Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : RE c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 136

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : R. E.
Représentante ou représentant : Roderick Lesperance
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Joshua Toews

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le
29 mars 2023 (GP-21-1622)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 2 février 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Représentant de l’intimé
Date de la décision : Le 13 février 2024
Numéro de dossier : AD-23-664

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel. L’appelant n’est pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

Aperçu

[2] L’appelant a 65 ans et travaillait autrefois comme conducteur de chariot élévateur à fourche. Il a subi un accident de travail en 1983 et vit depuis avec des douleurs persistantes. Il a quitté son emploi en mars 1990 et n’a pas travaillé depuis. 

[3] L’appelant a présenté une première demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en septembre 1994. Le ministre a rejeté sa demande après avoir conclu qu’il n’était pas devenu invalide au terme de sa période minimale d’admissibilité, le 31 décembre 1995. Le tribunal de révision du Régime de pensions du Canada a ensuite confirmé le rejet de sa demande en mai 1997, tout comme l’a fait la Commission d'appel des pensions (CAP) en août 2000Note de bas de page 1.

[4] En janvier 2002, l’appelant a de nouveau présenté une demande de pension d’invalidité. Sa période minimale d’admissibilité avait alors été prolongée au 31 décembre 1997. Cette demande a elle aussi été rejetée par le ministre. L’appelant a fait appel de cette décision auprès du tribunal de révision. En juin 2004, le tribunal de révision a rejeté l’appel après avoir conclu qu’il n’avait pas compétence pour l'instruire, comme la CAP avait déjà rendu une décision. L’appelant, cette fois, n’a pas fait appel de la décision du tribunal de révision devant la CAP.

[5] Le présent appel porte sur la troisième demande de pension d’invalidité de l’appelant, qui date de mai 2020. Cette demande a été rejetée par le ministre une fois de plus et, encore une fois, l’appel a été rejeté par la division générale. La division générale a conclu que le principe juridique de la chose jugée l’empêchait de se prononcer sur les questions ayant déjà été tranchées par la CAP en août 2020, comme la question de savoir si l’appelant était invalide en date du 31 décembre 1995. La division générale a par ailleurs constaté que ni le tribunal de révision ni la CAP ne s’étaient déjà penchés sur la question de savoir si l’appelant était devenu invalide entre le 31 décembre 1995 et le 31 décembre 1997. Elle a toutefois fini par décider que l’appelant n’était pas devenu invalide durant ce délai additionnel de deux ans.

[6] L’appelant a demandé la permission de faire appel à la division d’appel. L’an dernier, un de mes collègues de la division d’appel a accordé à l’appelant la permission de faire appel. Plus tôt ce mois-ci, j’ai tenu une audience pour discuter en détail de sa demande de pension d’invalidité.

Questions en litige

[7] Dans le présent appel, je dois répondre aux trois questions suivantes :

  • Le principe de la chose jugée m’empêche-t-il de tenir compte de l’état de santé de l’appelant avant le 31 décembre 1995?
  • Advenant que le principe de la chose jugée s’applique, l’appelant peut-il encore prouver son invalidité à l’égard d’une autre période?
  • Advenant qu’il lui reste une période de protection, une invalidité grave et prolongée est-elle apparue chez l’appelant durant cette période?

Analyse

[8] Après avoir examiné les observations des deux parties, j’ai conclu que l’appelant n’est pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Comme la division générale, j’ai conclu que je pouvais uniquement considérer son état de santé entre le 31 décembre 1995 et le 31 décembre 1997. Comme elle, j’ai conclu que l’appelant n’est pas devenu invalide durant cette période de deux ans, bien qu’il puisse l’être aujourd’hui.

Je ne peux pas tenir compte de l’état de santé de l’appelant avant le 31 décembre 1995

[9] Il existe un principe bien établi en droit, le principe de la chose jugée, qui m’empêche d’examiner ce qui a déjà été tranché. La Cour fédérale a statué que le principe de lachose jugée s’applique précisément aux décisions du Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 2. La Cour a aussi déclaré que le législateur avait l’intention que la division générale et la division d’appel du Tribunal remplacent respectivement, à titre de successeurs, le tribunal de révision et la CAPNote de bas de page 3.

[10] Dans l’affaire Danyluk, la Cour suprême du Canada a statué que le principe de la chose jugée repose sur de solides motifs d’intérêt public :

Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause. Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action. Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évitésNote de bas de page 4.

[11] Bien qu’il existe des exceptions à ce principe, aucune ne s’applique à l’appelant.

Une affaire ne peut être instruite à nouveau à moins d’être largement différente de l’instance précédente

[12] L’arrêt Danyluk présente une analyse en deux temps pour l’application du principe de la chose jugéeNote de bas de page 5. D’abord, les conditions suivantes doivent être remplies :

  • L’instance précédente impliquait les mêmes parties que l’instance actuelle;
  • Les questions en litige sont les mêmes;
  • Une décision finale a été rendue.

[13] Si ces trois conditions sont remplies, les décideurs disposent, conformément à Danyluk, d’un certain pouvoir discrétionnaire pour appliquer le principe de la chose jugée. Ce pouvoir discrétionnaire doit toutefois être exercé en gardant à l’esprit des facteurs tels que :

  • les circonstances qui ont mené à l’instance administrative initiale;
  • le libellé de la loi;
  • l’objet de la loi;
  • l’existence d’un droit d'appel;
  • les garanties offertes aux parties dans le cadre de l’instance administrative;
  • l’expertise du décideur administratif;
  • le risque d’injustice.

[14] En appliquant l’analyse de Danyluk, je conclus que l’état de santé de l’appelant et son effet sur sa capacité de travailler avant le 31 décembre 1995 sont des questions qui ont déjà été tranchées. Par conséquent, je ne peux pas les examiner à nouveau.

Le présent appel comprend des questions que la CAP a examinées dans sa décision d’août 2000

[15] Quand l’appelant a présenté sa première demande de pension d'invalidité, sa période minimale d’admissibilité prenait fin le 31 décembre 1995. C’est cette date que la CAP a utilisée pour statuer sur son appel en août 2000.

[16] Je ne peux pas revenir sur cette décision puisque le principe de la chose jugée m’empêche d’examiner des questions qui ont déjà été tranchées. La décision rendue en août 2000 par la CAP :

  • impliquait les mêmes parties, soit l’appelant et le ministre;
  • portait sur les mêmes questions, c’est-à-dire de savoir si l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 1995;
  • était finale, comme l’appelant n’a jamais demandé de contrôle judiciaire.

[17] De plus, l’appelant a essentiellement soumis la même preuve pour ses trois demandes en ce qui concerne son état de santé et ses antécédents professionnels avant le 31 décembre 1995.

[18] Nous sommes donc en présence des trois conditions du premier volet de l’analyse établie dans Danyluk, pour la période allant jusqu’au 31 décembre 1995. De plus, les facteurs du second volet ne révèlent aucune raison de ne pas appliquer le principe de la chose jugée dans la présente affaire. L’appelant a participé à l’audience de la division générale et a témoigné. Il savait ce qu’il devait prouver, comme il avait déjà plaidé devant le tribunal de révision. On ne peut pas dire qu’il n’ait pas eu la juste possibilité de faire examiner et trancher sa demande de pension d’invalidité. Je ne peux constater aucune injustice à la lecture de la décision de la division générale.

Dans sa décision de juin 2004, le tribunal de révision n’a pas examiné si l’appelant était devenu invalide après le 31 décembre 1995

[19] Quand l’appelant a présenté sa deuxième demande de pension, en janvier 2002, sa période minimale d’admissibilité avait une nouvelle échéance : le 31 décembre 1997. Toutefois, dans sa décision de juin 2004 relative à cette deuxième demande, le tribunal de révision a omis d’examiner si l’appelant était devenu invalide entre le 31 décembre 1995 et le 31 décembre 1997.

[20] Pour cette raison, la décision de juin 2004 du tribunal de révision ne remplit pas les conditions du premier volet de l’analyse de Danyluk. Même si les parties sont les mêmes et que la décision était finale, il n’est pas clair si le tribunal de révision a bel et bien tranché la question dont il était saisi en juin 2004. Le tribunal de révision avait alors le mandat de décider si l’appelant était invalide au sens du Régime de pensions du Canada en date du 31 décembre 1997. Cependant, il a simplement conclu qu’il n’avait pas compétence pour trancher l’appel, compte tenu de la décision rendue par la CAP en août 2020.

[21] De toute évidence, le tribunal de révision a commis une erreur. En effet, la question dont il était saisi en juin 2004 était légèrement différente de celle dont la CAP avait traité dans sa décision d’août 2020, comme l’échéance de la période minimale d’admissibilité était passée du 31 décembre 1995 au 31 décembre 1997. Le tribunal de révision aurait donc dû examiner s’il l’appelant avait prouvé qu’une invalidité grave et prolongée était apparue chez lui durant ces deux années additionnelles, soit au plus tard le 31 décembre 1997.

[22] Le tribunal de révision a plutôt simplement confirmé la décision d’août 2000 de la CAP, et ce, en ignorant la preuve qui aurait pu révéler l’apparition d’une invalidité durant ces deux années additionnelles. Par conséquent, la décision rendue en juin 2004 par le tribunal de révision ne peut justifier l'application du principe de la chose jugée au-delà du 31 décembre 1995.

L’appelant doit prouver qu’il est devenu invalide entre le 31 décembre 1995 au 31 décembre 1997

[23] Même si l’appelant ne peut pas défendre une invalidité avant le 31 décembre 1995, son appel peut être instruit. En effet, il pourrait être admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada s’il prouve l’apparition d’une invalidité grave et prolongée entre le 31 décembre 1995 et le 31 décembre 1997.

[24] Cette dernière date marque la fin de sa nouvelle période minimale d’admissibilité, soit sa période de protection. En réalisant des gains admissibles et en cotisant au Régime de pensions du Canada pendant deux ans après sa première demande de pension, l’appelant a effectivement prolongé sa protectionNote de bas de page 6. Toutefois, pour avoir droit à la pension d’invalidité, l’appelant doit non seulement démontrer qu’il était invalide entre le 31 décembre 1995 et le 31 décembre 1997, mais aussi qu’il est devenu invalide durant ces deux années. Je dois donc examiner de près la preuve médicale disponible pour ces années, et en particulier ce qu’elle révèle sur les changements à son état de santé, pour le meilleur ou pour le pire.

Il manque de preuve pour démontrer l’apparition d’une invalidité grave et prolongée durant le délai de deux ans

[25] Pour avoir gain de cause, l’appelant devait prouver qu’il était plus probable qu’improbable qu’une invalidité grave et prolongée était apparue chez lui pendant sa période de protectionNote de bas de page 7.

  • Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 8. Une personne n’est pas admissible à une pension d’invalidité si elle est régulièrement capable de faire un travail quelconque qui lui permet de gagner sa vie.
  • Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 9. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité tienne le requérant à l’écart du marché du travail pendant longtemps.

[26] Comme nous l’avons vu, la période de protection de l’appelant, aux fins du présent appel, s’étend du 31 décembre 1995 au 31 décembre 1997. Après avoir examiné le dossier, j’ai conclu que l’appelant n’a pas développé une invalidité grave et prolongée pendant ces deux années. Bien que l’appelant ait mal au dos depuis longtemps, aucune preuve ne montre que son état se serait détérioré pendant cette période relativement courte.

[27] J’ai basé ma conclusion sur différents facteurs. Les voici.

Un diagnostic ne garantit pas une invalidité

[28] L’appelant est atteint d’arthrite aux genoux et au dos ainsi que d’une discopathie dégénérative à la colonne cervicale et à la colonne lombaire. Il a également reçu des diagnostics de syndrome chronique de la coiffe des rotateurs et de syndrome de douleur chronique.

[29] Toutefois, il ne s’ensuit pas forcément qu’il est devenu invalide entre le 31 décembre 1995 et le 31 décembre 1997. En effet, un diagnostic ne suffit pas à régler la question de son invalidité. Je dois plutôt voir si des limitations fonctionnelles l’empêchaient de gagner sa vieNote de bas de page 10.

Une preuve médicale est essentielle pour prouver l’invalidité

[30] Il ne suffit pas que l’appelant affirme qu’il est devenu invalide pendant la période requise. Son propos doit être corroboré par une preuve médicaleNote de bas de page 11.

[31] Dans ses différentes demandes de pension d’invalidité, l’appelant a toujours qualifié de passables à mauvaises ses capacités physiques. Il a écrit qu’il ne peut pas rester assis ou debout ni marcher longtemps. Il ne peut pas tourner son tronc ni étirer les bras au-dessus de sa tête. Il a du mal à se rappeler les choses d’un moment à l’autre parce qu’il est distrait par la douleur. L’appelant soutient que ces limitations étaient tout aussi invalidantes en 1996-1997 qu’elles le sont maintenant.

[32] À l’audience, l’appelant a expliqué qu’il s’est blessé au cou et au dos quand un chargement de bois est tombé sur lui. Cet accident de travail est survenu en juillet 1983. Il est retourné au travail après avoir pris congé pour se rétablir, mais des douleurs de plus en plus fortes l’ont amené à cesser de travailler en mars 1990. Il dit qu’il souffre toujours d’une douleur aiguë de coup de poignard, [traduction] « comme si un couteau à steak lui piquait le dos ». Il a pris de nombreux analgésiques, mais leur effet est limité.

[33] Grâce à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents de travail de l’Ontario (CSPAAT), l’appelant a pu obtenir son équivalent du cours secondaire et suivre un programme de réadaptation professionnelle. Il a été formé comme réparateur de matériel électronique, mais maintient qu’il n’a rien appris malgré l’obtention d’un certificat. Après la fin du programme en janvier 1996, il a postulé pour divers emplois dans son nouveau domaine d’expertise, sans succès. Il se souvient d’avoir eu une entrevue avec Future Shop, où il avait expliqué qu’il avait des problèmes de dos qui l’empêcheraient d’accomplir certaines des tâches de l’emploi, comme se pencher, se mettre à genoux et soulever des objets.

[34] Bien que l’appelant puisse croire qu’il est atteint d’une invalidité chronique, je ne peux pas strictement fonder ma décision sur sa vision subjective de ses capacités. La preuve, dans son ensemble, ne laisse pas croire à l’apparition d’une déficience grave qui l’aurait empêché de faire un travail convenable pendant sa période de protection. D’après ce que je peux voir, même s’il composait avec certaines limitations en 1996-1997, il n’est pas devenu incapable de faire toute forme de travail pendant cette période.

L’appelant n'a pas été déclaré invalide en date du 31 décembre 1995

[35] La période de protection de l’appelant a commencé le 31 décembre 1995, soit la date à laquelle la CAP a conclu qu’il n’était pas invalide. La CAP a notamment fondé sa conclusion sur deux rapports qui décrivaient en détail son état de santé vers cette époque.

[36] En août 1995, l’appelant a consulté le docteur Paul Hanson, son omnipraticien, pour une douleur chronique au bas du dos. À l’examen, la flexion et l'extension de sa colonne lombaire étaient limitées. Le docteur Hanson a conclu qu’il était peu probable que l’état de l’appelant s’améliore et qu’il aurait besoin de prendre des anti-inflammatoires pour maîtriser sa douleurNote de bas de page 12.

[37] En décembre 1995, un chirurgien orthopédiste, le docteur Paul Pepin, a vu l’appelant pour des douleurs aiguës intermittentes au cou et au dosNote de bas de page 13. Le docteur Pepin a rapporté que l’appelant disait ressentir une douleur continue au bas du dos, et occasionnellement des sensations de brûlure et des douleurs aiguës. La douleur, selon l’appelant, était plus forte lorsqu’il se penchait ou restait assis ou debout de façon prolongée. Il avait de la difficulté à écrire. Au sujet de son cou, l’appelant a décrit une [traduction] « douleur continue créant de l’inconfort », davantage prononcée quand il hochait ou secouait la tête. Le docteur Pepin a conclu que les symptômes dont se plaignait l’appelant ne cadraient pas avec les constats objectifs.

[38] L’appelant a terminé en janvier 1996 un programme pour réintégrer le marché du travail. La témoin médicale du ministre, la docteure Isabelle-Sophie Jolin, a fait remarquer que la CSPAAT n’aurait pas inscrit l’appelant à un tel programme en l’absence d’une chance de succès raisonnable. Son argument confirme mon impression que l’appelant avait, à tout le moins, une capacité résiduelle au début de sa période de protection.

Rien ne prouve que l’état de santé de l’appelant se serait considérablement détérioré durant les deux ans suivant le 31 décembre 1995

[39] Il y a relativement peu d’éléments de preuve médicale au dossier pour la période de protection, et aucun d’eux ne confirme l’apparition d’une invalidité grave. La preuve médicale montre plutôt que les problèmes de santé et les limitations fonctionnelles de l’appelant sont essentiellement demeurés les mêmes du 31 décembre 1995 au 31 décembre 1997.

[40] L’appelant a vu le docteur Hanson en avril, en juin et en septembre 1996Note de bas de page 14. Il rapportait toujours une douleur au dos et aux jambes, pour lesquelles il prenait du Tylenol 3 et du Voltaren. À sa visite de juin, l’appelant a dit à son médecin de famille que son dos et ses jambes allaient mieux, bien qu’elles demeuraient sensibles.

[41] En octobre 1996, deux évaluateurs de la douleur chronique de la CSPPAT ont conclu que son mal de dos avait une composante mécanique et que celui-ci était son principal problème. Selon eux, l’appelant n’avait pas de comorbidités notables. Ils n’entrevoyaient [traduction] « aucune aggravation notable dans un proche avenirNote de bas de page 15 ». 

[42] Neuf mois se sont écoulés sans une autre preuve médicale. En juillet 1997, l’appelant a vu le docteur Hanson pour ce qui semble être sa seule visite de l’année. Le docteur Hanson a seulement noté que l’appelant avait beaucoup de douleur aux articulations et aux mains. Il lui a recommandé de faire des [traduction] « tests », sans plus de précision. Il n’est pas clair si l’appelant a fini par subir ces tests et, dans l’affirmative, ce que ces tests auraient révéléNote de bas de page 16. Ensuite, l’appelant a seulement revu le docteur Hanson en février 1998. Le principal objet de cette visite n’a pas été sa douleur lombaire, mais bien sa dépression depuis la fin de son mariage.

L’appelant a admis que son état n’a pas changé durant la période de deux ans

[43] Aucun des éléments de preuve disponibles ne laisse croire à un changement notable dans ses capacités fonctionnelles entre le 31 décembre 1995 et le 31 décembre 1997. Le témoignage de l’appelant n’allait pas en sens non plus.

[44] Interrogé sur ses limitations fonctionnelles pendant sa période de protection, l’appelant a déclaré qu’il ne pouvait pas se pencher pour utiliser un ordinateur, donner un bain à son fils ou faire des tâches ménagères. Il a dit qu’il avait de la difficulté à marcher après être resté assis longtemps. Il a dit qu’il ne pouvait pas lever les bras au-dessus de sa tête. Toutefois, ces limitations n’étaient pas sensiblement différentes de celles qu’il rapportait avant 1996.

[45] Durant ses audiences devant la division générale et la division d’appel, on a directement demandé à l’appelant s’il croyait que son état s’était détérioré pendant la période en cause. Dans les deux cas, il a répondu que non.

Peu d’éléments de preuve montrent que la douleur chronique empêchait l’appelant de travailler pendant le délai de deux ans

[46] Les tribunaux ont reconnu que le syndrome de douleur chronique est un véritable problème de santé dont l’existence et la gravité ne sont pas toujours étayées par des constats objectifs. Dans l’affaire Martin, la Cour suprême du Canada a statué que le syndrome de douleur chronique et les problèmes de santé connexes peuvent être véritablement invalidants, et que le régime d’indemnisation des travailleurs de la Nouvelle-Écosse, en excluant totalement la douleur chronique de son champ d’application, portait atteinte aux droits à l’égalité de la requérante, protégés par la Charte canadienne des droits et libertésNote de bas de page 17.

[47] Cela étant dit, l’invalidité n’est pas automatique lorsque la douleur chronique est invoquée. La cause Martin ne précise pas la façon dont la preuve relative à la douleur chronique doit être évaluée pour décider s’il y a invalidité, et ne précise particulièrement rien sur l’importance que le décideur doit accorder ou non à la preuve subjective.

[48] Ici, l’appelant insiste sur le fait qu’il avait une invalidité attribuable à la douleur chronique entre le 31 décembre 1995 et le 31 décembre 1997, même si la preuve médicale ne révèle pas une aggravation de son état au cours de cette période. Il est vrai qu’une équipe multidisciplinaire mandatée par la CSPAAT a recommandé en octobre 1996 que l’appelant bénéficie de prestations pour une invalidité permanente attribuable à la douleur chroniqueNote de bas de page 18. Toutefois, cette recommandation n’était que pour 15 pour cent du montant maximal, et ce taux est demeuré inchangé pendant neuf ans, avant de passer à 25 pour cent. En effet, le dossier donne à penser que l’état de l’appelant, bien qu’il puisse maintenant être atteint du syndrome de douleur chronique, s’est seulement aggravé des années après l’échéance de sa période minimale d’admissibilitéNote de bas de page 19.

L’état de santé de l’appelant ne l’empêchait pas de travailler dans un contexte réaliste

[49] Sur le fondement de la preuve médicale, je conclus que l’appelant avait, au minimum, une certaine capacité de travail durant la période en cause. Je suis conforté dans cette idée quand je tiens compte de son employabilité globale.

[50] Pour être admissible à la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, une personne doit être atteinte d’une invalidité grave. L’affaire Villani précise ce qu’est une invalidité grave et, conformément à Villani, le Tribunal doit examiner la personne « tout entière » d’un point de vue réaliste afin de décider de son invalidité. L’employabilité ne s’évalue pas de façon abstraite, mais au regard de « toutes les circonstancesNote de bas de page 20 ».

[51] Mon analyse ne peut pas s’arrêter aux problèmes médicaux de l’appelant. Pour savoir s’il est capable de travailler, je dois aussi tenir compte des facteurs comme son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie. Ces éléments m’aident à décider si l’appelant pouvait travailler dans un contexte réaliste durant sa période de protection.

[52] L’appelant a l’anglais comme langue maternelle. Il n’avait que 38 ans à l’échéance de sa dernière période de protection aux fins de la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Il lui restait donc des décennies avant l’âge normal de la retraite. Même s’il n’a fait que des études secondaires, il s’est montré capable de suivre plusieurs cours de recyclage, même après ses blessures. Comme je l’ai mentionné, il a terminé en janvier 1996 un programme en microélectronique à la Toronto School of Business. Il s’est ensuite inscrit à un programme de technologie des réseaux informatiques et a obtenu une certification A+ à la Toronto School of BusinessNote de bas de page 21.

[53] Somme toute, je suis convaincu que l’appelant avait une capacité résiduelle, malgré son peu d’instruction, d’entreprendre une autre carrière en date du 31 décembre 1997. Même avec sa douleur au bas du dos, l’appelant était capable d’occuper un emploi sédentaire pendant les deux années de sa période de protection.

Je n’ai pas à vérifier si l’appelant avait une invalidité prolongée

[54] Comme l’invalidité doit obligatoirement être grave et prolongéeNote de bas de page 22 et que l’appelant n’a pas prouvé qu’il avait une invalidité était grave, il ne sert à rien de décider si elle était prolongée.

Conclusion

[55] La preuve révèle que l’appelant avait des problèmes physiques du 31 décembre 1995 au 31 décembre 1997. Toutefois, je ne suis pas convaincu que ces problèmes le rendaient régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice durant cette période. L’appelant n’était pas invalide à la fin de 1995, et la preuve dont je dispose ne permet pas de démontrer que son état se serait considérablement aggravé durant les deux ans qui ont suivi.

[56] L’appel est rejeté.

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