Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : FB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 293

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : F. B.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 17 mai 2023 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : James Beaton
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 18 mars 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
  Témoin de l’appelant
Date de la décision : Le 20 mars 2024
Numéro de dossier : GP-23-1409

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelant, F. B., est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, payable dès juillet 2021. La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelant a 57 ans. En 1986, il a suivi une formation de technicien en véhicules auprès des Forces armées canadiennes. Il a travaillé dans une usine et en construction, puis s’est recyclé pour faire un travail sédentaire qui serait mieux adapté à son dos et à ses genoux. Après avoir obtenu un diplôme en administration des affaires en 1994, il a aussi travaillé dans un bureauNote de bas de page 1.

[4] En octobre 2005, l’appelant a été impliqué dans un accident de la route. Il est retourné au travail en janvier 2006. Par contre, en avril 2007, il a de nouveau cessé de travailler vu l’apparition de symptômes liés à un trouble de stress post-traumatique (TSPT)Note de bas de page 2. L’appelant a beaucoup de traumatismes liés à son enfance, qui pourraient aussi expliquer son TSPT.Note de bas de page 3

[5] De 2008 à 2012, l’appelant a géré sa propre [traduction] « entreprise ». Il remettait à neuf des ordinateurs qu’il offrait ensuite à d'anciens combattants et à des familles à faible revenu. Cette activité était purement bénévole et ne générait pas de revenus. Il voulait se sentir utileNote de bas de page 4.

[6] En 2015, l'appelant a reçu un diagnostic de lymphome hodgkinien, un type de cancer rare, pour lequel il a été traitéNote de bas de page 5.

[7] En 2020 et en 2021, il a pris contact avec un organisme aidant les personnes handicapées à réintégrer le marché du travail. Malgré des retards engendrés par la COVID-19, il a fini par terminer le programme et par faire un stage en milieu de travail comme représentant du service à la clientèle, en juillet 2021. Malheureusement, son TSPT s’est aggravé et il a cessé de travailler en septembre 2021.Note de bas de page 6 Il n’a pas travaillé depuis.

[8] L’appelant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada le 10 juin 2022. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. L’appelant a porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[9] Le ministre affirme qu’il n’y a pas assez d’éléments de preuve médicale pour confirmer que l’appelant était invalide depuis le 31 décembre 2009 (échéance de son admissibilité à une pension d’invalidité) et qu’il l’est resté de façon continue depuis. Le ministre soutient que les efforts bénévoles de l’appelant démontrent qu’il était capable de travailler.

[10] L’appelant, tout en reconnaissant qu’il n’avait pas su produire de preuve médicale pour certaines périodes, affirme que ces lacunes n’enlèvent rien à son invalidité. Il est d'avis que son bénévolat ne démontre pas une capacité de travail.

[11] Je suis d’accord avec l’appelant.

Ce que l’appelant doit prouver

[12] Pour gagner son appel, l’appelant doit prouver qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2009 et qu’il en est ensuite resté atteint de façon continue. Cette date est établie en fonction des cotisations qu’il a versées au Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 7.

[13] Le Régime de pensions du Canada définit les termes « grave » et « prolongée ».

[14] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.Note de bas de page 8 Pour décider si l’invalidité de l’appelant est grave, je dois examiner l’effet global de ses problèmes de santé sur sa capacité de travailler. Je dois aussi tenir compte de facteurs comme son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques, son expérience de travail et son expérience personnelle. Ces facteurs me font voir sa situation de façon réaliste. Ils m’aident à décider si son invalidité est grave. Si l’appelant est régulièrement capable de faire un travail quelconque qui lui permet de gagner sa vie, il n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[15] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 9. Autrement dit, aucun rétablissement ne doit être prévu. Pour être prolongée, l’invalidité de l’appelant doit l’obliger à quitter le marché du travail pendant très longtemps.

[16] L’appelant doit prouver qu’il est atteint d’une invalidité grave et prolongée selon la prépondérance des probabilités. En d’autres mots, il doit me convaincre qu’il est plus probable qu’improbable qu’il est invalide.

Questions que je dois examiner en premier

J’ai permis à l’épouse de l’appelant de témoigner

[17] J’ai permis à l’épouse de l’appelant de témoigner même s’il a seulement dit au Tribunal qu’il voulait qu’elle témoigne après le délai imparti à cette fin. Il était dans l’intérêt de la justice de la laisser témoignerNote de bas de page 10. Le ministre n’a pas participé à l’audience et ne s’est pas opposé à son témoignage.

Motifs de ma décision

[18] Je conclus que l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en avril 2007, et qu’il en a continuellement été atteint depuis. J’ai tiré cette conclusion après avoir examiné les questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelant était-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelant était-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelant était-elle grave?

[19] L’appelant était atteint d’une invalidité grave en avril 2007. J’ai basé ma conclusion sur plusieurs facteurs. Les voici.

Les limitations fonctionnelles de l’appelant nuisaient à sa capacité de travail

[20] L’appelant est atteint d’un TSPT, en plus d’avoir depuis longtemps des douleurs au dos et aux genoux. Cela étant dit, un diagnostic ne suffit pas à régler la question de son invalidité. Je dois plutôt voir si des limitations fonctionnelles l’empêchaient de gagner sa vie en date du 31 décembre 2009. Dans cette optique, je dois tenir compte de tous ses problèmes de santé (pas juste du plus important) et de leur effet sur sa capacité à travaillerNote de bas de page 11.

[21] Je conclus que l’appelant avait des limitations fonctionnelles en avril 2007.

Ce que l’appelant dit de ses limitations fonctionnelles

[22] L’appelant affirme que les limitations fonctionnelles causées par ses problèmes médicaux nuisaient à sa capacité de travailler en avril 2007Note de bas de page 12.

[23] Il dit s’être blessé au dos et aux genoux en faisant du travail physique pendant de nombreuses années. Il s’est ensuite recyclé pour faire un travail sédentaire. Ses problèmes au dos et aux genoux ont tout de même persisté. Il doit maintenant utiliser une canne et un corset lombaire, et parfois des attelles de genou. Il a de la difficulté à s’agenouiller et à se pencher.

[24] Il dit que son TSPT a été causé par son accident de 2005. Il a repris le travail en janvier 2006, mais ses symptômes ont commencé à peser trop lourd sur lui. Il a donc quitté son emploi en avril 2007. Dans sa demande, l’appelant a décrit ses limitations en détail. Il a qualifié de « faible » sa capacité à faire face au changement, à demander de l’aide à des collègues, à faire affaire avec des inconnus, à contrôler son tempérament, à gérer son anxiété et à être dans des lieux publics. Il perd facilement le fil de ce qu’il fait si on l’interrompt. Si quelqu’un le fait sursauter, il panique et prend beaucoup de temps à se calmer. Il a de la difficulté à prendre des décisions et à apprendre de nouvelles choses.

Ce que la preuve médicale révèle sur les limitations fonctionnelles de l’appelant

[25] L’appelant doit fournir des éléments de preuve médicale qui montrent que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travaillerNote de bas de page 13. Malgré l'absence de preuve médicale pour certaines périodes, la preuve dont je dispose concorde généralement avec le compte rendu de l’appelant. Je vais traiter de la preuve médicale par périodes.

De 1997 à 2001

[26] La preuve médicale relative à cette période montre que l’appelant avait des douleurs lombaires résultant d’une série de blessures au dos. Son genou droit était sensible au toucher. Il prenait des analgésiques et avait consulté un neurologue, qui était d’accord avec le choix de l’appelant de faire un travail sédentaire. En mai 2001, il a visité une clinique antidouleur. En 2002, il a commencé un emploi de gestionnaire de projet pour une entreprise de travaux publics pour la défenseNote de bas de page 14. À partir de mai 2001 et jusqu’à son accident d’octobre 2005, il n’y a pas de preuve médicale. On peut donc croire que l’appelant composait bien avec ses limitations physiques tout en faisant ce travail.

De 2005 à 2009

[27] La preuve médicale de cette période montre le grand impact de l'accident routier sur l’appelant. Madame Wardrop et le docteur Hutchison, respectivement travailleuse sociale et psychologue, ont documenté chez l’appelant des troubles du sommeil, des problèmes de concentration, de l’irritabilité, de l’hypervigilance et un faible contrôle émotionnel. Le docteur Jordan, médecin de famille, avait régulièrement vu l’appelant et noté des symptômes semblables, y compris des cauchemars, des épisodes hallucinatoires récidivants de courte durée, de la fatigue, de l’anxiété et une dépression. À peine quelques mois après l’accident, un psychiatre, le docteur Haslam, a posé des diagnostics de TSPT, de dépression et de crises de paniqueNote de bas de page 15.

[28] Quelques psychiatres ont fait des évaluations indépendantes de l’appelant, que voici :

  • En janvier 2009, le docteur Waisman a conclu que l’appelant avait objectivement une bonne concentration et une bonne mémoire et qu’il ne répondait pas aux critères de la dépression, de l’anxiété, des crises de panique ou de la phobie sociale. Il a conclu que l’appelant avait des limitations, mais que celles
  • ci n’étaient pas invalidantesNote de bas de page 16.
  • En août 2009, le docteur Iezzi a diagnostiqué chez l’appelant une dépression et un TSPT complexe. Voici ce qu’il a écrit : [traduction] « D’un point de vue professionnel et conformément à de nombreuses autres opinions, l’ampleur de [son] stress psychologique le rendrait incapable de reprendre son travail actuel ou un autre travail à temps plein ou à temps partiel. Il s’est montré fonctionnel dans ses activités bénévoles, qui sont peu stressantes et qu’il peut faire à son rythme. Ces activités ne témoignent pas d’un véritable potentiel à reprendre un travailNote de bas de page 17. »
  • En octobre 2009, le docteur Mount a écrit que l’appelant composait mieux avec ses susceptibilités et qu’il était moins irritable et déprimé.Note de bas de page 18

[29] Ces évaluations appuient toutes le fait que l’appelant avait des limitations à des degrés variables. Dans la mesure où leurs conclusions diffèrent, je préfère le rapport du docteur Iezzi, comme il cadre davantage avec les conclusions des prestataires de soins qui avaient véritablement suivi l’appelant. De plus, la preuve médicale montre que toute amélioration aux symptômes de l’appelant se trouvait inévitablement suivie d’une aggravation de son état. Et lorsqu’il semblait aller mieux, cette amélioration était considérée comme fragile :

  • En avril 2008, le docteur Hutchison a écrit que : [traduction] « malgré des changements positifs au cours de la dernière année, le changement semble insuffisant pour le rendre susceptible de réussir un retour au travail. Je crains qu’un retour au travail puisse avoir un effet néfaste sur [son] état psychologiqueNote de bas de page 19. »
  • En juillet 2008, le docteur Jordan a écrit ceci : [traduction] « Ses symptômes s’améliorent périodiquement, mais sont ensuite exacerbés par un stresseur ou un autre. » Le docteur Jordan a déconseillé à l’appelant de retourner sur le marché du travail et a écrit que l’appelant n’essayait pas d’éviter de travaillerNote de bas de page 20.
  • En novembre 2009, madame Smith, une travailleuse sociale, a déclaré que le travail bénévole de l’appelant [traduction] « avait d’abord été une expérience positive et saine » pour lui, mais qu’il est devenu [traduction] « accablant et épuisant, ce qui paraît être une sorte de modus operandi dans sa vie, et joue un rôle important à la fois dans son instabilité et son trouble émotionnel. » Son pronostic était réservéNote de bas de page 21.
  • De 2010 à 2015

[30] À l’exception des tests diagnostiques faits en 2015 en relation avec son lymphome hodgkinienNote de bas de page 22, la preuve médicale pour cette période se limite à une liste de rendez-vous. La liste permet de constater que l’appelant avait vu un travailleur social ou un psychiatre jusqu’en 2013Note de bas de page 23.

[31] Le ministre affirme qu’une liste de rendez-vous ne permet pas de satisfaire à l’exigence relative à la preuve médicale prévue par la loi. Je suis convaincu que la liste de rendez-vous, considérée conjointement au reste de la preuve médicale, permet à l’appelant de s’acquitter de son obligation de fournir une preuve médicale. Je peux m’appuyer sur son témoignage pour combler les lacunes dans la preuve médicaleNote de bas de page 24.

[32] J’ai jugé que l’appelant était une témoin crédible. Il a témoigné de façon franche et détaillée. J’accepte son explication voulant que ses traitements ne lui procuraient plus de bienfaits à partir de 2013. Autrement dit, il était peu probable que la poursuite d’une thérapie lui procure d’autres avantages.

[33] Je souligne également que l’appelant n’avait pas de médecin de famille de 2012 à 2015. Il avait déménagé dans une région plus éloignée de l’Ontario. Il a dû s’inscrire sur une liste d’attente pour devenir patient de l’un des deux médecins de famille de la régionNote de bas de page 25.

De 2016 à 2020

[34] La docteure Brown est devenue la médecin de famille de l’appelant en août 2016. Dans un rapport médical de juin 2022, elle a écrit que des symptômes de TSPT étaient présents chez lui depuis plusieurs années, et ce, avant même qu’il essaie de travailler en 2021Note de bas de page 26.

De 2021 à aujourd’hui

[35] En septembre 2021, la docteure Brown a dispensé l’appelant de travail pendant trois mois, alors que ses symptômes de TSPT s’étaient aggravés concurremment à son retour sur le marché du travail, en juillet de cette année. En même temps, il avait aussi repris la thérapie de façon régulièreNote de bas de page 27.

[36] La docteure Brown a confirmé un diagnostic de TSPT complexe qui entraîne des crises d’anxiété, de l’hypervigilance, de la réactivité émotionnelle, un manque de concentration et une difficulté à interagir avec autrui. Elle a aussi confirmé que l’appelant ne pouvait pas rester assis ou debout ni marcher très longtemps à cause de la douleur à son dos et à ses genoux.Note de bas de page 28

Conclusions sur les limitations fonctionnelles de l’appelant

[37] La preuve médicale confirme la présence de limitations qui empêchaient l’appelant de travailler comme gestionnaire de projet dès avril 2007, quand il a cessé de faire cet emploi. Il sursautait souvent au travail, éprouvait des problèmes de mémoire et de concentration et faisait des erreursNote de bas de page 29. Les lacunes dans la preuve médicale s’expliquent par le fait qu’il n’a pas toujours eu un médecin de famille, et par le fait qu’il avait, en 2013, atteint les limites des traitements pour sa santé mentale.

[38] Je vais maintenant voir si l’appelant a suivi les conseils médicaux.

L’appelant a suivi les conseils médicaux

[39] Pour avoir droit à une pension d’invalidité, une personne doit suivre les traitements recommandésNote de bas de page 30. L’appelant a suivi les conseils médicaux. Le ministre ne conteste pas cela. Dans les années 1990, il a suivi des traitements conservateurs et effractifs pour sa douleur au dosNote de bas de page 31. Après l’accident, il a essayé des médicaments et a fait de nombreuses séances de thérapie individuelle et de groupe. Rien ne me permet de croire que l’appelant aurait déjà refusé un traitement.

[40] À présent, je dois chercher à savoir si l’appelant est régulièrement capable d’occuper d’autres types d’emplois. Pour être graves, ses limitations fonctionnelles doivent l’empêcher de gagner sa vie, peu importe l’emploi, et pas seulement le rendre incapable d’occuper son emploi habituelNote de bas de page 32.

L’appelant est incapable de travailler dans un contexte réaliste

[41] Mon analyse ne peut pas s’arrêter aux problèmes médicaux de l’appelant et à leur effet fonctionnel. Pour décider s’il est capable de travailler, je dois aussi tenir compte de facteurs comme son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques et son expérience de travail et de vie. Ces facteurs m’aident à savoir si l’appelant est capable de travailler dans un contexte réaliste. Autrement dit, est-il réaliste de dire qu’il peut travaillerNote de bas de page 33?

[42] Ces facteurs laisseraient penser que l’appelant peut travailler. En effet, il n’avait que 40 ans en avril 2007. Il maîtrisait parfaitement l’anglais, détenait un diplôme en administration des affaires et avait une expérience de travail variée, notamment dans les Forces armées canadiennes, en usine, en construction et en travail administratifNote de bas de page 34.

[43] Malheureusement, ces facteurs ne pallient pas ses limitations. Ses douleurs au dos et aux genoux de longue date l’empêchent de faire du travail physique. C’est précisément pour cette raison qu’il s’est recyclé en vue d’obtenir un travail sédentaire. Toutefois, un travail sédentaire lui est aussi maintenant hors de portée. Il a de graves limitations. Il sursaute facilement. Il ne peut pas réguler ses émotions pour interagir professionnellement avec des collègues ou des clients. D’ailleurs, de janvier 2006 à avril 2007, il avait repris le travail avec moins de responsabilités. Malgré cela, il était devenu plus anxieux et émotif. Il s’était notamment mis à pleurer dans le bureau de sa gestionnaire lorsqu’elle l’avait convoqué pour soulever une erreur qu’il avait faite au travailNote de bas de page 35.

Le bénévolat de l’appelant ne démontre pas une capacité de travail

[44] Le ministre soutient que les efforts bénévoles de l’appelant de 2008 à 2012 démontrent une capacité de travailNote de bas de page 36. Le ministre invoque notamment le rapport du docteur Mount, dans lequel il fait référence à une évaluation psychoprofessionnelle effectuée en juin 2009. Apparemment, cette évaluation (qui ne figure pas au dossier) recommandait à l’appelant un travail sédentaire, répétitif, prévisible et dépourvu de stress. Le docteur Mount avait ainsi précisé sa pensée : [traduction] « La capacité de [l’appelant] à imaginer, à organiser et à mettre sur pied [son entreprise bénévole] permet d’être optimiste quant au fait qu’il pourrait, moyennant un encadrement adéquat et petit à petit, connaître d’autres succès qui pourraient mener à son employabilité future » (c’est moi qui souligne)Note de bas de page 37.

[45] Je ne suis pas d’accord avec le ministre, et ce pour quatre raisons. Premièrement, il n’existe pas d’emploi réaliste qui soit complètement prévisible ou dépourvu de stress. Deuxièmement, l'excès de qualificatifs employé par le docteur Mount m'empêche de considérer son opinion comme une évaluation sérieuse de sa capacité de travail. Troisièmement, l’appelant avait seulement pu faire du bénévolat parce qu’il pouvait décider comment et quand il le faisait. Il ne relevait de personne et n’avait aucun objectif à atteindre en matière de productivité. Il travaillait seul, la plupart du temps, ou avec des amis proches qu'il avait connus à l’arméeNote de bas de page 38. Quatrièmement, madame Smith a écrit que le bénévolat avait, en réalité, aggravé le TSPT de l’appelantNote de bas de page 39.

[46] Par conséquent, je conclus que l’appelant était atteint d’une invalidité grave en avril 2007.

L’invalidité de l’appelant était-elle prolongée?

[47] L’appelant était atteint d’une invalidité prolongée en avril 2007.

[48] Les maux de dos de l’appelant ont commencé dans les années 1990. Sa santé mentale s’est détériorée après l’accident d’octobre 2005. Ces problèmes ont perduré depuisNote de bas de page 40. Je reconnais que les symptômes liés au TSPT de l’appelant se sont améliorés et stabilisés entre 2013 et 2020Note de bas de page 41. Toutefois, je juge que la stabilisation de son état résultait de nombreuses années de traitement et qu’elle était seulement viable tant que l’appelant ne travaillait pas. Ses tentatives de retour au travail confirment cette conclusion.

Les tentatives de travail de l’appelant prouvent que son invalidité était prolongée

[49] J’ai déjà discuté de son retour au travail infructueux de janvier 2006 à avril 2007, ainsi que de ses efforts bénévoles. L’appelant a aussi fait d’autres tentatives de bénévolat et de retour au travail qui se sont avérées infructueuses :

  • Vers 2009, il a brièvement essayé d’enseigner l’informatique. Ses symptômes de TSPT s’en sont trouvés aggravésNote de bas de page 42.
  • En 2011, il a essayé de distribuer des circulaires en faisant du porte-à-porte durant six semaines. Il a toutefois arrêté, face à une trop forte douleurNote de bas de page 43.
  • En août 2021, après avoir terminé un programme aidant les personnes handicapées à réintégrer le marché du travail, l’appelant a commencé un emploi comme représentant au service à la clientèle. Il devait travailler au bureau un jour sur dix. Le reste du temps, il pouvait travailler de la maison. Pour lui, les échéances quotidiennes étaient stressantes. Il était devenu coléreux et anxieux. Lors d’une journée de travail au bureau, il a sursauté à cause d’un collègue et de deux exercices d’incendie. Tout a semblé dégénérer pour lui après les événements de ce jour-là. Avec l'appui de sa médecin de famille, il a cessé de travailler en septembre 2021 et a repris la thérapieNote de bas de page 44.

[50] Les efforts de l’appelant démontrent que ses problèmes de santé l’empêchent de travailler depuis avril 2007Note de bas de page 45. J’estime que son état mental était si fragile qu’un retour sur le marché du travail allait nécessairement aggraver son état de santé. C’était précisément le scénario envisagé par ses prestataires de soins. Même s’il avait tenté un retour au travail entre 2013 et 2020, quand ses symptômes étaient moins importants, le résultat aurait probablement été le même. À première vue, l’invalidité de l’appelant aurait pu s’améliorer pendant plusieurs années, mais seulement dans la mesure où il ne travaillait pas.

[51] Les problèmes de santé de l’appelant vont très probablement être présents indéfiniment. La docteure Brown ignore s’il sera à nouveau capable de travaillerNote de bas de page 46. Son scepticisme est justifié, vu ses problèmes médicaux de longue date. Il est possible qu’un traitement continu lui permette de revenir à son état d’avant 2021. Toutefois, il ne serait pas pour autant capable de travailler. Son état mental est fragile depuis son accident. Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que l’appelant continue à essayer de travailler alors que des efforts répétés et concertés ont échoué.

[52] Je conclus que l’appelant est atteint d’une invalidité prolongée depuis d’avril 2007.

Début du versement de la pension

[53] L’appelant est atteint d’une invalidité grave et prolongée depuis avril 2007. Toutefois, le Régime de pensions du Canada prévoit qu’une personne ne peut pas être considérée comme invalide plus de 15 mois avant la date où le ministre a reçu sa demande de pension d’invalidité. Il y a ensuite un délai d’attente de quatre mois avant le versement de la pensionNote de bas de page 47.

[54] Le ministre a reçu la demande de l’appelant en juin 2022. Il est donc considéré comme invalide depuis mars 2021. Par conséquent, sa pension peut être versée à partir de juillet 2021.

Conclusion

[55] Je conclus que l’appelant est atteint d’une invalidité grave et prolongée depuis avril 2007 et qu’il est donc admissible à une pension d’invalidité Régime de pensions du Canada. L’appel est accueilli.

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