Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : RW c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 1414

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante : Viola Herbert
Partie intimée : R. W.
Représentante : Roger Quinn

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 8 février 2023
(GP-21-698)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 27 septembre 2023
Personnes présentes à l’audience : Représentante de l’appelant
Intimé
Représentant de l’intimé
Date de la décision : Le 27 octobre 2023
Numéro de dossier : AD-23-416

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille le présent appel. L’intimé n’a pas droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] L’intimé est un ancien conducteur de matériel lourd de 41 ans qui a des antécédents de toxicomanie et de problèmes de santé mentale. En juillet 2018, il a cessé de travailler en raison de ce qu’il a décrit comme étant de [traduction] « sérieux problèmes d’anxiété ». Il n’a pas travaillé depuis.

[3] L’intimé a demandé une pension d’invalidité du RPC en février 2020. Il a affirmé qu’il ne pouvait plus faire aucun type de travail parce qu’il ne pouvait pas se concentrer et qu’il n’avait aucune tolérance au stress. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande après avoir établi que l’intimé n’était pas atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2020, soit à la date où prenait fin sa période de protection pour une pension d’invalidité du RPC.

[4] L’intimé a porté le refus du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Celle-ci a tenu une audience par téléconférence et a accueilli l’appel. Elle a conclu que l’état psychologique de l’intimé le rendait incapable de gérer la pression, de suivre des instructions ou de travailler avec les autres.

[5] Le ministre a ensuite demandé la permission de faire appel de la décision de la division générale. Plus tôt cette année, une de mes collègues de la division d’appel a accordé au ministre la permission d’aller de l’avant. Le mois dernier, j’ai tenu une audience pour discuter en détail de la demande de prestations d’invalidité de l’intimé.

[6] Après avoir examiné les observations des deux parties, j’ai conclu que l’intimé n’a pas droit à une pension d’invalidité du RPC. La preuve montre que l’intimé, bien que sujet à certaines limitations fonctionnelles, n’est pas incapable d’exercer n’importe quel emploi régulier.

Question préliminaire

[7] En décembre 2022, la loi régissant les appels au Tribunal de la sécurité sociale a été modifiéeNote de bas de page 1. Selon la nouvelle loi, la division d’appel, une fois qu’elle a accordé la permission d’aller de l’avant, doit maintenant tenir une nouvelle audience (ou de novo), sur les mêmes questions que celles dont la division générale était saisieNote de bas de page 2. J’ai expliqué au début de l’audience que cela signifiait que je ne serais lié par aucune des conclusions de la division générale. J’ai également précisé que j’examinerais tous les éléments de preuve disponibles, y compris les nouveaux éléments de preuve, pour savoir si l’intimé est devenu invalide pendant sa période de protection.

Question en litige

[8] Pour gagner son appel, l’intimé devait prouver qu’il était plus probable qu’improbable qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée pendant sa période de protection. Les parties ont convenu que la protection de l’intimé avait pris fin le 31 décembre 2020Note de bas de page 3.

[9] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 4. Une personne n’a pas droit à une pension d’invalidité si elle est régulièrement capable d’effectuer un travail qui lui permet de gagner sa vie.

[10] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 5. L’invalidité de la personne requérante doit l’obliger à quitter le marché du travail pendant très longtemps.

[11] Dans le présent appel, je devais décider si l’intimé était atteint d’une invalidité grave et prolongée avant le 31 décembre 2020 et s’il l’est demeuré depuis.

Analyse

[12] J’ai appliqué la loi à la preuve disponible et j’ai conclu que l’intimé n’était pas atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2020. Je suis convaincu que les problèmes de santé de l’intimé ne l’empêchent pas d’offrir le genre de rendement régulier exigé dans le cadre d’un emploi véritablement rémunérateur.

L’intimé n’est pas atteint d’une invalidité grave

[13] Les personnes qui demandent la pension d’invalidité ont la responsabilité de prouver qu’elles sont atteintes d’une invalidité grave et prolongéeNote de bas de page 6. J’ai examiné le dossier et j’ai conclu que l’intimé ne s’était pas acquitté de cette responsabilité à la hauteur du critère énoncé dans le Régime de pensions du Canada. L’intimé peut connaître une dépression et ressentir de l’anxiété, mais je n’ai pas trouvé assez d’éléments de preuve qui indiquent que cela l’empêchait de travailler.

[14] Dans sa demande de prestations, l’intimé a écrit que son principal problème de santé invalidant était l’anxiété. Il a dit avoir quitté son emploi en juillet 2018 parce qu’il ne pouvait plus supporter la pression. Il a ajouté qu’il est facilement distrait. Il ne peut pas se concentrer. Il a de la difficulté à apprendre de nouvelles tâches. Même lorsqu’il lit des choses à plusieurs reprises, il ne comprend pas les renseignements. Son cerveau est dans le brouillard.

[15] Il a déclaré que le fait de traiter avec d’autres personnes lui cause du stress. Il se préoccupe de répondre à leurs attentes. Les échéances le rendent anxieux et lui font passer des nuits blanches. Il évite tout ce qui ne fait pas partie de sa routine. Il quitte rarement la maison maintenant et vit presque en ermite. Il magasine la nuit pour éviter les foules. Il quitte un magasin s’il voit une longue file d’attente.

[16] L’intimé affirme que, même s’il a réalisé des progrès dans le traitement de son problème de dépendance aux opiacés, son anxiété est devenue beaucoup plus grave et résistante aux médicaments. Il soutient que, malgré la psychothérapie en cours, il demeure incapable de travailler. Il fait valoir que son niveau d’instruction limité et le peu de compétences transférables qu’il a le rendent effectivement inemployable.

[17] Bien que l’intimé puisse avoir l’impression qu’il est invalide, je dois fonder ma décision sur plus que sa seule vision subjective de sa capacitéNote de bas de page 7. Dans la présente affaire, la preuve, examinée dans son ensemble, ne donne pas à penser qu’une déficience grave l’empêchait d’effectuer un travail convenable pendant sa période de protection. D’après ce que je peux voir, l’intimé est assujetti à certaines limitations, mais il n’est pas incapable d’exercer un emploi régulier.

[18] Je fonde cette conclusion sur les facteurs ci-dessous.

La preuve médicale porte à croire que les problèmes de santé mentale de l’intimé étaient situationnels

[19] La preuve dont je dispose confirme que l’intimé est aux prises avec l’anxiété et la dépression depuis l’adolescence. Toutefois, la preuve indique aussi que ses problèmes se sont aggravés en raison de facteurs situationnels qui ont culminé en 2018.

[20] L’intimé a déclaré qu’il a été conducteur de matériel lourd pendant 10 ans. Il a dit qu’il était devenu dépendant au Percocet à la suite de l’extraction d’une dent de sagesse en 2009. La dépendance s’est progressivement aggravée et a fini par avoir un effet sur la qualité de son travail. Il était déjà sujet à l’anxiété, et cela a contribué à entretenir sa dépendance aux opiacés.

[21] L’intimé a déclaré s’être finalement rendu compte qu’il avait un problème. Un jour de juillet 2018, alors qu’il creusait une tranchée profonde, un collègue lui a dit de se ressaisir. Le lendemain, il a dit à son superviseur qu’il allait suivre une cure de désintoxication.

[22] Il s’est enregistré dans un établissement à Kingston. Après un séjour de six semaines, il est sorti indemne. En 2019, il a terminé avec succès un programme de suivi de 12 semaines. Il dit qu’il n’a consommé aucune drogue depuis, sauf du cannabis.

[23] Cependant, il n’a jamais repris le travail. Il affirme que, même s’il a surmonté sa dépendance, il demeure anxieux comme il ne l’a jamais été avant de devenir dépendant aux analgésiques. Il dit que vaincre sa dépendance n’était que la moitié du chemin parcouru.

[24] Je comprends que l’intimé se sent invalide, mais son récit est incompatible avec une grande partie de ce que la preuve médicale disponible révèle sur son état de santé. Il ne fait aucun doute que l’intimé avait un grave problème de toxicomanie. En février 2017, la police l’a amené à l’urgence, en soupçonnant qu’il avait fait une surdoseNote de bas de page 8, mais il a pris des mesures pour surmonter sa dépendance l’année suivante. J’estime qu’il est révélateur que l’intimé ait quitté son emploi en juillet 2018, non seulement en raison de son anxiété ou d’une dépression, mais pour participer à un programme de traitement de la toxicomanie — un programme qui, selon lui, a fonctionné. La preuve indique aussi que la santé mentale de l’intimé était affectée par les tensions au sein de son mariage, mariage qui a pris fin en mars 2019Note de bas de page 9.

[25] L’intimé a présenté plusieurs rapports rédigés par le Dr Neumann, son médecin de famille. Cependant, aucun d’entre eux n’a fait la preuve convaincante d’une invalidité grave :

  • En mai 2019, le Dr Neumann a diagnostiqué chez l’intimé une toxicomanie, un trouble anxieux et une dépression [traduction] « légère » aggravée en partie par des problèmes conjugaux. Le Dr Neumann a indiqué que l’intimé avait au moins répondu au traitementNote de bas de page 10.
  • En décembre 2019, le Dr Neumann a écrit que l’intimé avait suivi une cure de désintoxication en juillet 2018 et qu’il n’avait pas consommé depuis. Le Dr Neumann a déclaré que l’état de santé de l’intimé continuait de s’améliorer et qu’il s’attendait à ce qu’il reprenne son emploi régulier dans les six à douze mois qui suivraientNote de bas de page 11.
  • En mars 2022, le Dr Neumann a indiqué que l’intimé avait un trouble anxieux généralisé accompagné d’une dépression [traduction] « légère » depuis de nombreuses années. Le Dr Neumann a ajouté que l’intimé subissait des facteurs de stress familiaux consécutifs à des problèmes de séparation et de garde, ainsi que du stress relatif à l’isolement causé par la COVID-19. Le médecin a conclu que l’intimé n’était pas en mesure d’effectuer son travail de conducteur de matériel lourd en toute sécurité, car il devait déplacer des composants d’égouts très lourds, ce qui a aggravé son anxiété et causé des crises de paniqueNote de bas de page 12.

[26] Le Dr Neumann espérait au départ que l’intimé reprenne bientôt son ancien emploi. Cela ne s’est jamais produit, mais je trouve remarquable que le dernier rapport du médecin, tout en interdisant à l’intimé d’utiliser du matériel lourd, n’écartait pas un retour à un emploi quelconque ou à tous les types d’emplois.

[27] À l’audience, l’intimé s’est dit insatisfait de la façon dont le Dr Neumann avait géré ses soins. Il a dit que le Dr Neumann était rarement disponible et qu’il avait négligé de lui recommander un suivi psychiatrique. Il a reproché au Dr Neumann des lacunes dans son dossier médical entre décembre 2019 et mars 2022.

[28] Les lacunes, qui englobent la période critique qui précède et suit immédiatement la fin de sa période de protection, n’aident pas l’intimé à avoir gain de cause. L’intimé attribue cela à de la négligence, mais il est tout aussi probable que le Dr Neuman ne pensait pas que l’état de santé de son patient était suffisamment grave pour justifier une intervention plus poussée. Dans son rapport de décembre 2019, le Dr Neumann a écrit que le traitement en cours incluait des [traduction] « mesures conservatrices », principalement des médicaments, qui semblaient fonctionner.

[29] L’intimé, qui avait vécu à Scarborough, a déménagé à Belleville après la fin de son mariage, se distançant de plus de 160 km de son médecin de famille. L’intimé affirme que lorsque la pandémie de COVID-19 a commencé au début de 2020, il a tenté sans succès d’organiser une consultation téléphonique avec le Dr Neumann. Il dit qu’il a alors commencé à chercher un nouveau médecin de famille à Belleville, en vain. Finalement, il s’est tourné vers son syndicat, qui l’a mis en contact avec Pawel Biedrzycki, un psychothérapeute agréé.

[30] Il n’en demeure pas moins que l’intimé ne recevait pas de soutien en santé mentale durant la période véritablement en cause pour sa pension d’invalidité du RPC. Et lorsqu’il a finalement obtenu une consultation, son psychothérapeute n’a pas appuyé sans réserve sa demande de prestations d’invalidité :

  • En octobre 2022, M. Biedrzycki a signalé que l’intimé avait rempli des questionnaires d’autodéclaration dont les résultats laissaient croire à un niveau modéré de dépression et à un niveau d’anxiété grave. À ce moment-là, l’intimé avait assisté à 20 séances de psychothérapie et avait constaté [traduction] « une amélioration de l’hygiène du sommeil, l’utilisation de stratégies d’adaptation positives et saines et la tolérance à des situations stressantes et anxiogènes ». Même si M. Biedrzycki a souligné que l’intimé en était à un [traduction] « stade de vulnérabilité extrême », il a néanmoins conclu que le pronostic de rétablissement était [traduction] « passable ». M. Biedrzycki a ajouté que l’intimé n’était pas [traduction] « encore » prêt à retourner au travail, ce qui donne à penser qu’à une date ultérieure, il serait prêt à le faireNote de bas de page 13.
  • En juillet 2023, M. Biedrzycki a fait la mise à jour des progrès de l’intimé après 47 séances de psychothérapie. M. Biedrzycki a signalé des niveaux [traduction] « graves » de trouble dépressif majeur, de trouble d’anxiété généralisée et de syndrome de sevrage, mais son pronostic de guérison est demeuré [traduction] « passableNote de bas de page 14 ».

[31] En résumé, le médecin de famille de l’intimé a indiqué de l’anxiété et une légère dépression qui semblent avoir été causées par des facteurs situationnels qui ont atteint un point critique en 2018. Deux ans après la période de protection de l’intimé, son psychothérapeute a signalé une dépression modérée et une anxiété grave qui, selon ses dires, répondait au traitement. Ni l’un ni l’autre des fournisseurs de traitement n’écartait un éventuel retour au travail.

Les plaintes de douleur de l’intimé soulèvent des doutes quant à la fiabilité de sa preuve

[32] Les rapports de M. Biedrzycki présentaient un tableau nuancé de l’état psychologique de l’intimé. D’une part, ils ont décrit un niveau d’anxiété et de dépression qui semblait nettement pire que ce que le Dr Neumann avait consigné quelques années plus tôt. D’autre part, ils ont laissé entrevoir la possibilité que l’intimé se rétablisse au point d’être en mesure d’effectuer un travail peu stressant.

[33] M. Biedrzycki a également souligné les douleurs physiques dont l’intimé se plaint relativement au syndrome de sevrage :

[traduction]
[L’intimé] ressent quotidiennement des douleurs au dos et aux muscles ainsi que des maux de tête reliés au syndrome de sevrage. [L’intimé] a déclaré avoir des douleurs au dos évaluées à 8,5 sur une échelle de 10, des douleurs musculaires évaluées à 8 sur 10, des maux de tête évalués à 8 sur 10 et [traduction] « parfois même à 10 sur 10 quand ça va vraiment malNote de bas de page 15 ».

[34] J’ai trouvé surprenant que l’intimé ait ressenti des douleurs de sevrage aussi graves cinq ans après avoir prétendument laissé tomber les drogues. J’ai trouvé cela encore plus surprenant à la lumière du fait qu’il n’avait apparemment jamais mentionné une telle douleur à son médecin de famille. De plus, lorsque l’intimé a rempli sa demande de pension d’invalidité du RPC en novembre 2019, il a explicitement déclaré qu’il n’avait [traduction] « pas de problèmes physiques qui limitent [sa] capacité de travailNote de bas de page 16 ». Lors de son audience devant la division générale, l’intimé n’a pas non plus mentionné la douleur, sauf pour expliquer qu’il prenait du Naproxen en raison de migraines qu’il avait depuis longtemps, et qu’il ressentait depuis l’adolescenceNote de bas de page 17.

[35] Lors de l’audience que j’ai tenue, l’intimé a insisté sur le fait qu’il continuait de présenter des symptômes de sevrage — y compris des douleurs musculaires et des maux de tête — cinq ans après avoir surmonté sa dépendance aux opiacés. À la question de savoir s’ils contribuaient à son invalidité, il a répondu : [traduction] « Eh bien, ils n’aident certainement pas ». Il supposait également que son anxiété pouvait aggraver ses problèmes de santé préexistantsNote de bas de page 18.

[36] Malgré cette explication, je constate une incohérence entre ce que l’intimé a déclaré dans sa demande de novembre 2019 et ce qu’il disait à son psychothérapeute en 2022 et en 2023. L’explication de l’intimé concernant l’incohérence n’a pas dissipé ma confusion. Si la douleur est apparue récemment, soit après le 31 décembre 2020, elle n’a pas contribué à la déficience qu’il aurait pu avoir pendant sa période de protection. Cependant, si l’intimé présentait des symptômes de douleur pendant sa période de protection, il a omis de les divulguer à son médecin de famille. En fin de compte, j’ai conclu qu’il était plus probable que l’intimé avait exagéré l’étendue de ses douleurs lors de ses séances de psychothérapie.

Les antécédents et les caractéristiques personnelles de l’intimé n’ont aucune incidence sur son employabilité

[37] Selon la preuve médicale, je conclus que l’intimé avait, au minimum, une certaine capacité de travail. L’examen de l’employabilité globale de l’intimé renforce ma conviction.

[38] Pour décider si l’intimé est capable de travailler, mon analyse ne peut pas s’arrêter à ses problèmes de santé. Je dois aussi tenir compte de facteurs comme son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie. L’employabilité ne doit pas être évaluée de façon abstraite, mais plutôt eu égard à « toutes les circonstances ». Ces éléments m’aident à décider si l’intimé est capable de travailler dans un contexte réalisteNote de bas de page 19 .

[39] L’intimé a des problèmes de santé mentale depuis longtemps et il est sujet au stress, mais il a plusieurs atouts qui lui auraient donné un avantage lors d’une recherche d’emploi. L’anglais est sa langue maternelle et, à la fin de sa période de protection, il avait seulement 38 ans. Il a un diplôme d’études secondaires, une grande expérience de travail et a démontré sa capacité à acquérir des compétences.

[40] L’intimé, même avec ses déficiences, a au moins une certaine capacité de travail. Cependant, comme nous le verrons, cette capacité l’obligeait, à tout le moins, à tenter de trouver une nouvelle façon de gagner sa vie.

L’intimé n’a pas tenté d’occuper un autre emploi

[41] Selon une décision de la Cour d’appel fédérale intitulée Inclima, les personnes qui demandent des prestations d’invalidité doivent faire leur possible pour trouver un autre emploi qui soit mieux adapté à leurs déficiences :

En conséquence, un demandeur qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il (ou elle) a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, il doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santéNote de bas de page 20.

[42] Ce passage donne à penser que si une personne conserve au moins une certaine capacité de travail, la division générale doit effectuer une analyse pour décider de deux choses : i) si elle a tenté de trouver un autre emploi et ii) dans l’affirmative, si ses déficiences l’ont empêchée d’obtenir et de conserver cet emploi.

[43] De plus, les personnes qui demandent une pension d’invalidité doivent faire des tentatives significatives de reprendre le travailNote de bas de page 21. Elles ne peuvent pas limiter leur recherche d’emploi au type de travail qu’elles effectuaient avant d’avoir une déficience. En effet, elles doivent démontrer qu’elles sont régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 22. Les parties requérantes qui ne cherchent pas d’autres formes d’emploi n’ont peut-être pas droit aux prestations.

[44] Dans la présente affaire, l’intimé avait quand même une certaine capacité de travail, c’est-à-dire suffisante pour déclencher l’obligation de chercher un emploi qui prendrait mieux en compte son tempérament psychologique. Toutefois, l’intimé n’a pas tenté de travailler ou de chercher du travail depuis qu’il a pris congé en juillet 2018.

[45] L’intimé a déclaré que son anxiété l’empêchait de reprendre son ancien emploi conducteur de matériel lourd :

[traduction]

Quelque chose comme une canalisation d’égout pèse jusqu’à 20 tonnes. Si vous les enfouissez dans le sol, et que vous avez quatre ou cinq gars debout autour qui essaient de les positionner, et qu’ils n’ont qu’un ou deux pieds d’espace — vous faites une erreur, vous pourriez tuer quelqu’unNote de bas de page 23.

[46] J’ai demandé à l’intimé s’il avait envisagé un emploi moins stressant et moins exigeant sur le plan mental, un emploi qui ne concernerait pas nécessairement des questions de vie ou de mort. Il a répondu qu’il ne l’avait pas fait : [traduction] « Je n’ai toujours pas réglé mes problèmes. J’essaie toujours de me guérirNote de bas de page 24 ». Il a ajouté qu’il n’avait postulé aucun emploi et qu’il n’avait même pas de curriculum vitaeNote de bas de page 25. Il a dit qu’il ne servait à rien de chercher un emploi quelconque parce qu’il ne serait pas en mesure d’offrir un rendement fiable à un employeurNote de bas de page 26.

[47] À la lumière de ces éléments de preuve, je dois conclure que l’intimé ne s’est pas acquitté de son obligation au titre de l’affaire Inclima. Il n’a jamais tenté de se recycler ni de trouver un autre emploi. Il n’est donc pas en mesure de démontrer qu’il a échoué dans l’une ou l’autre entreprise en raison de son invalidité. En fin de compte, je n’ai pas été en mesure d’évaluer l’étendue de la déficience de l’intimé en date du 31 décembre 2020, parce qu’il n’a jamais fait de véritable effort pour retourner sur le marché du travail.
L’intimé n’est pas atteint d’une invalidité prolongée

[48] Une invalidité doit être grave et prolongéeNote de bas de page 27. L’intimé n’a pas prouvé qu’il est atteint d’une invalidité grave; je n’ai donc pas à me demander si elle est aussi prolongée. Cela dit, la preuve médicale disponible m’a permis de douter que les déficiences psychologiques de l’intimé devaient durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devaient vraisemblablement entraîner le décès. Comme je l’ai mentionné, un an seulement avant la fin de la période de protection, le Dr Neumann pensait qu’il était probable que l’intimé se rétablisse suffisamment pour être en mesure de reprendre son ancien emploi. Deux ans après la fin de la période de protection, M. Biedrzycki était d’avis que l’anxiété de l’intimé était [traduction] « grave », mais il a tout de même jugé son pronostic [traduction] « acceptable ».

Conclusion

[49] De nombreux éléments de preuve montrent que l’intimé a des problèmes de santé mentale, mais je ne suis pas convaincu qu’ils représentent une invalidité grave. Les fournisseurs de traitement de l’intimé n’ont jamais écarté un retour au travail. Il a une capacité résiduelle, mais il n’a jamais essayé d’exercer un emploi qui pourrait être moins exigeant mentalement et psychologiquement que celui qu’il occupait comme conducteur de matériel lourd.

[50] L’appel du ministre est accueilli.

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