Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : AR c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 104

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : A. R.
Représentante ou représentant : Palma Pallante
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 23 juin 2023 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Wayne van der Meide
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 30 janvier 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’appelant
Date de la décision : Le 2 février 2024
Numéro de dossier : GP-23-1620

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelante, A. R., n’est pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Cette décision explique pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante a 56 ans et est née en Italie. Dès l’âge de 11 ans, elle a cessé d’aller à l’école pour s’occuper de ses frères et sœurs. À 14 ans, elle a reçu un diagnostic de scoliose. À 17 ans, elle est arrivée au Canada avec sa famille, dont elle a continué de s’occuper. Elle a suivi quelques cours d’anglais, mais n’a pas fait d’autres études au Canada.

[4] Vers l’âge de 20 ans, l’appelante s’est mariée et a commencé à travailler à l’extérieur du foyer. Elle a occupé différents emplois. Elle a entre autres travaillé dans un supermarché et géré un restaurant pour son frère et son mari. Son travail consistait notamment à répondre au téléphone et à travailler à la caisse.

[5] Vers 2010 ou 2011, l’appelante s'est gravement blessée au dos. Elle a fait une réclamation auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail, qui lui a versé des indemnités pendant quelques mois. L’appelante n’a toutefois pas persévéré dans ses réclamations auprès de la Commission, vu la difficulté à répondre à ses demandes de renseignements incessantes.

[6] Depuis cette blessure, l’appelante vit avec la douleur. Elle a du mal à rester assise et debout. D’autres problèmes médicaux ont aussi été diagnostiqués chez elle. J’en parlerai davantage sous peu.

[7] Malgré ses moyens financiers limités, l’appelante a essayé différents traitements coûteux pour améliorer son état, y compris la physiothérapie, la psychothérapie et la chiropractie. Elle a aussi reçu des injections de cortisone.

[8] L’appelante s’est efforcée de travailler pendant plusieurs années malgré ses limitations. Le travail lui permettait de gagner de l’argent nécessaire pour sa famille, mais aussi de composer avec la douleur. Comme elle l’a expliqué à l’audience, le travail l’aidait à continuer de vivre une vie normale.

[9] Elle a occupé son dernier emploi comme vendeuse dans un magasin de vêtements, de mars 2019 à sa démission, en octobre 2021. Elle n’a pas travaillé ni cherché de travail depuis.

[10] L’appelante a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada le 18 août 2022. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. L’appelante a porté la décision du ministre en appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[11] Dans sa demande, l’appelante a déclaré que ses problèmes de santé la rendent incapable de travailler depuis octobre 2021Note de bas de page 1, mois où elle a cessé de travailler. Elle affirme par ailleurs qu’elle ne devrait pas être punie pour avoir [traduction] « essayé » de travailler pendant des années avant d'arrêter pour de bon.

[12] Le ministre convient que l’appelante a des limitations fonctionnelles. Il affirme néanmoins qu’elle n’est pas admissible à la pension puisqu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée en octobre 2016, au plus tard. Autrement dit, le ministre juge qu’elle n’était pas régulièrement incapable de détenir un emploi véritablement rémunérateur.

Ce que l’appelante doit prouver

[13] Pour gagner son appel, l’appelante doit prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2015, soit au plus tard le 31 décembre 2015. Cette date est établie en fonction des cotisations qu’elle a versées au Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 2. L’appelante doit aussi prouver qu’elle est restée invalideNote de bas de page 3.

[14] En 2016, l’appelante a versé des cotisations au Régime de pensions du Canada, mais inférieures au minimum requis par le programme. Ces cotisations lui permettent toutefois de prolonger sa période d’admissibilité à la pension, advenant qu’elle soit devenue invalide entre janvier et octobre 2016 et demeure invalideNote de bas de page 4.

[15] Le Régime de pensions du Canada définit les qualificatifs « grave » et « prolongée ».

Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 5.

[16] Pour décider si l’invalidité de l’appelante est grave, je dois examiner l’effet global de ses problèmes de santé sur sa capacité de travailler. Je dois aussi tenir compte de facteurs comme son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques, son expérience de travail et son expérience personnelle. Ces facteurs me font voir sa situation de façon réaliste. Ils m’aident à décider si son invalidité est grave. Si l’appelante est régulièrement capable de faire un travail quelconque qui lui permet de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[17] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 6.

[18] Autrement dit, aucun rétablissement ne doit être prévu. Pour être prolongée, l’invalidité de l’appelante doit l’obliger à quitter le marché du travail pendant très longtemps.

[19] L’appelante doit prouver qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée selon la prépondérance des probabilités. En d’autres mots, elle doit me convaincre qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est invalide.

Motifs de ma décision

[20] Je conclus que l’appelante n’a pas prouvé qu’elle était atteinte d’une invalidité grave le 31 décembre 2015 ou entre janvier et octobre 2016 et qu’elle serait restée invalide continuellement depuis. J’ai tiré cette conclusion après avoir examiné les questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelante était-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelante n’était pas grave en octobre 2016 ni continuellement depuis

[21] L’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité grave en octobre 2016 et de façon continue depuis. Je vais maintenant expliquer pourquoi.

L’appelante a des limitations fonctionnelles qui ont nui à sa capacité de travailler avant octobre 2016 et de façon continue depuis

[22] Comme elle l’explique dans sa demande, l’appelante est atteinte d’un certain nombre de problèmes médicauxNote de bas de page 7 :

  • fibromyalgie;
  • syndrome de douleur chronique;
  • discopathie dégénérative;
  • bombements discaux;
  • scoliose;
  • inflammation;
  • arthrite;
  • fasciite plantaire des deux pieds;
  • déchirure du ménisque au genou;
  • dépression.

[23] La preuve médicale confirme en bonne partie ce que l’appelante dit de ses problèmes de santéNote de bas de page 8. Elle a une scoliose depuis l’enfance. Elle souffre aussi de discopathie dégénérative depuis 2011 et, depuis 2016, de fibromyalgie et d’un fibrome au pied droit. D’autres diagnostics ont également été posés après octobre 2016, soit le mois où son invalidité devait être grave aux fins de la pension. Elle a reçu des diagnostics de fasciite plantaire en septembre 2019, de déchirure au ménisque droit avec douleur au genou au début de 2020, et de cancer du sein en mai 2022Note de bas de page 9.

[24] Toutefois, des diagnostics ne suffisent pas à régler la question de son invaliditéNote de bas de page 10. Je dois plutôt voir si des limitations fonctionnelles empêchent l’appelante de gagner sa vieNote de bas de page 11. Dans cette optique, je dois tenir compte de tous ses problèmes de santé (pas juste du plus important) et de leur effet sur sa capacité à travaillerNote de bas de page 12.

L’appelante a travaillé jusqu’en octobre 2021

[25] Malgré son état de santé, l’appelante a travaillé comme vendeuse dans un magasin de vêtements jusqu’en octobre 2021.

[26] Il convient d’examiner l’activité professionnelle de l’appelante, car la définition d’une invalidité grave est directement liée à la capacité de travailler. En effet, le programme d’invalidité du Régime de pensions du Canada est un régime d’assurance sociale destiné aux personnes qui sont privées de gains en raison d’une déficienceNote de bas de page 13.

[27] Cela étant dit, le fait que l’appelante a travaillé jusqu’en octobre 2021 ne signifie pas forcément qu’elle n’avait pas une invalidité grave avant octobre 2016. Je dois décider si le travail qu’elle a fait démontre qu’elle était régulièrement capable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur.

L’activité professionnelle de l’appelante a démontré qu’elle pouvait régulièrement détenir une occupation véritablement rémunératrice

[28] En travaillant comme vendeuse dans un magasin de vêtements, l’appelante a démontré qu’elle était régulièrement capable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur. Voici pourquoi.

i. L’emploi de l’appelante était véritablement rémunérateur

[29] Une occupation est véritablement rémunératrice si elle procure à la personne un revenu égal ou supérieur à la somme annuelle maximale qu’elle pourrait recevoir à titre de pension d’invaliditéNote de bas de page 14. En 2019, l’appelante a gagné 18 327 $. Ce revenu dépasse celui qu’elle aurait pu toucher avec une pension d’invalidité en 2019, soit 16 353,54 $.

ii. L’emploi de l’appelante était véritablement rémunérateur

[30] J’ai examiné si l’appelante était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Elle en était régulièrement capable.

[31] L’appelante a travaillé comme vendeuse pendant près de deux ans et demi, de mars 2019 à octobre 2021.

[32] Même si elle travaillait à temps partiel, elle n’a pas pris de congés de maladie de courte ni de longue durée. Elle a pris seulement des jours de congé et de maladie pour être avec son frère, qui est malheureusement décédé en décembre 2020.

iii. L’appelante n’avait pas d’employeur bienveillant

[33] En dépit de ce que montre son revenu, une personne n’est pas forcément capable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur si elle bénéficie d’un employeur bienveillant. Ici, l’appelante n’a pas rapporté qu’elle avait eu un employeur bienveillant. J’ai quand même examiné cette question. Néanmoins, la preuve ne démontre pas qu'elle aurait eu un employeur bienveillant.

[34] À l’audience, j’ai demandé à l’appelante comment elle avait obtenu cet emploi. Elle a dit que sa fille l’avait aidée à poser sa candidature et qu’elle avait commencé à travailler le lendemain de son entrevue. Cet emploi ne lui avait pas été offert par un ami ou un membre de sa famille.

[35] Un employeur bienveillant est un employeur qui adapte ses conditions de travail et diminue ses attentes envers un employé ayant des limitations. Ses attentes sont largement moins élevées envers cet employé que le reste de son personnel. Un employeur bienveillant accepte que cet employé ne puisse simplement pas travailler à un niveau concurrentielNote de bas de page 15.

[36] Toutefois, cette situation ne décrit pas l’emploi de l’appelante ni ses tâches. Elle a expliqué qu’elle devait prendre des pauses et même parfois travailler seulement en chaussettes. Elle a aussi dit qu’il arrivait que sa gérante fasse un commentaire sur ses ventes peu élevées. J’en comprends que sa gérante savait qu’elle éprouvait de la douleur et qu’elle s’en inquiétait. Néanmoins, cela ne fait pas d’elle un employeur bienveillant.

[37] C’est l’appelante qui a quitté son emploi. Son employeur ne l’a pas congédiée.

La santé l’appelante s’est aggravée après octobre 2016

[38] Des problèmes de santé ont été présents chez l'appelante des années avant qu'elle arrête complètement de travailler, en octobre 2021. Il est tout à son honneur d’avoir persévéré malgré ses limitations pour faire de l’argent et essayer de prendre du mieux.

[39] Son état s’est d’ailleurs détérioré avant même qu’elle arrête de travailler. Elle vivait avec des symptômes de fibromyalgie depuis 2016 et avec des symptômes de trouble dépressif majeur depuis 2019. Elle avait aussi reçu un diagnostic de fasciite plantaire en septembre 2019. Elle a commencé à avoir mal au genou au début de 2020Note de bas de page 16.

[40] Cependant, même d'un point de vue cumulatif, les limitations fonctionnelles liées à ces problèmes de santé ne la rendaient pas forcément et régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice avant octobre 2016. Ses médecins traitants ne se sont pas prononcés autrement.

[41] L’appelante dit que je ne devrais pas la punir pour avoir essayé de travailler. Cependant, l’appelante n’a pas simplement essayé de travailler. Elle a travaillé. Après octobre 2016, elle était régulièrement capable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur.

L’appelante pouvait travailler dans un contexte réaliste

[42] Pour décider si l'invalidité de l’appelante est grave, je dois examiner l’effet global de ses problèmes de santé sur sa capacité de travailler. Je dois aussi tenir compte de facteurs comme son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques, son expérience de travail et son expérience personnelle. Ces facteurs m’aident à savoir si l’appelante est capable de travailler dans un contexte réaliste. Autrement dit, est-il réaliste de dire qu’elle peut travailler?

[43] De toute évidence, l’appelante pouvait travailler dans un contexte réaliste, puisqu’elle l’a fait. J’admets que son profil n’est pas parfait. Elle a notamment fait peu d’études, éprouve parfois des difficultés en anglais et n’a aucune expérience en travail administratif. Cela dit, elle a occupé un véritable emploi pendant plus de deux ans après octobre 2016.

L’appelante a suivi les conseils médicaux

[44] Pour avoir droit à une pension d’invalidité, une personne doit avoir suivi les conseils médicaux qu’elle a reçusNote de bas de page 17. À l’audience, la représentante de l’appelante s’est efforcée de me faire comprendre que l’appelante tenait à aller mieux et qu'elle avait fait tout son possible pour prendre du mieux. Je suis d’accord.

[45] Je juge important de répéter que l’appelante a même utilisé le travail pour améliorer son sort, et ce, en surmontant sa douleur, plutôt que de se mettre en retrait de la société. Toutefois, l’admissibilité à la pension ne dépend pas de ces facteurs.

Conclusion

[46] L’appelante n’est pas atteinte d’une invalidité grave et n’est donc pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Comme l’invalidité doit obligatoirement être grave et prolongée, il ne sert à rien de décider si son invalidité est prolongée.

[47] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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