Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : CD c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 1735

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Appelante : C. D.
Représentant : Joshua Pugen
Intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 3 mai 2022 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Shannon Russell
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 31 octobre 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Deux témoins de l’appelante
Date de la décision : Le 29 novembre 2023
Numéro de dossier : GP-22-1172

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante, C. D., a droit à des prestations d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements prennent effet en janvier 2021. J’explique dans la présente décision pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante est une femme de 40 ans qui travaillait auparavant dans une banque à titre de conseillère du service à la clientèle. Elle travaillait dans un milieu de type centre d’appels. Elle a commencé à travailler en août 2019 et a cessé en avril 2020 en raison de son anxiétéNote de bas de page 1. Elle a tenté de reprendre le travail en septembre 2020, mais elle y est parvenue pendant seulement quelques jours (du lundi au jeudi). Elle a demandé à son employeur si elle pouvait travailler à domicile, ce que son employeur lui a refusé. Elle a également demandé à son employeur si elle pouvait travailler à temps partiel, mais son employeur le lui a aussi refusé. Elle n’a pas travaillé depuis septembre 2020.

[4] L’appelante a demandé des prestations d’invalidité du RPC en mai 2021. Elle a mentionné dans sa demande qu’elle ne peut pas travailler en raison de l’anxiété, de la dépression et du trouble obsessionnel compulsif (TOC)Note de bas de page 2.

[5] Le ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre) a rejeté sa demande à l’étape de l’examen initial et à l’étape de la révision. L’appelante a porté en appel la décision de révision auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[6] Le représentant de l’appelante affirme que l’invalidité de l’appelante était grave et prolongée au 31 décembre 2022. Il souligne que le médecin de famille de l’appelante et un psychiatre indépendant ont tous deux affirmé que l’appelante ne peut pas travailler. Il ajoute que l’appelante s’est conformée aux recommandations de traitement. Malgré ses efforts, son état ne s’est pas assez amélioré pour qu’elle puisse travailler. Elle a une incapacité chronique de travailler depuis plus de trois ans.

[7] Le ministre affirme que la preuve ne démontre pas que l’appelante avait une invalidité au 31 décembre 2022. Il reconnaît que le médecin de famille de l’appelante a dit en mars 2022 que celle-ci ne peut pas travailler. Toutefois, le ministre affirme que le médecin n’a mentionné aucun changement dans le traitement depuis son rapport médical initial de juin 2021. Et ce, même si un spécialiste a affirmé en février 2022 que le traitement pourrait permettre une amélioration substantielle. Les notes cliniques du médecin de famille de mars 2022 à août 2022 font état de visites de routine pour une légère commotion cérébrale, une entorse à la cheville et des douleurs au pied (fasciite plantaire). Il n’a pris note d’aucune discussion au sujet des symptômes de santé mentale de l’appelante ou des mises à jour sur le traitement. Une note de la pharmacie de septembre 2022 confirme le traitement antidépresseur inchangé (Paxil) et mentionne que [traduction] « l’anxiété est contrôlée maintenant ». Plus récemment, en juin 2023, le médecin de l’appelante a noté une forte amélioration et un « meilleur contrôle » des symptômes du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) de l’appelante après le début de la prise des médicaments pour l’affection.

Ce que l’appelante doit prouver

[8] Pour obtenir gain de cause, l’appelante doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2022. Cette date est fondée sur ses cotisations au RPCNote de bas de page 3.

[9] Les mots « grave » et « prolongée » sont définis dans les dispositions législatives régissant le RPC.

[10] Une invalidité est grave si elle rend la partie appelante régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 4.

[11] Cela signifie que je dois examiner l’ensemble des problèmes de santé de l’appelante pour voir quel effet ils ont sur sa capacité de travailler. Je dois également tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité et son expérience professionnelle et personnelle. Ainsi, je pourrai obtenir un portrait réaliste de la gravité de son invalidité. Si l’appelante est en mesure d’effectuer régulièrement un travail qui lui permettrait de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[12] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 5.

[13] Cela signifie que l’invalidité de l’appelante ne peut être assortie d’une date de rétablissement prévue. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche l’appelante de travailler longtemps.

[14] L’appelante doit prouver le bien-fondé de ses prétentions. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle était invalide au 31 décembre 2022.

Questions de procédure

J’ai permis à l’appelante de déposer un document après l’audience

[15] Au cours de l’audience, j’ai noté que la preuve ne comprend pas un rapport du Dr Sadek, l’un des rares spécialistes de la santé mentale que l’appelante a vus. Le représentant de l’appelante a offert d’obtenir une copie du rapport et de l’envoyer au Tribunal après l’audience. J’ai accepté cette offre, car le Dr Sadek est un spécialiste qui avait évalué l’appelante avant le 31 décembre 2022. En outre, il avait formulé des recommandations de traitement. 

[16] Le représentant de l’appelante a déposé une copie du rapport du Dr Sadek le 7 novembre 2023Note de bas de page 6. J’ai transmis une copie du rapport au ministre et je lui ai donné l’occasion de le commenter. Le ministre a déposé ses observations écrites le 16 novembre 2023Note de bas de page 7.

[17] J’ai ensuite permis au représentant de l’appelante de déposer une réponse. Je l’ai fait parce que le représentant m’a dit à l’audience qu’il voulait avoir l’occasion de répondre aux observations du ministre après l’audience.

[18] Le représentant de l’appelante a déposé sa réponse le 24 novembre 2023Note de bas de page 8.

Motifs de ma décision

[19] L’appelante a démontré que son invalidité était vraisemblablement grave et prolongée au 31 décembre 2022.

L’invalidité de l’appelante était‑elle grave au 31 décembre 2022?

[20] Oui. L’invalidité de l’appelante était vraisemblablement grave au 31 décembre 2022. J’en suis arrivée à cette conclusion en tenant compte de plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci‑après.

Je me concentre sur les limitations fonctionnelles et non sur les diagnostics

[21] L’appelante a reçu un diagnostic de plusieurs problèmes de santé, dont la dépression, l’anxiété généralisée, le trouble panique, l’agoraphobie, le TOC, le TDAH et le syndrome post-commotion cérébrale.

[22] Toutefois, je ne peux me concentrer sur les diagnostics de l’appelanteNote de bas de page 9. Je dois plutôt me demander si elle avait des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vieNote de bas de page 10. Dans le cadre de cette démarche, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelante (pas seulement le problème principal) et réfléchir à leur incidence sur sa capacité de travailler au 31 décembre 2022Note de bas de page 11.

Ce que l’appelante dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[23] L’appelante a expliqué qu’elle éprouve des problèmes de santé mentale depuis longtemps. Selon elle, tout a empiré en 2020, au début de la pandémie.

[24] Invitée à décrire ses limitations fonctionnelles de décembre 2022 à aujourd’hui, l’appelante a répondu ce qui suit :

  • Sa dépression fait en sorte qu’elle ne profite pas de la vie comme avant. La dépression entraîne également un manque d’énergie et de motivation. Elle passe beaucoup de temps à dormir et souvent, elle ne se lève pas avant 14 h.
  • Elle subit de grosses crises de panique lorsqu’elle fait face à tout type de changement ou lorsqu’elle se trouve dans des endroits bondés. Sa présence dans un magasin comme Walmart lui occasionne des paumes moites, de forts battements de cœur, des bourdonnements dans ses oreilles, une incapacité à avoir les idées claires et la sensation de s’évanouir.
  • Elle éprouve beaucoup de difficulté à quitter sa maison. Elle ne quitte la maison qu’environ une fois par semaine et seulement pendant 20 à 30 minutes. Parfois, elle a besoin de prendre un comprimé de Lorazepam seulement pour pouvoir quitter sa maison. Le Lorazépam contribue à la calmer, mais n’a qu’un effet temporaire. Ce médicament ne l’aiderait pas à fonctionner dans un milieu de travail parce qu’il la rend somnolente.
  • Son partenaire la soutient beaucoup. Par exemple, il lui rappelle de prendre sa douche, l’aide à se motiver à nettoyer et fait l’épicerie.
  • Elle est atteinte d’un TSPT découlant d’une relation violente antérieure. Certaines choses peuvent déclencher un état de traumatisme ou flashbacks, y compris des bruits intenses ou soudains comme des cris. Cependant, elle peut parfois avoir des flashbacks sans aucun déclencheur.
  • Le TOC l’amène à vérifier des choses, notamment à s’assurer que le four est éteint. Sinon, elle n’a pas de rituels de comptage ou quoi que ce soit du genre.
  • Le TDAH fait en sorte qu’elle éprouve de la difficulté à terminer des projets. Elle compte actuellement environ huit projets en cours qu’elle n’a pas terminés. Par exemple, elle a peint un mur dans sa maison il y a environ sept mois, mais elle n’a pas encore remplacé les plaques-couvercles.
  • Elle a subi une commotion cérébrale lorsqu’elle est passée à travers une planche. Elle s’est alors cogné la tête sur le coin d’un support de scie à onglets. Depuis, elle a constaté qu’elle éprouvait de nombreux problèmes de mémoire et qu’elle ressentait des étourdissements, de la confusion et de la fatigue.
  • Elle pense que le TDAH peut également être à l’origine des problèmes de mémoire. Par exemple, elle ne se souvient pas des choses que son partenaire lui dit. De plus, son approvisionnement en eau a récemment été interrompu chez elle parce qu’elle a oublié de payer la facture.

Ce que le témoin de l’appelante dit au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelante

[25] La conjointe de l’appelante a témoigné à l’audience. Elle a dit qu’elle connaît l’appelante depuis sept ans. Elle a déclaré que, lorsqu’elle a rencontré l’appelante pour la première fois, elle n’avait pas remarqué que l’appelante éprouvait des problèmes de mémoire et d’attention. Toutefois, elle le remarque maintenant. L’appelante oublie ce qu’elle lui dit en peu de temps (deux heures). 

[26] La conjointe de l’appelante a déclaré que cette dernière souffrait d’anxiété lorsqu’elles se sont rencontrées, mais que ce n’était pas grave. Maintenant, c’est « très grave ». L’appelante est affectée au point où elle ne peut pas sortir.

[27] La conjointe de l’appelante a expliqué qu’elle travaille à temps plein à l’extérieur de la maison. Toutefois, en raison des limitations de l’appelante, elle accomplit la plupart des tâches ménagères. Par exemple :

  • Elle paie les factures.
  • Elle fait l’épicerie et va chercher les médicaments de l’appelante.
  • Elle prépare les repas et fait beaucoup de ménage.
  • C’est surtout elle qui s’occupe de leur fils. Elle va le reconduire et le chercher à la garderie.

[28] La partenaire de l’appelante ne pense pas que cette dernière ait des capacités fonctionnelles qui pourraient être compatibles avec sa capacité de travailler. La mémoire et l’attention de l’appelante [traduction] « sont tout simplement absentes ». Il est difficile pour l’appelante d’apprendre quelque chose. Elle est toujours à bout et est toujours [traduction] « sur le point de faire une crise de panique ».

Ce que la preuve médicale révèle au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelante

[29] L’appelante doit fournir une preuve médicale qui permet de conclure que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travailler au 31 décembre 2022Note de bas de page 12.

[30] La preuve médicale étaye pour une bonne part les propos de l’appelante.

[31] En décembre 2021, l’appelante a consulté un psychiatre (le Dr Sadek). Au cours de cette consultation, l’appelante a déclaré des symptômes de fatigue, de tension musculaire, d’agitation, de mauvaise concentration, de crises d’anxiété, d’oublis, de perte de plaisir dans les activités, d’inquiétudes incontrôlables excessives, de problèmes d’attention et d’irritabilité accrue. Le Dr Sadek a diagnostiqué un trouble anxieux généralisé et un TDAH probable. Il a recommandé que le Paxil prescrit à l’appelante soit augmenté à 20 mg et que l’appelante commence à prendre 30 mg de VyvanseNote de bas de page 13. 

[32] Le 3 février 2022, un autre psychiatre (le Dr Schaffer) a réalisé une évaluation médicale indépendante de l’appelante. Pendant la consultation, l’appelante a évalué l’intensité de ses symptômes dépressifs comme étant de 4 à 5 sur 10. Le Dr Schaffer a noté que les symptômes dépressifs de l’appelante comprennent une humeur irritable et rebelle (bien que l’irritabilité s’était améliorée), une anhédonie importante (incapacité de ressentir du plaisir), des larmes, de la difficulté à s’endormir, une faible énergie, une motivation considérablement réduite, de la difficulté à prendre des décisions, une diminution de l’attention et de la mémoire à court terme, ainsi que des sentiments de culpabilité et de frustration.

[33] En ce qui concerne les crises de panique, le Dr Schaffer a noté qu’elles ont commencé il y a environ 10 ans. Avant, elles étaient très fréquentes. Elles surviennent maintenant environ deux fois par semaine et durent environ 10 minutes. Elles peuvent se produire à l’improviste (sans déclencheurs). Les symptômes de panique comprennent une poussée de l’estomac à la tête, des extrémités froides et des sueurs, un essoufflement, une augmentation du rythme cardiaque, des vertiges, des étourdissements et un besoin d’échapper à la situation.

[34] Le Dr Schaffer a déclaré que l’appelante présente des caractéristiques claires de l’agoraphobie. Elle craint passablement de se retrouver en public et ne sort de chez elle qu’environ une fois par semaine. Elle craint notamment d’être infectée par le virus de la COVID-19, mais elle craint aussi directement de subir une crise de paniqueNote de bas de page 14.

[35] Le Dr Ghassemi est le médecin de famille de l’appelante depuis juillet 2020. Il a fourni des rapports sur l’invalidité de l’appelante. Il a également témoigné à l’audience.

[36] En mars 2022, le Dr Ghassemi a déclaré que la dépression de l’appelante entraîne une humeur dépressive, de la fatigue, de l’agitation, de l’irritabilité, de graves troubles de mémoire et de concentration, de l’anhédonie, des troubles du sommeil, un manque de motivation, de l’isolement et de l’évitement des milieux sociaux. Les symptômes d’anxiété font en sorte que l’appelante ressent des douleurs et une oppression thoraciques, rumine (longtemps et à répétition), subit des crises de panique dans des situations publiques, évite de quitter son domicile, ressent de l’instabilité émotionnelle et un sentiment d’anxiété lorsqu’elle répond au téléphone ou prend les transports en commun Note de bas de page 15.

[37] En juillet 2022, le Dr Ghassemi a noté que l’appelante est tombée et s’est cogné la tête le 25 juin 2022. Elle faisait état d’étourdissements, de déséquilibre, de pertes de mémoire, de bourdonnements dans les oreilles et de difficultés de concentration. Le Dr Ghassemi a diagnostiqué une commotion cérébrale légère, a commandé un tomodensitogramme du cerveau et a aiguillé l’appelante vers un neurologueNote de bas de page 16.

[38] Le 3 octobre 2022, le Dr Ghassemi a écrit que l’anxiété et les symptômes de TDAH de l’appelante ne sont pas bien contrôlés. Sa capacité d’attention diminue, elle se montre parfois impulsive, est désorganisée et éprouve des problèmes d’établissement des priorités, de mauvaise gestion du temps, de concentration sur une tâche et de suivi des tâches. De plus, elle éprouve de la difficulté à accomplir plusieurs tâches à la fois. Le Dr Ghassemi a prescrit 30 mg de Vyvanse, comme l’a recommandé le Dr SadekNote de bas de page 17.

[39] Le 30 octobre 2022, le Dr Ghassemi a écrit que, depuis la blessure à la tête de l’appelante subie en juin 2022, celle-ci ressentait des maux de tête continus, de la pression derrière les yeux, une vision trouble, un brouillard cérébral continu et une mémoire et une concentration déficientes. Elle faisait aussi des chutes en raison d’un équilibre déficientNote de bas de page 18.

[40] L’appelante a consulté un neurologue (le Dr Douglas) en février 2023. Lors de cette consultation, l’appelante a décrit des symptômes de maux de tête continus, d’acouphènes, de photosensibilité, de difficulté à se rappeler, de pression crânienne, de diplopie (vision double), d’étourdissements et de troubles de l’équilibre. Elle avait chuté à plusieurs reprises. Le Dr Douglas a dit qu’un tomodensitogramme de la tête était normal. Il croyait que l’appelante avait probablement subi une commotion cérébrale et avait un syndrome post-commotion persistant par la suite. Il a dit que les maux de tête intermittents continus et la photophobie étaient liés à la blessure à la tête parce qu’elle n’avait pas ces symptômes avant la blessure. Toutefois, il n’était pas certain que la blessure à la tête expliquait tout à fait ses autres symptômes subjectifs de difficultés cognitives et de déséquilibre. Selon lui, certains de ces symptômes pourraient être liés à l’anxiétéNote de bas de page 19. 

[41] En mai 2023, un thérapeute en counseling agréé (Daniel Vanderlans) a effectué une évaluation complète de la santé mentale de l’appelante. M. Vanderlans a dit être convaincu que l’appelante est atteinte d’un TSPT, tout en reconnaissant que le diagnostic officiel dépasse le cadre de sa pratique. Il a résumé les antécédents traumatisants de violence de l’appelante et a expliqué que selon lui, son expérience de travail traumatisante en 2020 a exacerbé son TSPT et l’a amenée à devenir dysfonctionnelle au travail et à la maison. M. Vanderlans a ajouté qu’à son avis, le TSPT est grave et débilitant en soi. Selon lui, l’appelante ne peut conserver un emploi. Il a expliqué qu’elle pourrait parvenir à traiter son anxiété et son TDAH dans une certaine mesure au moyen de médicaments et de counseling, mais que son TSPT est débilitantNote de bas de page 20.

[42] À l’audience, le Dr Ghassemi a déclaré que le problème principal qui empêche l’appelante de travailler est l’anxiété liée aux crises de panique. Ses principaux symptômes sont les tremblements, les battements de cœur, l’essoufflement et la difficulté à se concentrer. Le Dr Ghassemi a expliqué que l’appelante est incapable de composer avec des situations stressantes, comme le fait de se retrouver dans un milieu de travail. Il a également dit qu’elle éprouve de la difficulté lorsqu’elle se retrouve dans des endroits bondés et dans des situations nouvelles. Ses symptômes s’aggravent lorsqu’elle est confrontée à la nouveauté.

[43] J’examinerai maintenant la question de savoir si l’appelante a suivi les conseils de ses médecins.

L’appelante n’a pas suivi le traitement de façon idéale

[44] Pour recevoir des prestations d’invalidité, la partie appelante doit suivre les conseils des médecinsNote de bas de page 21. Si elle ne le fait pas, elle doit avoir une explication raisonnable. Je dois également examiner l’effet, le cas échéant, que les conseils des médecins auraient pu avoir sur l’invalidité de l’appelanteNote de bas de page 22.

[45] Le ministre affirme que l’appelante n’a pas optimisé le traitement. Le ministre souligne que le Dr Schaffer a formulé des recommandations de traitement qui n’ont pas été suivies. Le ministre laisse également entendre que ces traitements auraient fait une différence parce que le Dr Schaffer a expliqué que le traitement de l’appelante pourrait améliorer considérablement son état. 

[46] Le représentant de l’appelante affirme que celle-ci a essayé tous les modes de traitement recommandés, y compris le Paxil, le Lorazepam, l’Effexor, le Cipralex et la psychothérapieNote de bas de page 23. Il ajoute que l’appelante a des antécédents de trouble lié à la consommation de substances et qu’elle craint donc de devenir dépendante. C’est la raison pour laquelle elle n’a pas pris le médicament prescrit pour le TDAH lorsqu’il a été recommandéNote de bas de page 24.

[47] À mon avis, l’appelante n’a pas respecté les recommandations de traitement de façon idéale. Par exemple, le Dr Sadek a prescrit Vyvanse pour le TDAH en décembre 2021. L’appelante n’a pas commencé à en prendre avant juin 2023 environNote de bas de page 25. En février 2022, le Dr Schaffer lui a recommandé d’augmenter sa dose de Paxil et il a expliqué que les patients qui présentent des symptômes d’anxiété et de panique ont souvent besoin d’une dose supérieure à 20 mg. L’appelante n’a augmenté sa dose qu’en novembre 2022Note de bas de page 26. 

[48] Malgré mes préoccupations, j’hésite à conclure que l’appelante ne s’est pas conformée aux recommandations.

[49] Premièrement, il a fallu du temps, mais l’appelante a fini par essayer le Vyvanse et un dosage accru de Paxil.

[50] Deuxièmement, l’appelante a arrêté de prendre le Vyvanse parce qu’elle avait des palpitations cardiaques et des étourdissements. Il s’agit d’une explication raisonnable pour ne pas poursuivre la médication. On ne sait pas exactement ce qui s’est passé avec le Paxil 30 mg. L’appelante a affirmé catégoriquement qu’elle prenait 30 mg de Paxil depuis 7 mois et qu’elle venait de commencer une ordonnance de 40 mg la semaine dernière. Toutefois, le Dr Ghassemi a déclaré que la dose actuelle de Paxil de l’appelante est de 20 mg. Il a dit qu’il lui avait prescrit 30 mg en novembre 2022. Cependant, par la suite, l’appelante lui a mentionné qu’elle voulait revenir à 20 mg. Bien que les éléments de preuve contradictoires suscitent une certaine perplexité, rien n’est vraiment pertinent parce que d’une façon ou d’une autre, les éléments de preuve montrent que l’appelante a essayé une dose plus élevée de Paxil.

[51] Troisièmement, et c’est peut-être l’élément le plus important, le médecin de famille de l’appelante a adopté une approche plutôt passive à l’égard du traitement de l’appelante. Par exemple, à l’audience, questionné au sujet des médicaments et des doses, le Dr Ghassemi a répondu que [traduction] « la décision revient au patient » et qu’il [traduction] « se conforme à ce que le patient dit » sur la façon dont le médicament l’affecte et ce qu’il peut tolérer. En ce qui concerne la thérapie, le Dr Ghassemi a reconnu qu’il serait utile que l’appelante consulte un psychologue. Il a cependant affirmé qu’elle n’a pas de couverture médicale pour cela.

[52] Dans ce contexte, où l’appelante est aux prises avec des problèmes de santé mentale qui nuisent à sa motivation et où son médecin de famille ne semble pas l’encourager activement à en faire plus, je ne peux conclure que l’appelante ne se conforme pas aux recommandations de traitement.

L’appelante n’avait pas la capacité de travailler au 31 décembre 2022

[53] La preuve démontre que l’appelante n’avait vraisemblablement pas la capacité de travailler au 31 décembre 2022. Voici pourquoi.

L’appelante a des limitations fonctionnelles importantes

[54] Les problèmes de santé de l’appelante n’entraînent pas tous des limitations fonctionnelles qui auraient nui à sa capacité de travailler au 31 décembre 2022. Par exemple, je ne crois pas que le TOC l’ait touchée de façon importante. Je ne crois pas non plus que ses autres affections, comme la lordose, la fasciite plantaire et les maux de tête, auraient rendu le travail difficile. Aucune limite n’a été relevée pour la lordose ou la fasciite plantaire. En ce qui concerne les maux de tête, le Dr Douglas a déclaré en février 2023 que l’appelante traitait raisonnablement bien ses maux de tête intermittents et qu’elle prenait rarement du Tylenol en vente libreNote de bas de page 27.

[55] Toutefois, l’appelante a des limitations fonctionnelles importantes en raison de ses problèmes de santé mentale et peut-être du syndrome post-commotion cérébrale. Je dis « peut-être », car la source précise des limitations fonctionnelles est compliquée parce qu’il y a tellement de chevauchement des symptômes entre les divers problèmes de santé de l’appelante. Malgré tout, je crois qu’il est juste de dire que la plupart des limitations découlent des problèmes de santé mentale de l’appelante. Selon M. Vanderlans, ces problèmes nuisent énormément à la capacité de l’appelante de penser et de fonctionner de manière saine et productiveNote de bas de page 28.

[56] L’appelante éprouve de la difficulté à quitter son domicile, sans plus. Elle a aussi des problèmes de mémoire, ressent un manque d’énergie, de la fatigue, un manque de motivation, de l’anxiété et subit des crises de panique. L’appelante compte beaucoup sur sa partenaire pour des tâches quotidiennes comme l’épicerie et des rappels de prendre soin de son hygiène personnelle. Il importe également de mentionner que l’appelante a un jeune fils qui est né en janvier 2022. Cependant, depuis sa naissance, elle a dû compter sur d’autres personnes pour prendre soin de lui pendant que sa partenaire est au travail. Lorsque sa partenaire est à la maison, elle (la partenaire) accomplit la plupart des tâches nécessaires aux soins de leur fils, bien que l’appelante apporte son aide comme elle peut.

[57] Le ministre affirme que l’appelante est capable de travailler parce qu’elle a été en mesure de travailler pendant près de 20 ans avec ses problèmes par le passé et parce que le Dr Sadek n’a pas mentionné de déficiences graves liées à ses symptômes de santé mentale.

[58] Cet argument ne me convainc pas.

[59] Premièrement, la preuve montre que les problèmes de santé de l’appelante se sont aggravés en raison du stress causé par la pandémie. Elle n’a jamais retrouvé son niveau de fonctionnement d’avant la pandémie.

[60] Deuxièmement, il importe peu que le Dr Sadek n’ait pas expressément qualifié quelque déficience que ce soit de grave. La loi n’exige pas qu’une déficience soit grave. L’accent est plutôt mis sur la façon dont les déficiences ou les limitations influent sur la capacité de travailler de l’appelante. 

Deux professionnels de la santé mentale ont dit que l’appelante ne peut pas travailler

[61] Deux professionnels de la santé mentale ont affirmé que l’appelante ne peut pas travailler. Le Dr Schaffer l’a dit en février 2022Note de bas de page 29, et M. Vanderlans l’a affirmé en mai 2023Note de bas de page 30. Aucun autre spécialiste au dossier n’a dit que l’appelante pouvait travailler. Les autres spécialistes, le Dr Sadek et le Dr Douglas ne se sont pas prononcés sur la capacité de travailler de l’appelante.

Le médecin de famille de l’appelante a dit qu’elle ne peut pas travailler

[62] Le médecin de famille de l’appelante a également déclaré que l’appelante ne peut pas travailler. Il l’a affirmé en juin 2021 et en mars 2022. Il l’a également dit à l’audience. Selon ce qu’il a déclaré, ce sont principalement l’anxiété et les crises de panique qui empêchent l’appelante de travailler. Il a expliqué qu’en raison de ces affections, l’appelante ne peut pas faire face à des situations stressantes comme un milieu de travail. Il explique aussi que des zones bondées et de nouvelles situations aggravent son état.

[63] Le Dr Ghassemi a affirmé que l’appelante ne peut pas travailler. Cependant, il a également déclaré que comme l’appelante n’a pas travaillé depuis longtemps, elle devrait peut-être effectuer maintenant une nouvelle tentative. Il a ajouté que si elle essayait de nouveau, son poste devrait être peu exigeant et comporter peu de stress. Selon moi, sa déclaration ne signifie pas que l’appelante a recouvré sa capacité de travailler. Tout au plus, le commentaire du Dr Ghassemi révèle peut-être qu’il n’est pas certain que l’appelante puisse fonctionner dans un type particulier de milieu de travail.

[64] Le ministre souligne que le Dr Ghassemi a parfois noté que les symptômes de l’appelante sont bien contrôlés ou partiellement contrôlés. J’ai interrogé le Dr Ghassemi à ce sujet à l’audience. Il a expliqué que si l’appelante se trouve dans un environnement calme et sans beaucoup de stress, ses symptômes sont très contrôlés. Toutefois, le stress affecte à la fois son humeur et son anxiété. Par exemple, si elle devait commencer un nouvel emploi, elle aurait de la difficulté à se concentrer, elle aurait des tremblements et elle éprouverait de la difficulté à rester calme.

Les recherches d’emploi de l’appelante ne signifient pas qu’elle a une capacité de travailler

[65] L’appelante m’a dit qu’elle avait postulé des emplois de type centre d’appels qui lui permettraient de travailler à domicile. Elle n’a toutefois pas réussi à passer une entrevue. Dans un cas, elle a raté l’entrevue parce qu’elle dormait. Dans un autre cas, elle ne pouvait pas répondre au téléphone. C’était à cause de son anxiété.

[66] L’appelante a reconnu qu’elle continue de chercher du travail qu’elle peut effectuer depuis son domicile. Cela pourrait donner l’impression que l’appelante pense qu’elle peut travailler. Toutefois, je ne crois pas que ce soit le cas. M. Vanderlans a déclaré que l’appelante est désespérée de retourner au travail, mais il a expliqué que c’est parce que ses symptômes, comme la honte irrationnelle et la culpabilité, ont faussé ses perceptions au point où elle se sent [traduction] « accablée » d’être au travail, malgré ce que son corps lui dit au sujet de son manque d’employabilité. Il a également expliqué qu’un retour au travail, même dans un environnement occasionnel et sporadique, causerait en fin de compte plus de souffrance à l’appelanteNote de bas de page 31.

Les facteurs favorables à l’employabilité de l’appelante ne signifient pas qu’elle peut travailler

[67] Lorsque je décide si l’appelante peut travailler, je ne peux pas simplement examiner ses problèmes de santé et leur incidence sur ce qu’elle peut faire. Je dois tenir compte également de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité, ses capacités linguistiques et son expérience professionnelle et personnelle. Ces facteurs m’aident à décider si l’appelante peut travailler dans un contexte réaliste, c’est-à-dire s’il est réaliste de dire qu’elle peut travaillerNote de bas de page 32.

[68] Je reconnais que certains facteurs jouent en faveur de l’employabilité de l’appelante. En décembre 2022, elle n’avait que 39 ans, de sorte que l’âge ne constituait pas un obstacle à trouver du travail ou à se recycler. L’appelante maîtrise l’anglais. Elle possède également un bon niveau de scolarité (diplôme d’études secondaires et diplôme d’études collégiales en métiers de la tuyauterie)Note de bas de page 33 et de l’expérience de travail dans un bureau et un centre d’appelsNote de bas de page 34.

[69] Compte tenu de tous ces éléments, j’estime que n’eût été ses problèmes de santé, l’appelante pourrait travailler en contexte réaliste. Cela m’indique également qu’elle aurait probablement un plus large éventail d’emplois à sa disposition que quelqu’un, par exemple, qui a moins d’études et n’a aucune expérience de bureau. Toutefois, rien de tout cela ne modifie les limitations fonctionnelles importantes de l’appelante en raison de ses problèmes de santé. Ces limitations la rendent incapable de travailler.

L’invalidité de l’appelante était‑elle prolongée au 31 décembre 2022?

[70] Oui. L’invalidité de l’appelante était vraisemblablement prolongée au 31 décembre 2022.

[71] L’appelante a travaillé pour la dernière fois en septembre 2020. En décembre 2022, elle était absente du marché du travail depuis plus de deux ans.

[72] Bien que le Dr Ghassemi ait parfois noté une amélioration dans ses notes cliniques, je conviens que cette amélioration s’explique par le fait que l’appelante est stable à la maison sans avoir à quitter son domicile, à interagir avec d’autres personnes ou à travailler.

[73] En juin 2021, le Dr Ghassemi a déclaré qu’il ne s’attendait pas à ce que l’appelante retourne au travail à quelque moment que ce soitNote de bas de page 35.

[74] En février 2022, le Dr Schaffer a décrit le pronostic à court terme de l’appelante comme étant réservé. Bien qu’il ait également affirmé que son pronostic à long terme puisse s’améliorer considérablement, il n’a pas dit s’attendre à ce qu’il s’améliore. De plus, il a expliqué que l’amélioration serait conditionnelle à ce que l’appelante reçoive des soins de santé mentale adéquats et qu’elle puisse maintenir son améliorationNote de bas de page 36. Comme je l’ai expliqué précédemment, l’appelante n’a pas reçu les soins de santé mentale que le Dr Schaffer espérait. Elle n’a pas non plus connu d’amélioration soutenue qui serait compatible avec la capacité de travailler.

[75] En mars 2022, le Dr Ghassemi a déclaré que les modalités de traitement, comme les médicaments et le soutien et la surveillance du Dr Ghassemi, offraient des avantages rares ou provisoires. Selon lui, son pronostic demeure sombreNote de bas de page 37.

[76] En mai 2023, M. Vanderlans a expliqué qu’un retour au travail, même occasionnel et sporadique, serait préjudiciable à l’appelanteNote de bas de page 38.

Début des versements

[77] L’invalidité de l’appelante est devenue grave et prolongée en septembre 2020, lorsqu’elle a tenté de retourner au travail, mais qu’elle n’y est pas parvenue. Au cours du mois précédent, le Dr Ghassemi l’avait autorisée à retourner au travailNote de bas de page 39.

[78] Il y a un délai de carence de quatre mois avant le début des versementsNote de bas de page 40. Par conséquent, ceux-ci prennent effet en janvier 2021.

Conclusion

[79] L’appelante a droit à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité était grave et prolongée au 31 décembre 2022.

[80] L’appel est accueilli.

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