Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : DG c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 383

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : D. G.
Représentante ou représentant : Jaswinder Johal
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Andrew Kirk

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 23 octobre 2023
(GP-22-1409)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Par écrit
Date de la décision : Le 17 avril 2024
Numéro de dossier : AD-23-1021

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel. L’appelante n’est pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

Aperçu

[2] L’appelante est une ancienne ouvrière d’entrepôt de 54 ans. Elle est née en Inde, où elle a obtenu un baccalauréat. Elle a immigré au Canada en 1998 et y travaille depuis plus de 20 ans, plus récemment chez X à Brampton. Elle a quitté cet emploi en janvier 2021 et n’a pas travaillé depuis.

[3] L’appelante a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en décembre 2021Note de bas de page 1. Elle a dit qu’elle ne pouvait plus travailler en raison de divers problèmes de santé, dont des douleurs aux jambes, une dépression et du diabète.

[4] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande après avoir conclu que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2023, soit la dernière fois qu’elle était couverte par le Régime de pensions du Canada.

[5] L’appelante a fait appel de la décision du ministre à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par téléconférence et a rejeté l’appel. Elle a conclu qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour démontrer que l’appelante était régulièrement incapable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur pendant sa période de couverture. Entre autres choses, la division générale a conclu que l’appelante n’avait pas épuisé toutes les options thérapeutiques raisonnables.

[6] L’appelante a ensuite demandé la permission de faire appel à la division d’appel. À la fin de l’année dernière, une de mes collègues de la division d’appel a accordé à l’appelante la permission de faire appel. À la demande de l’appelante, j’ai tenu une audience au moyen de questions et réponses écrites.

[7] Maintenant que j’ai examiné les observations des deux parties, j’ai conclu que l’appelante n’a pas démontré qu’elle est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. La preuve montre que l’appelante, bien que sujette à certaines limitations fonctionnelles, n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la fin de 2023.

Question en litige

[8] Pour gagner son appel, l’appelante devait prouver qu’il était plus probable qu’improbable qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée pendant sa période de couverture. Les parties ont convenu que la couverture de l’appelante a pris fin le 31 décembre 2023Note de bas de page 2.

  • Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3. Une personne n’est pas admissible à une pension d’invalidité si elle est régulièrement capable de faire un travail quelconque qui lui permet de gagner sa vie.
  • Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 4. L’invalidité de la personne doit l’obliger à quitter le marché du travail pendant très longtemps.

[9] Dans le présent appel, je devais décider si l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée avant le 31 décembre 2023.

Analyse

[10] J’ai appliqué la loi à la preuve disponible et j’ai conclu que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2023. Je suis convaincu que les problèmes de santé de l’appelante à ce moment-là ne l’empêchaient pas d’occuper régulièrement un emploi véritablement rémunérateur.

L’appelante n’est pas atteinte d’une invalidité grave

[11] Il incombe à la personne qui demande des prestations d’invalidité de prouver qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongéeNote de bas de page 5. Après avoir examiné le dossier, j’ai conclu que l’appelante ne s’était pas acquittée de ce fardeau selon le critère juridique prévu dans le Régime de pensions du Canada. Bien que l’appelante ait pu avoir des déficiences pendant sa période de couverture, je n’ai pas trouvé assez d’éléments de preuve donnant à penser qu’elles l’ont rendue incapable de travailler.

[12] Dans sa demande de prestations, l’appelante a décrit ses principaux problèmes de santé invalidants : les douleurs chroniques aux jambes, la dépression et le diabète. Elle a aussi dit qu’elle ne pouvait pas se tenir debout ou s’asseoir pendant de longues périodesNote de bas de page 6. Elle a évalué que la plupart de ses capacités physiques, émotionnelles et mentales étaient passables à faibles.

[13] Plus tard, le représentant de l’appelante a affirmé que sa cliente avait les problèmes de santé suivants :

  • dépression majeure et anxiété;
  • syndrome de douleur chronique;
  • trouble de stress post-traumatique;
  • douleur, engourdissement et picotements au bras gauche;
  • douleur et faiblesse aux deux pieds;
  • maux de tête;
  • infections urinaires;
  • douleurs à l’estomac;
  • troubles du sommeil;
  • troubles de la mémoire;
  • difficulté de concentration;
  • amputation des doigts de la main gaucheNote de bas de page 7.

[14] À l’audience de la division générale, l’appelante a déclaré qu’elle a travaillé en tant qu’ouvrière chez X pendant 17 ans, puis qu’elle a fini par devenir chef d’équipe. Au fil du temps, elle a développé des douleurs et des enflures aux jambes, ce qui l’empêchait de se tenir debout pendant de longues périodes. En novembre 2020, elle a été affectée à des tâches modifiées au service d’expédition et de réception, où elle entrait des données à l’ordinateur. Deux mois plus tard, son employeur lui a dit qu’il n’avait plus de travail pour elle et lui a conseillé de demander des prestations d’invalidité de longue durée.

[15] L’appelante a déclaré avoir des douleurs aux jambes, aux bras et au cou. Elle ne peut pas se tenir debout ou s’asseoir pendant plus d’une heure. Elle ne peut pas marcher plus de 10 minutes. Elle doit souvent se reposer entre ses tâches. Elle a peu d’énergie et a des problèmes de mémoire et de concentration.

[16] L’appelante devait fournir une preuve médicale des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travail au plus tard le 31 décembre 2023Note de bas de page 8. Même si elle se sent invalide, je dois fonder ma décision sur bien plus que seulement sa vision subjective de sa capacité au moment pertinentNote de bas de page 9. Je suis d’avis que la preuve, considérée dans son ensemble, ne donne pas à penser à une déficience grave qui l’a empêchée d’effectuer un travail convenable pendant la période pertinente.

L’appelante n’est pas considérablement limitée par des douleurs aux pieds, aux jambes ou au dos

[17] En décembre 2021, la médecin de famille de l’appelante, la Dre Sabha Cheema, a rempli un questionnaire pour appuyer la demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada de sa patiente. Elle a précisé les principaux problèmes de santé de l’appelante, qu’elle traite depuis août 2020, comme étant des douleurs bilatérales aux jambes, aggravées par le fait de se tenir longtemps debout. La Dre Cheema a expliqué que, même si l’appelante aimait son emploi, son employeur avait refusé à plusieurs reprises de lui verser une indemnité d’accident du travail et de lui confier des tâches modifiées qui atténueraient ses douleurs et ses enflures aux jambesNote de bas de page 10. Ce récit contredit ce que l’appelante a dit par la suite à la division générale. Il semble que la Dre Cheema ne savait pas que X avait déjà offert à l’appelante un travail où elle serait assise, bien qu’il s’agisse d’un poste temporaire. Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins que la principale fournisseuse de soins de l’appelante ne l’a pas empêchée de travailler et a plutôt laissé entendre qu’elle était capable d’effectuer un travail modifié dans les limites de ses capacités.

[18] D’autres notes et lettres du bureau de la Dre Cheema contredisent l’affirmation de l’appelante selon laquelle ses jambes ont joué un rôle dans son invalidité grave et prolongée :

  • En janvier 2021, la Dre Cheema a noté que l’employeur de l’appelante n’écoutait pas les demandes de travail modifié de l’appelante, et qu’il lui a plutôt remis un formulaire de demande de prestations d’invalidité. Cela donne à penser que l’appelante ne voulait pas seulement continuer à travailler, mais qu’elle était aussi, dans une certaine mesure, capable de le faireNote de bas de page 11.
  • En mai 2021, le Dr Umair Iqbal a écrit que l’appelante voulait un travail où elle pouvait être assise de quatre à six heures par jour, mais que son employeur ne le permettait pasNote de bas de page 12.
  • En juillet 2021, la Dre Cheema a précisé que l’appelante avait des douleurs et des enflures aux jambes lorsqu’elle restait [traduction] « longtemps » debout. Elle a ajouté que l’appelante avait demandé à son employeur de modifier ses tâches à plusieurs reprises, mais en vainNote de bas de page 13.
  • En août 2021, l’appelante a dit à la Dre Cheema qu’il y avait de nombreux postes aux tâches modifiées qu’elle croyait pouvoir occuper au sein de l’entrepriseNote de bas de page 14.
  • En décembre 2021, la Dre Cheema a recommandé que l’appelante alterne entre la position assise et debout, en commençant par quelques heures, puis en augmentant progressivementNote de bas de page 15.
  • En février 2022, la Dre Cheema a rempli un questionnaire pour l’employeur de l’appelante, dans lequel elle a déclaré que le pronostic de l’appelante était [traduction] « bon ». Elle a recommandé que X permette à l’appelante de retourner au travail, en commençant par lui offrir un bureau où elle serait assise et où elle travaillerait quatre heures par jour, cinq jours par semaineNote de bas de page 16.

[19] Le 27 septembre 2022, la Dre Cheema a écrit que l’appelante [traduction] « se portait bien » et qu’elle n’avait aucune nouvelle plainteNote de bas de page 17.

[20] Il n’y a rien au dossier de la part de la Dre Cheema pour l’année suivante. Cependant, l’appelante a vu sa médecin de famille le 20 septembre 2023, soit le lendemain de l’audience de la division générale. Lors de l’audience, la membre a noté une lacune dans le dossier médical. Dans une lettre datée du 27 septembre 2023, la Dre Cheema a déclaré que l’enflure aux jambes de l’appelante s’aggravait lorsqu’elle se tenait debout. Elle a ajouté qu’elle avait rédigé de nombreuses notes exhortant l’employeur de l’appelante à lui confier des tâches modifiéesNote de bas de page 18.

[21] L’appelante a consulté un orthopédiste, mais son rapport ne contenait rien qui donnait à penser à une invalidité graveNote de bas de page 19. En janvier 2021, le Dr Keith Louis a écrit qu’en restant debout longtemps, particulièrement au travail, l’appelante développerait [traduction] « graduellement » de l’enflure le long de la face dorsale de ses pieds, [traduction] « graduellement » suivie de douleurs qui se propageraient [traduction] « graduellement » vers ses deux hanches. L’appelante a dit au Dr Louis que lorsqu’elle marchait sur un tapis roulant, elle devait s’arrêter après 10 minutes pour se reposer. Elle a aussi dit qu’elle avait eu des symptômes semblables il y a quatre ou cinq ans, mais qu’ils se sont résorbés lorsqu’elle a commencé à alterner entre la position assise et debout au travail.

[22] L’appelante s’est aussi plainte de douleurs au bas du dos, mais le rapport à ce sujet donnait à penser que les douleurs étaient légères et traitablesNote de bas de page 20. Après avoir décidé qu’une consultation chirurgicale n’était pas nécessaire, la Dre Cheema a dirigé l’appelante vers un physiothérapeute, qui lui a recommandé de faire de l’exercice, de contrôler son poids, de rester assise pendant une période limitée et de marcher jusqu’à 15 minutes par jour. Aucun rendez-vous de suivi n’était nécessaire.

[23] En mars 2022, l’appelante a consulté une neurologue, qui a aussi décrit des symptômes relativement légers. La Dre Emily Crookshank a écrit qu’elle voyait l’appelante pour des douleurs bilatérales aux chevilles qui se propageaient parfois vers les côtés de ses jambes jusqu’aux hanches lorsqu’elle se tenait debout ou marchait pendant de longues périodesNote de bas de page 21. Selon l’appelante, elle pouvait marcher jusqu’à 15 minutes, mais elle devait ensuite s’asseoir à cause des douleurs et des engourdissements aux jambes. Elle a déclaré n’avoir aucune difficulté à monter ou à descendre les escaliers. La Dre Crookshank a noté que l’examen neurologique et les études électrophysiologiques de l’appelante étaient normaux, bien qu’ils n’aient pas écarté une radiculopathie lombo-sacrée purement sensorielle : [traduction] « Étant donné qu’il n’y a pas de faiblesse, de dysfonctionnement intestinal et vésical, d’altération de la démarche et qu’il n’y a pas de résultats anormaux importants à l’examen et à l’électromyographie, je ne crois pas qu’une prise en charge chirurgicale soit nécessaire. »

[24]  Bref, ni la Dre Cheema ni d’autres spécialistes n’ont laissé entendre que l’appelante était incapable de travailler en raison de problèmes aux jambes ou au dos. En effet, la Dre Cheema a toujours recommandé à l’appelante de retourner au travail, quoique sur une base modifiée, en commençant par un travail de bureau. Il est vrai que son employeur ne lui a pas offert un poste aux tâches modifiées pendant plus de quelques semaines, mais cela ne change rien au fait que la principale fournisseuse de soins de l’appelante pensait qu’elle était apte à un certain type d’emploi. Lorsque X a mis fin à l’emploi de l’appelante, il incombait à l’appelante de trouver un autre emploi qui aurait pu mieux convenir à son état de santé.

Le diabète de l’appelante est gérable

[25] L’appelante mentionne que le diabète est un facteur qui a contribué à son invalidité présumée. Cependant, la preuve donne à penser qu’il est gérable.

[26] Dans son questionnaire sur les prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, la Dre Cheema a écrit que l’appelante a reçu un diagnostic de diabète sucré en décembre 2020 après avoir éprouvé de la fatigue et manqué d’enduranceNote de bas de page 22. Elle a souligné que la metformine n’avait produit qu’une réponse partielle, bien que l’appelante ait bien répondu au Jardiance et à la sémaglutide. En août 2022, la Dre Cheema a vu l’appelante pour un suivi de son diabète. Elle n’a alors remarqué aucun signe de neuropathie périphérique ou de rétinopathie. Elle a précisé que l’état de santé de l’appelante était [traduction] « bien contrôléNote de bas de page 23 ».

[27] Le mois suivant, la Dre Cheema a déclaré que l’appelante [traduction] « se portait bien » et a noté qu’elle s’en allait pendant cinq ou six moisNote de bas de page 24. Comme je l’ai mentionné, l’appelante a passé un an sans voir sa médecin de famille. Le lendemain de l’audience de la division générale, la Dre Cheema a noté que l’appelante se plaignait d’engourdissements à la main droite et d’une vision floue. Elle a alors précisé que le diabète de l’appelante n’était pas contrôléNote de bas de page 25.

[28] Toutefois, il semble que l’appelante était elle-même responsable du fait que son diabète n’était pas contrôlé à ce moment-là. Dans sa note rédigée en septembre 2023, la Dre Cheema indique aussi ceci : [traduction] « il y a longtemps qu’elle n’a pas vérifié sa glycémie » et [traduction] « elle ne voit pas d’améliorations à la maison, alors elle ne prend qu’un des quatre médicaments qui lui ont été prescrits ». Selon la Cour d’appel fédérale, une personne qui demande des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada doit prendre des mesures raisonnables pour suivre les recommandations de traitementNote de bas de page 26. J’estime qu’en quittant le pays pendant une période prolongée sans prendre de mesures pour veiller à un approvisionnement adéquat en médicaments, l’appelante a laissé son diabète se détériorer.

[29] Quoi qu’il en soit, il n’est pas clair si les symptômes de l’appelante étaient importants ou s’ils étaient liés au diabète. Même si c’était le cas, il n’y a aucune raison de croire qu’on n’aurait pas pu y remédier en rétablissant le régime de médicaments de l’appelante.

La dépression et l’anxiété de l’appelante sont en grande partie situationnelles

[30] L’appelante a reçu un diagnostic de dépression et d’anxiété, mais la preuve disponible indique que ses problèmes de santé ont répondu au traitement et, de toute façon, qu’ils sont en grande partie attribuables à des circonstances externes.

[31] La Dre Cheema a écrit que l’appelante était atteinte de dépression et d’anxiété depuis décembre 2020, soit le mois où elle a cessé de travailler pour de bonNote de bas de page 27. À ce moment-là, la Dre Cheema lui a prescrit de la venlafaxine. Comme ce médicament n’a produit qu’une réponse partielle, elle a dirigé l’appelante vers un psychiatre.

[32] L’appelante a consulté le Dr Jagtaran Dhaliwal, psychiatre, qui lui a recommandé de diminuer ses doses d’Effexor et d’ajouter du AbilifyNote de bas de page 28. Dans son rapport, le Dr Dhaliwal n’a fait aucun commentaire sur la santé mentale de l’appelante et a exprimé son regret de ne pas pouvoir accepter l’appelante comme patiente.

[33] Comme recommandé, la Dre Cheema a prescrit du Abilify à l’appelante et a ajusté ses doses d’Effexor. En mars 2022, la Dre Cheema a noté que l’humeur de l’appelante était mieux et que son anxiété s’était améliorée de 60 à 70 %, même si son sommeil et son niveau d’énergie n’étaient toujours pas bonsNote de bas de page 29. La Dre Cheema a signalé un effet semblable en mai 2022 et a noté que le trouble dépressif majeur de l’appelante s’amélioraitNote de bas de page 30.

[34] En septembre 2022, la Dre Cheema a noté que l’appelante se portait bien et qu’elle ne semblait pas avoir de nouveaux problèmes de santéNote de bas de page 31. Lorsque l’appelante l’a informée qu’elle s’en allait pendant une période d’au plus six mois, la Dre Cheema lui a conseillé de marcher régulièrement, de perdre du poids et de prendre ses médicaments comme indiqué.

[35] Un an plus tard, lorsque la Dre Cheema a revu l’appelante le 27 septembre 2023, elle a consigné l’état de santé de sa patiente dans une note détaillée qui portait sur son diabète sucré. Elle a aussi abordé sa santé mentale : [traduction] « Le dernier rendez-vous avec le psychiatre remonte à un an. Elle prend toujours des médicaments, mais moins étant donné qu’elle n’a pas d’assurance. Elle prend toujours du Abilify et de la venlafaxineNote de bas de page 32. »

[36] Le même jour, la Dre Cheema a préparé, à la demande du représentant légal de l’appelante, une évaluation de la santé mentale beaucoup plus détailléeNote de bas de page 33. Voici ce qu’elle a écrit :

  • la santé mentale de l’appelante nuisait considérablement à son fonctionnement quotidien;
  • une évaluation complète de la santé mentale de l’appelante a permis de diagnostiquer une dépression et de l’anxiété;
  • ces problèmes de santé devaient persister et nuire à la capacité de l’appelante d’occuper un emploi rémunérateur;
  • comme elle était incapable de travailler, la dépression de l’appelante s’aggravait;
  • l’appelante travaillait dans la même entreprise depuis 19 ans et s’est sentie trahie parce qu’on ne lui avait pas permis de faire un travail modifié;
  • l’appelante pourrait avoir avantage à explorer des programmes de réadaptation professionnelle pour l’aider à trouver un emploi convenable, compte tenu de sa santé mentale.

[37] Cette évaluation semble contredire les rapports relativement positifs de la Dre Cheema de l’année précédente. L’évaluation ne précise pas ce qui a entraîné la détérioration de l’état psychologique de l’appelante au cours de cette période. Toutefois, cela confirme mon impression qu’une grande partie de la dépression et de l’anxiété de l’appelante étaient situationnelles, c’est-à-dire qu’elles étaient causées par le stress particulier d’une déficience qui a mené à la perte de son emploi. Plus important encore, l’évaluation donne à penser que la Dre Cheema pensait que l’appelante était capable de reprendre un certain type d’emploi malgré sa santé mentale.

L’état de santé de l’appelante, considéré dans son ensemble, ne l’a pas empêchée de travailler dans un contexte réaliste

[38] J’estime que les problèmes de santé physique et psychologique de l’appelante, considérés dans leur ensemble, l’ont rendue au moins partiellement capable de travailler. Cette conviction est renforcée lorsque j’examine l’employabilité globale de l’appelante.

[39] La principale affaire qui porte sur l’interprétation du terme « grave » est la décision Villani. Celle-ci précise qu’au moment d’évaluer l’invalidité, le Tribunal doit considérer une personne qui demande des prestations d’invalidité comme une [traduction] « personne à part entière » dans un contexte réalisteNote de bas de page 34 . Il ne faut pas évaluer l’employabilité de façon abstraite, mais plutôt à la lumière de toutes les circonstances. Ces circonstances se divisent en deux catégories :

  • l’état de santé de la personne – il s’agit d’une enquête générale qui exige d’évaluer l’état de santé de la personne dans son ensembleNote de bas de page 35;
  • les antécédents de la personne – certains facteurs comme l’âge, le niveau de scolarité, les compétences linguistiques, l’expérience de travail et l’expérience de vie sont pertinents.

[40] Dans la présente affaire, l’appelante affirme être invalide, principalement en raison de douleurs aux jambes et au dos, de l’anxiété, de la dépression et du diabète. Cependant, un examen attentif de la preuve médicale disponible m’amène à douter que l’appelante soit complètement incapable d’exercer un emploi convenable. Comme il a été précisé, les problèmes de l’appelante étaient, pour la plupart, gérables, situationnels ou moins graves que ceux présumés au cours de la période pertinente. Je ne crois pas que leur effet combiné ait rendu l’appelante inapte au travail.

[41] Les antécédents et les caractéristiques personnelles de l’appelante ne sont pas non plus des obstacles à sa participation continue au marché du travail. L’appelante a maintenant la cinquantaine et manque d’endurance physique et mentale. Cependant, elle a aussi plusieurs atouts qui l’aideraient dans sa recherche d’emploi. Elle a un diplôme universitaire et, même si elle l’a obtenu en Inde et qu’il n’a peut-être pas autant de valeur au Canada, cela démontre tout de même aux employeurs potentiels qu’elle est intelligente et propice à l’apprentissage. L’appelante a aussi plus de 20 ans d’expérience dans divers emplois, y compris son dernier emploi dans le cadre duquel elle devait utiliser un ordinateur. L’anglais n’est pas sa langue maternelle, mais elle a démontré qu’elle le maîtrise suffisamment pour fonctionner dans de nombreux milieux de travail. Elle a aussi dit qu’elle est à l’aise de lire et d’écrire en anglaisNote de bas de page 36.

[42] Dans l’ensemble, je suis convaincu que, même avec ses antécédents et ses problèmes de santé, l’appelante était outillée pour au moins tenter un retour sur le marché du travail pendant sa période de couverture. Elle n’est pas jeune et ses compétences écrites en anglais sont probablement faibles, mais ses antécédents professionnels sont assez solides pour justifier un poste au service à la clientèle ou un travail manuel à faible incidence.

L’appelante n’a pas tenté de trouver un autre emploi

[43] En fin de compte, je n’ai pas été en mesure d’évaluer correctement la gravité de l’invalidité de l’appelante en date du 31 décembre 2023. En effet, elle n’a pas fait d’efforts sérieux pour trouver un autre emploi.

[44] Dans la décision Inclima, la Cour d’appel fédérale précise qu’une personne qui demande des prestations d’invalidité doit faire son possible pour trouver un autre emploi mieux adapté à ses déficiences :

En conséquence, [une partie demanderesse] qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer [qu’elle] a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, [elle] doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santéNote de bas de page 37.

[45] Ce passage donne à penser que si une personne conserve au moins une certaine capacité de travail, la division générale doit effectuer une analyse pour décider si la personne a tenté de trouver un autre emploi et, le cas échéant, si ses déficiences l’ont empêchée d’obtenir et de conserver cet emploi.

[46] De plus, une personne qui demande des prestations d’invalidité doit véritablement essayer de retourner au travailNote de bas de page 38. Elle ne peut pas limiter sa recherche d’emploi au type de travail qu’elle effectuait avant d’avoir des déficiences. En effet, elle doit démontrer qu’elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 39. Si elle ne cherche pas d’autres formes d’emploi, elle pourrait être inadmissible aux prestations.

[47] L’appelante avait au moins une certaine capacité de travail qui était suffisante pour l’obliger à chercher un autre emploi. Toutefois, l’appelante n’a jamais tenté de travailler ou de chercher du travail après avoir quitté son emploi chez X, même si peu de renseignements au dossier donnaient à penser que ses limitations fonctionnelles l’empêchaient d’effectuer un travail plus léger.

[48] Au cours de sa carrière, l’appelante a surtout exercé un emploi physiquement exigeant. Avant d’avoir des tâches modifiées dans le cadre de son dernier emploi, l’appelante devait rester debout en tout temps et soulever des objets lourds. Après avoir développé des douleurs aux jambes et au dos, X lui a confié des tâches modifiées, où elle était notamment assise à un bureau devant un ordinateur. Cependant, l’appelante affirme avoir été congédiée, non pas parce qu’elle ne pouvait pas effectuer le travail, mais parce que l’entreprise n’avait pas besoin d’elle à ce poste.

[49] Comme il a été précisé, l’appelante voulait continuer à travailler chez X et a insisté sur le fait qu’elle était capable d’accomplir des tâches modifiées à long terme. Sa médecin de famille était d’accord avec elle. Après son congédiement, l’appelante aurait pu chercher un autre emploi, soit un poste comparable à celui qu’elle occupait chez X. Toutefois, elle ne l’a jamais fait. Pour cette raison, je juge que l’appelante n’a pas véritablement essayé d’atténuer sa déficience en cherchant un autre emploi.

Je n’ai pas à vérifier si l’appelante est atteinte d’une invalidité prolongée

[50] Une invalidité doit être grave et prolongéeNote de bas de page 40. Comme l’appelante n’a pas prouvé qu’elle était atteinte d’une invalidité grave, je n’ai pas besoin d’évaluer si elle est également atteinte d’une invalidité grave.

Conclusion

[51] L’appelante a divers problèmes de santé, mais la preuve disponible donne à penser que ces problèmes ne l’empêchent pas de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. De plus, l’appelante n’a jamais fait de véritables efforts pour trouver un emploi qui aurait pu être mieux adapté à ses limitations. Pour ces raisons, je ne suis pas convaincu que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave en date du 31 décembre 2023.

[52] L’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.