Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : SN c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 1428

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : S. N.
Représentante : S. D.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentant : Joshua Toews

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 3 février 2023 (GP-21-960)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 4 octobre 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’appelante
Représentant de l’intimé
Date de la décision : Le 30 octobre 2023
Date du corrigendum : Le 22 décembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-365

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’appelante a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] L’appelante a travaillé sur une chaîne de montage. Elle a 48 ans. Elle est née en Inde et est venue au Canada à l’âge de 20 ans. Elle a travaillé dans des entrepôts, des boulangeries et des usines. En septembre 2017, elle a commencé à travailler comme emballeuse pour une entreprise de fabrication d’armoires de cuisine.

[3] En mars 2019, l’appelante a reçu un diagnostic de carcinome épidermoïde. Elle a subi une intervention chirurgicale pour exciser une grosse tumeur de son oreille droite, ce qui lui a causé une importante perte auditive. L’appelante n’a pas connu depuis une récidive de cancer. Elle n’a pas recommencé à travailler.

[4] En septembre août 2020, l’appelante a demandé une pension d’invalidité du RPCNote de bas de page 1. Elle a déclaré qu’elle était incapable de travailler en raison de surdité, d’étourdissements, de maux de tête et d’autres symptômes liés à ses traitements contre le cancer. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande après avoir établi que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2020, soit la dernière fois qu’elle avait une couverture d’invalidité du RPC.

[5] L’appelante a porté le refus du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Celle-ci a tenu une audience par téléconférence et a rejeté l’appel. Elle a conclu que même si l’appelante avait certaines limitations fonctionnelles, son problème de santé ne l’empêchait pas de travailler.

[6] L’appelante a ensuite demandé la permission de faire appel à la division d’appel. En mai, un de mes collègues de la division d’appel a accordé à l’appelante la permission de faire appel. Plus tôt ce mois-ci, j’ai tenu une audience pour discuter en détail de sa demande de prestations d’invalidité.

Question préliminaire

[7] En décembre 2022, les règles régissant le déroulement des appels au Tribunal de la sécurité sociale ont été modifiées.Note de bas de page 2 Selon les nouvelles règles, après avoir donné la permission de faire appel, la division d’appel instruit l’appel de novo, c’est-à-dire qu’elle organise une nouvelle audience pour examiner les mêmes questions qui ont été soumises à la division générale. Comme je l’ai expliqué au début de l’audience, cela voulait dire que je ne serais lié par aucune des conclusions de la division générale. J’ai également précisé que j’examinerais tous les éléments de preuve disponibles, y compris les nouveaux éléments de preuve, pour savoir si l’appelante est devenue invalide pendant sa période de protection.  

Question en litige

[8] Dans le présent appel, je devais décider (i) si l’appelante est devenue invalide pendant sa période de protection et (ii) si elle l’est toujours.

Analyse

[9] J’ai appliqué la loi à la preuve disponible et j’ai conclu que l’appelante avait une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2020. Je suis convaincu que l’état de santé physique et psychologique de l’appelante à ce moment-là ne lui permettait pas d’offrir le genre de rendement régulier exigé dans un milieu de travail commercial.

Les personnes qui demandent une pension d’invalidité du RPC doivent démontrer qu’elles avaient une invalidité grave et prolongée pendant leur période de protection

[10] Pour avoir gain de cause, l’appelante devait prouver qu’il était plus probable qu’improbable qu’elle était devenue invalide pendant sa période de protection et qu’elle l’était toujours. Aux termes du RPC, une invalidité doit être grave et prolongée :

  • Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.Note de bas de page 3 Une personne n’a pas droit à une pension d’invalidité si elle est régulièrement capable d’effectuer un travail qui lui permet de gagner sa vie.
  • Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décès.Note de bas de page 4 Il faut s’attendre à ce que l’invalidité tienne la personne à l’écart du marché du travail pendant longtemps.

[11] Les parties ont convenu que la période de protection de l’appelante contre l’invalidité du RPC a pris fin le 31 décembre 2020.Note de bas de page 5 Cela voulait dire que je devais évaluer l’état de santé de l’appelante à compter de cette date et décider si elle avait des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vie.

L’appelante avait une invalidité grave pendant sa période de protection

[12] Lorsque j’évalue l’invalidité, je ne peux pas me concentrer uniquement sur les diagnostics de l’appelante.Note de bas de page 6 Je dois aussi me concentrer sur la question de savoir si son problème de santé a entraîné des limitations fonctionnelles qui l’ont empêchée de gagner sa vie.Note de bas de page 7 Pour ce faire, je dois examiner tous ses problèmes de santé, pas seulement le plus important.Note de bas de page 8

[13] Dans sa demande de prestations, l’appelante a déclaré qu’elle était incapable de travailler en raison des problèmes de santé et des symptômes suivantsNote de bas de page 9 :

  • carcinome épidermoïde à l’oreille droite;
  • troubles du sommeil;
  • rigidité de la tête et du cou;
  • douleurs aux épaules;
  • étourdissements fréquents;
  • maux de tête et migraines;
  • faible énergie et fatigue;
  • dépression et anxiété.

[14] L’appelante a aussi affirmé qu’elle avait de la difficulté à se pencher et à soulever des objets. De plus, elle a des troubles de mémoire et de concentration. Curieusement, l’appelante n’a pas mentionné la perte auditive comme étant un problème de santé invalidant même si, à mon avis, c’est la principale raison pour laquelle elle n’est plus capable de travailler.

L’appelante est atteinte d’une surdité complète du côté droit

[15] Dans ses observations, le ministre fait constamment référence à la « perte » auditive que l’appelante a connue du côté droit. Ce terme est quelque peu trompeur. En fait, lors d’une intervention chirurgicale l’appelante a subi l’ablation de son oreille droite et la fermeture de son conduit auditif externe. Elle ne peut pas entendre de ce côté-là du tout.

[16] En mars 2019, les résultats de l’imagerie ont révélé une tumeur importante sur le côté droit de la tête de l’appelante. Une biopsie a révélé un [traduction] « carcinome épidermoïde à expansion rapide du conduit auditif externe droit ».Note de bas de page 10 L’appelante a ensuite subi une opération chirurgicale comprenant les interventions suivantes :

  • os temporal, auriculectomie partielle (ablation chirurgicale de l’oreille);
  • un curage ganglionnaire cervical radical modifié à droite (coupe et séparation des tissus);
  • une parotidectomie quasi totale (ablation de la parotide) avec conservation des nerfs faciaux et décompression;
  • dissection de l’espace latéro-pharyngien droit (cavité dans la tête et le cou où sont les nerfs crâniens et les ganglions lymphatiques);
  • technique de reconstruction du lambeau libre de la cuisse antérolatérale gauche (greffe de la peau et des tissus de la jambe à la tête);
  • procédure d’allongement de la paupière droite grâce à un implant en or.Note de bas de page 11

[17] L’appelante s’est bien remise de son opération, mais elle en est sortie avec une perte auditive complète du côté droit. Elle a ensuite suivi une séance de radiothérapie qui, selon elle, a entraîné d’autres déficiences. Je vais aborder ces déficiences, mais je dois d’abord traiter de la question de son oreille gauche.

[18] Lors de l’audience, l’appelante a déclaré qu’en plus de sa perte auditive du côté droit, elle a également subi une détérioration de l’audition du côté gauche. Le dossier ne contient rien qui documente une telle détérioration avant le 31 décembre 2020, mais il y a un rapport d’audiologie qui a été produit deux ans plus tard. Les examens ont révélé [traduction] « une perte auditive neurosensorielle dans l’oreille gauche de degré léger, mais diminuant, et pratiquement sans surdité de transmission ».Note de bas de page 12 L’audiologiste-conseil a déclaré que l’appelante bénéficierait d’une amplification. L’appelante a confirmé à l’audience qu’elle avait reçu un appareil auditif l’an dernier.

[19] Je n’ai aucun moyen de confirmer l’étendue de la déficience auditive de l’appelante (côté gauche) avant la fin de sa période de protection. Cependant, je crois qu’il est raisonnable de supposer qu’elle a avait une certaine perte auditive à ce moment-là. Étant donné cette surdité et sa surdité plus grave du côté droit, je suis convaincu que l’appelante avait une déficience auditive importante en date du 31 décembre 2020. Cette déficience aurait nui à la capacité de travail de tout travailleur ou toute travailleuse, et c’est d’autant plus vrai à la lumière des antécédents professionnels de l’appelante.

Ses traitements contre le cancer ont été efficaces, mais ils ont entraîné une autre déficience importante

[20] En plus d’avoir une déficience auditive, l’appelante prétend avoir souffert de diverses maladies et limitations au cours de sa période de protection et par la suite. Je suis d’avis que l’une d’elles était importante, mais pas les autres.

[21] L’appelante affirme qu’elle est déprimée. Je juge que c’est vraisemblable, car elle a survécu à un cancer, mais a subi l’ablation de son oreille droite et a perdu la moitié de sa capacité auditive. Il y a un rapport au dossier rédigé par un psychologue clinicien qui a conclu que l’appelante faisait face à des difficultés d’adaptation, qui se manifestaient par des symptômes tels que l’insomnie, l’anhédonie et l’incapacité de se concentrer.Note de bas de page 13 Le psychologue a déclaré que l’appelante serait éventuellement capable [traduction] « d’apprécier les activités qu’elle aimait auparavant », mais ce n’est pas la même chose qu’un retour au travail. Même si le rapport a été produit après la fin de la période de protection, il est assez proche pour qu’on puisse raisonnablement déduire que la santé mentale de l’appelante était, sinon la principale cause de son invalidité, certainement un facteur qui y a contribué.  

[22] En ce qui concerne les autres plaintes de l’appelante, je ne vois pas d’éléments de preuve à l’appui dans les rapports au dossier. Lors d’un suivi annuel, son chirurgien ORL a décrit sa fonction nerveuse faciale comme étant [traduction] « remarquablement bonne », à part une faiblesse mandibulaire marginale.Note de bas de page 14

[23] En septembre 2020, le radio-oncologue de l’appelante a noté qu’elle avait des maux de tête intermittents, mais qu’ils [traduction] « ne nuisent pas de façon importante à sa qualité de vie ».Note de bas de page 15 Le Dr Hussain a également déclaré que l’appelante éprouvait des vertiges positionnels lorsqu’elle se tenait debout, mais je doute qu’il s’agisse d’un problème important. Dans un formulaire d’admission de patient subséquent, l’appelante a déclaré qu’elle n’avait pas éprouvé [traduction] « d’évanouissements et d’étourdissements ».Note de bas de page 16

[24] En somme, l’opération de l’appelante a entraîné un certain nombre d’effets secondaires de longue durée, mais je ne pense pas que la plupart d’entre eux contribuent de façon importante à son invalidité. L’exception est sa dépression, qui, combinée à sa surdité, a sérieusement nui à sa capacité fonctionnelle.

Si on tient compte de son état global, on ne peut pas dire que l’appelante était capable de travailler

[25] La principale décision portant sur l’interprétation du terme « grave » est la décision intitulée Villani. Dans cette décision, on indique que pour rendre une décision sur l’invalidité, le Tribunal doit évaluer [traduction] « l’état global » de la partie appelante dans un contexte réaliste.Note de bas de page 17 L’employabilité ne doit pas être évaluée de façon abstraite, mais plutôt à la lumière de « toutes les circonstances ». Ces circonstances s’inscrivent dans les deux catégories suivantes :

  • les antécédents de la partie appelante – des facteurs comme « l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie » sont pertinents;
  • L’état de santé de la partie appelante – il s’agit d’une enquête générale qui exige que l’état de santé de la personne soit évalué dans son ensemble.

[26] En l’espèce, je ne crois pas que l’appelante avait quoi que ce soit à offrir à un employeur dans un contexte réaliste à la fin de 2020. Il est vrai qu’elle n’avait que 46 ans à ce moment-là, mais ses problèmes de santé physique et psychologique ont fait en sorte que son rendement ne pouvait pas être fiable.

[27] L’appelante est née en Inde et est arrivée au Canada à l’âge adulte. À l’audience, elle a témoigné avec l’aide d’un interprète en pendjabi. Elle a dit qu’elle ne connaissait que quelques mots d’anglais; je n’ai aucune raison de ne pas la croire. Selon l’appelante, elle avait toujours réussi à trouver des emplois où elle était entourée de collègues qui parlaient sa langue maternelle. Sa capacité déjà limitée à communiquer dans un milieu de travail est désormais encore plus diminuée par sa déficience auditive.

[28] De plus, l’appelante a un niveau d’instruction limité; elle n’a que l’équivalent de deux années d’études secondaires dans son pays d’origine. Elle a de longs antécédents professionnels au Canada, mais il s’agissait toujours d’emplois physiques peu spécialisés.

[29] Compte tenu de ses antécédents et de ses problèmes de santé, l’appelante est effectivement inapte au travail. J’ai de la difficulté à voir comment, à la fin de sa période de protection, elle aurait pu exercer un emploi quelconque. Je ne pense pas non plus qu’elle aurait été une candidate appropriée pour le recyclage.

L’appelante n’avait pas une capacité suffisante pour trouver un autre emploi

[30] Une affaire intitulée Inclima exige que les personnes qui demandent une pension d’invalidité ayant une capacité résiduelle démontrent qu’elles ont fait des efforts raisonnables pour obtenir un emploi et que ces efforts ont été infructueux en raison de leur état de santé.Note de bas de page 18 En l’espèce, l’appelante n’avait pas la capacité résiduelle nécessaire pour faire de tels efforts. Je ne tirerai donc aucune conclusion négative concernant l’absence de preuve montrant qu’elle a fait des recherches d’emploi ou des enquêtes sur des programmes de recyclage. L’appelante croyait sincèrement qu’elle ne pouvait plus faire aucun type de travail, et la preuve médicale le confirme.

Le témoignage de l’appelante était crédible et convaincant

[31] L’appelante était une témoin sympathique et franche. Elle a expliqué que sa déficience auditive l’empêchait de travailler pendant sa période de protection. Elle a dit qu’elle n’avait pas remarqué que sa capacité auditive du côté gauche était déficiente avant l’ablation de son oreille droite. Elle a dit que la déficience s’était détériorée depuis. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle ne pouvait pas travailler, l’appelante a répondu qu’elle s’inquiéterait de ne pas comprendre ses collègues, surtout en cas d’urgence. Elle a également mentionné des étourdissements, qu’elle dit avoir trois ou quatre fois par jour. Il y a aussi de la douleur et de la raideur causées par la greffe de peau sur le côté droit de la tête, qui l’empêche, selon elle, de se déplacer aisément.

[32] J’ai cru l’appelante. Son témoignage et la preuve médicale disponible établissent que l’appelante avait des déficiences physiques et psychologiques importantes, lesquelles l’ont empêchée d’accomplir ses tâches de façon fiable au cours de la période précédant le 31 décembre 2020. Sa crédibilité a été renforcée par ses antécédents professionnels, soit 20 ans de revenus véritablement rémunérateurs dans divers emplois peu spécialisés. On peut raisonnablement supposer qu’une personne ayant ce genre d’éthique de travail n’aurait pas demandé une pension d’invalidité à moins d’avoir des problèmes médicaux importants.Note de bas de page 19

L’appelante a une invalidité prolongée

[33] Le témoignage de l’appelante, lequel est corroboré par les rapports médicaux, indique qu’elle a subi une perte auditive importante, et qu’elle souffre d’anxiété et de dépression depuis qu’elle a suivi des traitements pour une tumeur maligne à l’oreille droite. Elle n’a pas recommencé à travailler. Il est difficile de voir comment elle pourra reprendre ses fonctions, même avec l’aide de thérapies alternatives ou de nouveaux médicaments. Je suis d’avis que ces éléments donnent à penser que l’invalidité de l’appelante est prolongée.

Conclusion

[34] Je conclus que l’appelante est invalide depuis mai 2019, le dernier mois où elle a occupé un emploi. Comme le ministre a reçu sa demande de prestations en septembre août 2020, l’appelante est réputée invalide à compter de juin mai 2019.Note de bas de page 20 Par conséquent, la date de début de la pension d’invalidité du RPC de l’appelante est octobre septembre 2019.Note de bas de page 21

[35] L’appel est accueilli.

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