Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Ministre de l’Emploi et du Développement social c LP, 2024 TSS 72

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Érélégna Bernard
Partie intimée : L. P.
Représentante ou représentant : Chanel Scheepers

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 15 mars 2023
(GP-21-1532)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 15 janvier 2024

Personnes présentes à l’audience :

Représentante de l’appelant
Intimée
Représentante de l’intimée

Date de la décision : Le 24 janvier 2024
Numéro de dossier : AD-23-596

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille le présent appel. L’intimée n’a pas droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] L’intimée est une ancienne travailleuse de la construction et surveillante de la sécurité âgée de 57 ans. Elle a cessé de travailler en juillet 2017 après avoir ressenti de l’essoufflement. Même si elle a suivi des programmes de réadaptation, elle n’a pas travaillé depuis.

[3] L’intimée a demandé une pension d’invalidité du RPC en janvier 2020Note de bas de page 1. Elle a dit qu’elle ne pouvait plus travailler parce qu’elle souffrait d’emphysème et de maladie pulmonaire obstructive chronique. Elle a aussi dit qu’elle était atteinte d’une invalidité en raison d’un glaucome et d’une fracture du coccyx.

[4] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande après avoir conclu que l’intimée n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2020, soit la dernière fois qu’elle avait une couverture d’invalidité du RPCNote de bas de page 2.

[5] L’intimée a porté le refus du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Celle-ci a tenu une audience par téléconférence et a accueilli l’appel. Elle a conclu que l’intimée était régulièrement incapable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur pendant sa période de protection.

[6] Le ministre n’était pas d’accord avec cette décision et a demandé la permission de faire appel à la division d’appel. L’an dernier, une de mes collègues de la division d’appel a accordé au ministre la permission de faire appel. Plus tôt ce mois-ci, j’ai tenu une audience pour discuter de l’affaire dans son ensemble.

[7] Maintenant que j’ai examiné les observations des deux parties, j’ai conclu que l’intimée n’a pas démontré qu’elle est admissible à une pension d’invalidité du RPC. La preuve montre que l’intimée, bien que sujette à certaines limitations fonctionnelles, n’était pas atteinte d’une invalidité grave à la fin de 2020 et depuis ce temps.

Question en litige

[8] Pour gagner son appel, l’intimée devait prouver qu’il était plus probable qu’improbable qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée pendant sa période de protection. Les parties ont convenu que cette période a pris fin le 31 décembre 2020Note de bas de page 3.

  • Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 4. Une partie requérante n’a pas droit à une pension d’invalidité si elle est régulièrement capable d’effectuer un quelconque travail qui lui permet de gagner sa vie.
  • Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 5. Pour être prolongée, l’invalidité de la partie requérante doit l’obliger à quitter le marché du travail pendant très longtemps.

[9] Dans le présent appel, je devais décider si l’intimée était atteinte d’une invalidité grave et prolongée avant le 31 décembre 2020.

Analyse

[10] J’ai appliqué la loi à la preuve disponible et j’ai conclu que l’intimée n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée pendant sa période de protection. Je suis convaincu que ses problèmes de santé ne l’empêchaient pas de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice.

L’intimée n’est pas atteinte d’une invalidité grave

[11] Les personnes qui demandent des prestations d’invalidité sont responsables de prouver qu’elles sont atteintes d’une invalidité grave et prolongéeNote de bas de page 6. J’ai examiné le dossier et j’ai conclu que l’intimée ne s’est pas acquittée de ce fardeau selon le critère énoncé dans le Régime de pensions du Canada. Malgré la présence possible de déficiences pendant sa période de protection, les éléments de preuve ne suffisent pas à montrer qu’elles l’ont rendue incapable d’effectuer tout type de travail.

[12] Dans sa demande de prestations, l’intimée a décrit ses principaux problèmes de santé invalidants comme étant l’emphysème et la maladie pulmonaire obstructive chronique. Elle a dit que son poumon droit avait une bulle d’air de 7,5 cm et que son poumon gauche avait plusieurs bulles plus petites qui la rendaient essoufflée après 10 à 15 minutes d’activitéNote de bas de page 7.

[13] L’intimée a également déclaré qu’un glaucome lui avait fait perdre 20 % de sa vision périphérique. Elle a dit qu’elle s’est cassé le coccyx en 2019, ce qui l’a rendue incapable de rester assise pendant de longues périodes.

[14] Elle a jugé que sa capacité à faire de nombreuses activités quotidiennes était passable à mauvaise.

[15] L’intimée a déclaré qu’elle a travaillé comme agente de la sécurité sur les chantiers de construction pendant de nombreuses années. Elle a dit que c’était un travail bien rémunéré et très physique qui lui demandait de monter sur des échafaudages et des échelles et de travailler à haute altitude en portant un harnais. En 2016, elle a commencé à perdre son souffle et son énergie. Ses collègues ont fait de leur mieux pour l’aider, mais après quelques mois, elle s’est sentie incapable de continuer. En juillet 2017, elle a pris un congé de courte durée.

[16] Depuis, l’intimée a cessé de fumer et a participé à au moins deux programmes de réadaptation. Même si son endurance physique s’est quelque peu améliorée, elle ne s’est jamais sentie capable de reprendre son ancien emploi.

[17] Bien que l’intimée puisse avoir l’impression qu’elle est invalide, je dois fonder ma décision sur autre chose que sa seule vision subjective de sa capacitéNote de bas de page 8. Dans la présente affaire, la preuve, considérée dans son ensemble, ne me porte pas à conclure qu’elle avait une déficience grave qui l’empêchait d’effectuer un travail convenable avant le 31 décembre 2020.

[18] Je fonde cette conclusion sur les facteurs ci-dessous.

Les rapports médicaux de l’intimée ne portent pas à conclure à l’existence d’une invalidité grave

[19] L’intimée devait fournir des preuves médicales de limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travail au plus tard le 31 décembre 2020Note de bas de page 9. Toutefois, les rapports au dossier ne démontrent pas l’existence d’une invalidité grave.

Le médecin de famille

[20] Le Docteur O’Grady est le médecin de famille de l’intimée depuis 29 ans. Par conséquent, il était bien placé pour observer et documenter ses problèmes de santé et leurs répercussions sur sa vie. Son dossier indique ce qui suit :

  • En octobre 2017, l’intimée a été examinée pour son essoufflement et un tomodensitogramme a révélé des signes d’emphysème dans ses deux poumonsNote de bas de page 10.
  • En décembre 2017, le Docteur O’Grady a écrit que l’intimée était capable de faire de l’activité physique modérée, mais qu’elle était limitée par son essoufflement, caractérisé par une entrée d’air réduite, une phase d’expiration prolongée et un sifflement intermittentNote de bas de page 11.
  • En même temps, le Docteur O’Grady a déclaré que, même si elle ne pouvait pas reprendre ses fonctions à temps partiel ou en faisant modifier ses tâches, son aptitude à retourner au travail serait déterminée à la fin de son programme de réadaptation pulmonaireNote de bas de page 12.
  • En juin 2018, l’intimée a terminé un programme de réadaptation respiratoire et se sentait prête à retourner au travail, même si elle ne pourrait pas travailler dans des environnements poussiéreux ou enfumésNote de bas de page 13.
  • En octobre 2018, l’intimée a déclaré qu’elle faisait de l’exercice et qu’elle voulait se recyclerNote de bas de page 14.
  • En janvier 2019, le rétablissement de l’intimée avait apparemment atteint un plateau, mais elle a signalé des douleurs au coccyx et il ne semblait pas [traduction] « qu’elle pourrait retourner au travail dans son état »Note de bas de page 15.

[21] Ces notes indiquent que les symptômes pulmonaires de l’intimée se sont améliorés avec le traitement. Elles montrent également qu’elle était prête à essayer un nouvel emploi après avoir subi une blessure au coccyx. J’examinerai plus tard l’incidence de cette blessure sur son employabilité. Cependant, il semble que l’essoufflement n’a pas empêché l’intimée d’au moins essayer de trouver un autre emploi au début de 2019.

[22] Plus tard, après que l’intimée a demandé des prestations d’invalidité du RPC, le Docteur O’Grady a rédigé des rapports qui proposent une vision plus pessimiste de son état de santé. En mars 2022, il a déclaré que l’intimée avait reçu un diagnostic de maladie pulmonaire obstructive chronique avancée, qui lui permettait de marcher pas plus de 10 minutes sur des surfaces planes, lentement et en prenant des pauses. Le Docteur O’Grady a également souligné que l’intimée ne pouvait pas s’habiller sans perdre son souffleNote de bas de page 16. En octobre 2022, il a noté une capacité limitée de marcher, d’utiliser des escaliers et de transporter l’épicerie. Il a déclaré que l’intimée était incapable de travailler, peu importe le type d’occupationNote de bas de page 17.

[23] Cependant, les rapports récents du Docteur O’Grady contrastent avec ses notes cliniques antérieures dans lesquelles il a écrit, pas plus tard qu’en octobre 2018, que l’intimée se sentait assez bien pour se recycler. Cependant, rien dans le dossier médical n’indique que la santé pulmonaire de l’intimée s’est considérablement détériorée entre 2018 et 2022.

[24] Les récents rapports du Docteur O’Grady s’opposent également à ses notes cliniques plus récentes. En mars 2022, le Docteur O’Grady a noté que l’intimée avait pris du poids et que sa respiration était plus intense avec l’activité physiqueNote de bas de page 18. Cependant, après que le Docteur O’Grady a augmenté la dose d’inhalation de l’intimée, elle a signalé une certaine améliorationNote de bas de page 19. À peu près au même moment, une radiographie pulmonaire n’a révélé aucune anomalie, et une exploration fonctionnelle pulmonairea révélé une limitation minimale du débit d’airNote de bas de page 20. En mai 2022, l’intimée [traduction] « se sentait beaucoup mieux » après avoir pris un antibiotique pour traiter l’aggravation de sa maladie pulmonaire obstructive chroniqueNote de bas de page 21.

[25] Les notes de traitement du Docteur O’Grady donnent à penser que les symptômes d’emphysème de l’intimée étaient réels, mais gérables avec l’aide de médicaments. Même si la santé pulmonaire de l’intimée s’est détériorée entre 2018 et 2022, la preuve la plus convaincante montre qu’une telle détérioration s’est produite au début de 2022, bien après la fin de sa période de protection.

Le pneumologue

[26] La maladie pulmonaire de l’intimée a été traitée en majeure partie par son médecin de famille. La seule fois où elle a consulté un spécialiste était en novembre 2017, lorsqu’elle a été adressée au Docteur Brake, un pneumologueNote de bas de page 22. Dans son rapport, le Docteur Brake a fait référence à une exploration fonctionnelle pulmonaire antérieure qui a révélé une obstruction légère à modérée du débit d’air sur laquelle l’utilisation d’un bronchodilatateur a eu un effet important. Il a noté que sa toux produisait un crachat clair et bulleux et qu’elle se plaignait de douleurs pendant une poussée. Lors de l’examen, l’intimée a montré un essoufflement après avoir marché cinq minutes sur un tapis roulant et avoir monté dix marches d’escalier. Le Docteur Brake lui a attribué une cote de 3 sur 5 sur l’échelle de dyspnée du Medical Research Council [conseil de recherches médicales], indiquant qu’elle marchait plus lentement que la plupart des gens — c’est-à-dire qu’elle est susceptible d’avoir à arrêter après avoir marché environ un mile à son propre rythme.

[27] Les conclusions du Docteur Brake montrent clairement des limitations fonctionnelles, mais elles ne donnent pas à penser que l’intimée devrait être empêchée d’effectuer ou d’essayer tout type de travail. Il n’a pas souligné de restriction physique importante au moment de son examen et il a exprimé l’espoir que la poursuite du traitement améliore l’état de santé de l’intimée. Il a souligné que ses poussées avaient déjà bien répondu à la prednisone et il lui a recommandé de s’inscrire à un programme de réadaptation pulmonaire.

Les physiothérapeutes

[28] L’intimée a maintenant participé à deux programmes de réadaptation pulmonaire qui ont donné des résultats positifs. À compter d’octobre 2018, l’intimée a fréquenté une clinique de CBI Santé pour un programme d’exercice et d’éducation de 12 semainesNote de bas de page 23. Lors de l’évaluation initiale, l’objectif était d’augmenter l’endurance de l’intimée au point où elle pourrait progressivement retourner à son emploi précédent. Après plusieurs semaines, l’intimée a démontré des améliorations dans sa tolérance sur le tapis roulant. En effet, elle a marché pendant six minutes sans prendre de pause et a toléré un rythme de 2,4 mi/h pendant 20 minutesNote de bas de page 24. À sa sortie, l’intimée a fait preuve d’une légère diminution de sa vitesse de marche et de son endurance et n’était pas en mesure de soulever la charge requise par son ancien emploi. Cependant, elle n’avait aucune restriction pour s’asseoir ou tenir deboutNote de bas de page 25.

[29] L’intimée a terminé un autre programme de réadaptation de 12 semaines au début de 2020. À sa sortie, son physiothérapeute a noté qu’elle était capable de faire de l’exercice pendant 45 à 60 minutes et de marcher trois ou quatre fois par semaine à la maison pendant 60 minutes. Il a dit qu’elle s’était bien débrouillée dans l’ensembleNote de bas de page 26.

[30] À l’audience, l’intimée a insisté sur le fait que le rapport de cette dernière réadaptation déformait ses véritables capacités. Elle a soutenu qu’il a exclu le fait qu’elle devait se reposer toutes les dix minutes pendant ses exercices et qu’elle était épuisée à la fin. Cependant, je juge peu probable qu’un professionnel qualifié omette des détails aussi importants, surtout dans un rapport préparé dans le contexte d’un traitement.

[31] Même si l’intimée avait des problèmes respiratoires à la fin de sa période de protection, la preuve médicale disponible semble indiquer que ses problèmes de santé étaient moins graves. Je suis d’avis que l’intimée a certaines limitations physiques en date du 31 décembre 2020, mais pas assez pour l’empêcher d’essayer un autre emploi.

Les autres problèmes de santé de l’intimée ne contribuent pas à son invalidité

[32] En plus de souffrir d’essoufflement dû à un emphysème, l’intimée a mentionné une déficience visuelle et une fracture du coccyx comme facteurs de son invalidité. Après avoir présenté sa demande, l’intimée a affirmé qu’une polyarthrite rhumatoïde l’empêchait également de travailler.

[33] Après avoir examiné les dossiers médicaux de l’intimée, je ne vois pas comment ces problèmes de santé ont contribué à une invalidité, que ce soit par eux-mêmes ou en addition à d’autres.

  • L’intimée a reçu un diagnostic de glaucome, mais un diagnostic en soi n’équivaut pas à une invalidité. J’ai vu peu d’éléments de preuve indiquant qu’une déficience visuelle aurait eu une incidence importante sur la capacité de l’intimée à effectuer tout type de travail avant la fin de sa période de couverture. En septembre 2020, à la suite d’un examen de la vue de routine, un optométriste a conseillé à l’intimée de consulter immédiatement un ophtalmologisteNote de bas de page 27. Elle en a consulté un qu’en janvier 2022, le Docteur Kettledas, qui a confirmé son diagnostic et mis à jour sa médicationNote de bas de page 28. Par la suite, il a effectué une série d’interventions chirurgicales au laser destinées à soulager la pression interoculaire [sic] de l’intiméeNote de bas de page 29. Ces procédures se sont apparemment bien dérouléesNote de bas de page 30, mais l’intimée affirme qu’elle avait encore une réduction de 20 % de sa vision périphérique. Il n’y a aucune mention d’une telle réduction dans les rapports médicaux disponibles, mais même si c’était vrai, cela n’aurait pas nui à la capacité de l’intimée d’au moins essayer un emploi sédentaire.
  • L’intimée affirme qu’elle s’est fracturé le coccyx au début de 2019, mais le dossier ne contient aucune preuve médicale objective pour confirmer une telle blessure. Les notes de clinique rédigées par le Docteur O’Grady contiennent une seule référence à la plainte de l’intimée concernant une [traduction] « douleur persistante » dans son coccyxNote de bas de page 31, mais il n’y a pas de radiographie ni de rapport d’imagerie à l’appui de cette affirmation. Quoi qu’il en soit, même si l’intimée s’était vraiment fracturé le coccyx, elle n’a présenté aucune preuve indiquant que la fracture n’avait pas bien guéri mis à part son propre témoignage.
  • L’intimée soutient qu’elle est atteinte de polyarthrite rhumatoïde, mais elle n’a pas mentionné cette maladie dans sa demande de prestations, ce qui soulève des questions quant à sa gravitéNote de bas de page 32. Lors de son témoignage, elle a décrit des douleurs généralisées et l’augmentation de limitations à ses pieds, à ses hanches, à son coccyx, à ses poignets et à ses mains. Elle dit qu’elle ne peut même pas serrer le poing, mais son médecin de famille n’a jamais mentionné l’arthrite dans ses notes et ses rapports, et il ne l’a pas non plus adressée à un spécialiste qui serait peut-être mieux placé pour concevoir un plan de traitement. Il est vrai que le Docteur O’Grady a prescrit du Meloxicam à l’intimée, un analgésique anti-inflammatoire, mais ce n’est pas en soi une preuve convaincante qu’elle a un grave problème d’arthrite. L’intimée a laissé entendre que l’île du Cap-Breton est une région insuffisamment desservie, mais je pense qu’il est raisonnable de supposer que si son problème de santé était assez grave, le Docteur O’Grady, ou tout autre médecin généraliste compétent aurait demandé de l’aide supplémentaire.

[34] En fin de compte, il n’y avait tout simplement pas assez d’éléments de preuve médicale objective pour appuyer ce que l’intimée dit au sujet des effets débilitants de son glaucome, de ses douleurs au coccyx ou de ses douleurs arthritiques. Je ne doute pas que l’intimée éprouve une certaine perte de vision et des douleurs articulaires, mais je ne vois pas comment ces symptômes, même combinés à son essoufflement, l’empêchent d’essayer un autre emploi.

Des examens médicaux indépendants donnent à penser que l’intimée avait une capacité

[35] L’intimée a été traitée par des médecins, des spécialistes et des consultants en réadaptation, mais elle a également subi deux examens médicaux indépendants conformément à sa demande de prestations d’invalidité de longue durée. Il est vrai que, comme ces examens ont été demandés par le fournisseur d’assurance du lieu de travail de l’intimée, ils pourraient ne pas être tout à fait objectifs. Cependant, ils ont la vertu, contrairement aux rapports des personnes qui lui ont fourni un traitement, d’évaluer l’intimée en tant que personne entière tout en se concentrant non seulement sur ses problèmes de santé, mais aussi sur ses capacités fonctionnelles :

  • Une évaluation des capacités fonctionnelles effectuée en août 2018 arévélé que l’intimée était capable d’effectuer une journée de travail de huit heures avec des tâches allégées et avec des limitations mineures pour ce qui est de marcher, occasionnelles pour ce qui est de ramper et de saisir fermement des deux côtés, et fréquentes pour ce qui est de tenir en équilibre et de lever les bras au-dessus des épaules. Le rapport a conclu que tout emploi recherché devrait tenir compte des restrictions médicales énoncées par les médecins traitants de l’intiméeNote de bas de page 33.
  • Une analyse des compétences transférables effectuée en mars 2019 a révélé que, même si l’intimée ne pouvait pas reprendre son emploi précédent, elle était capable de faire un travail sédentaire à temps plein. En effet, elle pourrait exercer la profession d’agente administrative, d’adjointe administrative ou d’employée de soutien de bureau générale compte tenu de son profil fonctionnel et de ses compétences transférables. L’analyse a également révélé qu’il lui manquait deux cours avant qu’elle termine un programme de diplôme en santé et sécurité au travail offert en ligneNote de bas de page 34.

[36] Les deux rapports indiquent que, même avec ses diverses déficiences, l’intimée a conservé une capacité fonctionnelle considérable après avoir quitté son dernier emploi. Leurs conclusions laissent croire qu’elle était toujours capable d’occuper une gamme d’emplois peu exigeants physiquement à la fin de 2018 et au début de 2019. En l’absence de preuve convaincante que son état de santé s’est détérioré au cours des deux années suivantes, il semble que l’intimée avait une capacité résiduelle en date du 31 décembre 2020.

Les antécédents et les caractéristiques personnelles de l’intimée n’ont pas nui à son employabilité

[37] Selon la preuve médicale, je conclus que l’intimée avait une capacité de travail. J’en suis encore plus convaincu lorsque j’examine son employabilité globale.

[38] La décision principale sur l’interprétation du terme « grave » est la décision Villani, qui exige que le Tribunal, lorsqu’il évalue l’invalidité, considère une partie intimée comme une [traduction] « personne entière » dans un contexte réalisteNote de bas de page 35. L’employabilité ne doit pas être évaluée de façon abstraite, mais plutôt à la lumière de [traduction] « toutes les circonstances ».

[39] Pour décider si l’intimée est capable de travailler, je ne peux pas me contenter d’examiner ses problèmes de santé. Je dois aussi tenir compte de facteurs comme son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie. Ces facteurs m’aident à décider si l’intimée pouvait travailler dans un contexte réaliste.

[40] L’intimée avait 54 ans lorsqu’elle a reçu une couverture d’assurance-invalidité du Régime de pensions du Canada pour la dernière fois. Elle n’était plus jeune à la fin de 2020, mais elle était encore à dix ans de l’âge typique de la retraite. L’intimée a seulement un diplôme d’études secondaires, mais elle compense ce fait par un long historique de travail, un qui a abouti à une position d’une responsabilité considérable. Lors de son analyse des compétences transférables, son dernier emploi à titre d’agente de la sécurité sur les chantiers de construction a été décrit comme suit :

[traduction] Elle devait notamment s’assurer que l’équipement, les matériaux et les processus de production étaient sécuritaires pour le personnel et le public. Elle a élaboré, mis en œuvre et évalué des stratégies et des programmes de santé et de sécurité. Elle a participé à des vérifications de sécurité et à des programmes de sécurité, et a donné des conseils sur les interventions d’urgence quand c’était nécessaireNote de bas de page 36.

[41] À l’audience, l’intimée a insisté sur le fait qu’elle n’avait aucune expérience avec les ordinateurs, mais elle semble avoir dit quelque chose de différent lors de l’évaluation des compétences transférables :

[traduction] Compétences en informatique : [l’intimée] a déclaré être autodidacte. Elle a utilisé un logiciel interne à son dernier lieu de travail. Elle utilise actuellement son ordinateur pour terminer ses études en ligne (programme de diplôme en santé et sécurité au travail), mais sans cela, elle n’a aucune compétence en MS Office ni en dactylographieNote de bas de page 37.

[42] Le dernier emploi de l’intimée était dangereux et exigeant physiquement, mais il demandait aussi des personnes et des compétences administratives qui seraient des atouts sur le marché du travail. Je suis convaincu que, même avec son essoufflement et ses autres problèmes de santé, elle avait une capacité résiduelle d’au moins essayer une autre carrière.

L’intimée n’a pas essayé de faire un autre travail

[43] L’intimée a quitté son dernier emploi en raison d’une diminution de son endurance physique, mais après avoir reçu un traitement, elle n’a pas cherché un emploi qui aurait pu nécessiter moins d’efforts. Par conséquent, je n’ai pas été en mesure d’évaluer correctement la gravité de l’invalidité de l’intimée. En effet, elle n’a pas fait d’efforts sérieux pour trouver un autre emploi.

[44] Une décision de la Cour d’appel fédérale intitulée Inclima dit que les personnes qui demandent des prestations d’invalidité doivent faire leur possible pour trouver un emploi qui pourrait être mieux adapté à leurs déficiences :

En conséquence, une partie demanderesse qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’elle a de sérieux problèmes de santé, mais où il y a des preuves de capacité de travail, elle doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé [c’est moi qui souligne]Note de bas de page 38.

[45] Ce passage donne à penser que si une personne conserve au moins une certaine capacité de travail, la division générale doit effectuer une analyse pour établir i) si elle a tenté de trouver un autre emploi et ii) dans l’affirmative, si ses déficiences l’ont empêchée d’obtenir et de conserver cet emploi. De plus, les personnes qui demandent des prestations d’invalidité doivent faire des tentatives significatives pour retourner au travailNote de bas de page 39. Elles ne peuvent pas limiter leur recherche d’emploi au type de travail qu’elles effectuaient avant de devenir invalides. En effet, elles doivent démontrer qu’elles sont régulièrement incapables de détenir toute occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 40.

[46] L’intimée a déclaré qu’elle aimait son emploi et qu’elle voulait retourner au travail. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait jamais essayé un emploi de bureau ou de vente au détail, elle a répondu qu’en raison de ses problèmes de santé, elle se réveillait fatiguée et mettait trop de temps à se préparer. Elle a insisté sur le fait qu’elle n’aurait pas été en mesure d’offrir un rendement prévisible.

[47] Je suis convaincu que l’intimée avait au moins une certaine capacité de travail, ce qui était suffisant pour qu’elle soit obligée de chercher un autre emploi. Comme nous l’avons vu, l’intimée a été jugée capable de marcher jusqu’à 60 minutes à la fois. Elle a été jugée capable d’occuper divers emplois sédentaires. Il n’a jamais été établi qu’elle avait des limitations pour rester assise longtemps.

[48] Même si le dossier ne contenait que peu d’éléments laissant croire que ses limitations fonctionnelles l’empêchaient d’effectuer un travail allégé, l’intimée n’a jamais tenté de travailler, de chercher du travail ou de se recycler après avoir quitté son emploi d’agente de la sécurité sur les chantiers de construction.

Je n’ai pas à vérifier si l’intimée est atteinte d’une invalidité prolongée

[49] Une invalidité doit être grave et prolongéeNote de bas de page 41. Comme l’intimée n’a pas prouvé que son invalidité est grave, il n’est pas nécessaire que j’évalue si elle pourrait aussi être prolongée.

Conclusion

[50] L’intimée souffre d’emphysème, de maladie pulmonaire obstructive chronique et d’autres problèmes de santé, mais la preuve disponible semble démontrer que ceux-ci ne l’ont pas empêchée de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice pendant sa période de protection. De plus, l’intimée n’a jamais fait de véritable effort pour trouver un emploi qui aurait pu être mieux adapté à ses limitations. Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que l’intimée était atteinte d’une invalidité grave en date du 31 décembre 2020.

[51] L’appel est accueilli.

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