Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Résumé :

En février 2006, l’appelante a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Elle affirmait ne plus être capable de travailler. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande initiale. Toutefois, il a changé d’avis lorsque l’appelante a reçu un diagnostic de cancer du sein en septembre 2007. Le ministre a établi que l’appelante avait une invalidité grave et prolongée, donc il lui a accordé une pension d’invalidité.

En septembre 2019, le ministre a obtenu des renseignements sur les revenus de l’appelante par l’entremise de l’Agence du revenu du Canada. Après avoir examiné le dossier, le ministre a jugé que l’appelante n’était plus invalide et il a mis fin à ses prestations. Le ministre a également exigé que l’appelante rembourse les montants qu’elle a reçus à titre de pension depuis mai 2016. L’appelante a porté la décision du ministre en appel à la division générale, mais celle-ci a rejeté l’appel. Elle a conclu que l’appelante n’était plus atteinte d’une invalidité depuis septembre 2015, car ses revenus étaient devenus véritablement rémunérateurs à partir de cette date. L’appelante a porté la décision de la division générale en appel à la division d’appel.

Si le ministre met fin à des prestations qu’il a déjà approuvées, c’est à lui qu’il incombe de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la personne qui touche des prestations n’est plus atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date présumée. Dans la présente affaire, le ministre devait prouver que les revenus qu’elle recevait à partir de cette date i) étaient véritablement rémunérateurs, ii) montraient qu’elle était régulièrement capable de détenir un emploi et iii) ne provenaient pas d’un « employeur bienveillant ».

La division d’appel était d’avis que le ministre s’était acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait de prouver que l’appelante n’était plus atteinte d’une invalidité grave et prolongée depuis juin 2015. La division d’appel a également conclu que l’appelante ne travaillait pas pour un employeur bienveillant.

Le Régime de pensions du Canada ne fait pas mention des termes « employeur bienveillant ». Toutefois, dans l’affaire Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, la Cour d’appel fédérale a décidé que ce n’est pas parce qu’il offre des mesures d’adaptation à une employée ou un employé que l’employeur est nécessairement bienveillant. Pour qu’un employeur soit considéré comme bienveillant, les mesures d’adaptation doivent aller au-delà de ce qui est attendu sur le marché du travail en général.

Dans l’affaire Atkinson, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il fallait prendre en compte un certain nombre de critères pertinents pour décider si l’employeur était « bienveillant ». En voici quelques-uns :

(i) Le travail de la partie requérante est-il productif?
(ii) L’employeur est-il satisfait du rendement de la partie requérante?
(iii) Le travail attendu de la partie requérante est-il beaucoup moins exigeant que celui attendu des autres employées et employés?
(iv) Les mesures d’adaptation offertes à la partie requérante vont-elles au-delà de ce qui est attendu d’un employeur dans un marché concurrentiel?
(v) Les mesures d’adaptation offertes représentent-elles une contrainte excessive pour l’employeur?

Dans la présente affaire, la division d’appel a conclu qu’aucune preuve au dossier n’appuyait les propos de l’appelante selon lesquels son emploi d’adjointe administrative était une forme de charité.

La division d’appel a rejeté l’appel. Elle a conclu que les limitations de l’appelante ne l’ont pas empêchée de gagner un revenu véritablement rémunérateur de 2015 à 2019. Elle a jugé que l’appelante n’était plus atteinte d’une invalidité depuis juin 2015, le mois où elle a commencé à travailler pour l’employeur. Comme il faut tenir compte de la période d’essai de trois mois à cet emploi, cela signifie que sa pension d’invalidité prend fin en septembre 2015.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : TC c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 1817

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : T. C.
Représentante ou représentant : M. L.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Ian McRobbie

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 28 avril 2023
(GP-22-264)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 6 décembre 2023
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’appelante
Représentant de l’intimé
Date de la décision : Le 19 décembre 2023
Numéro de dossier : AD-23-620

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette le présent appel. L’appelante a cessé d’être invalide lorsqu’elle est retournée au travail en juin 2015. Elle n’avait pas droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) à compter de septembre 2015.

Aperçu

[2] L’appelante est une ancienne administratrice et employée de bureau âgée de 59 ans. Au début de la trentaine, elle a commencé à ressentir divers symptômes débilitants, dont des douleurs généralisées, une fatigue chronique et une dépression. Elle a par la suite reçu un diagnostic de fibromyalgie.

[3] En février 2006, elle a demandé une pension d’invalidité du RPC, affirmant qu’elle n’était plus capable de travailler. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a d’abord rejeté la demande, mais il a changé d’avis après que l’appelante a reçu un diagnostic de cancer du sein en septembre 2007. Le ministre a conclu que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée et il lui a accordé une pension d’invaliditéNote de bas de page 1.

[4] Les années ont passé. En juin 2015, l’appelante a accepté un emploi à temps partiel comme administratrice chez X, une division d’un promoteur immobilier qui construit des maisons neuves et en fait la mise en marché. Elle y a travaillé pendant trois ans et demi, puis est passée à un autre emploi, cette fois comme réceptionniste à temps plein pour X, une entreprise de gestion immobilière. Après trois mois, elle a démissionné, ayant trouvé ses nouvelles fonctions trop difficiles.

[5] En septembre 2019, le ministre a reçu de l’Agence du revenu du Canada des renseignements sur la rémunération de l’appelante. À la suite d’une enquête, le ministre a conclu que l’appelante n’était plus invalide et a mis fin à ses prestations. Le ministre a également exigé le remboursement des sommes que l’appelante avait reçues à titre de pension depuis le mois de mai 2016, près de 47 000 $ au totalNote de bas de page 2.

[6] L’appelante a porté la décision du ministre en appel devant le Tribunal de la sécurité sociale. La division générale du Tribunal a tenu une audience par vidéoconférence et a rejeté l’appel. La division générale a conclu que l’appelante a cessé d’être invalide en septembre 2015 au motif que le revenu qu’elle a gagné après cette date était véritablement rémunérateur. De plus, la division générale n’a pas trouvé de preuve que l’appelante travaillait pour un employeur dit bienveillant.

[7] L’appelante a demandé la permission de faire appel devant la division d’appel. En juillet dernier, une de mes collègues de la division d’appel a accordé à l’appelante la permission de faire appel. Plus tôt ce mois‑ci, j’ai tenu une audience pour discuter de son dossier au complet.

[8] Maintenant que j’ai examiné les observations des deux parties, je conclus que l’appelante a cessé d’être invalide en juin 2015. La preuve démontre que, bien que l’appelante ait pu encore éprouver des problèmes de santé à cette date, elle n’était plus invalide et incapable d’occuper toute forme d’emploi régulier.

Question préliminaire

[9] Juste avant l’audience, la fille et représentante de l’appelante a communiqué avec le Tribunal pour l’informer qu’il manquait une grande quantité de documents médicaux au dossier de la preuve. Elle a dit que, même si elle les avait soumis au Tribunal à la fin du mois d’août, ils ne figuraient pas sur la liste de documents qui a été distribuée le 22 novembre 2023.

[10] Avec le consentement du ministre, j’ai accepté la série de documents pourvu qu’elle soit présentée de nouveau dans la semaine suivant l’audience. L’appelante l’a envoyée à mon attention peu de temps après, et le représentant du ministre a déposé une brève lettre portant sur son contenu quelques jours plus tardNote de bas de page 3.

Ce que je dois décider

[11] Ma tâche consistait à décider si l’appelante avait cessé d’être invalide et, le cas échéant, à quelle date.

[12] Lorsque le ministre a approuvé la demande de prestations d’invalidité de l’appelante en 2007, il a admis qu’elle avait une invalidité grave et prolongée. Le Régime de pensions du Canada donne à cette expression un sens très précis :

  • Une invalidité n’est grave que si elle rend une personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 4. Une personne n’a pas droit à une pension d’invalidité si elle est régulièrement en mesure d’effectuer un travail qui lui permet de gagner sa vie.
  • Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 5. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche la personne de travailler longtemps.

[13] Lorsque le ministre met fin à des prestations qu’il avait déjà approuvées, il lui incombe de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’invalidité de la personne n’est plus grave et prolongéeNote de bas de page 6.

[14] Dans ce dossier, le ministre devait prouver que le revenu de l’appelante après que son invalidité a été reconnue (i) était véritablement rémunérateur; (ii) témoignait d’une capacité d’occuper un emploi régulier; et (iii) ne provenait pas d’un employeur dit bienveillant.

Analyse

[15] J’ai appliqué la loi à la preuve que j’avais à ma disposition. Je suis convaincu que le ministre s’est acquitté du fardeau de prouver que l’appelante a cessé d’avoir une invalidité grave et prolongée au mois de juin 2015. Je ne doute pas que l’appelante a continué de ressentir des symptômes liés à la fibromyalgie et aux séquelles de ses traitements contre le cancer. Il n’en demeure pas moins qu’elle a réussi à maintenir une période prolongée d’emploi véritablement rémunérateur bien après avoir été déclarée invalide.

Le revenu de l’appelante était bien plus élevé qu’un revenu véritablement rémunérateur

[16] L’appelante a insisté sur le fait qu’elle n’avait qu’un emploi à temps partiel, mais cela ne signifiait pas nécessairement qu’elle était invalide ou incapable d’occuper régulièrement un emploi véritablement rémunérateurNote de bas de page 7.

[17] L’appelante a affirmé qu’après son divorce elle devait gagner de l’argent. Une amie l’a informée de l’emploi chez X. Elle a été embauchée comme adjointe à la directrice du centre de décoration de l’entreprise, qui présentait des finitions aux personnes qui achetaient des maisons neuves. Son rôle consistait à répondre au téléphone, à faire du rangement, à s’occuper de la clientèle et à noter les commandes.

[18] L’appelante a déclaré que chez X, elle travaillait habituellement deux ou trois jours par semaine de 10 h à 15 h. Elle gagnait environ 16 $ l’heure lorsqu’elle a commencé en juin 2015, et 20,50 $ l’heure au moment de son départ en février 2019Note de bas de page 8.

[19] Toutefois, l’article 68.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada associe l’expression « véritablement rémunératrice » à une valeur monétaire précise, selon l’année. Toute occupation permettant de gagner un revenu plus élevé que la pension d’invalidité annuelle maximale qu’une personne peut recevoir est considérée comme véritablement rémunératrice.

[20] Les deux parties sont d’accord pour dire que l’appelante a gagné les revenus suivants après être retournée au travailNote de bas de page 9 :

Année Revenu déclaré Pension d’invalidité maximale
2015 12 685 $ 15 175 $
2016 26 013 $ 15 489 $
2017 26 972 $ 15 763 $
2018 22 393 $ 15 029 $
2019 10 910 $ 16 029 $

[21] Il est évident que la rémunération de l’appelante a largement dépassé le montant maximal admissible pendant plusieurs années consécutives. Et cette rémunération ne représentait pas seulement une vaine tentative de retour au travail. L’appelante a déclaré qu’elle a finalement quitté X, non pas parce qu’elle a été congédiée, mais parce qu’elle a démissionné.

[22] L’appelante a insisté sur le fait qu’elle avait constamment de difficulté à occuper son emploi chez X, emploi qui a eu de lourdes conséquences sur sa santé. En effet, elle continuait de composer avec les séquelles de son cancer du sein. En 2008, elle a subi une mastectomie au cours de laquelle des ganglions lymphatiques lui ont été retirés sur le côté gauche, ce qui a eu pour effet d’affaiblir son système immunitaire. Elle a également reçu des traitements de radiothérapie et de chimiothérapie qui lui ont causé un brouillard mental continu.

[23] Il n’en demeure pas moins que, quels que soient les effets persistants de ses traitements contre le cancer, l’appelante a réussi à conserver un emploi raisonnablement rémunéré pendant plus de trois ans et demi. Selon la philosophie qui sous‑tend le RPC, une personne est soit régulièrement capable d’exercer une occupation véritablement rémunératrice, soit régulièrement incapable de le faire. La loi ne demande pas de tenir compte de la difficulté qu’une personne éprouve à occuper son emploi. Selon la loi, il faut seulement savoir si la personne est en mesure d’occuper l’emploi de façon soutenue et si cet emploi lui permet de gagner sa vie d’une certaine façon.

L’appelante était capable d’occuper un emploi régulier

[24] Le ministre ne devait pas démontrer seulement que l’appelante avait gagné un revenu véritablement rémunérateur. Il devait également démontrer que ce revenu provenait d’un emploi régulier. À mon avis, le ministre a respecté cette obligation.

[25] Selon la preuve, l’appelante a réussi à conserver un emploi aux heures normales pendant trois ans et demi. Même si je présume généreusement que l’appelante gagnait 20 $ l’heure tout au long de son emploi chez X, cela signifie quand même qu’elle travaillait de 21 à 26 heures par semaine, ce qui est beaucoup plus que ce qu’elle m’a dit à l’audience. La Cour d’appel fédérale a décrit la capacité d’exercer régulièrement une occupation rémunératrice comme [TRADUCTION] « l’antithèse même » d’une invalidité grave et prolongée chez une personne recevant une pension d’invaliditéNote de bas de page 10.

[26] L’appelante a affirmé qu’après ses traitements contre le cancer, elle est devenue sujette aux infections, surtout sous le bras gauche. Elle a dit que ces infections l’ont fréquemment forcée à prendre des congés de maladie. Elle s’est rappelé qu’à huit reprises peut‑être, elle avait dû être admise à l’hôpital pour des séjours pouvant durer jusqu’à deux ou trois jours. Lorsqu’elle obtenait son congé, il fallait lui installer une perfusion intraveineuse (IV) pour lui administrer des antibiotiques. Cela nécessitait habituellement plusieurs jours de soins à domicile.

[27] Toutefois, la preuve médicale ne correspond pas tout à fait au témoignage de l’appelante. Selon un dossier de l’Hôpital général d’Etobicoke, entre juin 2015 et avril 2019, l’appelante a effectivement été admise à l’urgence à huit reprises pour [traduction] « cellulite au bras gauche », [traduction] « enflure/douleur localisée », [traduction] « fièvre » et [traduction] « douleur dans les membres supérieurs »Note de bas de page 11. Chaque fois, elle a obtenu son congé le même jour, sauf pour deux séjours d’une nuit en juin 2015 et en juin 2017 et un séjour de deux jours en juin 2016. Il n’y a aucune preuve d’une admission à l’hôpital après le mois de juin 2017.

[28] L’appelante a par la suite présenté des dossiers faisant état d’interventions pour les soins qu’elle a reçus à domicile. Ils révèlent que l’appelante a reçu des soins infirmiers pour un traitement intraveineux une fois en 2015 (pendant 25 jours), deux fois en 2016 (pendant 11 et 24 jours respectivement) et une fois en 2017 (pendant quatre jours)Note de bas de page 12. L’appelante a occupé son emploi malgré ces traitements.

[29] On ne peut pas dire avec certitude si les traitements ont empêché l’appelante de se présenter au travail. Il y a de nombreuses preuves que le traitement antibiotique de l’appelante a été administré, non pas en goutte-à-goutte continu, mais en doses intraveineuses distinctesNote de bas de page 13. Par exemple, on peut lire dans une note que l’appelante avait reçu six des sept doses de ceftriaxone (un antibiotique)Note de bas de page 14. Il y en a une autre qui mentionne l’administration à l’appelante de sept doses à 8 h chaque matinNote de bas de page 15. Une autre mentionne que, comme l’appelante pouvait se déplacer et qu’elle prévoyait de retourner au travail le lendemain, elle devait obtenir un traitement en soiréeNote de bas de page 16.

[30] D’autres notes mentionnent que l’appelante avait une certaine souplesse quant au moment et au lieu où les traitements devaient lui être offerts. À une occasion, l’appelante a appelé pour dire qu’elle fréquentait maintenant une clinique où elle pouvait recevoir son injection d’antibiotiques et qu’elle n’avait plus besoin d’un support pour intraveineuseNote de bas de page 17. Dans un autre cas, l’appelante a demandé la permission de se présenter à une clinique qui était en chemin vers son emploi à Mississauga : [traduction] « Nous avons de nouveau informé la patiente que la clinique de Vaughan est ouverte de 8 h à 22 h, alors il devrait y avoir un moment qui lui convient »Note de bas de page 18.

[31] D’après ce que je peux constater, les infections de l’appelante étaient assez peu fréquentes et elles ne nécessitaient aucun traitement perturbant sérieusement son horaire de travail. De plus, peu importe le nombre de jours où elle a pu s’absenter du travail, l’appelante a tout de même réussi à conserver son emploi pendant des années. L’appelante a insisté sur le fait qu’elle avait pu continuer de travailler chez X uniquement grâce à la gentillesse inhabituelle de sa superviseure immédiate. Toutefois, comme je l’expliquerai plus loin, j’ai trouvé cette affirmation peu convaincante.

L’employeur de l’appelante n’était pas un employeur bienveillant

[32] L’appelante a soutenu que son emploi chez X n’était pas une preuve de capacité. Elle a insisté sur le fait que sa superviseure, la responsable du centre de décoration, avait été extraordinairement indulgente. Elle a dit que sa superviseure avait été témoin de ses difficultés et lui avait accordé toutes sortes de mesures d’adaptation. Par exemple, elle a laissé l’appelante fixer ses propres heures. Elle a souvent fermé les yeux sur ses retards. Elle a laissé l’appelante prendre congé sans le consigner. Finalement, en février 2019, lorsque l’appelante lui a dit qu’elle ne pouvait plus faire le travail, sa superviseure lui a dit qu’elle devrait probablement [traduction] « rendre son tablier ».

[33] Selon une certaine jurisprudence, si une personne recevant une pension d’invalidité demeure sur le marché du travail malgré son invalidité alléguée, et qu’elle prouve que son employeur est bienveillant, il faut en tenir compteNote de bas de page 19. Le RPC ne mentionne pas les employeurs bienveillants, mais dans une décision appelée Atkinson, la Cour d’appel fédérale a affirmé que l’employeur qui offre des mesures d’adaptation n’est pas nécessairement un employeur bienveillant. Pour être considéré comme étant un employeur bienveillant, l’employeur doit offrir des mesures d’adaptation qui excèdent celles que l’on s’attendrait à trouver généralement sur le marché du travail.

[34] Dans la décision Atkinson, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’une conclusion d’« employeur bienveillant » reposait sur un certain nombre de critères pertinents, notamment :

  1. (i) la question de savoir si le travail de la demanderesse était productif;
  2. (ii) la question de savoir si l’employeur était satisfait du rendement de la demanderesse;
  3. (iii) la question de savoir si le travail attendu de la demanderesse était nettement moindre que celui attendu des autres employés;
  4. (iv) la question de savoir si la demanderesse avait obtenu des mesures d’adaptation qui dépassaient ce qui est attendu d’un employeur dans un milieu de travail concurrentiel;
  5. (v) la question de savoir si les mesures d’adaptation ont représenté pour l’employeur une contrainte excessive.

[35] Bien que le fardeau global de la preuve incombe au ministre, il existe une présomption, valide jusqu’à preuve du contraire, selon laquelle un employeur obtient une juste valeur en contrepartie du salaire qu’il verse à son personnelNote de bas de page 20. Autrement dit, il appartient aux requérantes et aux requérants de pension d’invalidité de démontrer que leurs employeurs sont bienveillants.

[36] Dans la présente affaire, rien au dossier ne confirmait ce que l’appelante affirmait, soit que son emploi d’adjointe administrative était une forme de charité. Il n’y avait aucune preuve que X ne recevait pas une juste valeur marchande en contrepartie des 20,50 $ l’heure qu’il payait.

[37] J’ai demandé à l’appelante pourquoi, si elle était une employée si peu fiable, sa superviseure était disposée à la maintenir en poste, même au point de faire une fausse déclaration sur le nombre d’heures qu’elle travaillait. L’appelante a répondu qu’elle n’était pas certaine, mais que cela avait probablement quelque chose à voir avec le fait que sa superviseure subissait elle‑même beaucoup de stress.

[38] J’ai trouvé cette explication peu plausible. Dans un questionnaire de l’employeur, X a dit au ministre que l’appelante travaillait 20 heures par semaine, qu’elle n’avait pris aucun congé de maladie, que son rendement ne causait aucun problème et qu’aucune disposition ou mesure d’adaptation spéciale n’avait été prise à son égardNote de bas de page 21. L’appelante elle‑même a affirmé qu’elle était en mesure d’accueillir la clientèle, de répondre au téléphone, de soulever des carreaux de céramique, de mettre à jour les rapports, de s’occuper des marchandises, de faire des vérifications et de recevoir les paiements. Aucune de ces responsabilités ne me paraît insignifiante ou anodineNote de bas de page 22.

[39] Quant à la superviseure de l’appelante, je n’ai rien vu qui indique qu’elle a fait des efforts inhabituels pour répondre aux besoins de son employée. L’appelante s’est rappelé que sa superviseure l’avait exhortée à s’étirer ou à lever le bras gauche et à ne pas soulever d’objets lourds. La superviseure a écrit une lettre d’appui dans laquelle elle a noté les déficiences de l’appelante, mais elle n’a fourni aucun exemple de mesures d’adaptation officiellesNote de bas de page 23.

[40] Je ne suis pas disposé à conclure que X était un employeur bienveillant sur le fondement d’actes de bonté ou d’une faveur occasionnelle. L’appelante a peut‑être eu une superviseure compréhensive, mais une superviseure compréhensive n’est pas un employeur bienveillant. Plus précisément, l’appelante n’a produit aucune autre preuve pour réfuter la présomption selon laquelle elle offrait une valeur marchande à X en échange du salaire reçu. Rien au dossier ne laisse entendre que l’appelante a été surrémunérée pour son travail ou que les attentes de son employeur au chapitre de la productivité étaient nettement inférieures à ce qu’elles auraient pu être pour quelqu’un d’autre ayant des compétences similaires et occupant le même poste.

L’appelante se sentait capable d’occuper un emploi à temps plein même après trois ans et demi passés chez X

[41] L’appelante a affirmé dans son témoignage qu’elle a travaillé chez X aussi longtemps qu’elle l’a fait uniquement parce qu’elle a bénéficié de mesures d’adaptation extraordinaires. Elle a dit avoir démissionné parce que, malgré ces mesures d’adaptation, elle avait de plus en plus de difficulté à s’acquitter de ses fonctions. Pourtant, immédiatement après avoir démissionné, elle a accepté un autre emploi qui, en théorie, était plus exigeant que celui qu’elle avait quitté.

[42] Il s’agissait d’un poste à temps plein dans une entreprise de gestion immobilière appelée X. Là, elle travaillait comme réceptionniste, répondait au téléphone et saisissait des données à l’ordinateur. Elle a dit qu’elle avait trouvé cela extrêmement difficile parce qu’elle ne connaissait pas les systèmes de l’entreprise et qu’elle n’arrivait pas à apprendre leur fonctionnement. Après trois mois, elle a démissionné. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle pensait réussir à occuper un tel emploi, si elle avait tant de difficultés lors de son précédent emploi, l’appelante a répondu qu’elle [traduction] « n’avait manifestement pas eu les idées claires ».

[43] Je ne considère pas que la courte période que l’appelante a passée chez X constitue une preuve d’invalidité continue. Cette période est, après tout, supplantée par sa capacité démontrée de conserver son emploi chez X pendant plus de trois ans auparavant. Toutefois, le fait que l’appelante a accepté l’emploi chez X me dit quelque chose sur son état d’esprit en 2019. Plus précisément, cela me dit qu’elle croyait qu’elle était capable d’occuper un emploi à temps plein, plus de 13 ans après avoir été jugée invalide. Il s’agit d’une autre preuve que l’appelante n’avait pas droit à la pension d’invalidité du RPC.

L’invalidité de l’appelante n’était pas prolongée

[44] Selon le RPC, l’invalidité doit être grave et prolongée. J’ai déjà conclu que l’invalidité de l’appelante a cessé d’être grave lorsqu’elle est retournée au travail en juin 2015. Bien qu’il ne soit pas, à proprement parler, nécessaire pour moi de le faire, je conclus également que son invalidité n’était pas prolongée. Pour être prolongée, une invalidité doit être d’une durée indéterminée. L’invalidité de l’appelante a plutôt pris fin définitivement lorsqu’elle a commencé à occuper un emploi véritablement rémunérateur comme adjointe administrative.

[45] Il est malheureux que l’appelante doive rembourser les prestations qu’elle a reçues pendant quatre ans, et je regrette que ma décision lui cause des difficultés financières. Toutefois, elle a reçu ces prestations après avoir cessé d’être invalide. Elle savait, ou aurait dû savoir, qu’elle était obligée de signaler immédiatement tout retour au travail au ministreNote de bas de page 24. Elle ne s’est pas acquittée de cette obligation. Des années plus tard, lorsque le ministre a pris connaissance des revenus d’emploi de l’appelante, il avait le droit de vérifier si elle avait recouvré sa capacité de travailler. Il avait aussi le droit de mettre fin à ses prestations une fois qu’il a décidé que son invalidité n’était plus grave et prolongée. Je suis convaincu que, ce faisant, le ministre a agi conformément à la loi.

Conclusion

[46] Je rejette le présent appel. Je ne doute pas que l’appelante ait des limitations, mais celles‑ci ne l’ont pas empêchée de gagner un revenu véritablement rémunérateur de 2015 à 2019. Je conclus que l’appelante a cessé d’être invalide en juin 2015, le mois où elle a commencé à travailler chez X. Si l’on tient compte d’une période d’essai de trois mois, sa pension d’invalidité devrait prendre fin en septembre 2015Note de bas de page 25.

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