Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : Ministre de l’Emploi et du Développement social c DM, 2024 TSS 51

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Joshua Toews
Partie intimée : D. M.

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 20 février 2023 (GP-22-418)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 22 décembre 2023
Personnes présentes à l’audience : Représentant de l’appelant
Intimé
Date de la décision : Le 17 janvier 2024
Numéro de dossier : AD-23-543

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Décision

[1] J’accueille le présent appel. L’intimé a cessé d’être invalide lorsqu’il a retrouvé la capacité de gagner un revenu véritablement rémunérateur. Il est inadmissible à la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) à compter d’avril 2019.

Aperçu

[2] L’intimé est un ancien enseignant âgé de 63 ans. En octobre 2017, il a subi une intervention chirurgicale pour enlever des polypes de ses cordes vocales. Cette opération l’a rendu incapable de parler pendant de longues périodes.

[3] L’intimé a démissionné de son emploi et demandé une pension d’invalidité du RPC. Il a affirmé qu’il ne pouvait plus travailler parce que sa capacité à communiquer était réduite. Le ministre a approuvé la demande à compter de novembre 2017.

[4] En janvier 2018, l’intimé a informé le ministre qu’il avait reçu l’autorisation médicale de retourner au travail. À la fin de 2018, il a trouvé un emploi à temps partiel comme conseiller rabbinique pour une usine de transformation du lait cachère. À peu près au même moment, il a commencé à travailler pour une entreprise établie aux États-Unis qui effectuait la vérification des antécédents pour les propriétaires.

[5] Le ministre a appris par la suite que l’intimé avait gagné plus de 16 000 $ grâce à ces deux emplois en 2019. À la suite d’une enquête, le ministre a conclu qu’il n’était plus invalide et a mis fin à sa pension à compter d’avril 2019Note de bas de page 1. Le ministre a également évalué un trop-payé pour les prestations qu’il a reçues de mai 2019 à avril 2021.

[6] L’intimé a porté la décision du ministre en appel au Tribunal de la sécurité sociale. La division générale du Tribunal a tenu une audience par téléconférence et a accueilli l’appel. Elle a conclu que le ministre n’avait pas démontré que l’intimé avait cessé d’être invalide en avril 2019. La division générale a reconnu qu’il avait reçu une rémunération provenant de deux emplois en 2019, mais elle a conclu qu’après la déduction des dépenses d’entreprise, celle-ci tombait sous le seuil d’une occupation véritablement rémunératrice.

[7] Le ministre a ensuite demandé la permission de faire appel à la division d’appel. En juin dernier, une de mes collègues de la division d’appel a accordé au ministre la permission de faire appel. Le mois dernier, j’ai tenu une audience pour discuter de l’ensemble de sa cause.

[8] Après avoir examiné les observations des deux parties, j’ai conclu que l’intimé est devenu inadmissible à la pension d’invalidité du RPC à compter d’avril 2019. La preuve démontre que, même si l’intimé avait encore des problèmes de santé à ce moment-là, il n’était plus incapable d’exercer tout type d’emploi régulier.

Ce que je dois décider

[9] Ma tâche est de décider si l’intimé a cessé d’être invalide et, dans l’affirmative, à quel moment.

[10] Lorsque le ministre a approuvé sa demande de prestations en 2017, il a admis que l’intimé était atteint d’une invalidité grave et prolongée. Aux termes du Régime de pensions du Canada, ces mots ont un sens précis :

  • Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 2. Une personne n’a pas droit à une pension d’invalidité si elle est régulièrement capable de faire un quelconque travail qui lui permet de gagner sa vie.
  • Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 3. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité tienne la personne à l’écart du marché du travail pendant très longtemps.

[11] Lorsque le ministre met fin à des prestations qu’il avait approuvées auparavant, il lui incombe de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’invalidité du bénéficiaire n’est plus grave et prolongéeNote de bas de page 4.

[12] Dans la présente affaire, le ministre devait prouver que la rémunération perçue par l’intimé après l’invalidité i) était véritablement rémunératrice, ii) indiquait une capacité d’occuper un emploi régulier et iii) ne provenait pas d’un « employeur bienveillant ».

Analyse

[13] J’ai appliqué la loi à la preuve disponible. Je suis convaincu que le ministre s’est acquitté du fardeau de prouver que l’intimé a cessé d’être atteint d’une invalidité grave et prolongée à compter d’avril 2019. L’intimé continue d’avoir des problèmes de santé, mais il a réussi à conserver un emploi véritablement rémunérateur pendant une longue période, bien après avoir commencé à recevoir la pension d’invalidité du RPC.

La rémunération de l’intimé dépassait le seuil d’une occupation véritablement rémunératrice

[14] Après l’approbation de sa demande de pension d’invalidité du RPC, l’intimé n’a occupé que des emplois à temps partiel mal rémunérés. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il était toujours invalide ou incapable d’occuper régulièrement un emploi véritablement rémunérateurNote de bas de page 5.

[15] L’intimé a déclaré qu’à la fin de 2018, il a commencé à faire du travail occasionnel pour X. Il a dit que le travail n’était pas exigeant — il n’avait qu’à aller dans une laiterie et s’assurer que celle-ci produisait du lait conformément aux lois hébraïques. L’emploi lui demandait d’observer les processus et de prendre des notes sur une liste de vérification.

[16] L’intimé avait déjà commencé à travailler pour un ami qui gérait X, une entreprise établie au New Jersey qui examine des locataires éventuels pour les propriétaires. L’intimé commercialisait les services de l’entreprise à partir de son domicile au Canada. Il a reçu une commission pour chacun de ses clients.

[17] L’intimé n’a pas travaillé pour X depuis 2019, mais il y est toujours employé à titre d’entrepreneur indépendant.

[18] L’article 68.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada associe chaque année une occupation « véritablement rémunératrice » à une valeur précise en dollars. Tout salaire qui dépasse la somme annuelle maximale qu’une personne peut recevoir à titre de pension d’invalidité est considéré comme provenant d’une occupation véritablement rémunératrice.

[19] La preuve disponible montre que l’intimé a gagné les sommes suivantes dans les années après que le ministre l’a jugé invalideNote de bas de page 6 :

Année Revenus d’emploi Revenus bruts d’entreprise Revenus nets d’entreprise Montant maximal pour personnes handicapées
2018 287 $ 3 250 $ 2 224 $ 16 029 $
2019 9 352 $ 7 197 $ 563 $ 16 353 $
2020 - - - 16 652 $
2021 - 18 927 $ 10 571 $ 16 964 $

[20] L’intimée a déclaré qu’il n’a rien gagné en 2020 parce que [traduction] « tout était essentiellement en suspens » pendant la première année de la pandémie de COVID-19Note de bas de page 7. Toutefois, le total de ses revenus d’emploi et de ses revenus bruts d’entreprise dépassait le montant maximal pour personnes handicapées pour 2019 et 2021.

[21] L’excédent en soi ne me permet pas de trancher la question, mais il laisse croire que l’intimé a retrouvé la capacité d’exercer un emploi véritablement rémunérateur au début de 2019.

Les revenus bruts d’entreprise de l’intimé reflètent une capacité

[22] L’intimé a soutenu que ses revenus bruts d’entreprise ne sont qu’une partie de l’équation. Il a insisté sur le fait que pour toucher ces revenus, il a dû engager des dépenses d’entreprise. Il a fait valoir que ses revenus nets d’entreprise, qui étaient bien inférieurs au seuil prévu par la loi, étaient une meilleure représentation de sa capacité.

[23] Lorsqu’une personne qui demande une pension d’invalidité enregistre un revenu d’entreprise, il faut se demander si on doit accorder plus d’importance aux revenus bruts ou aux revenus nets. Le ministre se concentre habituellement sur les revenus bruts, mais il y a des affaires qui tiennent également compte des revenus netsNote de bas de page 8. Ces affaires suivent la logique selon laquelle un emploi ne peut pas exister sans quelconques efforts financiers, qu’ils soient faits par soi-même ou une partie externe.

[24] Dans la présente affaire, les revenus nets de l’intimé sont pertinents, mais ses dépenses d’entreprise soulèvent des questions. Dans sa déclaration de revenus de 2019, l’intimé a déclaré 6 634 $ en frais de déplacement sur des revenus bruts de 7 197 $, lui laissant seulement 563 $ en revenus netsNote de bas de page 9. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi ses frais de déplacement étaient si élevés, l’intimé a répondu que son patron lui avait demandé de venir au New Jersey pour des séances de formation et d’information huit fois cette année-làNote de bas de page 10. Il a dit qu’il devait payer lui-même les billets d’avion, l’hébergement à l’hôtel et la location de voitures. Il a dit que son patron n’a pas voulu envisager de tenir ces séances en ligne et a insisté pour qu’elles aient lieu en personne.

[25] L’intimé a relaté une histoire semblable pour 2021. Il a dit qu’après la première année de la pandémie, [traduction] « tout est reparti à zéro », ce qui a incité son patron à le rappeler au New Jersey pour d’autres séances de formation et d’information. Il a déclaré que les frais de déplacement associés à ces voyages s’élevaient à 8 356 $, ce qui l’a laissé avec des revenus nets d’entreprise de 10 571 $Note de bas de page 11.

[26] Dans la présente affaire, j’estime que les revenus bruts d’entreprise de l’intimé reflètent mieux sa capacité que ses revenus nets d’entreprise. En effet, ses dépenses d’entreprise semblent anormales. En ce qui concerne les deux ans pour lesquels nous disposons de montants, l’intimé n’a pas déclaré de dépenses d’affaires sauf pour ses frais de déplacement. Curieusement, les déplacements ont été faits pour un travail qui devait normalement être effectué à distance.

[27] De plus, le fait que l’intimé ait entrepris ces voyages est une preuve en soi qu’il (i) croyait pouvoir travailler et (ii) pouvait effectivement travailler. L’intimé a insisté sur le fait que son patron a exigé sa présence au New Jersey comme condition du maintien de son emploi. C’est peut-être le cas, mais je ne crois pas qu’il soit probable que l’intimé ait engagé des dépenses aussi importantes pour se rendre au New Jersey, à moins qu’il y ait une chance raisonnable d’obtenir un rendement important de son capital investi.

[28] Je n’ai rien vu qui donne à penser que les revenus d’entreprise relativement modestes de l’intimé étaient liés à une quelconque déficience. Il a déclaré qu’à ce jour, il continue de travailler pour X. Même s’il n’a fourni aucun renseignement sur ses revenus d’entreprise bruts ou nets pour 2022 ou 2023, je dois supposer qu’il n’aurait pas persisté à exercer cette activité à moins qu’elle génère à peu près un revenu véritablement rémunérateur.

L’intimé était capable d’occuper un emploi régulier

[29] Le ministre devait faire plus que simplement démontrer que l’intimé a perçu un revenu véritablement rémunérateur. Il devait aussi démontrer que ce revenu provenait d’un emploi régulier. Je suis d’avis que le ministre s’est acquitté de cette obligation.

[30] L’intimé a témoigné que durant sa première année chez X, il a travaillait quatre ou cinq heures par jour, et six heures en 2021. Il avait déjà déclaré qu’après la fin de sa pension d’invalidité du RPC en mai 2021, il avait l’intention d’augmenter ses heures de travailNote de bas de page 12.

[31] De plus, l’intimé a admis avec candeur que si l’emploi d’inspection de laiteries, ou un emploi similaire était encore disponible comme emploi à temps plein, il le ferait et pourrait le faire. Cet aveu, combiné aux nombreux autres indicateurs de capacité dans le dossier, m’a convaincu que l’intimé était régulièrement capable d’exercer une occupation véritablement rémunératrice. 

[32] L’intimé n’a jamais nié qu’il pouvait travailler, ce qui est tout à son honneur. Mais il a demandé au gouvernement de tenir compte de ses ressources modestes avant de toucher à ses prestations : [traduction] « Il ne me reste même pas un dollar après avoir payé la nourriture, les médicaments, etc. J’en assume l’entière responsabilitéNote de bas de page 13. »

[33] Malheureusement, la loi m’empêche de tenir compte de telles circonstances atténuantes quand j’évalue l’invalidité. Je dois respecter la lettre de la loi, et rien dans le Régime de pensions du Canada ou ses règlements connexes ne me permet de fonder ma décision sur les besoins financiers d’une partie requérante.

[34] Il n’en demeure pas moins que, malgré ses problèmes de santé, l’intimé a gardé une carrière modeste au cours des quatre dernières années. Selon la philosophie qui régit le RPC, une partie requérante est soit régulièrement capable d’exercer une occupation véritablement rémunératrice, soit elle ne l’est pas. La loi ne tient pas compte de la difficulté qu’une partie requérante éprouve par rapport à son emploi ; il est seulement important de savoir si celle-ci est capable d’effectuer le travail de manière durable et si ce travail lui permet de gagner sa vie.

L’intimé n’a pas bénéficié d’un employeur bienveillant

[35] Si une partie requérante a un « employeur bienveillant », elle peut alors soutenir qu’elle n’est pas réellement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, malgré son revenu.

[36] Un employeur est dit bienveillant s’il modifie les conditions de travail d’un employé qui a des limitations et réduit ses attentes à son endroit. Il entretient des attentes bien moins élevées envers un employé ayant une limitation fonctionnelle qu’envers ses autres employés. Un employeur bienveillant accepte que cet employé ne puisse pas travailler à un niveau concurrentielNote de bas de page 14.

[37] L’intimé a déclaré que X est une entreprise qui appartient à un vieil ami et est exploitée par celui-ci. Son ami le considérait comme [traduction] un « bon candidat » pour un poste de marketing en ligne qui était vacant. L’intimé n’a jamais prétendu que son ami était un employeur bienveillant. Cependant, j’ai tout de même examiné la question.

[38] La preuve ne démontre pas que l’employeur de l’intimé était bienveillant. Je n’ai rien vu qui indique que X a reçu un montant inférieur à la valeur marchande pour les commissions qu’elle a versées à l’intimé. Le travail de l’intimé était conçu pour être effectué de la maison. L’intimé n’a pas bénéficié de mesures d’adaptation spéciales qui n’étaient pas offertes aux autres employés. Rien ne prouve que l’intimé a été tenu de respecter une norme de rendement inférieure à celle que doivent respecter d’autres entrepreneurs occupant des postes semblables.

[39] Bref, je ne suis pas disposé à conclure que X était un employeur bienveillant simplement parce que l’entreprise était dirigée par un ami de l’intimé. 

L’invalidité de l’intimé n’était pas prolongée

[40] Aux termes du RPC, une invalidité doit être grave et prolongée. J’ai déjà conclu que l’invalidité de l’intimé a cessé d’être grave lorsqu’il est retourné au travail en 2019. Même s’il ne m’est pas nécessaire de le faire à proprement parler, je conclus également que son invalidité n’était pas prolongée. Pour être prolongée, une invalidité doit être d’une durée indéfinie ; l’invalidité de l’intimé a pris fin de façon définie après qu’il a commencé un emploi véritablement rémunérateur comme conseiller et comme agent de marketing en ligne.

Conclusion

[41] Il est malheureux que l’intimé doive rembourser les prestations qu’il a touchées pendant deux ans et je regrette le fait que ma décision lui causera des difficultés financières. Cependant, il a reçu ces prestations alors qu’il n’était plus invalide. Il savait, ou aurait dû savoir qu’il était obligé de déclarer immédiatement tout revenu d’emploi au ministreNote de bas de page 15. Il ne s’est pas acquitté de cette obligation. Plus tard, quand le ministre a appris que l’intimé avait un revenu d’emploi, il avait le droit d’enquêter pour savoir s’il avait retrouvé sa capacité de travail. Il avait le droit de mettre fin à ses prestations après avoir décidé que son invalidité n’était plus grave et prolongée. Je suis convaincu que, ce faisant, le ministre a agi conformément à la loi.

[42] Je conclus que l’intimé a cessé d’être invalide à compter de janvier 2019, soit à peu près au moment où il a commencé deux emplois. En prenant en compte une période d’essai de trois mois, sa pension d’invalidité a dû effectivement prendre fin à compter d’avril 2019Note de bas de page 16.

[43] L’appel est accueilli.

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