Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : VP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 281

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : V. P.
Représentante ou représentant : M. R.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 7 mars 2023 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Jackie Laidlaw
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 13 février 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’appelante
Interprète en langue des signes américaine
Interprète en langue des signes américaine
Date de la décision : Le 1er mars 2024
Numéro de dossier : GP-23-915

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante, V. P., est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), payable à partir d’avril 2022. Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante est une femme de 59 ans qui est sourde depuis sa naissance. Pour cette raison, sa langue maternelle est la langue des signes américaine (langue ASL). En avril 2021, elle a commencé à éprouver des vertiges. Ceux-ci lui ont causé des problèmes d’équilibre et des douleurs à la tête. Elle souffre aussi de brouillard cérébral. Elle est incapable de travailler depuis décembre 2021.

[4] L’appelante a demandé une pension d’invalidité du RPC le 11 mai 2022. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. Elle a donc fait appel de cette décision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] L’appelante affirme qu’elle a été travailleuse dans sa vie et qu’elle est maintenant incapable de trouver un emploi qui serait adapté à ses problèmes de santé.

[6] Le ministre affirme que l’appelante cherchait activement un emploi avant et après sa période minimale d’admissibilité (PMA) du 31 décembre 2022Note de bas de page 1. Il soutient également qu’elle n’a pas de pathologie grave.

Ce que l’appelante doit prouver

[7] Pour gagner son appel, l’appelante doit prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2022. Cette date est établie en fonction de la disposition relative à l’éducation des enfants, d’un partage des crédits et des cotisations qu’elle a versées au RPC. Elle doit aussi prouver qu’elle est toujours invalideNote de bas de page 2.

[8] Le Régime de pensions du Canada définit les adjectifs « grave » et « prolongée ».

[9] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3.

[10] Pour décider si l’invalidité de l’appelante est grave, je dois examiner l’effet global de ses problèmes de santé sur sa capacité de travailler. Je dois aussi tenir compte de facteurs, comme son âge, son niveau de scolarité, son expérience de travail et son expérience personnelle. Ces facteurs me font voir sa situation de façon réaliste. Ils m’aident à décider si son invalidité est grave. Si l’appelante est régulièrement capable de faire un quelconque travail qui lui permet de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[11] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 4.

[12] Autrement dit, aucun rétablissement ne doit être prévu. Pour être prolongée, l’invalidité de l’appelante doit l’obliger à quitter le marché du travail pendant très longtemps.

[13] L’appelante doit prouver qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée selon la prépondérance des probabilités. En d’autres mots, elle doit me convaincre qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est invalide.

Motifs de ma décision

[14] Je conclus que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à partir de décembre 2021. Elle est toujours invalide. J’ai tiré cette conclusion après avoir examiné les questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelante était-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelante était-elle grave?

[15] L’appelante était atteinte d’une invalidité grave. J’ai tiré cette conclusion en examinant plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci-dessous.

Les limitations fonctionnelles de l’appelante nuisaient à sa capacité de travail

[16] Voici les problèmes de santé de l’appelante :

  • une perte auditive totale et permanente depuis la naissance;
  • la vestibulopathie périphérique (une maladie de l’oreille interne, responsable de l’équilibre et de l’orientation spatiale, qui cause des vertiges soudains et graves, des nausées, des vomissements et une difficulté à marcher);
  • la névralgie occipitale (une maladie des nerfs provenant d’une irritation à travers le cuir chevelu à l’arrière de la tête qui cause des maux de tête et une sensation de décharge électrique à l’arrière de la tête et du cou);
  • le diabète de type 2;
  • l’hypertension;
  • le syndrome du côlon irritable;
  • des douleurs à la colonne cervicale, thoracique et lombaire.

[17] Toutefois, un diagnostic ne suffit pas à régler la question de son invaliditéNote de bas de page 5. Je dois plutôt voir si des limitations fonctionnelles l’empêchent de gagner sa vieNote de bas de page 6. Dans cette optique, je dois tenir compte de tous ses problèmes de santé (pas juste du plus important) et de leur effet sur sa capacité à travaillerNote de bas de page 7.

[18] Je conclus que l’appelante a effectivement des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travailler.

Ce que l’appelante dit de ses limitations fonctionnelles

[19] L’appelante affirme que ses limitations fonctionnelles causées par ses problèmes de santé nuisent à sa capacité de travailler. Elle explique que :

  • Comme la langue ASL est sa langue maternelle et qu’elle a une capacité limitée de lecture sur les lèvres (surtout pendant la COVID-19 avec le port du masque), elle doit toujours avoir une ou un interprète avec elle lorsqu’elle présente une demande d’emploi. Cela a mis certains employeurs mal à l’aise.
  • Elle aurait besoin de mesures d’adaptation pour faire un travail au téléphone.
  • Sa perte auditive limite les emplois qu’elle peut exercer. Elle a occupé des emplois peu spécialisés parce qu’ils ne l’obligent généralement pas à communiquer verbalement.
  • En raison de sa perte d’équilibre et de ses douleurs au dos, elle est incapable de soulever plus de 10 livres, de faire fonctionner de la machinerie lourde, de se tenir debout pendant longtemps et de conduire très tôt le matin.
  • Elle est capable de s’asseoir et de taper. Cependant, ses yeux oscillent et elle a une limite de deux heures. Elle a de la difficulté à répondre immédiatement aux courriels.
  • Le « brouillard cérébral » la rend craintive. Elle a de la difficulté à se concentrer.

Ce que la preuve révèle sur les limitations fonctionnelles de l’appelante

[20] L’appelante doit fournir des éléments de preuve médicale qui montrent que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travailler au plus tard le 31 décembre 2022Note de bas de page 8.

[21] Personne ne conteste le fait que l’appelante a une perte auditive totale depuis sa naissance. Je reconnais que cela limite ses perspectives d’emploi. Toute sa vie, elle a trouvé des emplois qui se sont adaptés à sa condition, et c’est tout à son honneur. Ces emplois demandaient du travail manuel. Je juge que sa perte auditive a contribué de façon importante à son incapacité de travailler lorsque d’autres problèmes de santé causant des vertiges, des pertes d’équilibre et des maux de tête ont commencé.

[22] La preuve médicale confirme la version des faits de l’appelante.

[23] Une lettre rédigée le 27 novembre 2022 (vers la fin de sa PMA) par la médecin de famille de l’appelante, la docteure Kimberley Sutton, indique que sa déficience auditive est permanente et a limité ses possibilités d’emploi. Les vertiges et les maux de tête qu’elle éprouve depuis mai 2021Note de bas de page 9 nuisent à son travail, car ils sont imprévisibles. Dre Sutton a noté d’autres problèmes de santé chroniques comme le diabète de type 2, l’hypertension et le syndrome du côlon irritable. Selon elle, l’ensemble de ses problèmes de santé a limité sa capacité à trouver un emploi rémunérateurNote de bas de page 10.

[24] La docteure Sutton a envoyé une autre lettre datée du 24 août 2023, qui montre que les diagnostics provisoires de l’appelante sont la neuropathie vestibulaire et la névralgie occipitale. Elle fait remarquer que ses symptômes intermittents ne se sont pas résorbés malgré des recherches approfondies, de la physiothérapie et des essais de médicaments. L’appelante a commencé à avoir des maux de tête et des étourdissements en 2021. Les symptômes sont toujours présents et nuisent à sa capacité de fonctionnerNote de bas de page 11.

[25] La docteure Syavash Vahabi, la médecin suppléante de la docteure Sutton en mai 2022, a souligné que l’appelante a également une dégénérescence de la colonne cervicale, thoracique et lombaire depuis 2004 et une dégénérescence de l’épaule depuis 2007. Ses douleurs au cou et au dos l’empêchent d’effectuer des tâches pesantes et de rester debout longtemps. La surdité de l’appelante l’empêche de travailler dans le domaine des communications téléphoniquesNote de bas de page 12.

[26] L’appelante a été suivie par le docteur Shaikh, neurologue, depuis janvier 2022. Ses nombreuses notes montrent plusieurs essais de médicaments et des tests qui ne révèlent aucune cause pour la vestibulopathie périphérique et la névralgie occipitaleNote de bas de page 13.

[27] Je ne suis pas d’accord avec le ministre pour dire qu’un manque de pathologie est une raison de refuser la prestation. Les médecins ne se demandent pas si l’appelante a ces symptômes, ils n’en ont tout simplement pas encore trouvé la cause. Pour ce qui est de ma décision, la cause exacte d’un problème de santé importe peu. L’important, c’est la capacité de travailler malgré celui-ci. Selon moi, la preuve médicale confirme que l’appelante est incapable de travailler malgré ses problèmes de santé.

[28] La preuve médicale confirme que tous les problèmes de santé de l’appelante l’ont empêchée de travailler en décembre 2022.

[29] À présent, je dois chercher à savoir si l’appelante est régulièrement capable d’occuper d’autres types d’emplois. Pour être graves, ses limitations fonctionnelles doivent l’empêcher de gagner sa vie, peu importe l’emploi, et pas seulement la rendre incapable d’occuper son emploi habituelNote de bas de page 14.

L’appelante est incapable de travailler dans un contexte réaliste

[30] Mon analyse ne peut pas s’arrêter aux problèmes médicaux et à leur effet fonctionnel. Pour décider si l’appelante est capable de travailler, je dois aussi tenir compte des facteurs suivants :

  • son âge;
  • son niveau de scolarité;
  • ses aptitudes linguistiques;
  • son expérience de travail et de vie.

[31] Ces facteurs m’aident à savoir si l’appelante est capable de travailler dans un contexte réaliste. Autrement dit, est-il réaliste de dire qu’elle peut travaillerNote de bas de page 15?

[32] Je conclus que l’appelante est incapable de travailler dans un contexte réaliste.

[33] Le ministre a refusé de lui verser des prestations en partie parce qu’elle a essayé de chercher du travail avant et après sa PMA. Cela ne permet pas d’établir si des problèmes de santé sont graves. La recherche d’un emploi montre qu’elle essaie de composer avec ses problèmes de santé. Le critère est d’être incapable de travailler malgré ceux-ci.

[34] L’appelante a commencé à ressentir les symptômes des vertiges en avril 2021. Elle est allée voir son médecin, a essayé des médicaments et a continué à travailler. Elle a quitté son emploi sur une chaîne de montage fabriquant des masques en novembre 2021 parce qu’elle faisait l’objet de discrimination en raison de sa perte auditive. En décembre 2021, elle a obtenu un emploi sur une autre chaîne de montage et la rotation de la machine l’a rendue malade en raison de ses vertiges. Elle est partie après son premier jour de travail et n’est jamais revenue.

[35] Par la suite, elle a essayé de trouver du travail, mais elle avait besoin d’interprètes pour s’adapter aux entrevues. Ses vertiges se sont aggravés et elle ne pouvait reprendre aucun emploi sur une chaîne de montage. Elle a eu quatre entrevues, avec Walmart, avec UPS et dans une clinique vétérinaire, et n’a obtenu aucun emploi. Elle croit que c’était en raison de son besoin d’interprètes.

[36] L’appelante a 59 ans et est presque à l’âge de la retraite. Elle a un diplôme d’études secondaires. Ses compétences transférables sont limitées. Tous ces facteurs constituent des obstacles à la recherche d’un emploi convenable ou au recyclage.

[37] Je conclus que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave à partir de décembre 2021, au moment où elle n’était plus capable de travailler.

L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?

[38] L’appelante était atteinte d’une invalidité prolongée.

[39] L’appelante est sourde depuis sa naissance. Sa vestibulopathie périphérique et sa névralgie occipitale ont commencé en avril 2021, et se sont maintenues depuisNote de bas de page 16.

[40] La surdité est permanente.

[41] L’appelante n’a ressenti aucun bienfait des médicaments. En mai 2023, soit deux ans après le début des problèmes de santé, Dr Shaikh n’a pas recommandé d’autres recherches ou médicamentsNote de bas de page 17. Cela signifie qu’il ne s’attend à aucun changement.

[42] Les vertiges, la perte d’équilibre et les maux de tête de l’appelante vont fort probablement perdurer.

[43] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était prolongée à compter de décembre 2021, quand elle ne pouvait plus travailler.

Début du versement de la pension

[44] L’invalidité de l’appelante est devenue grave et prolongée en décembre 2021.

[45] Il y a une période d’attente de quatre mois avant le début des paiementsNote de bas de page 18. Cela signifie que les paiements commencent en avril 2022.

Conclusion

[46] Je conclus que l’appelante est admissible à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité était grave et prolongée.

[47] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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