Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : CB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 676

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Appelante : C. B.
Intimé : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 9 novembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Wayne van der Meide
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 16 mai 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Témoin de l’appelante
Date de la décision : Le 1er juin 2023
Numéro de dossier : GP-22-193

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante, C. B., a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent au mois de juillet 2020. J’explique dans la présente décision pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante a 38 ans. Elle est titulaire d’un diplôme du Collège Chatham en services de développement. Pendant ses études collégiales, elle a commencé à travailler comme aide-soignante. Elle a continué à occuper de telles fonctions pendant environ 13 ans, jusqu’à ce qu’elle cesse de travailler le 10 mars 2020.

[4] L’appelante est atteinte d’une paralysie périodique hyperkaliémique (incapacité temporaire de bouger les muscles des bras et des jambes) et d’une myotonie congénitale (spasmes musculaires). Ces affections sont rares. Elles peuvent être causées par un gène muté qu’a l’appelante. Elle a d’autres affections dont je parlerai plus loin.

[5] L’appelante a demandé une pension d’invalidité du RPC le 6 novembre 2020Note de bas de page 1. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demandeNote de bas de page 2. L’appelante a demandé au ministre de réviser sa décision. Celui-ci a cependant maintenu son refus initialNote de bas de page 3. L’appelante a porté en appel la décision de révision du ministre auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[6] L’appelante affirme qu’elle ne peut pas travailler en raison de sa paralysie et de ses spasmes. Elle dit que lors de nombreuses journées, elle éprouve de la difficulté à sortir du lit et à effectuer des choses de base pour prendre soin d’elle et de sa maison.

[7] Le ministre affirme que l’appelante n’a pas toujours suivi les recommandations de traitement et prétend qu’elle pourrait prendre d’autres médicaments. Il ajoute qu’elle peut effectuer un travail moins exigeant physiquement qu’auparavant, mais que l’appelante n’a pas tenté de trouver un autre emploi.

Ce que l’appelante doit prouver

[8] Pour obtenir gain de cause, l’appelante doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2022. Cette date est fondée sur ses cotisations au RPCNote de bas de page 4.

[9] Le Régime de pensions du Canada (RPC) définit les termes « grave » et « prolongée ».

[10] Une invalidité est grave si elle rend la partie appelante régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 5.

[11] Cela signifie que je dois examiner l’ensemble des problèmes de santé de l’appelante pour voir quel effet ils ont sur sa capacité de travailler. Je dois également tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité et son expérience professionnelle et personnelle. Ainsi, je pourrai obtenir un portrait réaliste de la gravité de son invalidité. Si l’appelante est en mesure d’effectuer régulièrement un travail qui lui permettrait de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[12] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 6.

[13] Cela signifie que l’invalidité de l’appelante ne peut être assortie d’une date de rétablissement prévue. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche l’appelante de travailler longtemps.

[14] L’appelante doit prouver qu’elle a une invalidité grave et prolongée. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est invalide.

Motifs de ma décision

[15] Je conclus que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en date du 10 mars 2020. J’en suis arrivé à cette décision après avoir examiné les questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelante était-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelante était-elle grave?

[16] L’invalidité de l’appelante était grave au 10 mars 2020. J’en suis arrivé à cette conclusion en tenant compte de plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci-après.

Les limitations fonctionnelles de l’appelante nuisent à sa capacité de travailler

L’appelante éprouve les problèmes de santé suivants :

[17] Toutefois, je ne peux me concentrer sur les diagnostics de l’appelanteNote de bas de page 11. Je dois plutôt me demander si elle avait des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vieNote de bas de page 12. Dans le cadre de cette démarche, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelante (pas seulement le problème principal) et réfléchir à leur incidence sur sa capacité de travaillerNote de bas de page 13.

[18] Je suis d’avis que l’appelante a des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travailler.

Ce que l’appelante dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[19] L’appelante affirme que ses problèmes de santé ont entraîné des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travailler.

[20] L’appelante dit avoir des épisodes quotidiens de paralysie musculaire et de spasmes depuis mars 2020. En raison de sa paralysie périodique hyperkaliémique et de sa myotonie congénitale, elle dit avoir un jour acceptable par semaine. Elle affirme ce qui suit :

  • parfois elle ne peut pas sortir du lit
  • elle peine à laver la vaisselle et à nettoyer
  • elle mange un sandwich ou de la nourriture qu’elle peut faire chauffer au micro-ondes
  • pendant une poussée, l’activité physique aggrave ses symptômes et prolonge parfois les symptômes pendant des jours
  • elle éprouve parfois de la difficulté à respirer (elle peut avoir de la difficulté à parler au téléphone) et à se rendre à la salle de bain
  • elle ne peut pas dormir au cours de certaines nuits en raison de crampes et de douleurs
  • elle ne peut pas rester debout pendant de longues périodes, voire parfois pendant plus de cinq minutes (par exemple, elle doit maintenant utiliser une chaise pour prendre une douche)
  • elle peut éprouver de difficulté à s’alimenter
  • elle ne peut pas marcher longtemps (la marche jusqu’à l’arrêt d’autobus est trop longue)
  • sa mère, qui habite à 10 heures de route, doit souvent venir s’occuper d’elle lorsqu’elle a de mauvais épisodes/des poussées.

L’appelante affirme que son genou cède souvent même si elle a eu deux arthroscopies (une procédure pour enlever le tissu cicatriciel) lorsqu’elle avait 19 et 28 ansNote de bas de page 14.

Elle affirme que depuis mars 2020, elle reste assise à la maison.

Ce que la témoin de l’appelante dit au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelante

La mère de l’appelante a témoigné. Bien que son témoignage ne soit pas aussi détaillé, elle a confirmé ce que l’appelante a dit au sujet de son état et de ses limitations fonctionnelles.

Ce que la preuve médicale révèle au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelante

[21] L’appelante doit fournir une preuve médicale démontrant que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travailler au 31 décembre 2022Note de bas de page 15.

[22] La preuve médicale étaye les propos de l’appelante. Dans un rapport en date du 22 novembre 2020, son médecin de famille (le Dr Makinde) a déclaré que l’appelante ne peut :

  • marcher plus de 100 mètres
  • transporter un poids de plus de 10 lb
  • poursuivre les activités physiques
  • rester assise ou debout pendant deux heures de façon continueNote de bas de page 16.

En 2019, une généticienne a identifié la mutation génique de l’appelante. Elle a déclaré que l’appelante avait signalé des épisodes allant d’une faiblesse légère à une fatigue corporelle complèteNote de bas de page 17.

Dans un rapport de juin 2021, le neurologue de l’appelante a déclaré que ses [traduction] « épisodes sont devenus assez fréquents au quotidien et que ses capacités sont réduites pendant des heures en raison de sa faiblesse et de la myotonie qui peut se révéler inconfortable et causer également une altération de la relaxation de ses mains »Note de bas de page 18.

[23] J’examinerai maintenant la question de savoir si l’appelante a suivi les conseils de ses médecins.

L’appelante a suivi les conseils des médecins

[24] Pour recevoir une pension d’invalidité, une partie appelante doit suivre les conseils de ses médecinsNote de bas de page 19. Si elle ne le fait pas, elle doit avoir une explication raisonnable. Je dois également examiner l’effet, le cas échéant, que les conseils des médecins auraient pu avoir sur son invaliditéNote de bas de page 20.

[25] L’appelante a suivi les conseils de ses médecinsNote de bas de page 21. Le ministre affirme que l’appelante a refusé de façon déraisonnable les changements de régime alimentaire recommandés par la généticienne qui lui a diagnostiqué une mutation génique. Je suis en désaccord avec le ministre.

[26] L’appelante affirme que les conseils alimentaires que la généticienne lui a donnés étaient flous, voire contradictoiresNote de bas de page 22. Elle a dit qu’avant ce rendez-vous, elle avait effectué des recherches sur le lien entre son état et son alimentation. Elle ajoute qu’elle ne résistait pas aux conseils, qu’elle posait plutôt des questions. Je la crois.

[27] L’appelante continue d’essayer de modifier son régime alimentaire pour prévenir les poussées de son état. Pour se faciliter la tâche, elle a acheté à ses frais un moniteur de potassium, car le niveau de potassium dans son corps est important pour son état. Son neurologue a confirmé en août 2021 que l’appelante essaie de manger d’une manière qui pourrait prévenir les poussées de ses symptômes. Malheureusement, cette note mentionne également que les efforts déployés par l’appelante pour contrôler son état au moyen d’un régime alimentaire n’ont pas fonctionnéNote de bas de page 23.

[28] Je dois maintenant décider si l’appelante peut occuper sur une base régulière d’autres types d’emploi. Pour pouvoir être qualifiées de graves, les limitations fonctionnelles de l’appelante doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, pas seulement dans son emploi habituelNote de bas de page 24.

L’appelante ne peut pas travailler dans un contexte réaliste

[29] Lorsque je décide si l’appelante peut travailler, je ne peux pas simplement examiner ses problèmes de santé et leur incidence sur ce qu’elle peut faire. Je dois également tenir compte des facteurs suivants :

  • son âge;
  • son niveau de scolarité;
  • ses capacités linguistiques;
  • son expérience professionnelle et personnelle.

[30] Ces facteurs m’aident à décider si l’appelante peut travailler dans un contexte réaliste, c’est-à-dire s’il est réaliste de dire qu’elle peut travaillerNote de bas de page 25.

[31] L’appelante ne peut pas travailler dans un contexte réaliste.

[32] L’appelante est relativement jeune, parle anglais, a une bonne éducation et une bonne expérience de travail qui lui donnent des compétences transférables. Dans le présent cas, cela n’a pas d’importance. L’appelante ne peut tout simplement pas occuper quelque emploi que ce soit. Ses limitations fonctionnelles sont trop graves et fréquentes.

[33] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était grave au 10 mars 2020. Voici pourquoi.

[34] Au 10 mars 2020, l’appelante ne pouvait même pas occuper un emploi qui n’était pas physiquement exigeantNote de bas de page 26. Elle a touché de l’assurance-chômage pendant environ 16 semaines. En août 2020, son employeur lui a offert un autre placement. Elle ne l’a pas accepté et n’a pas travaillé depuis.

[35] Le ministre affirme que l’appelante peut accomplir un travail moins exigeant physiquement que ce qu’elle faisait. Je ne suis pas d’accord.

[36] Lorsque l’appelante a cessé de travailler, elle n’effectuait pas un travail exigeant physiquement. À l’audience, elle a expliqué qu’elle n’avait pas occupé d’emplois exigeants physiquement depuis 2012. Après 2012, elle ne travaillait que dans des foyers où elle avait seulement à donner des médicaments aux clients, à s’asseoir et à regarder la télévision avec eux, à les aider à dîner et à prendre une douche, et à les conduire à des rendez-vous et à des sorties.

[37] Même avant qu’elle cesse de travailler complètement, l’appelante était absente du travail en raison de poussées de ses problèmes de santé. Au moment où elle a cessé de travailler en mars 2020, il arrivait une ou plusieurs fois par jour, presque tous les jours, que l’appelante ne puisse pas bouger ou qu’elle puisse bouger seulement avec beaucoup de difficulté. Quand elle s’est forcée, pour faire un sandwich par exemple, ses symptômes se sont aggravés et ont duré plus longtemps. La gravité de ses limitations fonctionnelles continue jusqu’à maintenant. Si elle ne peut pas accomplir ces choses, elle ne peut pas travailler du tout, peu importe à quel point un emploi peut être sédentaire ou peu exigeant physiquement.

L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?

[38] L’invalidité de l’appelante était prolongée.

[39] À l’adolescence, l’appelante a commencé à ressentir de légers épisodes de faiblesse musculaire une fois par année environ. Cette faiblesse a commencé à s’aggraver vers 2015, lorsqu’elle a commencé à avoir des épisodes de paralysie. Elle a aussi commencé à ressentir des crampes douloureuses en 2015Note de bas de page 27.

[40] Le ministre affirme que l’appelante ne prend pas actuellement de médicaments pour ses problèmes de santé et qu’elle attend de voir d’autres médecins et d’essayer d’autres médicaments.

[41] L’appelante prend des médicaments. Elle prend une dose plus faible de mexilétine, qu’elle a commencé à prendre en dose plus élevée à l’été 2020. Elle a mis fin au dosage plus élevé, comme on le lui a recommandé, en raison d’effets secondaires graves, y compris des yeux brillants, la nausée, des vertiges et des étourdissements. Elle prend aussi des médicaments pour sa tension artérielle.

[42] Elle a discuté d’autres médicaments avec ses médecins et attend de voir d’autres spécialistes. Toutefois, aucun médecin n’a laissé entendre qu’il existe un médicament susceptible d’améliorer considérablement ses problèmes de santé. Son état est rare. L’appelante et ses médecins essaient de nombreuses options et ajustent régulièrement les doses. Cela ne signifie pas que son état n’est pas prolongé. À l’audience, l’appelante a parlé de ses efforts continus pour effectuer un suivi auprès des spécialistes qu’elle consulte et vers lesquels elle a été aiguillée.

[43] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était prolongée en mars 2020.

Début des versements

[44] L’invalidité de l’appelante est devenue grave et prolongée en mars 2020.

[45] Il y a un délai de carence de quatre mois avant le début des versementsNote de bas de page 28. Cela signifie qu’ils commencent en juillet 2020.

Conclusion

[46] Je conclus que l’appelante a droit à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité était grave et prolongée.

[47] Cela signifie que l’appel est accueilli.

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