Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : JC c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 264

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : J. C.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 2 mai 2023 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Connie Dyck
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 5 mars 2024
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 8 mars 2024
Numéro de dossier : GP-23-953

Sur cette page

Décision

[1] L’appel de l’appelant, J. C., est accueilli.

[2] Le ministre de l’Emploi et du Développement social n’était pas en droit d’arrêt de verser à l’appelant sa pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada du 1er septembre 2022 au 31 mars 2023.

[3] J’explique dans la présente décision pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[4] L’appelant fait appel de la décision du ministre qui a mis fin au versement de sa pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada du 1er septembre 2022 au 31 mars 2023.

[5] L’appelant avait 27 ans lorsqu’il a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, en décembre 2016Note de bas de page 1. Il est invalide principalement à cause d’un trouble du spectre de l’autisme, de traits de la personnalité paranoïaque et de dyslexie.

[6] Le ministre a accueilli la demande de l’appelant. Sa pension a commencé en juillet 2016, soit à la date où il avait cessé de travailler comme éducateur de la petite enfance à cause de ses problèmes de santéNote de bas de page 2.

[7] En 2017, 2018, 2019 et 2021, l’appelant a pourtant continué de travailler comme éducateur de la petite enfanceNote de bas de page 3. Le ministre a réexaminé son dossier plusieurs fois, soit deux fois en 2018 et une fois en 2019. Chaque fois, le ministre a conclu que l’appelant était toujours invalide, malgré son emploi d'éducateurNote de bas de page 4.

[8] Puis, en octobre 2021, le ministre a de nouveau examiné son dossierNote de bas de page 5. Le ministre a alors décidé que l’appelant n’était plus invalide. L’appelant a alors demandé au ministre de réviser sa décision. Le ministre a infirmé sa décision et a déclaré, le 6 septembre 2022Note de bas de page 6, que l’appelant demeurait invalide.

[9] Une semaine plus tard, le 13 septembre 2022Note de bas de page 7, le ministre a déclaré que l’appelant avait cessé d’être invalide à la fin du mois d’août 2022, après un essai de trois mois au travail. Cette décision prenait effet le 1er septembre 2022.

L’appelant a porté cette décision en appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Question que je dois trancher

[10] Je dois décider si l’appelant a cessé d’être invalide entre le 1er septembre 2022 et le 31 mars 2023. Si oui, je dois décider quand exactement.

[11] Pour cesser de lui verser sa pension d’invalidité, le ministre doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a cessé d’être invalide au sens du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 8.

[12] Une pension d’invalidité cesse d’être payable le mois au cours duquel l’appelant cesse d’être invalideNote de bas de page 9.

[13] Pour qu’une personne soit invalide au sens du Régime de pensions du Canada, elle doit être atteinte d’une invalidité  grave et prolongée. Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinieNote de bas de page 10.

Le ministre n’a pas démontré que l’appelant a cessé d’être invalide le 31 août 2022

[14] En accordant à l’appelant une pension d’invalidité dès juillet 2016, le ministre avait conclu qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée. Le ministre a conservé cette position en 2018, en 2019 et le 6 septembre 2022. Le ministre doit donc démontrer que l’état de santé de l’appelant avait changé depuis sa dernière décision et qu’il n’était plus invalideNote de bas de page 11.

Le ministre n’a fourni aucun nouvel élément de preuve médicale

[15] En mai 2017, le ministre a décidé que l’appelant était invalide. L’invalidité commençait en juillet 2016. Le ministre a fondé sa décision sur les éléments suivantsNote de bas de page 12 :

  • L’appelant a dit éprouver des symptômes d’autisme, de personnalité paranoïaque et de dyslexie. Ces problèmes médicaux l’empêchaient de travailler. Son comportement, perçu comme étrange, était aussi problématique. Il avait du mal à suivre des consignes au travail et à s’adapter à de nouvelles situations.
  • Le docteur Roman, son médecin de famille, a posé un diagnostic de trouble du spectre de l’autismeNote de bas de page 13. Il a affirmé que l’appelant avait des comportements sociaux inappropriés, qu’il était incapable de conserver un emploi et qu'il était inflexible quant à son horaire de travail.
  • Une évaluation psychologique réalisée en novembre 2016 par le docteur Dew, psychologue, a révélé que l’appelant avait de la difficulté à conserver un emploi, qu’il avait souvent été congédié et qu’il avait fait l’objet de nombreuses plaintes à cause de son comportement étrangeNote de bas de page 14. L’appelant avait un historique de déficits dans ses comportements sociaux et émotionnels, son langage verbal et non verbal et la création et le maintien de relations. Il était aussi noté dans l’évaluation que l’appelant était inflexible par rapport à son horaire de travail, comme le changement le troublait.

[16] Le ministre n’a fourni aucune nouvelle preuve médicale. Il n’a pas démontré que les problèmes de santé ou les capacités fonctionnelles de l’appelant avaient changé depuis l’approbation de sa demande de pension d’invalidité, en mai 2017.

[17] Dans sa décision du 6 septembre 2022, le ministre a déclaré que, pour la période du 1er novembre 2021 au 6 septembre 2022, l’appelant avait continué d’être invalide, notamment à cause d’une anosognosie qui était indicative de son état. Le ministre a ajouté ceci : [traduction] « Comme son problème de santé est permanent et qu’il n’y a eu aucun changement important depuis la date de sa demande, le client n’a pas fait montre d'une capacité régulière à occuper un emploi rémunérateurNote de bas de page 15. »

[18] Cependant, cela demeure le cas aujourd’hui. Le problème de santé de l’appelant est toujours permanent et il n’y a pas eu de changement important depuis la date de sa demande.

[19] Conformément à la preuve médicale de septembre 2023 du docteur Painchaud, médecin de famille, le diagnostic et les limitations fonctionnelles de l’appelant demeuraient les mêmes que ceux sur lesquels s'était fondé le ministre pour conclure que l’appelant était invalide en juillet 2016. Le docteur Painchaud a déclaré que l’appelant éprouvait de plus en plus de difficulté avec la communication sous toutes ses formes, ce qu’il attribuait à son trouble du spectre de l’autisme. L’appelant avait aussi de la difficulté à tisser et à entretenir des liens interpersonnels. Le docteur Painchaud a souligné qu’il était exceptionnellement difficile pour l’appelant d’obtenir et de conserver un emploi régulier à cause de ces déficits, et ce malgré tous ses efforts. Le docteur Painchaud s’attendait à ce qu’il doive composer avec ces déficits toute sa vieNote de bas de page 16.

[20] Le ministre n’a fourni aucune preuve montrant que l’état de santé de l’appelant aurait changé entre juillet 2016 et aujourd’hui.

Revenu de travail de l’appelant 

[21] La position du ministre est que l’appelant ne répondait plus au critère d’une invalidité grave et prolongée au sens du Régime de pensions du Canada entre la fin du mois d’août 2022 et le 1er avril 2023, soit la date à laquelle sa pension a été rétablie.

[22] Le Règlement sur le Régime de pensions du Canada définit ce qui constitue un revenu véritablement rémunérateur. Le revenu d’un appelant pour une année est véritablement rémunérateur s’il est égal ou supérieur au montant maximal de la pension d’invalidité qui pourrait lui être versée pour cette annéeNote de bas de page 17.

[23] En 2022, l’appelant a gagné 21 633 $ en travaillantNote de bas de page 18. Cette année-là, le revenu véritablement rémunérateur était de 17 489,96 $.

[24] Malgré son occupation véritablement rémunératrice de janvier 2022 au 6 septembre 2022, le ministre a décidé que l’appelant était resté invalide.

[25] Toutefois, pour la période en cause, soit du 1er septembre 2022 au 31 décembre 2022, l’appelant n’a pas eu un revenu véritablement rémunérateur.

[26] Même si je considérais que l’ensemble du revenu de l’appelant pour 2022 était véritablement rémunérateur, je ne crois pas qu’il ait cessé d’être invalide le 1er septembre 2022. Le revenu de l’appelant doit être examiné dans le contexte de l’objet du Régime de pensions du Canada. Il s’agit d’une loi conférant des avantages. Il faut donc l’interpréter de façon libérale et généreuseNote de bas de page 19. Le Régime de pensions du Canada doit être appliqué en tenant compte du contexte « réalisteNote de bas de page 20 ». Une interprétation libérale et généreuse du revenu de l’appelant permet de voir que son revenu n’est qu’un des éléments de preuve dont je dois tenir compte.

[27] J’ai examiné si l’employeur de l’appelant, la Prince Albert Child Care Co-operative, pourrait être considéré comme un employeur bienveillant. Pour qu’un employeur soit considéré comme bienveillant, les mesures d’adaptation qu’il offre doivent dépasser celles auxquelles on s’attendrait sur le marché du travail. Le fait qu’un employé offre des services à leur valeur marchande dépend des attentes de l’employeur en matière de rendement, surtout par rapport aux autres employés occupant le même posteNote de bas de page 21.

[28] Selon la description de son emploi chez la Prince Albert Child Care Co-operative, l’appelant devait fournir des soins de qualité aux enfants en leur proposant des activités adaptées à leur âgeNote de bas de page 22. L’employeur a noté que le travail de l’appelant était [traduction] « satisfaisant ». Cela ne veut pas dire qu’il faisait du [traduction] « bon » travail ou qu’il travaillait sans avoir besoin de mesures d’adaptation. En fait, l’appelant ne pouvait pas faire le travail seul. Il avait régulièrement besoin de l’aide de ses collègues. Une des principales tâches de son emploi consistait à faire des activités avec les enfants. Cependant, il avait régulièrement besoin de l’aide de collègues pour accomplir cette tâche essentielle à son emploi. Il avait aussi besoin de l’aide de ses collègues pour surveiller les enfants. C'était encore là une tâche de base pour un éducateur de la petite enfance. Et pourtant, il ne pouvait s’en acquitter sans une aide régulière. Il avait également besoin d’aide pour gérer le comportement des enfants. Je reconnais que l’employeur affirme qu’il avait la capacité de répondre aux exigences du poste. Il est cependant manifeste, compte tenu de l’aide régulièrement offerte par ses collègues pour des tâches élémentaires et centrales à un emploi d'éducateur, que l’appelant n’avait pas la capacité d’assumer les exigences de son emploi. Les attentes en matière de rendement entretenues envers l’appelant étaient moindres que celles envers les autres employés occupant le même poste. Il avait besoin de l’aide régulière de ses collègues, tandis que ceux-ci savaient travailler de façon autonome.

[29] Je me suis également fiée au témoignage de l’appelant. Il a dit que de nouvelles règles concernant les soins offerts aux enfants avaient été mises en place. Ces règles étaient entrées en vigueur vers la fin du mois d’août 2022. Par contre, il n’avait pas la même capacité que le reste du personnel à suivre ces règles. Il prenait soin des enfants différemment des autres employés, et en avait moins à faire qu'eux. Par exemple, il n’avait pas à soulever des enfants de moins de trois ans.

[30] Je conclus que l’appelant travaillait pour un employeur bienveillant. Il bénéficiait de mesures d’adaptation excédant celles auxquelles on s’attendrait sur le marché du travail, et les attentes quant à son rendement étaient bien moins élevées que les attentes entretenues avec les autres employés occupant le même poste.

Antécédents de travail de l’appelant

[31] Le ministre est d’avis que l’appelant ne répondait plus au critère d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 août 2022, quand il a démontré qu’il était capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[32] Je ne crois pas que le ministre se soit acquitté de son fardeau et qu’il ait démontré que l’appelant avait cessé d’être invalide quelque temps entre le 1er septembre 2022 et le 31 mars 2023.

[33] L’appelant a travaillé comme éducateur à la petite enfance auprès d’un même employeur du 25 janvier 2022 au 21 décembre 2022, et le ministre a conclu qu’il était invalide du 25 janvier 2022 au 6 septembre 2022. Il n’a fourni aucune preuve révélant un changement quelconque.

[34] À l’audience, l’appelant a déclaré qu’il avait cessé de travailler le 21 décembre 2022 à cause de changements dans les règles. Il a expliqué que ces règles n’étaient pas suivies de la même manière par tout le personnel et que son employeur ne lui avait jamais expliqué les attentes précises qu’il avait envers lui. La difficulté que l’appelant a approuvée avec l’arrivée de nouvelles règles cadre avec une limitation fonctionnelle qu’il avait déjà en 2016, quand il avait été jugé invalide. Le docteur Dew avait expliqué, en novembre 2016, que l’appelant était inflexible par rapport à son horaire de travail et que tout changement le déstabilisaitNote de bas de page 23. L’appelant m’a dit que ces règles et des changements de politiques avaient commencé en août 2022 et qu’il avait eu du mal à s’y adapter.

[35] En 2016, lorsque le ministre l’a jugé invalide, l’appelant avait été congédié de son emploi éducateur parce qu’il n’était pas capable de mener à bien un programme d’activités ou de travailler seul et qu’il avait besoin d’une supervision constanteNote de bas de page 24. Selon son employeur, l’appelant, en 2022, avait régulièrement besoin de l’aide de ses collègues pour les activités, la supervision et la gestion de comportements. Il s’agit des mêmes limitations fonctionnelles que l’appelant présentait en 2016, lorsque le ministre l’avait déclaré invalide.

[36] Je me suis ensuite demandé si le ministre avait démontré que l’appelant avait cessé d’être invalide à moment quelconque entre le 21 décembre 2022 et le 31 mars 2023, soit la date où il a rétabli sa pension d’invalidité.

[37] Je ne pense pas que ce soit le cas.

[38] En 2016, l’appelant a été congédié de son emploi d’éducateur parce qu’il ne pouvait pas remplir les exigences de son poste. Il était notamment incapable de mener à bien un programme d’activités et de travailler de manière autonome, et avait besoin d’une supervision constante. Le ministre s’était appuyé sur ce fait pour juger que l’appelant était régulièrement incapable de travailler de façon rémunératrice, vu la nature de son problème de santé et ses limitations fonctionnellesNote de bas de page 25. En janvier 2023, l’appelant travaillait de nouveau comme éducateur de la petite enfance, mais pour un nouvel employeur, X. Cependant, il n’a pas été en mesure de répondre aux exigences de cet emploi et a encore été congédié, comme en 2016.

[39] En résumé, le ministre n’a pas démontré que l’appelant aurait cessé d’être invalide quelque temps entre le 1er septembre 2023 et le 31 mars 2023. Ses problèmes de santé, ses efforts pour travailler et ses limitations fonctionnelles sont demeurés les mêmes de juillet 2016 au 1er avril 2023, date à laquelle sa pension d’invalidité a été rétablie.

Conclusion

[40] Le ministre n’a pas pu prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant aurait retrouvé la capacité de travailler à quelque moment que ce soit après la date où il avait été déclaré invalide, soit juillet 2016. Rien ne montre qu’il y aurait eu un changement dans son état de santé ou sa capacité de travailler entre le 1er septembre 2023 et le 1er avril 2023.

[41] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le ministre n’était pas en droit de mettre fin au versement de la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada dont bénéficiait l’appelant entre le 31 août 2022 et le 31 mars 2023. Je conclus ainsi que l’appelant est admissible à cette pension, comme il était atteint d’une invalidité grave et prolongée.

[42] En conséquence, l’appel est accueilli.

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