Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : GS c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1258

Numéro de dossier du Tribunal : GP-19-1297

ENTRE :

G. S.

Appelant (requérant)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Angela Ryan Bourgeois
Requérante représentée par : T. S.
Date de l’audience par téléconférence : Le 29 septembre 2020
Date de la décision : Le 23 octobre 2020

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel. Le requérant était incapable de façon continue de former l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité de janvier 2007 à novembre 2018. Je considère que sa demande a été présentée en janvier 2007, qui est le mois où son incapacité a commencé. Les versements de sa pension d’invalidité commencent en mai 2007.

Aperçu

[2] Le requérant a cessé de travailler en février 2006, lorsqu’il s’est blessé à la main au travail. Cependant, il a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en novembre 2018 seulement. Le ministre a décidé qu’il remplissait les conditions requises pour recevoir la pension.

[3] Le ministre lui a accordé le paiement rétroactif maximal prévu de pension d’invalidité. Comme le requérant a eu 65 ans ce mois-là (lorsque la pension d’invalidité du RPC prend fin), il n’avait pas droit à des versements futurs.

[4] Le requérant pense que ses versements devraient commencer plus tôt parce que ses problèmes de santé mentale ont retardé sa demande. Il dit satisfaire au critère relatif à l’incapacité qui permettrait au ministre de considérer sa demande comme ayant été présentée en janvier 2007, qui est la date à laquelle son incapacité a commencé.

[5] Le ministre a refusé et a affirmé que le requérant ne satisfaisait pas au critère relatif à l’incapacité; il n’a pas prouvé qu’il n’avait continuellement pas eu la capacité de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité. Le ministre fait remarquer que le requérant n’avait pas de procuration et qu’il a signé en son nom tous les documents relatifs à ses demandes de pension d’invalidité et de pension de retraite.

[6] Le fils du requérant, qui le représentait dans le cadre du présent appel, affirme que son père a satisfait au critère relatif à l’incapacité et qu’il satisfait toujours au critère.

[7] Pour les motifs ci-dessous, je conclus que le requérant n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité entre janvier 2007 et novembre 2018, date à laquelle il a présenté sa demande. Son incapacité était continue pendant cette période.

Question en litige

[8] Le requérant satisfaisait-il au critère relatif à l’incapacité de janvier 2007 à novembre 2018?

Analyse

[9] Le requérant affirme que son incapacité a commencé en janvier 2007 et qu’elle est continue. Par conséquent, la période pertinente d’incapacité va de janvier 2007 à novembre 2018, qui est la date à laquelle il a présenté sa demande de prestationsNote de bas de page 1.

[10] Pour satisfaire au critère relatif à l’incapacité, le requérant doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable qu’il était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension d’invalidité de façon continue entre janvier 2007 et novembre 2018Note de bas de page 2.

[11] Si sa demande de prestations d’invalidité est accueillie, elle peut être considérée comme ayant été présentée en janvier 2007, qui est le mois où son incapacité a commencé. Les versements commenceraient en mai 2007, soit quatre mois après la date de la demande.

Déclaration d’incapacité et preuve médicale

[12] En juillet 2019, le Dr Kakar, le psychiatre de longue date du requérant, a rempli une déclaration d’incapacité. Il a déclaré que le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande à compter du 9 janvier 2007 et que son incapacité était continue. La raison de son incapacité était une grave dépression majeure et un trouble de stress post-traumatique. Le médecin a confirmé qu’il traitait le requérant au début de son incapacité.

[13] En mai 2007, le Dr Kakar, psychiatre, a écrit que le requérant était atteint d’une dépression grave majeure, d’un trouble de stress post-traumatique et d’un syndrome de douleur chronique. Il présentait des symptômes de douleurs, d’anxiété, de nervosité, de contrariété, d’irritation et de désespoir. Il pleurait facilement. Il n’avait aucun intérêt à faire des activités ou à socialiser. Il a arrêté de conduire. Il ne pouvait pas dormir. Il n’avait aucun appétit. Il n’avait aucune énergie. Il avait des problèmes de concentration et de mémoire. Il perdait le fil de la vie quotidienne. Il ne se lavait pas et passait des jours sans changer ses vêtements. Même avec les médicaments et une psychothérapie cognitive et de soutien intensive et régulière, il était totalement invalide et incapable de travailler. Les rapports subséquents du Dr Kakar confirment que son état de santé ne s’est pas amélioréNote de bas de page 3.

[14] En février 2009, le Dr Kiraly, psychiatre, a confirmé que le requérant avait toujours une dépression majeure chronique, grave et résistante au traitement, des symptômes de trouble de stress post-traumatique et un syndrome de douleur chronique.

[15] En juin 2018, le Dr Kakar a indiqué que le requérant était toujours atteint d’une grave dépression et de douleurs. Même s’il prenait sa douche et changeait de vêtements tous les jours, le Dr Kakar a confirmé qu’il avait besoin de beaucoup d’aide pour faire ses activités et celles qui sont essentielles à la vie quotidienne. Le requérant demeurait facilement confus et préoccupé. Il restait allongé toute la journée, à dormir ou à ne rien faire (sans même regarder la télévision ni écouter de la musique).

[16] Le Dr Dhaliwal, médecin de famille, a indiqué en février 2019 que le requérant avait une dépression grave depuis qu’il avait subi une blessure à la main. Le médecin a signalé que son problème de santé s’aggravait progressivement en raison de la douleur et des symptômes de l’humeur, avec un déclin progressif de la fonction cognitive. Malgré les soins psychiatriques, les traitements et les médicaments, son état a continué de se détériorer.

[17] Sur le plan fonctionnel, son médecin de famille a indiqué que le requérant était atteint d’apathie grave et d’anhédonie, qu’il avait besoin d’aide pour presque toutes les fonctions quotidiennes, comme s’habiller, choisir des vêtements, faire sa toilette, se laver, prendre ses médicaments et se faire ses injections pour le diabète. Il a signalé qu’il était principalement confiné à la maison et à la charge de son épouse et de son fils pour la plupart des fonctions mentales et physiques quotidiennes.

[18] En avril 2019, le requérant a rempli le formulaire « Disability Assessment Schedule 2.0 » [version 2.0 de la grille d’évaluation de l’invalidité] de l’Organisation mondiale de la santé, qui est un questionnaire d’autodéclaration normalisé de 36 éléments sur son fonctionnement. Son résultat montrait une déficience extrême de sa capacité de fonctionner.

Ce que disent le requérant et son fils

[19] Le fils du requérant vit avec son père et sa mère. Le fils a déclaré que depuis janvier 2007, son père est incapable de faire quoi que ce soit pour lui-même. Le fils fixe les rendez-vous médicaux de son père et l’amène à tous ses rendez-vous. Il se rend dans la salle d’examen avec son père et l’aide à répondre aux questions. Il gère les médicaments de son père. Il s’occupe de tous les aspects financiers, paie les factures et fait des opérations bancaires. Parfois, il doit dire à son père de prendre une douche et de mettre des vêtements propres. Il a expliqué que son père ne peut pas suivre les directives. Parfois, le fils dit à son père d’aller à l’étage pour le trouver ensuite errant en bas, incertain de ce qu’il est censé faire et de l’endroit où il est censé aller. J’ai trouvé cela particulièrement révélateur de l’incapacité du requérant parce que le fait qu’il soit nécessaire de [traduction] « dire » au requérant quand aller à l’étage et prendre une douche démontre une incapacité importante à planifier et à prendre ses propres décisions en matière de soins personnels.

[20] Le fils du requérant a déclaré qu’il avait rempli tous les formulaires du RPC et qu’il avait écrit les lettres. Le fils a expliqué qu’il aurait demandé une pension d’invalidité du RPC pour son père bien avant cette date s’il avait été au courant. Il a pris connaissance de la pension d’invalidité seulement lorsqu’il a commencé à étudier les prestations qui pourraient être accessibles à son père à l’approche de ses 65 ans. Son père ne lui a pas demandé de faire une demande de prestations du RPC pour lui. Encore une fois, il est révélateur que ce soit le fils du requérant, et non le requérant lui-même, qui ait planifié son revenu de retraite et présenté les demandes de prestations.

[21] Je crois le fils quand il dit avoir rempli tous les formulaires et documents du RPC au nom de son père. En examinant le dossier, il est clair que c’est le fils du requérant, et non le requérant, qui faisait avancer les choses. En fait, les agentes et agents du ministre ont parlé au téléphone au fils du requérant, et non au requérant lui-mêmeNote de bas de page 4.

[22] J’ai trouvé le témoignage du fils du requérant très crédible. Son témoignage correspond aux déficiences fonctionnelles importantes décrites dans la preuve médicale, y compris la sédation excessive causée par les médicaments psychotropes que mentionne le Dr KakarNote de bas de page 5.

[23] Le requérant a déclaré qu’il ne se souvenait pas d’avoir rempli les formulaires du RPC. Il a confirmé que c’est son fils qui aurait écrit les lettres au ministre et donné les renseignements. Je l’ai trouvé sincère et honnête lors de son témoignage. Je l’ai cru lorsqu’il a dit [traduction] « J’en sais très peu à ce sujet ».

Ce que dit le ministre

[24] Le ministre affirme que même si le fils du requérant peut avoir aidé son père à s’y retrouver et à comprendre le processus, ainsi qu’à traduire des documents, ce n’est pas suffisant pour démontrer son incapacité. Je juge que le fils du requérant a fait plus que cela, c’est-à-dire qu’il avait l’intention de demander une pension d’invalidité et une pension de retraite du RPC pour son père. Malgré le fait qu’elle comporte la signature du requérant, je conclus que la demande de prestations d’invalidité du RPC a été présentée par le fils au nom de son père. N’eût été son fils, il est probable que le requérant n’aurait pas demandé ces prestations. De janvier 2007 à novembre 2018, le requérant n’a jamais eu la capacité de former l’intention de présenter une demande.

[25] Le ministre affirme que le requérant a déclaré dans son formulaire de demande qu’il avait une capacité « passable » à faire les choses suivantes :

  • Prendre des médicaments comme il a été prescrit.
  • Répondre au téléphone.
  • Ouvrir et trier le courrier.
  • Gérer son budget et payer ses factures.

[26] Je suis d’avis qu’il est peu probable que le requérant ait eu la capacité « passable » d’effectuer ces tâches à un quelconque moment depuis janvier 2007. Selon moi, la lettre du requérant, qui a été écrite par son fils, est une meilleure preuve de ses capacités. La lettre indiquait que le requérant n’avait pas la notion du temps, qu’il ne pouvait rien planifier et qu’il avait besoin d’aide pour subvenir à ses besoins quotidiens, y compris ses affaires personnellesNote de bas de page 6.

[27] Les limitations fonctionnelles décrites dans la lettre concordent avec la preuve médicale, qui montre que le requérant compte sur les autres dans son fonctionnement mental et physique quotidien. Le requérant a déclaré que son fils s’occupe de tout pour lui. Lorsque je lui ai posé des questions sur l’ouverture du courrier, il a dit qu’il l’ouvrait et qu’il laissait à son fils le soin de s’en occuper. Je lui ai demandé s’il savait à peu près combien d’argent il avait dans son compte bancaire. Il ne savait pas. Il m’a dit que son fils s’occupait de tout ça.

[28] Le ministre souligne que le requérant a consenti à l’évaluation et au traitement médical faits par le Dr Kakar en avril 2019Note de bas de page 7. Le fait de consentir à une évaluation et à prendre des médicaments, alors que son fils fixe le rendez-vous médical et l’amène au rendez-vous, ne démontre pas qu’il avait la capacité de former l’intention de demander une pension d’invalidité du RPC. Si c’était le cas, j’estime qu’il est probable que le Dr Kakar n’aurait pas rempli la déclaration d’incapacité puisque le rapport (rédigé en même temps) avait pour seul but de prouver au ministre l’incapacité du requérantNote de bas de page 8. Le Dr Kakar devait connaître la signification d’une incapacité parce que la chose est expliquée dans la déclaration d’incapacité.

[29] Le ministre affirme que le requérant n’avait pas de procuration. Ce n’est qu’un élément de preuve que je dois prendre en considération. Le fait de ne pas avoir de procuration pourrait donner à croire que le requérant a la capacité de prendre des décisions. L’absence de procuration pourrait également démontrer que le requérant n’a pas la capacité de former l’intention de faire préparer un tel document. Le fils du requérant a expliqué que son père n’a pas de procuration parce que lui-même ne s’est pas rendu compte que son père devrait en avoir une. C’est un autre exemple de la mesure dans laquelle le fils du requérant gère les affaires de son père avec peu ou pas de commentaires de ce dernier. Cela confirme ma conclusion selon laquelle le requérant satisfait au critère relatif à l’incapacité.

Le requérant satisfait au critère relatif à l’incapacité de janvier 2007 à novembre 2018

[30] La capacité de former l’intention de présenter une demande de prestations est semblable à la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent à une personne. La capacité est évaluée eu égard au sens ordinaire de ce terme et d’après la preuve médicale et les activités de la partie requéranteNote de bas de page 9. Il ne s’agit pas de l’incapacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir le formulaire de demande. Il s’agit d’une incapacité plus importante, lorsqu’une personne est incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une telle demande.

[31] Compte tenu de la preuve médicale et du témoignage, je suis d’avis que le requérant n’a pas eu la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité de janvier 2007 à novembre 2018. Depuis son accident, son fonctionnement au quotidien a été gravement altéré. Le requérant compte sur d’autres personnes, plus particulièrement sur son fils, pour s’occuper de lui. Il n’est pas intéressé par la gestion de ses propres affaires et ne fait aucun effort pour le faire.

[32] Comme je l’ai mentionné plus haut, je conclus que la demande de pension d’invalidité du requérant, bien qu’il l’ait signée, a été présentée en son nom par son fils. En effet, je suis d’avis qu’au moment où le requérant a signé la demande, il n’avait toujours pas la capacité de former l’intention de présenter une telle demande. Le rapport rédigé par le Dr Kakar en juillet 2019 montre que l’incapacité s’est poursuivie au moins jusqu’en avril 2019, soit bien après novembre 2018, lorsque la demande a été présentée. De plus, dans la déclaration d’incapacité (datée de juillet 2019), le Dr Kakar a déclaré que l’incapacité était continue.

[33] Comme le requérant satisfait au critère relatif à l’incapacité, je considère que sa demande de pension d’invalidité a été présentée en janvier 2007, qui est le mois où son incapacité a commencé. Les versements commencent quatre mois plus tard, soit à partir de mai 2007Note de bas de page 10.

Conclusion

[34] L’appel est accueilli. Le versement des prestations d’invalidité du RPC du requérant commence en mai 2007Note de bas de page 11.

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