesure d’accorder l’attention nécessaire pour répondre à une attente raisonnable ou être capable d’occuper un emploi selon un horaire prévisible. De plus, si je fais une crise d’anxiété, mon niveau d’activité devient inexistant, car je dois presque uniquement être au repos pour essayer de récupérer. Selon la gravité de la crise, cela peut prendre des joursNote de bas de page 25.

[40] Je suis d’avis que l’appelant ne peut pas conserver un emploi et qu’il n’est pas non plus un candidat convenable pour se recycler. Je ne vois pas comment il peut réussir sur le marché du travail concurrentiel dans son état psychologique.

L’appelant n’a pas la capacité de trouver un autre emploi

[41] Dans une affaire appelée Inclima, on affirme que les personnes qui demandent des prestations d’invalidité et qui ont une capacité résiduelle doivent démontrer qu’elles ont fait des efforts raisonnables pour trouver un emploi et le conserver, mais que ces efforts ont été infructueux en raison de leur état de santéNote de bas de page 26. Dans la présente affaire, l’appelant n’avait pas la capacité résiduelle de faire de tels efforts. Pour cette raison, je ne tirerai aucune conclusion défavorable en l’absence de preuve montrant qu’il a fait une recherche d’emploi ou qu’il s’est informé au sujet des programmes de recyclage. L’appelant croyait sincèrement qu’il ne pouvait plus occuper aucun type d’emploi, et la preuve médicale le confirme.

L’appelant est atteint d’une invalidité prolongée

[42] Le témoignage de l’appelant, corroboré par les rapports médicaux, indique qu’il souffre d’anxiété, de dépression et du TSPT depuis son accident de voiture en janvier 2018. Il n’est effectivement plus employable depuis. Il est difficile de savoir si sa santé mentale s’améliorera de façon importante, même avec de nouveaux médicaments ou des thérapies non conventionnelles. Je suis d’avis que ces éléments laissent croire que l’invalidité de l’appelant est prolongée.

Conclusion

[43] Je conclus que l’appelant est invalide depuisjanvier 2018, soit la date à laquelle son accident de voiture est survenu. Comme le ministre a reçu sa demande de prestations en août 2019, l’appelant est considéré comme invalide à compter de mai 2018Note de bas de page 27. Par conséquent, la date de début de la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada de l’appelant est septembre 20198Note de bas de page 28.

[44] L’appel est accueilli.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.