Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : KA c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 420

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : K. A.
Représentante ou représentant : Andrew Stein
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Andrew Kirk

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 18 mai 2023
(GP-22-92)

Membre du Tribunal : Pierre Vanderhout
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 8 février 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’appelant
Représentant de l’intimé
Date de la décision : Le 23 avril 2024
Numéro de dossier : AD-23-792

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. L’appelant est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, payable à partir de mai 2020.

Aperçu

[2] L’appelant a 40 ans. Il travaillait avant comme conducteur de grand routier. Le 7 janvier 2019, il a été impliqué dans un accident malencontreux. Son genou droit a été le principal point d’impact, même s’il a rapporté de la douleur à d’autres endroits. Il n’a pas travaillé comme camionneur depuis. Il a essayé de travailler dans un supermarché en août 2023, sans succès.

[3] L’appelant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada le 30 avril 2021Note de bas de page 1. Il a expliqué que sa douleur chronique aux genoux et au dos le rendait incapable de travailler. Il ne pouvait pas bouger ni rester longtemps dans la même positionNote de bas de page 2. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande à la suite d’un premier examen, puis de nouveau après révision.

[4] L’appelant a alors fait appel au Tribunal de la sécurité sociale. La division générale du Tribunal a rejeté son appel en mai 2023Note de bas de page 3. L’appelant a donc fait appel de la décision de la division générale à la division d’appel du Tribunal.

[5] L’appelant a dit que je dois tenir compte de l’effet cumulatif de tous ses problèmes de santé, qui incluent maintenant la dépression et l’anxiété. Il a ajouté que je dois tenir compte de sa capacité de travail d’un point de vue réaliste. Il affirme que sa faible scolarisation, son expérience de travail restreinte et son manque de compétences en informatique limitent fortement ses perspectives d’emploi. Tous ces emplois sont hors de portée pour lui à cause de ses limitations fonctionnelles. Il a dit avoir suivi tous les traitements qui lui ont été recommandés. Il dit donc avoir démontré qu’il est atteint d’une invalidité grave et prolongée, et ce, depuis le 31 décembre 2021.

[6] Selon le ministre, je dois me concentrer sur les limitations de l’appelant, et non sur les diagnostics qui existaient à la fin de 2021. Le ministre soutient également que les limitations de l’appelant se sont atténuées au fil du temps. Il ajoute que l’appelant a l’obligation de chercher un emploi adapté à ses limitations. Il n’est pas d’accord pour dire que l’appelant ne dispose d’aucune possibilité d’emploi réaliste, soulignant que l’appelant a réussi à obtenir un diplôme d’études secondaires. Enfin, le ministre soutient que l’appelant n’a pas tenté d’atténuer ses problèmes de santé comme il le devait, comme plusieurs recommandations de traitement n’ont pas été suivies.

[7] Je dois décider si l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2021. Cette date correspond à la fin de sa période minimale d’admissibilité.

[8] Je conclus que l’appelant est atteint d’une invalidité grave et prolongée depuis janvier 2019. Par conséquent, son appel est accueilli.

Questions en litige

[9] Voici les questions à trancher dans la présente affaire :

  1. a) Quelles étaient les limitations fonctionnelles de l’appelant au terme de 2021?
  2. b) Est-ce que ces limitations fonctionnelles et la situation personnelle de l’appelant permettent d’établir une invalidité grave au terme de 2021?
  3. c) Dans l’affirmative, l’invalidité de l’appelant est-elle aussi prolongée?
  4. d) Si l’appelant remplit le critère d’une invalidité grave et prolongée, à partir de quelle date doit commencer le versement de sa pension d’invalidité?

Analyse

[10] Pour avoir gain de cause, l’appelant doit prouver qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2021Note de bas de page 4. Cette date a été établie en fonction des cotisations qu’il a versées au Régime de pensions du Canada.

[11] Le Régime de pensions du Canada définit les qualificatifs « grave » et « prolongée ».

[12] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 5.

[13] Pour décider si l’invalidité de l’appelant est grave, je dois examiner l’effet global de ses problèmes de santé sur sa capacité de travailler. Je dois aussi tenir compte de facteurs comme son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques, son expérience de travail et son expérience personnelle. Ces facteurs me font voir sa situation de façon réaliste. Ils m’aident à décider si son invalidité est grave. Si l’appelant est régulièrement capable de faire un travail quelconque qui lui permet de gagner sa vie, il n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[14] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 6.

[15] Autrement dit, aucun rétablissement ne doit être prévu. Pour être prolongée, l’invalidité de l’appelant doit l’obliger à rester à l’écart du marché du travail pendant très longtemps.

[16] L’appelant a pu bénéficier d’une nouvelle audience. Il doit prouver qu’il est atteint d’une invalidité grave et prolongée selon la prépondérance des probabilités. En d’autres mots, il doit me convaincre qu’il est plus probable qu’improbable qu’il est invalide.

Quelles étaient les limitations fonctionnelles de l’appelant au terme de 2021?

[17] Je vais d’abord examiner les limitations fonctionnelles relevées par l’appelant. Je vais ensuite voir si ces limitations sont corroborées par une preuve médicale. En effet, une personne qui demande des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada doit toujours fournir une preuve médicale pour appuyer les problèmes de santé qu’elle invoqueNote de bas de page 7.

Limitations fonctionnelles invoquées par l’appelant

[18] Peu de temps après son accident de janvier 2019, l’appelant a signalé avoir mal au genou droit, à la cheville gauche, au bas du dos, à la poitrine et au cou. La douleur était constante. Elle perturbait son sommeil et était exacerbée par l’activité physique : marcher, rester debout, rester assis, se pencher, se tourner vers la gauche, conduire et emprunter des escaliersNote de bas de page 8. Il avait énormément de difficulté à faire des activités plus intenses, à monter dans une voiture et à en sortir, à marcher sur deux pâtés de maisons ou à emprunter des escaliers. Il avait beaucoup de difficulté à soulever des objets, à se tourner lorsqu’il était couché ou à rester assis ou debout longtempsNote de bas de page 9. Ses limitations l’inquiétaient déjàNote de bas de page 10.

[19] En juin 2019, l’appelant avait constamment mal aux genoux et au dos. Il avait aussi mal aux chevilles et au cou. Il a déclaré qu’il pouvait rester assis de 30 à 40 minutes à la fois seulement. Sa douleur l’empêchait désormais de s’adonner à ses loisirs. Ils occupaient pourtant une grande partie de sa vie avant l’accident. Il avait très peu d’énergie. Il était fatigué toute la journée. Il a dit qu’il était irritable, triste et déprimé. Sa douleur nuisait à sa concentration. Il avait de la difficulté à dormir parce qu’il avait mal, mais aussi parce que sa situation financière l’inquiétaitNote de bas de page 11.

[20] Des comptes rendus semblables se sont ensuite répétés chez l’appelant. Par exemple, en janvier 2020, il a dit à la physiothérapeute Jessica Kay qu’il parvenait seulement à conduire pendant un maximum de 45 minutes, et que rien n’avait récemment changé à cet égard. La douleur à son dos et à ses genoux l’empêchait de bien dormir. La distance sur laquelle il pouvait marcher et sa capacité à s’accroupir et à soulever des objets étaient aussi touchéesNote de bas de page 12. En mars 2020, l’appelant a dit au docteur Litchfield, chirurgien orthopédiste, qu’il pouvait seulement rester assis pendant un maximum de 30 à 40 minutesNote de bas de page 13.

[21] En octobre 2020, l’ergothérapeute Renee Guillemette a noté que l’appelant avait de la difficulté à se mettre à genoux, à s’accroupir, à se pencher et à soulever des objets, ainsi qu’à marcher et à rester debout ou assis longtempsNote de bas de page 14.

[22] Dans la demande de pension d’invalidité qu’il a remplie en mars 2021, l’appelant a indiqué qu’il ne pouvait pas rester assis ni debout ni marcher longtemps. Il ne pouvait pas garder son genou droit fléchi longtemps à cause de la douleur. Il a signalé qu’une douleur intense était présente s’il restait debout ou assis ou marchait trop longtemps. Il avait aussi de la difficulté à monter les escaliers et à se pencherNote de bas de page 15.

[23] L’appelant a qualifié de faible beaucoup de ses capacités fonctionnelles, incluant les suivantesNote de bas de page 16 :

  • Rester assis pendant 20 minutes;
  • Se pencher pour ramasser des objets du sol;
  • Se mettre à genoux ou en position accroupie, puis se relever;
  • Monter et descendre de 12 à 15 marches;
  • Conduire une voiture;
  • Tirer ou pousser une porte lourde;
  • Gérer son anxiété;
  • Persévérer dans une tâche difficile;
  • Savoir quoi faire en situation de stress;
  • Se souvenir de faire des choses importantes;
  • Se concentrer pendant au moins 30 minutes;
  • Garder le fil de ce qu’il fait;
  • Apprendre de nouvelles choses
  • Choisir entre deux options;
  • S’habiller;
  • Faire des tâches ménagères et entretenir la maison sans prendre de pauses fréquentes.

[24] À l’audience, l’appelant a parlé de certaines des limitations qu’il avait en 2021. Il a dit qu’il pouvait rester assis pendant un maximum de 35 minutes. Cette tolérance était de 20 à 25 minutes en 2019, et elle était maintenant de 50 à 55 minutes s’il [traduction] « se poussait ». Cependant, s’il [traduction] « se poussait », il lui fallait ensuite s’allonger pendant trois à quatre heures pour récupérer. Il avait beaucoup de mal à fléchir le genou droit à cause de la douleur. Il ne pouvait pas marcher plus de 15 à 20 minutes. Il mettait son poids sur son genou gauche.

[25] L’appelant a dit que sa dépression s’était installée quand il avait compris que ses blessures étaient plus graves qu’il l’avait d’abord cru. Dès lors, la moindre chose l’irritait. Il ne se sentait bon à rien.

[26] Je vais maintenant voir si la preuve médicale confirme les limitations avancées par l’appelant.

Preuves médicales étayant les limitations de l’appelant

[27] Il y a une preuve médicale pour appuyer les limitations invoquées par l’appelant.

[28] En mai 2019, le docteur Litchfield a déclaré que l’appelant présentait vraisemblablement des symptômes fémoro-patellaires liés à la blessure par impact subie dans son accident de janvier 2019Note de bas de page 17. En octobre 2019, le psychothérapeute Alfredo Marroquin a fait référence à des diagnostics de dépression modérée et d’anxiété grave, posés plus tôt cette année-làNote de bas de page 18.

[29] En janvier 2020, madame Kay a déclaré que le rétablissement de l’appelant était surtout ralenti par sa blessure au genou et sa douleur chronique au dos qui persistaientNote de bas de page 19. En novembre 2020, le docteur Litchfield a noté que sa douleur au genou droit se répandait. Il ressentait aussi une douleur intermittente semblable à une décharge électrique, qui devenait plus intense s’il restait debout ou assis longtemps. Même s’il pouvait garder le genou fléchi pendant un maximum d’une heure, une opération à la colonne vertébrale était une optionNote de bas de page 20.

[30] En 2021, la médecin de famille de l'appelant, la docteure Taylor-Wall, a maintes fois fait référence à sa dépression. Elle a également prescrit à l'appelant du Wellbutrin, un antidépresseurNote de bas de page 21.

[31] En avril 2021, la docteure Taylor-Wall a rédigé un rapport médical détaillé aux fins de la demande de pension d’invalidité de l’appelant. Elle a indiqué que les principaux problèmes de santé de l’appelant étaient sa douleur au genou droit, liée à une déchirure ménisco-capsulaire, et une hernie discale touchant L4 et L5. Elle a précisé que la déchirure et la hernie étaient toutes les deux visibles sur les IRMNote de bas de page 22.

[32] La docteure Taylor-Wall a déclaré que ces problèmes de santé causaient les limitations suivantes chez l’appelantNote de bas de page 23 :

  • Incapacité à emprunter des escaliers sans douleur;
  • Incapacité à rester assis plus de 30 minutes sans douleur;
  • Incapacité à marcher de façon prolongée sans douleur;
  • Troubles de l’humeur et du sommeil causés par la douleur;
  • Amplitude de mouvement réduite;
  • Incapacité à rester debout de façon prolongée.

[33] La docteure Taylor-Wall a ajouté que l’appelant était incapable de travailler depuis janvier 2019. Elle avait d’abord pensé que cette incapacité serait de courte durée, mais ses symptômes ne s’étaient pas améliorésNote de bas de page 24.

[34] En mai 2021, la docteure Taylor-Wall a affirmé que l’appelant présentait une douleur chronique aux genoux et au dos. Il ne pouvait plus travailler à l’ordinateur. Il était frustré et préoccupé par ses limitationsNote de bas de page 25. En août 2021, la docteure Taylor-Wall a dit qu’il ne pouvait pas rester longtemps debout ou marcher sur un terrain inégal en raison de sa douleur au dos. Son état progressait peu et lui donnait du malNote de bas de page 26. En septembre 2021, la docteure Taylor-Wall a déclaré que sa douleur au dos empirait. Elle limitait sa mobilité et ses activitésNote de bas de page 27. Ses problèmes au dos et aux genoux étaient toujours présents en octobre 2021Note de bas de page 28.

[35] En mai 2021, la physiothérapeute Jenny Bailey a observé des symptômes de dépression chez l’appelant. Ses problèmes aux genoux et au dos réduisaient aussi sa tolérance pour rester assis ou debout, faire du vélo, se pencher, faire des torsions, soulever des objets et s’accroupirNote de bas de page 29. En septembre 2021, Alison Higgins, physiothérapeute, a confirmé ces problèmes et la plupart de ses limitationsNote de bas de page 30.

[36] L’appelant a vu une psychothérapeute, Tricia Dunlop, à plusieurs reprises au printemps et à l’été 2021. Les notes de madame Dunlop montrent que l’appelant vivait de l’inquiétude, de la honte et de la culpabilité et qu’il doutait de lui-mêmeNote de bas de page 31.

[37] En septembre 2021, la kinésiologue Silvia Toth a confirmé les restrictions suivantes pour un retour au travail très limitéNote de bas de page 32 :

  • Marcher ou rester debout pendant un maximum de 5 à 10 minutes;
  • Rester assis avec le dos droit pendant un maximum de 15 minutes;
  • Éviter de soulever des objets du sol à la taille;
  • Lever occasionnellement des objets de la taille aux épaules;
  • Monter quelques escaliers, mais jamais une échelle;
  • Conduire un maximum de 30 minutes;
  • Limiter toute flexion, torsion ou poussée et le travail au niveau des épaules ou plus haut;
  • Éviter l’exposition aux vibrations;
  • Éviter de conduire de l’équipement motorisé;
  • Commencer par des tâches simples et passer graduellement à des tâches plus complexes, en prenant des pauses pour la régulation émotionnelle, au besoin.

[38] Je juge que la preuve médicale, au regard des symptômes rapportés par l’appelant, confirme les limitations physiques qu’il dit avoir. En effet, la preuve médicale indique même souvent des limitations fonctionnelles en plus des problèmes médicaux qui les sous-tendent. Bien que la preuve médicale relève ses problèmes d’humeur, elle ne mentionne pas explicitement les limitations cognitives invoquées par l’appelant. Toutefois, une dépression a été diagnostiquée. Ainsi, je juge que ces limitations sont corroborées par la preuve médicale, aussi parce que rien ne me permet de douter du témoignage de l’appelant ni des limitations cognitives qu’il rapporte.

Limitations fonctionnelles de l’appelant au terme de 2021

[39] Je conclus que l’appelant avait des limitations fonctionnelles considérables à la fin de 2021. Il était incapable de rester assis ou debout ou de marcher longtemps. Il avait des limitations pour de nombreuses activités physiques, comme monter les escaliers, soulever des charges, se pencher et pousser des objets. Son amplitude de mouvement générale était également limitée. Il présentait aussi des limitations cognitives et liées à l’humeur, notamment une  frustration considérable face à ses capacités réduites. Ces facteurs pouvaient nuire à la réalisation de tâches complexes ou qui nécessitent d’interagir avec le public.

Est-ce que les limitations fonctionnelles et la situation personnelle de l’appelant permettent d’établir une invalidité grave au terme de 2021?

[40] Je conclus que les limitations fonctionnelles et la situation personnelle de l’appelant donnent lieu à une invalidité grave au terme ded 2021.

L’appelant aurait-il pu travailler dans un contexte réaliste?

[41] Pour décider si l’appelant était atteint d’une invalidité grave, je dois aussi tenir compte des facteurs suivantsNote de bas de page 33 :

  • son âge;
  • son niveau de scolarité;
  • ses aptitudes linguistiques;
  • son expérience de travail et de vie.

[42] Ces facteurs m’aident à savoir si l’appelant est capable de travailler dans un contexte réaliste. Je vais donc les examiner un à la fois.

[43] L’appelant avait seulement 38 ans au terme de 2021. Il lui restait donc près de 30 ans avant l’âge habituel de la retraite. Son âge ne limite pas ses occasions d’emploi.

[44] Même si son représentant a laissé entendre que l’appelant avait de la difficulté à communiquer en anglais, je n’ai rien observé de tel durant l’audience. L’anglais est la seule langue de l’appelantNote de bas de page 34 et il le parle couramment.

[45] L’appelant a terminé une 11e année en Jamaïque. À l’audience, il a expliqué qu’il s’agit habituellement, en Jamaïque, de la dernière du secondaire pour les étudiants qui n’ont pas l’intention de poursuivre des études postsecondaires. Il est arrivé au Canada en 2007 et a plus tard terminé en ligne un diplôme équivalant aux études secondaires en Ontario. Il a obtenu ce diplôme pour pouvoir étudier un métier au Canada.

[46] L’appelant a laissé entendre que son diplôme d’équivalence surévaluait ses capacités. Il a dit que son épouse l’avait énormément aidé à faire ses études en ligne. Son épouse a elle aussi témoigné à l’audience. Selon leurs témoignages, l’appelant n’aurait pas pu terminer son diplôme équivalant aux études secondaires sans l’aide de son épouse. Elle avait organisé ses cours, s’était occupée des aspects techniques, avait tapé à sa place la plupart du temps et avait corrigé d’innombrables erreurs orthographiques et grammaticales dans ses travaux manuscrits avant de le soumettre en ligne.

[47] J’ai jugé crédibles et fiables les témoignages livrés par l’appelant et son épouse. Même si l’appelant ne m’a paru éprouver aucun problème à s’exprimer en anglais à l’oral, des éléments de preuve confirment ses difficultés en écriture et en calcul.

[48] En novembre 2020, une évaluatrice de la capacité de travail, Kelly-Ann Smith, a évalué l’appelant. Elle a rapporté que son niveau était équivalant à la 3e année en lecture, à la 4e année en orthographe et en compréhension des phrases, et à la 5e année en calculNote de bas de page 35.

[49] En décembre 2022, l’appelant a été évalué par un autre évaluateur de la capacité de travail, Markus Bachmann. D’après les résultats de l’appelant à différents tests, l’évaluateur lui attribuait un niveau équivalent à la 4e année en orthographe et en mathématiques, à la 5e année en vocabulaire et à la 6e année en lecture. Monsieur Bachmann a affirmé que ce niveau n’était pas celui requis pour l’obtention d’un diplôme d’études secondaires en OntarioNote de bas de page 36.

[50] Compte tenu de ces deux évaluations, réalisées par des parties « adverses » et à des moments différents, j’admets que le diplôme obtenu par l’appelant puisse dépasser ses compétences réelles.

[51] Malgré ces limitations, l’appelant a obtenu un permis de conduire ontarien de catégorie AZ (et plus tard de catégorie ACZ). Il était donc autorisé à conduire un camion ou un autocar. Il avait aussi terminé des cours de conduite de camion en Ontario. Il n’avait jamais officiellement suivi de formation professionnelle. En Jamaïque, il avait toutefois été un peu formé [traduction] « sur le tas » en menuiserie, en maçonnerie et en métallurgieNote de bas de page 37.

[52] Quant à son expérience de vie et de travail, l’appelant avait travaillé en construction plusieurs années en Jamaïque après avoir fini l’école. Il avait aussi fait ce genre de travail à son arrivée au Canada. Il avait ensuite suivi une formation pour devenir camionneur, et avait conduit de grands routiers de 2010 jusqu’à son accident, en 2019. Ce travail supposait une certaine paperasse. Il avait commencé ses études pour son diplôme d’équivalence en 2018 et les avait terminées en 2020Note de bas de page 38.

[53] En août 2023, l’appelant a brièvement tenté un retour au travail comme commis-boucher dans une épicerie. Après 17 heures de formation, il n’a travaillé que 11,5 heures avant qu’on mette un terme à son emploiNote de bas de page 39. L’appelant a dit qu’il prévoyait de quitter son emploi à cause de la douleur, mais c’est son employeur qui a lui-même mis fin à son emploi après été informé par son chirurgien de son opération imminente au genou.

[54] L’appelant semble avoir des compétences limitées en informatique. Il a déclaré qu’il n’avait jamais eu d’ordinateur en Jamaïque. Au Canada, il n’avait jamais utilisé d’ordinateur avant le début de ses études pour obtenir son diplôme d’équivalence, en 2018. Il a dit trouver les ordinateurs trop compliqués. C’est son épouse qui a installé l’ordinateur. Comme je l’ai déjà mentionné, elle l’aidait aussi énormément à l’utiliser. Seul, il lui faudrait de quatre à cinq heures pour taper moins d’une demi-page.

[55] Les capacités de l’appelant concordent avec des emplois dont les exigences physiques sont considérables (dans le domaine de la construction et des métiers, par exemple) ou qui exigent le maintien prolongé d’une même position (comme la conduite de camions). Dans beaucoup de cas, ces emplois supposent ces deux aspects.

[56] Cependant, je dois me concentrer sur les limitations fonctionnelles de l’appelant. D’après celles-ci, il lui faudrait un travail sédentaire qui nécessite peu de tâches informatiques ou complexes et peu d’interactions avec le public. Il devrait aussi pouvoir être libre de changer fréquemment de position.

[57] Il y a une inadéquation entre les options de travail réelles de l’appelant et ses limitations. En effet, il n’est ni apte ni qualifié pour le nombre très restreint d’emplois sédentaires qui respectent ses limitations. Il est aussi peu probable qu’une formation lui permette de réussir dans ce type d’emploi, notamment à cause de ses compétences limitées en informatique. Ses limitations en lecture, en écriture et en calcul y sont aussi pour quelque chose.

[58] Après avoir examiné la situation personnelle de l’appelant, je conclus qu’il n’avait pas de capacité de travail résiduelle au terme de 2021. Son manque de capacité était présent dès son accident de janvier 2019. Je vais maintenant examiner s’il a une capacité de travail résiduelle depuis la fin de 2021.

L’appelant a-t-il retrouvé une capacité de travail résiduelle après 2021?

[59] Je conclus que l’appelant n’a pas non plus de capacité de travail résiduelle depuis la fin de 2021. J’explique pourquoi dans les paragraphes qui suivent.

[60] Les notes cliniques de la docteure Taylor-Wall entre la fin de 2021 et la date de l’audience confirment les difficultés perpétuelles de l’appelant avec la douleur chroniqueNote de bas de page 40. Il en va de même pour les notes de traitement de la docteure Viana, physiatre, qui avait commencé à traiter l’appelant en avril 2022Note de bas de page 41.

[61] En mai 2022, un professionnel de la santé a rempli un formulaire concernant les capacités fonctionnelles de l’appelant. Même s’il a indiqué la possibilité d’un retour au travail, il a aussi indiqué la nécessité d’heures restreintes et de tâches modifiées. Les restrictions étaient très vastes. Par exemple, l’appelant pouvait seulement rester debout pendant 15 minutes, marcher pendant 15 à 20 minutes et rester assis pendant 30 minutes. Il devait éviter de soulever des objets à partir du sol, d’utiliser une échelle et de s’exposer à des vibrations. Il avait besoin de micropausesNote de bas de page 42. Selon moi, ce portrait n’est pas celui d’une capacité de travail réelle.

[62] Madame Toth, kinésiologue, a rempli un formulaire semblable pour l’appelant le 31 août 2023. Elle a déclaré qu’un retour au travail avec des heures restreintes et des tâches modifiées était possible. Cependant, encore une fois, un large éventail de restrictions étaient prescritesNote de bas de page 43.

[63] Madame Toth a dit que la capacité de l’appelant se limitait à des tâches sédentaires. Il tolérait la position assise pendant au plus 30 minutes, et devait avoir la possibilité d’élever sa jambe droite. Il devait changer de position toutes les 20 à 30 minutes. Il devait aussi éviter de soulever des objets, de grimper à une échelle, de se pencher et de faire des torsions et des mouvements répétitifs. Il ne pouvait pas conduire une voiture. Il devait commencer par des tâches simples et prendre des [traduction] « micropauses » pour réguler ses émotionsNote de bas de page 44. Encore une fois, je suis d’avis que cela ne représente pas une capacité de travail réelle.

[64] L’appelant a essayé de travailler au début du mois d’août 2023. Il travaillait dans un supermarché, dans la section des charcuteries. Il remplissait les réfrigérateurs lorsqu’ils étaient vides. Il a dit que c’était un travail très difficile. Il devait prendre beaucoup de pauses, même s’il ne travaillait que quatre heures tous les deux jours. Il devait prendre des pauses de 15 minutes environ toutes les 35 minutes à cause de sa douleur au dos et aux genoux. Il a dit qu’il ne terminait pas les tâches qui lui étaient confiées. Il n’apprenait pas assez vite non plus.

[65] L’appelant était sur le point de démissionner à cause de ses limitations fonctionnelles. Son employeur l’a toutefois congédié, comme il allait bientôt être opéré au genou. Selon moi, cette tentative brève et infructueuse n’a pas démontré de capacité de travail résiduelle chez l’appelant.

[66] Le 24 août 2023, l’appelant a subi une opération au genou. Le docteur Litchfield a réparé la déchirure à son ménisqueNote de bas de page 45. Selon l’appelant, cette opération a eu un effet négligeable. Il avait encore mal et avait encore les mêmes limitations qu’avant. Il avait beaucoup de mal, avant l’opération, à se pencher, à supporter des charges, à mettre de la pression sur son genou et à emprunter les escaliers. Il ne pouvait pas marcher plus de 15 minutes. En octobre 2023, une physiothérapeute, Jincy Joseph, a noté un inconfort au niveau de son genou et une douleur au bas de son dosNote de bas de page 46.

[67] À l’audience, l’appelant a dit qu’il avait encore des problèmes au dos et au genou. Sa douleur au dos était fulgurante, et lui donnait des sensations de brûlure et de décharge électrique. La douleur était pire quand il était assis ou debout ou marchait trop longtemps. Sa tolérance en position assise était désormais de 50 à 55 minutes s’il [traduction] « se poussait », mais il devait ensuite s’allonger pendant 3 à 4 heures pour [traduction] « revenir à la normale ». Son épouse a affirmé qu’il ne pouvait rester assis que 30 à 40 minutes environ.

[68] Les symptômes dépressifs de l’appelant ont aussi persisté. Sa douleur au dos et au genou semblait néanmoins la principale raison pour laquelle il se considérait comme invalide. Il n’avait plus d’estime de lui. Tout l’irritait. Le Wellbutrin atténuait un peu ses symptômes et l’aidait à se détendre. Son épouse a également mentionné que sa dépression persistait.

[69] Bien que l’absence d’une capacité de travail résiduelle depuis janvier 2019 indique une invalidité grave, je dois d’abord voir si l’appelant a suivi le traitement qui lui a été recommandé. En cas contraire,  je dois aussi décider si ce non-respect du traitement m’empêche de conclure que son invalidité est grave.

L’appelant a-t-il suivi le traitement recommandé?

[70] Le ministre a dit que l’appelant n’avait pas suivi les traitements recommandés. Il a beaucoup insisté sur l'évidence du fait que l’appelant n’a pas pris les antidépresseurs recommandés. Je vais commencer par le récapitulatif nécessaire.

[71] Après quelques jours en avril 2021, l’appelant a cessé de prendre du Celexa, un antidépresseur, à cause de ses forts effets secondaires. La docteure Taylor-Wall lui a alors prescrit immédiatement du Wellbutrin en guise de substitut. L'appelant devait en prendre chaque jourNote de bas de page 47.

[72] En mai 2021, la docteure Taylor-Wall a dit que l’appelant n’avait pas commencé à prendre le Wellbutrin. Elle l’a encouragé à l’essayer, vu le lien entre la douleur et la dépression. Il a dit qu’il voulait éviter les médicaments dans la mesure du possible et qu’il prenait plus d’antidouleursNote de bas de page 48.

[73] En août 2021, la docteure Taylor-Wall a écrit que l’appelant avait cessé de prendre du Wellbutrin. Même s’il avait trouvé que cet antidépresseur l’aidait, il avait plutôt préféré de passer du temps dehors et d'être plus actif. Cependant, il a dit qu’il ne se sentait plus aussi bien et qu’il envisageait de recommencer à prendre du WellbutrinNote de bas de page 49.

[74] En octobre 2021, la docteure Taylor-Wall a déclaré que l’appelant n’avait pas commencé à prendre du Wellbutrin. L’appelant a dit qu’il faisait beau et qu’il passait donc beaucoup de temps dehors. Il ne pensait donc plus avoir besoin du Wellbutrin. Il pensait toutefois qu’il commencerait peut-être à en prendre dans les prochaines semaines, avec l’arrivée du temps plus fraisNote de bas de page 50.

[75] En janvier 2022, la docteure Taylor-Wall a dit que l’appelant avait cessé de prendre du Wellbutrin quand il ne lui en avait plus resté. L’appelant a dit que l’antidépresseur lui avait été bénéfique. Son humeur a souffert quand il avait cessé d’en prendreNote de bas de page 51.

[76] En avril 2022, la docteure Taylor-Wall a déclaré que l’appelant prenait seulement du Wellbutrin quand il en ressentait le besoin. Elle lui a expliqué que ce médicament devait être pris tous les jours pour qu’il en tire des effets bénéfiques. L’appelant trouvait efficace de le prendre au besoin seulement et voulait continuer ainsi. Il trouvait aussi que son utilisation quotidienne avait un effet sédatif sur luiNote de bas de page 52.

[77] Malgré les conseils de sa médecin, l’appelant prenait toujours du Wellbutrin de façon ponctuelle en date de mai 2022. La docteure Taylor-Wall a donc de nouveau encouragé l’appelant à en prendre tous les jours, pour garantir son efficacité. Plus tard ce mois-là, l’appelant a complètement cessé de prendre du Wellbutrin. Sa médecin lui a de nouveau suggéré de prendre cet antidépresseur sur une base quotidienne. Elle soutenait qu’il serait ainsi plus efficace pour son humeur et qu’il pourrait aussi soulager sa douleurNote de bas de page 53.

[78] Enfin, la docteure Viana avait dit en octobre 2022 que l’appelant avait [traduction] « commencé » à prendre du Wellbutrin [traduction] « quelques mois plus tôt ». Le médicament avait produit une amélioration notable sur son humeurNote de bas de page 54.

[79] Je conclus que l’appelant n’a pas suivi les recommandations relatives au Wellbutrin, et ce de deux façons. Premièrement, il a refusé de prendre du Wellbutrin. Deuxièmement, il ne le prenait pas régulièrement quand il en prenait. Dans les deux cas, il ne respectait pas les recommandations des médecins. Cette transgression a commencé en avril 2021 et s’est poursuivie jusqu’à l’été 2022. Je dois maintenant décider si son non-respect du traiement  m’empêche de conclure qu’il avait une invalidité grave.

Le non-respect du traitement recommandé porte-t-il un coup fatal à la demande de l’appelant?

[80] Je dois tenir compte du manquement de l’appelant dans un contexte réaliste. Autrement dit, je dois décider s’il était déraisonnable qu’il ne respecte pas le traitement recommandé. S’il a agi de façon déraisonnable, je dois aussi examiner l’incidence de son manquement sur son état de santéNote de bas de page 55.

[81] J’estime qu’il était déraisonnable que l’appelant ne prenne pas du Wellbutrin ou qu’il ne le prenne pas régulièrement. Malgré les encouragements répétés de la docteure Taylor-Wall, l’appelant a dit qu’il voulait éviter de prendre des médicaments ou qu’il pouvait arriver au même résultat en passant plus de temps dehors. Même quand il a pris le médicament, il l’a pris occasionnellement au lieu de le prendre régulièrement, comme on le lui avait conseillé. La docteure Bégin, qui a témoigné durant l’audience pour le ministre, a dit que le Wellbutrin ne créait pas de dépendance.

[82] Il était aussi déraisonnable que l’appelant ne prenne pas ce médicament alors qu’il en avait reconnu les bienfaits. De la même façon, il était déraisonnable qu’il ne le prenne pas régulièrement alors qu’il avait remarqué comment l’arrêt de ce médicament affectait son humeur. Malgré des visites régulières, il avait fallu plus d’un an à l’appelant pour suivre les conseils de la docteure Taylor-Wall. C’est d’ailleurs à la docteure Taylor-Wall qu’il avait fait confiance pour faire le rapport qui appuierait sa demande de pension d’invalidité.

[83] Je dois maintenant examiner les effets potentiels de son manquement sur son état de santé.

[84] L’invalidité de l’appelant est principalement causée par sa douleur chronique et son incapacité à déployer des efforts physiques soutenus et à maintenir certaines positions. Son humeur joue un rôle relativement mineur. À première vue, il ne serait pas si important qu’il n’ait pas pris ses antidépresseurs. Toutefois, la docteure Taylor-Wall a noté un lien certain entre la dépression et la douleurNote de bas de page 56. Je dois donc voir exactement quand il n’a pas respecté sa prise d’antidépresseurs et l’effet probable de ce non-respect du traitement.

[85] D’après la preuve, les problèmes de santé mentale de l’appelant étaient déjà présents depuis environ deux ans avant qu’il refuse de prendre du Wellbutrin (ou de le prendre de façon adéquate).

[86] Les symptômes de santé mentale de l’appelant sont apparus peu après son accident de janvier 2019. En mai 2019, la possibilité qu’il fasse de la psychothérapie avait été discutée après qu’il ait dit se sentir dépriméNote de bas de page 57. En juin 2019, des [traduction] « pensées négatives » ralentissaient son rétablissement. Il avait de la difficulté à se concentrer et à dormir. Il se sentait triste, déprimé, anxieux, irritable et avait [traduction] « des hauts et des bas ». Il avait peu d’énergie. Il était fatigué pendant la journéeNote de bas de page 58.

[87] En juillet 2019, l’appelant a reçu un plan de traitement psychologiqueNote de bas de page 59. En août 2019, il s’est senti déprimé en voyant son équipe de soccer jouer. Son ergothérapeute a dit qu’un des objectifs du traitement était de l’aider à composer avec la dépressionNote de bas de page 60. Il a vu un psychothérapeute pour la première fois ce mois-là. Les tests de santé mentale ont révélé des symptômes modérés de dépression et de graves symptômes d’anxiétéNote de bas de page 61.

[88] En plus du temps qui a passé avant le non-respect de sa médication, il y avait déjà longtemps que l’appelant souffrait de douleur chronique. En date de juin 2019, il avait consulté de nombreux professionnels de la santé pour traiter cette douleurNote de bas de page 62. En août 2019, le docteur Litchfield a dit que l’appelant était [traduction] « énigmatique d’un point de vue diagnostique ». Ses symptômes subjectifs de douleur ne cadraient pas avec ce que le chirurgien pouvait observerNote de bas de page 63. En septembre 2019, madame Kay a noté la douleur chronique à titre de problèmeNote de bas de page 64.

[89] Le docteur Fern, chirurgien orthopédiste, même s’il a seulement vu l’appelant à partir d’août 2023, a commenté la durée de sa douleur chronique. Vu le temps qui s’était écoulé, il était d’avis que les déficiences de l’appelant seraient probablement permanentesNote de bas de page 65.

[90] Le docteur Fern a ajouté que l’appelant avait atteint son rétablissement maximal. Il a dit que son trouble de la douleur chronique bien ancré. Le docteur Fern a suggéré de mettre l’accent sur la prise en charge de sa douleur chronique, plutôt que sa guérison. Cette prise en charge pourrait comprendre des traitements comme des médicaments, des injections, des relaxants musculaires, des crèmes topiques, des anesthésies tronculaires et des suppléments nutritifs. Elle pourrait aussi inclure des thérapies comme l’acupuncture, la physiothérapie, la massothérapie, le yoga, la chiropractie et la méthode PilatesNote de bas de page 66.

[91] Les commentaires de la docteure Fern laissent croire que le non-respect d’un traitement aurait eu de plus graves conséquences aux premiers stades d’un trouble de douleur chronique. Au fil du temps, la douleur chronique s’enracine. La docteure Bégin a également dit qu’il était préférable d’arrêter tôt ce cercle vicieux. Elle a expliqué que la douleur deviendrait plus chronique et plus récalcitrante avec le temps.

[92] Enfin, l’appelant a affirmé que le principal bienfait attribuable au Wellbutrin était son effet calmant. Malgré cet aspect positif certain, l’effet ultimement recherché sur sa douleur chronique était moins clair.

[93] Après avoir examiné tous ces éléments de preuve, je suis dans l’impossibilité de conclure que l’appelant, en ne respectant pas les recommandations relatives au Wellbutrin, aurait grandement influencé son état de santé. Il s’était alors déjà écoulé plus de deux ans depuis son accident, et environ deux ans après que sa douleur chronique se soit révélée préoccupante. Il a fini par prendre du Wellbutrin conformément aux recommandations. Même si le médicament a eu un effet bénéfique sur l’humeur de l’appelant, son épouse a rapporté qu’il demeure aux prises avec d’importants problèmes de santé mentale. L’appelant a également signalé des effets secondaires.

[94] Par conséquent, son non-respect des conseils médicaux ne n’empêche pas de conclure qu'il était atteint d'une invalidité grave.

[95] Je conclus que l’appelant était atteint d’une invalidité grave en date du 31 décembre 2021, c’est-à-dire à l’échéance de sa période minimale d’admissibilité, comme il n’avait plus de capacité de travail résiduelle à cette date. En fait, l’appelant n’a plus aucune capacité de travail depuis janvier 2019. Je dois maintenant décider si son invalidité est également prolongée.

L’invalidité de l’appelant est-elle prolongée?

[96] Je vais d’abord examiner la preuve provenant des prestataires de soins qui ont suivi l’appelant.

[97] La docteure Taylor-Wall a d’abord pensé que l’appelant reprendrait le travail. En avril 2021, elle croyait encore à ce retour au travail, sans toutefois pouvoir prédire quand il serait possible. Elle a affirmé que la cause de ses symptômes demeurait inconnue. Elle avait espoir qu’une opération au dos et au genou pourrait réduire ses douleurs et le rendre plus fonctionnelNote de bas de page 67.

[98] En juin 2023, la docteure Taylor-Wall a noté que l’appelant était continuellement frustré des limites dans ses activités causées par sa douleur chronique. Le manque de réponses quant à son trouble de douleur chronique le frustrait également. Au regard des autres éléments de preuve, cela laisse croire que la douleur dont l’appelant se plaignait était bien réelle et qu’un rétablissement notable n’était pas prévisibleNote de bas de page 68.

[99] La docteure Taylor-Wall était également d’accord avec la docteure Viana pour poser un pronostic réservé quant à une résolution complète de la douleur, comme l’accident était survenu longtemps avant. Elle a convenu que l’appelant aurait toujours un certain degré de douleur. Pour elle, il fallait s’atteler à rendre la douleur tolérable, et non à la guérir. Plus tôt ce mois-là, la séance de l’appelant avec la docteure Viana avait porté sur le fait de vivre avec la douleur chroniqueNote de bas de page 69.

[100] L’appelant a été opéré moins de six mois avant l'audience. Il est donc plus difficile d’évaluer l’incidence de cette opération sur ses limitations fonctionnelles futures. À l’audience, la docteure Bégin a dit n’avoir rien vu qui laisse croire à des complications postopératoires. Elle a aussi dit qu’il fallait habituellement de quatre à huit semaines pour se remettre de ce type d’opération. Pourtant, l’appelant présentait encore un certain inconfort au genou huit semaines après l’opérationNote de bas de page 70.

[101] La preuve la plus récente est le témoignage que l’appelant a livré lors de l’audience devant la division d’appel. Il a dit que sa capacité à rester assis s’était légèrement améliorée depuis l’accident. Cependant, il avait besoin de récupérer pendant trois à quatre heures s’il [traduction] « se poussait ». Il a aussi dit que sa douleur au dos était toujours grave. Elle s’aggravait quand il était assis ou debout ou s’il marchait trop longtemps. Elle était moins forte quand il s’allongeait.

[102] Bien que le docteur Litchfield ait déclaré que l’appelant se portait dans l’ensemble [traduction] « très bien » en octobre 2023Note de bas de page 71, l’appelant a dit avoir senti peu de changements depuis l’opération. Le docteur Litchfield avait dit à l’appelant qu’il devait être patient. Mais l’appelant a affirmé qu’il avait encore mal aux mêmes endroits où il avait mal avant l’opération. Il a expliqué que la douleur à son genou était exacerbée quand il utilisait les escaliers ou s’il mettait trop de poids de ce côté.

[103] L’appelant a confirmé qu’il n’utilisait plus de béquilles. Il a dit qu’il pouvait mettre un peu de poids sur son genou [traduction] « selon sa tolérance ». Cependant, il a aussi dit qu’il ne serait pas capable de faire un emploi sédentaire, dans un centre d’appels par exemple, s’il fallait qu’il reste assis la plupart du temps.

[104] L’appelant a dit que les injections de la docteure Viana soulageaient sa douleur de façon temporaire. Les injections faisaient mal, mais elles atténuaient sa douleur de 25 % pendant environ 3 semaines. Il avait reçu ces injections trois ou quatre fois.

[105] Je n’accorde pas trop d’importance à la preuve des professionnels de la santé qui n’ont pas traité assidûment l’appelant. Cela étant dit, leurs opinions corroborent elles aussi une invalidité prolongée.

[106] Le docteur Fern n’a jamais traité l’appelant. Il a également donné son avis en août 2023, avant que l’appelant soit opéré au genou. Le docteur Fern était cependant au courant de cette opération imminente. Comme je l’ai mentionné plus tôt, le docteur Fern a affirmé que le trouble de douleur chronique de l’appelant était bien ancré et que son rétablissement avait plafonné. Il était peu probable que l’état de l’appelant s’améliore de façon notableNote de bas de page 72.

[107] Le docteur Fern a ajouté que les déficiences de l’appelant étaient susceptibles d’être permanentes, vu le temps considérable qui s’était déjà écoulé, soit quatre ans et demi. En effet, son système nerveux central était déjà sensible. Le docteur Fern a expliqué que la douleur pouvait ainsi s’autoperpétuer, et même s’aggraverNote de bas de page 73.

[108] La docteure Becker, psychologue, n’a pas non plus traité l’appelant. Dans son avis datant de mai 2023, elle a néanmoins noté ce que l’appelant rapportait lui-même : douleur persistante, inquiétudes quant à l’aggravation de sa douleur, symptômes dépressifs, troubles du sommeil, fatigue, baisse d’énergie, anxiété, irritabilité et difficultés cognitives. La docteure Becker a émis un pronostic [traduction] « réservé ou sombreNote de bas de page 74 » vu l’étendue, la gravité et la nature chronique des symptômes psychologiques de l’appelant.,

[109] Les conclusions du docteur Becker laissent croire que l’appelant fait face à des obstacles importants d’un point de vue mental, au-delà de son trouble de douleur chronique. Il lui sera encore plus difficile de surmonter ses limitations fonctionnelles actuelles compte tenu de ces obstacles.

[110] Rien ne me permet de croire que l’invalidité de l’appelant est susceptible de causer son décès. Pour être prolongée, son invalidité doit donc vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinieNote de bas de page 75. L’appelant doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités.

[111] L’appelant rapporte encore énormément de douleur. Même si sa tolérance pour la position assise s’est améliorée au cours des cinq années qui ont suivi l’accident, il doit encore faire attention de ne pas rester assis trop longtemps. Sinon, il doit se reposer longtemps pour s’en remettre.

[112] Il n’est pas impossible que l’appelant puisse un jour surmonter assez de ses limitations fonctionnelles pour retrouver la capacité de travailler dans un contexte réaliste. Cependant, j’estime qu’il est davantage probable que son incapacité à faire tout emploi réaliste dure pendant une période longue, continue et indéfinie.

[113] Par conséquent, l’appelant est atteint d’une invalidité grave et prolongée depuis janvier 2019. Son appel doit donc être accueilli. Je dois maintenant établir la date à laquelle doit commencer le versement de sa pension d’invalidité.

Quand doit commencer le versement de la pension d’invalidité?

[114] L’appelant est atteint d’une invalidité grave et prolongée depuis janvier 2019. Par contre, selon le Régime de pensions du Canada, une personne ne peut pas être considérée comme invalide plus de 15 mois avant la date où le ministre a reçu sa demande de pensionNote de bas de page 76. Il y a ensuite un délai d’attente de quatre mois avant le versement de la pensionNote de bas de page 77.

[115] Le ministre a reçu la demande de l’appelant en avril 2021. Par conséquent, il est considéré comme étant devenu invalide en janvier 2020. Le versement de sa pension commence donc en mai 2020.

Conclusion

[116] L’appel est accueilli. L’appelant a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, payable dès mai 2020.

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