Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Référence : JK c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 1056

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale Section de la sécurité du revenu

Décision

Appelant : J. K.
Représentant : Ashwin Ramakrishnan
Intimé : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision de la ministre de l’Emploi
et du Développement social datée du 29 mars 2022
(communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Shannon Russell
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 14 juillet 2023
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 31 juillet 2023
Numéro de dossier : GP-22-1067

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelant, J. K., est admissible à des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent en avril 2020. J’explique dans la présente décision pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelant, un homme âgé de 45 ans, a fait une crise cardiaque lorsqu’il était au début de la trentaine. C’était en 2011.

[4] Il travaillait alors comme estimateur sur le terrain pour un organisme d’évaluation municipale. À ce titre, il était souvent appelé à se déplacer. Son travail l’obligeait à se rendre chez les gens et à inspecter leur propriété. Les évaluations n’étaient pas prévues et ses visites prenaient donc les gens au dépourvu. Il arrivait parfois qu’en raison de ces visites non annoncées, les gens se fâchent contre lui et se montrent agressifs à son endroit. Après un certain temps, cela a eu des répercussions sur la santé mentale de l’appelant.

[5] Ce dernier est retourné au travail environ six semaines après avoir subi la crise cardiaque. Il a continué de travailler pendant de nombreuses années par la suite. Avec le temps, son état de santé mentale s’est aggravé. Il a donc postulé un poste d’estimateur de propriétés résidentielles. L’estimateur de propriétés résidentielles analyse les données pour déterminer la valeur d’une propriété à des fins fiscalesNote de bas de page 1.

[6] L’appelant a obtenu le poste d’estimateur de propriétés résidentielles. Cet emploi était censé être différent de son emploi d’estimateur sur le terrain parce qu’il devait s’agir d’un emploi de bureau. Or, son patron voulait qu’il fasse et le travail d’estimateur sur le terrain et celui d’estimateur de propriétés résidentielles. Sachant qu’il ne pouvait pas exercer les deux emplois, l’appelant a consulté son médecin de famille et a obtenu une lettre expliquant qu’il ne pouvait faire que le travail de bureau.

[7] L’appelant a occupé l’emploi de bureau pendant environ un an, mais son état de santé mentale ne s’est pas amélioré. Il a cessé de travailler en juin 2019 et il n’a pas travaillé depuis.

[8] L’appelant a demandé des prestations d’invalidité du RPC en mars 2021. Dans sa demande, il a dit qu’il ne peut pas travailler parce qu’en raison de sa dépression, de son anxiété et du stress, il n’a pas la capacité mentale nécessaire pour performer au travail et à la maisonNote de bas de page 2.

[9] Le ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre) a rejeté sa demande à l’étape de l’examen initial et à celle du réexamen. L’appelant a porté en appel la décision de révision du ministre auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[10] L’appelant affirme que son invalidité est grave et prolongée. Il ne peut pas reprendre son emploi habituel et il n’a pas la capacité d’occuper un autre type d’emploi. Il fait des crises de panique tous les jours, il supporte mal la présence d’autres personnes, il a des problèmes de mémoire et il peine à se concentrer. Même s’il obtenait un emploi, il ne serait pas un employé fiable. Il s’est conformé au traitement, mais son invalidité s’est simplement aggravée.

[11] Le ministre prend note du fait que l’appelant pourrait ne pas être en mesure de reprendre son emploi d’estimateur de propriétés résidentielles. Il estime toutefois que l’appelant devrait être en mesure d’accomplir un autre type d’emploi qui convient à ses capacités. Il affirme également que l’appelant n’a pas suivi toutes les recommandations de traitement qui lui ont été faites.

Ce que l’appelant doit prouver

[12] Pour obtenir gain de cause dans son appel, l’appelant doit prouver qu’il avait une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2021. Cette date est fondée sur ses cotisations au RPCNote de bas de page 3.

[13] Les mots « grave » et « prolongée » sont définis dans les dispositions législatives régissant le RPC.

[14] Une invalidité est grave si elle rend l’appelant régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 4.

[15] Cela signifie que je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelant dans leur ensemble pour voir quel effet ils ont sur sa capacité de travailler. Je dois également tenir compte de ses antécédents (notamment son âge, son niveau de scolarité, son expérience professionnelle et personnelle). C’est pour que je puisse avoir un portrait réaliste de la gravité de son invalidité. Si l’appelant est en mesure d’effectuer régulièrement un travail qui lui permettrait de gagner sa vie, il n’a pas droit à des prestations d’invalidité.

[16] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 5.

[17] Cela signifie que l’invalidité de l’appelant ne peut être assortie d’une date de rétablissement prévue. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche l’appelant de travailler longtemps.

[18] L’appelant doit prouver le bien‑fondé de ses prétentions. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. C’est‑à‑dire qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’il était invalide au 31 décembre 2021.

Questions que je dois examiner en premier

J’ai accepté des documents déposés tardivement

[19] La date limite de dépôt des documents était le 10 juin 2023Note de bas de page 6. Après la date limite de dépôt, chaque partie a déposé des documents supplémentaires.

[20] L’appelant a déposé des documents médicaux le 22 juin 2023Note de bas de page 7. Le ministre a déposé un addenda à ses observations écrites le 30 juin 2023Note de bas de page 8.

[21] Au début de l’audience, j’ai demandé au représentant de l’appelant d’expliquer pourquoi il n’aurait pas pu déposer les documents médicaux avant le 22 juin 2023. Il a expliqué que les membres du personnel de son bureau avaient commis une erreur en ne remarquant pas plus tôt que les documents ne figuraient pas au dossier. Il a dit qu’ils avaient corrigé l’erreur dès qu’ils avaient réalisé ce qui s’était passé. Il a souligné aussi que les documents déposés tardivement sont pertinents, car ils portent sur des traitements médicaux.

[22] J’ai dit à l’appelant et à son représentant que j’admettrais les documents déposés tardivement au dossier. J’ai expliqué que je le faisais principalement parce que les documents sont manifestement pertinents relativement à l’appel de l’appelant et parce que le ministre avait eu l’occasion de formuler des commentaires à leur égard avant l’audience.

Motifs de ma décision

[23] L’appelant avait une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2021. J’en suis arrivée à cette décision après avoir examiné les questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelant était-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelant était-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelant était‑elle grave au 31 décembre 2021?

[24] Oui. L’invalidité de l’appelant était grave au 31 décembre 2021. Voici pourquoi :

Je me concentre sur les limitations fonctionnelles et non sur les diagnostics

[25] L’appelant a reçu un diagnostic de trouble dépressif majeur, de trouble d’anxiété généralisée, de trouble d’adaptation, de trouble de consommation d’alcool et de trouble lié à la consommation de cannabis.

[26] Toutefois, je ne peux pas me concentrer sur ces diagnosticsNote de bas de page 9. Je dois plutôt me demander si l’appelant a des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vie à la fin de 2021Note de bas de page 10. Dans le cadre de cette démarche, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelant (pas seulement le problème principal) et réfléchir à leur incidence sur sa capacité de travaillerNote de bas de page 11.

L’appelant a des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travailler à la fin de 2021.

[27] La preuve révèle que l’appelant a des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travailler au 31 décembre 2021.

Ce que l’appelant dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[28] L’appelant admet que, d’un point de vue physique, son problème cardiaque ne l’empêche pas de travailler. Il affirme toutefois que son problème cardiaque joue un rôle dans son invalidité en ce sens qu’il mine son état de santé mentale.

[29] L’appelant affirme que ses problèmes de santé mentale ont entraîné des limitations fonctionnelles qui nuisent à sa capacité de travailler. Il dit ce qui suit :

  • Il a commencé à faire des crises de panique et à souffrir d’anxiété sociale lorsqu’il travaillait. Par exemple, il faisait des crises de panique au travail. Il lui est arrivé de devoir se ranger sur le bord de la route en se rendant en voiture vers un lieu de travail parce qu’il avait des crises de panique. Quand il a eu des crises de panique au bureau, il a dû s’allonger sur le sol.
  • Il éprouvait également des difficultés lorsqu’il n’était pas au travail. Par exemple, il en est arrivé à un point où il n’a plus été en mesure d’amener son jeune fils chez les Beavers. Même aller à la plage en famille le terrorisait.
  • Les crises de panique provoquent des symptômes qui imitent les symptômes d’une crise cardiaque. Il s’agit notamment d’essoufflement, de picotements dans les bras et les jambes et de battements cardiaques prononcés. Lorsqu’il se sent sur le point d’avoir une crise de panique, il craint qu’il s’agisse d’une autre crise cardiaque et l’inquiétude ne fait qu’intensifier la crise de panique.
  • Depuis qu’il a cessé de travailler, ses crises de panique n’ont fait qu’empirer. Il en a tous les jours. Elles sont paralysantes.
  • Il ne cesse d’avoir de mauvaises journées. Quand il se réveille le matin, tout ce qu’il ressent, c’est de la peur. Il n’a d’intérêt pour rien.
  • Il ne ressent plus aucune émotion. Par exemple, le chien de la famille âgé de 16 ans a dû être euthanasié récemment, et l’appelant n’en a ressenti aucune émotion.
  • Il ne va plus magasiner en raison de l’anxiété dont il souffre. Il a même de la difficulté à aller au parc avec ses enfants. Il fait le tour de la ville en voiture jusqu’à ce qu’il trouve un parc peu achalandé, car il supporte mal la présence d’autres personnes.
  • En raison de son incapacité à faire les choses qu’il était capable de faire, il ne se sent bon à rien, ressent de la culpabilité et est irritable.
  • Ses problèmes de santé mentale nuisent à sa mémoire, à sa concentration et à sa capacité de mener plusieurs tâches de front. Il a tout le temps des trous de mémoire.

Ce que la preuve médicale révèle au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelant

[30] L’appelant doit fournir une preuve médicale qui permet de conclure que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travailler au 31 décembre 2021Note de bas de page 12.

[31] La preuve médicale étaye les propos de l’appelant.

[32] En avril 2020, un psychiatre (Dr Saleh) a déclaré que, depuis la crise cardiaque qu’il a subie il y a environ 10 ans, l’appelant souffre d’une anxiété extrême et il a même des crises de panique lorsqu’il ressent des symptômes comme des battements cardiaques irréguliers ou des palpitations. De plus, et depuis plus de six mois avant la date à laquelle il a cessé de travailler, l’appelant a constamment les pensées qui défilent et éprouve des inquiétudes irrationnelles excessives qu’il a de la difficulté à maîtriserNote de bas de page 13.

[33] En juin 2021 (deux ans après que l’appelant a cessé de travailler), le médecin de famille de l’appelant (Dr Kielty) a déclaré que, malgré le counseling et les médicaments, l’appelant demeure gravement restreint. Le Dr Kielty a décrit les symptômes dépressifs de l’appelant comme étant graves et a noté que l’appelant avait de la difficulté à se concentrer et qu’il avait un trouble de la fonction exécutiveNote de bas de page 14.

[34] En août 2021, le Dr Kielty a noté que l’appelant était essentiellement « barricadé » dans sa maison et qu’il avait très peu d’interactions socialesNote de bas de page 15.

[35] En octobre 2021, la Dre Keezer, psychologue, a signalé que l’appelant avait terminé 11 des 12 séances de thérapie et qu’il ne progressait pas comme elle l’avait espéré. Elle a mentionné que des obstacles risquaient d’empêcher l’appelant de retourner au travail et qu’il aurait de la difficulté notamment :

  • à composer avec le niveau raisonnable de stress qu’un milieu de travail comporte;
  • à gérer les relations en milieu de travail, en particulier celles qui peuvent donner lieu à des critiques;
  • à surveiller et contrôler les réactions de stress, y compris le mécanisme de « combat ou fuite »;
  • à se concentrer et à se souvenir des tâches quotidiennes en situation de stress;
  • à concilier le stress à la maison et le stress dans sa vie professionnelleNote de bas de page 16.

[36] En décembre 2021, le Dr Kielty a signalé que les problèmes de santé mentale de l’appelant entraînent des déficiences graves en ce qui concerne le maintien des routines, les interactions sociales, la stabilité émotionnelle, les fonctions cognitives et le sommeil réparateur. Le Dr Kielty a également mentionné que l’appelant a des déficiences modérées en ce qui concerne ses soins personnels et sa mémoireNote de bas de page 17.

[37] En janvier 2022, le Dr Rasic a procédé à une évaluation psychiatrique indépendante. Au cours de cette évaluation, l’appelant a décrit ses problèmes d’inquiétude et de panique; ses problèmes de concentration et de maintien de l’attention; ses difficultés liées à la résistance et au rythme cognitifs; et ses difficultés liées aux situations interpersonnelles menant à des comportements d’évitement. Tout cela avait une incidence importante sur son fonctionnement. Le Dr Rasic a établi un diagnostic de trouble d’anxiété généralisé et de trouble dépressif majeur chronique de gravité modérée. En ce qui concerne les limitations précises, le Dr Rasic a affirmé que l’appelant a une capacité limitée pour ce qui estNote de bas de page 18 :

  • d’accomplir des tâches assorties d’échéances, de contraintes de temps ou d’exigences cognitives élevées;
  • d’accomplir des tâches nécessitant des contacts fréquents avec des collègues ou des clients en raison de leur sensibilité interpersonnelle;
  • d’accomplir des tâches où une concentration déficiente aurait une incidence importante sur le taux d’erreur;
  • de mener plusieurs tâches de front;
  • d’effectuer des tâches qui exigent de l’organisation.

[38] En mars 2023, le Dr Kielty a signalé que l’appelant a de graves déficiences en ce qui concerne notamment la concentration, la capacité de retenir de nouveaux renseignements, la capacité de mener plusieurs tâches de front, la prise de décisions, le respect des instructions, l’exécution de tâches domestiques, l’interaction avec les autres, la tolérance au stress et à la frustration et le fait d’être productif et ponctuelNote de bas de page 19.

[39] J’examinerai maintenant la question de savoir si l’appelant a suivi les conseils médicaux.

L’appelant a fait de grands efforts pour améliorer sa fonctionnalité

[40] Pour recevoir des prestations d’invalidité, la partie appelante doit suivre les conseils médicauxNote de bas de page 20. Si elle ne le fait pas, elle doit avoir une explication raisonnable. Je dois également examiner l’effet, le cas échéant, que les conseils médicaux auraient pu avoir sur l’invalidité de l’appelantNote de bas de page 21.

[41] Le ministre affirme que l’appelant n’a pas suivi les recommandations du Dr Rasic concernant les médicaments et la psychothérapie supplémentaire.

[42] En ce qui concerne les médicaments, le ministre souligne que le Dr Rasic a dit que les médicaments prescrits à l’appelant (sertraline et bupropion) sont des médicaments qui conviennent, mais que les doses sont faibles. Le Dr Rasic a recommandé de hausser la dose de sertraline à 200 mg par jour et celle du bupropion (Wellbutrin) à 450 mg par jour. Le Dr Rasic a également dit que si des doses plus élevées ne donnent aucun résultat, il y a d’autres médicaments qui peuvent être essayés, notamment l’aripiprazole (Abilify)Note de bas de page 22.

[43] Je prends note du fait que c’est ce que le Dr Rasic a recommandé. Toutefois, je ne peux conclure que l’appelant ne s’est pas conformé aux recommandations relatives aux médicaments.

[44] Premièrement, l’appelant a porté sa dose de sertraline de 50 mg à 100 mg. Il a également porté sa dose de bupropion de 150 mg à 300 mg. Ce sont les doses les plus élevées qu’il peut tolérer, selon son médecin de familleNote de bas de page 23.

[45] Deuxièmement, l’appelant a expliqué de façon raisonnable pourquoi il n’a pas été en mesure de hausser davantage la dose de bupropion. Il a expliqué que, lorsque sa dose de bupropion a été augmentée, il a reçu un appel du pharmacien (plus d’une fois), qui a exprimé des préoccupations au sujet de la dose plus élevée compte tenu des antécédents cardiaques de l’appelant.

[46] Troisièmement, l’appelant a également expliqué que certains médicaments et doses entraînaient des effets secondaires intolérables, comme des brûlures d’estomac débilitantes, une somnolence excessive et une faiblesse musculaire. L’appelant a ajouté qu’un autre médicament coûtait tout simplement trop cher. Ce médicament coûte environ 1 200 $ tous les trois mois.

[47] En ce qui concerne la thérapie, le ministre souligne que le Dr Rasic a recommandé une psychothérapie sous forme de séances structurées régulières au cours desquelles sont utilisées des stratégies cognitivo‑comportementales une fois par semaine. Le ministre admet que l’appelant a tenté de recourir à des séances de counseling supplémentaires après avoir consulté le Dr Rasic en janvier 2022. Toutefois, le ministre affirme que les efforts de l’appelant n’ont pas été suffisants parce qu’il n’a participé qu’à une thérapie de groupe et que, même dans ce cas, il a manqué trois séances sur sept. Le ministre affirme également que l’appelant s’est inscrit à un programme de gestion de la colère, mais qu’il n’a assisté à aucune de ces séances.

[48] Encore une fois, je prends note du fait que le Dr Rasic a effectivement recommandé davantage de psychothérapie. Toutefois, je ne partage pas les réserves du ministre au sujet de la conformité à ces recommandations.

[49] D’après la preuve, en 2022, l’appelant faisait la transition vers des programmes de soutien communautaire parce qu’il avait perdu ses prestations médicalesNote de bas de page 24. L’appelant a eu sa première consultation dans le cadre d’un programme de counseling en santé mentale pour adultes le 9 février 2022, moins d’un mois après sa consultation avec le Dr Rasic, ce qui est tout à son honneur.

[50] Lors de sa première consultation, l’appelant a dit en des termes clairs qu’il voulait des services individuels. Il ne semble toutefois pas qu’il se soit agi d’une option opportune pour lui, car la thérapeute a noté qu’elle avait discuté de la liste d’attente et de la liste de transfert avec l’appelant, après quoi ce dernier a accepté de s’inscrire à un groupe de soutien à venir pour les gens souffrant d’anxiété et de dépressionNote de bas de page 25.

[51] L’appelant a commencé à participer au programme de groupe en mars 2022Note de bas de page 26. Il ne s’est pas présenté à trois séances sur sept. Les raisons de son absence sont consignées dans les notes de la thérapeute. Elles étaient directement liées aux problèmes de santé mentale de l’appelant. Ainsi, les notes montrent que l’appelant a manqué l’une des séances (sa troisième classe) parce qu’il avait eu une très mauvaise journée. Il a donné à cette journée une note de 9+ sur 10Note de bas de page 27.

[52] Compte tenu de ces circonstances, j’estime que les séances manquées ne témoignent pas d’un problème de conformité. L’appelant a terminé le programmeNote de bas de page 28. De plus, peu après avoir terminé le programme, il a écrit à sa thérapeute et a posé des questions sur les séances de gestion de la colèreNote de bas de page 29. Cela témoigne d’un effort supplémentaire pour améliorer sa fonctionnalité.

[53] Le ministre a raison de souligner que l’appelant était inscrit au programme de gestion de la colère, mais qu’il n’a assisté à aucune séance. Encore une fois, je n’y vois rien de problématique. L’appelant s’est inscrit de sa propre initiative au programme de gestion de la colère. Aucun de ses médecins traitants ne lui a recommandé de le faire. De toute façon, l’appelant a fourni des explications raisonnables sur la raison pour laquelle il n’a pu participer à ce programme. Il a expliqué avoir raté les deux premières séances parce que son frère avait subi un accident mettant sa vie en danger et avait dû subir deux interventions chirurgicales au cerveau. L’appelant a dû conduire sa mère à l’hôpital dans une autre ville. Il a également fourni une explication raisonnable sur la raison pour laquelle il ne s’est pas présenté à la troisième séance. Il s’était simplement trompé sur l’heure de la séance. Il croyait que les séances se déroulaient en soirée plutôt qu’en matinée. Cela semble avoir été une erreur faite de bonne foi, car la preuve inclut un courriel qu’il a envoyé à sa thérapeute pour lui demander des renseignements sur les heures parce qu’il s’était connecté à la rencontre sur Zoom et qu’il ne se passait rienNote de bas de page 30.

[54] L’appelant m’a dit qu’après qu’il a manqué la troisième séance, sa thérapeute lui a dit qu’il ne pouvait pas poursuivre le programme. Il a eu l’impression que sa dernière interaction avec la thérapeute avait été très « froide » et, pour cette raison, il n’avait pu se convaincre de se réinscrire.

[55] Lorsque j’examine la preuve dans son ensemble, dans le contexte des problèmes de santé mentale de l’appelant, je conclus que l’appelant a fait des efforts importants pour améliorer sa fonctionnalité. Il a essayé plusieurs médicaments différents à des doses variables, il a subi deux évaluations psychiatriques et il a participé à une thérapie avec plusieurs thérapeutes, dont la Dre Ruth Parsons (de juin 2019 à février 2020)Note de bas de page 31, le Dr Quinlan (de février 2021 à avril 2021 environ)Note de bas de page 32 et la Dre Keezer (de juin 2021 à octobre 2021)Note de bas de page 33.

L’appelant a mis un terme à sa consommation excessive d’alcool et de cannabis

[56] En avril 2020, un psychiatre (Dr Saleh) a signalé que les diagnostics de l’appelant comprenaient un trouble lié à la consommation d’alcool (léger à modéré) et un trouble lié à la consommation de cannabis (léger à modéré)Note de bas de page 34.

[57] J’ai demandé à l’appelant s’il a encore des difficultés en ce qui concerne l’alcool et le cannabis, et il a répondu que non. Il a confirmé qu’il avait arrêté de consommer les deux en décembre 2021, à la naissance de sa fille.

[58] J’accepte le témoignage de l’appelant. Je le fais en sachant que cela correspond à ce que l’appelant a déclaré au Dr Rasic en janvier 2022.

L’appelant est incapable de travailler depuis 2019

[59] L’appelant n’a eu aucune capacité de travailler depuis qu’il a cessé de travailler en juin 2019.

[60] Premièrement, l’appelant est aux prises avec des limitations fonctionnelles importantes depuis qu’il a cessé de travailler. Il éprouve notamment des difficultés liées à la concentration, à l’apprentissage de nouvelles choses, aux interactions sociales, à la gestion du stress, à la capacité de mener plusieurs tâches de front et à la ponctualité. Il a de la difficulté à faire des activités courantes, comme magasiner ou emmener ses enfants au parc. En plus de tout cela, il lui arrive d’avoir des crises de panique qui sont à la fois imprévisibles et débilitantes.

[61] Deuxièmement, la psychologue de l’appelant et son médecin de famille ont dit qu’il ne pouvait pas travailler.

[62] En octobre 2021, la Dre Keezer a affirmé que l’appelant n’avait pas les compétences nécessaires pour réussir un retour au travail. Elle a expliqué que son niveau de fonctionnement actuel l’empêcherait de survivre à des niveaux « normaux » de stress en milieu de travail de façon adaptativeNote de bas de page 35.

[63] En décembre 2021, le Dr Kielty a signalé que l’appelant n’est pas commercialisable de façon concurrentielle auprès d’employeurs potentiels. Il a expliqué que l’appelant n’a pas réussi à atteindre un état fonctionnel qui lui permettrait de reprendre un emploi rémunérateurNote de bas de page 36. En avril 2022, le Dr Kielty a réitéré son opinion selon laquelle les problèmes de santé mentale de l’appelant l’empêchent de travaillerNote de bas de page 37. En novembre 2022, le Dr Kielty a ajouté que, compte tenu de la gravité des symptômes de l’appelant, ce dernier ne pourrait même pas travailler dans un rôle limitéNote de bas de page 38. Pas plus tard qu’en mars 2023, le Dr Kielty a confirmé que les limitations de l’appelant sont graves et qu’il ne peut pas travaillerNote de bas de page 39.

[64] Les opinions des Drs Keezer et Kielty méritent qu’on leur donne un certain poids. Les deux praticiens ont vu l’appelant à plusieurs reprises et sont donc bien placés pour se prononcer sur la capacité de travailler de l’appelant.

[65] Je passe maintenant à la question des soins aux enfants. L’appelant a trois enfants. Ils sont nés en avril 2013, en mai 2016 et en décembre 2021. L’appelant aide à s’occuper d’eux. Toutefois, rien dans la preuve n’indique que les soins fournis par l’appelant démontrent une capacité constante de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[66] L’appelant a expliqué qu’il ne peut s’occuper des enfants de façon fiable. Pour cette raison, sa conjointe ne travaille pas à l’extérieur de la maison depuis la naissance de leur bébé en décembre 2021. Au lieu de cela, elle travaille maintenant de la maison, 10 heures seulement par semaine ou à peu près. Elle planifie le gros de son travail de manière à pouvoir s’en charger lorsque le plus jeune fait la sieste. L’appelant a expliqué qu’ils font certaines autres choses pour faciliter ses journées. Ainsi, ils préparent des sandwichs le soir afin que l’appelant n’ait pas besoin de préparer les dîners de ses enfants le lendemain.

[67] Encore une fois, la capacité de l’appelant d’aider à prendre soin des enfants lorsqu’il est en mesure de le faire ne témoigne pas d’une capacité de travailler.

Certains facteurs jouent en faveur de l’employabilité de l’appelant

[68] Pour décider si l’appelant peut travailler, je ne peux pas examiner uniquement ses problèmes de santé et la manière dont ceux‑ci jouent sur ce qu’il peut faire. Je dois tenir compte également de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité, ses capacités linguistiques et son expérience professionnelle et personnelle. Ces facteurs m’aident à décider si l’appelant peut travailler dans un contexte réaliste, c’est‑à‑dire s’il est réaliste de dire qu’il peut travaillerNote de bas de page 40.

[69] Le représentant de l’appelant soutient que l’appelant n’a aucune compétence transférable et qu’il n’est pas employable dans un scénario réaliste. Je ne suis pas d’accord.

[70] En décembre 2021, l’appelant n’avait que 43 ans et son âge n’aurait donc pas été un obstacle à l’obtention et au maintien d’un emploi. Il reste encore de nombreuses années avant qu’il atteigne l’âge moyen de la retraite. L’appelant maîtrise l’anglais. Il a également une bonne éducation, car il a obtenu son équivalence d’études secondaires, a étudié la technologie du génie civil au collège pendant deux ans et détient un certificat du Institute of Municipal AssessorsNote de bas de page 41. À tout cela s’ajoutent ses antécédents professionnels dans le domaine de l’évaluation foncière. Son travail exigeait des déplacements, la prise de mesures, des interactions avec le public et du travail de bureau. Il est donc évident que l’appelant possède des compétences transférables.

[71] Malgré les facteurs qui jouent en faveur de l’employabilité de l’appelant, les problèmes de santé mentale de ce dernier l’ont rendu régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice depuis 2019.

L’invalidité de l’appelant était‑elle prolongée au 31 décembre 2021?

[72] Oui. L’invalidité de l’appelant était prolongée au 31 décembre 2021.

[73] En décembre 2021, le Dr Kielty a décrit les symptômes invalidants de l’appelant comme étant indéfinis, et il a signalé qu’il est peu probable que l’état invalidant de l’appelant s’améliore dans un délai raisonnable de façon qu’un retour réussi sur le marché du travail soit possible. Il a ajouté que l’appelant avait épuisé ses options de traitement sans succèsNote de bas de page 42.

[74] En janvier 2022, le Dr Rasic a noté que l’appelant présentait des symptômes importants depuis un certain temps, sans amélioration substantielle. Dans cette optique, et sachant qu’il y avait encore des options de traitement à essayer, il a décrit le pronostic de rétablissement comme étant raisonnableNote de bas de page 43.

[75] Malheureusement, les traitements que l’appelant a essayés après janvier 2022 n’ont pas amélioré considérablement sa fonctionnalité.

[76] En avril 2022, le Dr Kielty a signalé que l’invalidité liée à la santé mentale de l’appelant est prolongée en ce sens qu’elle est probablement de longue durée et d’une durée indéterminéeNote de bas de page 44.

[77] Un an plus tard à peu près, le Dr Kielty a écrit que la réponse de l’appelant au traitement n’a pas été bonne et que ses restrictions sont probablement permanentes. Le Dr Kielty a dit qu’il ne s’attendait pas à ce que l’appelant se rétablisse ou retourne au travailNote de bas de page 45.

Début des versements

[78] L’invalidité de l’appelant est devenue grave et prolongée en juin 2019, date à laquelle il a cessé de travailler.

[79] Toutefois, les dispositions législatives qui régissent le RPC prescrivent qu’à des fins de paiement, une personne ne peut être considérée comme invalide plus de 15 mois avant que le ministre reçoive sa demande de prestations d’invaliditéNote de bas de page 46. Par la suite, il y a un délai de carence de quatre mois avant le début des paiementsNote de bas de page 47.

[80] L’appelant a demandé des prestations d’invalidité en mars 2021. Cela signifie qu’il est considéré comme étant devenu invalide en décembre 2019 (15 mois avant mars 2021).

[81] Le paiement des prestations d’invalidité commence en avril 2020 (quatre mois après décembre 2019).  

Conclusion

[82] Je conclus que l’appelant a droit à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité était grave et prolongée au 31 décembre 2021.

[83] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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