Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : KR c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 475

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : K. R.
Représentante ou représentant : Allison Schmidt et Chanel Scheepers
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Marcus Dirnberger

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 25 septembre 2023 (GP-22-1353)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 16 avril 2024

Personnes présentes à l’audience :

Appelante
Représentante de l’appelante
Représentant de l’intimée

Date de la décision : Le 5 mai 2024
Numéro de dossier : AD-23-1132

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel. L’appelante n’a pas droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] L’appelante est âgée de 35 ans et possède un diplôme d’études secondaires. Elle a occupé divers emplois : gardienne de sécurité, agente de centre d’appels, aide ménagère, conseillère du service à la clientèle et préposée à l’expédition et à la réception. Mis à part sa tentative brève et infructueuse d’exploiter un service de garde en milieu familial, elle n’a pas travaillé depuis mai 2021.

[3] L’appelante a demandé une pension d’invalidité du RPC en juillet 2021Note de bas de page 1. Dans sa demande, elle a dit qu’elle était invalide en raison d’une dépression, de l’anxiété, de la fibromyalgie, du syndrome du côlon irritable et d’un trouble de stress post-traumatique.

[4] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande après avoir conclu que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée.

[5] L’appelante a porté le refus du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Celle-ci a tenu une audience par téléconférence et a rejeté l’appel. Elle a conclu qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour démontrer que l’appelante était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Entre autres, la division générale a conclu que l’appelante n’avait pas fait assez d’efforts pour chercher un emploi qui aurait pu être mieux adapté à ses limitations fonctionnelles.

[6] L’appelante a ensuite demandé la permission de faire appel à la division d’appel. Plus tôt cette année, une de mes collègues de la division d’appel lui a accordé la permission de faire appel. Le mois dernier, j’ai tenu une audience pour discuter de la demande de l’appelante dans son ensemble.

[7] Après avoir examiné les observations des deux parties, j’ai conclu que l’appelante ne remplit pas les conditions requises pour recevoir une pension d’invalidité du RPC. La preuve montre que même si l’appelante est sujette à certaines limitations fonctionnelles, elle n’était pas atteinte d’une invalidité grave ou prolongée en date du 31 décembre 2023, la date où elle a été admissible pour la dernière fois aux prestations d’invalidité du RPC.

Question en litige

[8] Pour gagner son appel, l’appelante devait prouver qu’il était plus probable qu’improbable qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée pendant sa période de protection. Les parties ont convenu que sa période de protection a pris fin le 31 décembre 2023Note de bas de page 2.

  • Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3. Une personne n’a pas droit à une pension d’invalidité si elle est régulièrement capable de faire un quelconque travail qui lui permet de gagner sa vie.
  • Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 4. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité tienne la personne à l’écart du marché du travail pendant longtemps.

[9] Dans le présent appel, je devais décider si l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2023.

Analyse

[10] J’ai appliqué la loi à la preuve disponible et j’ai conclu que l’appelante n’est pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée. Je suis convaincu que ses problèmes de santé ne l’empêchaient pas de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice pendant sa période de protection.

L’appelante n’est pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée

[11] Les personnes qui demandent des prestations d’invalidité sont responsables de prouver qu’elles ont une invalidité grave et prolongéeNote de bas de page 5. J’ai examiné le dossier et j’ai conclu que l’appelante ne s’est pas acquittée de ce fardeau selon le critère énoncé dans le Régime de pensions du Canada. L’appelante a des limitations, mais celles-ci ne sont pas assez graves pour lui donner droit à une pension d’invalidité.

[12] Dans sa demande de prestations, l’appelante a déclaré que ses principales causes de son invalidité étaient la dépression, l’anxiété, la fibromyalgie, le syndrome du côlon irritable et le trouble de stress post-traumatique. Elle a affirmé qu’en raison de ces problèmes de santé, elle était facilement désorientée, avait de la difficulté à maîtriser ses émotions, avait [traduction] « beaucoup de mal » à gérer les conflits et avait de la difficulté à entendre dans des environnements bruyants. Elle a également déclaré avoir de la difficulté à monter les escaliers et à effectuer les tâches ménagères.

[13] L’appelante a déclaré qu’elle ressent toujours de la douleur et de l’inconfort, plus précisément au dos, aux jambes et aux genoux. Elle se forçait à continuer de travailler en dépit de ses limitations, même si elle pouvait à peine sortir le linge des machines. Lorsqu’elle subit une poussée, environ une fois par semaine, elle est clouée au lit toute la journée et complètement immobile. Le Tylenol ne fonctionne pas. Elle ne peut pas prendre d’Advil en raison de son syndrome du côlon irritable, car il lui cause de graves douleurs à l’estomac. La seule chose qui l’aide est d’utiliser un coussin chauffant et de s’étendre. Elle a été sur la liste d’attente d’une clinique antidouleur pendant deux ans.

[14] Le syndrome du côlon irritable lui cause des nausées et de graves douleurs abdominales. Elle doit aller aux toilettes trois à quatre fois par jour, ce qui lui cause de l’embarras. Le Gravol ou le Pepto-Bismol lui procure un soulagement. Tout comme le pantoprazole, qui soulage sa diarrhée et ses douleurs à l’estomac.

[15] L’appelante est atteinte du trouble de stress post-traumatique depuis la naissance de son deuxième enfant, qui est né prématurément à 25 semaines et a été mis sous respirateur. Elle a reçu les services en santé mentale d’une travailleuse sociale nommée Erin Desmarais. Cependant, elle n’était couverte que pour quelques séances par année. Elle n’a pas les moyens d’avoir un thérapeute privé. Elle est sur le point de recevoir d’autres services de consultation psychologique par l’entremise du centre de ressources pour les familles des militaires, même si elle a peur d’y rencontrer quelqu’un qu’elle connait. Son médecin lui a fait arrêter le bupropion (Wellbutrin) et lui a prescrit de la sertraline (Zoloft), mais celle-ci a provoqué un émoussement affectif.

[16] Tous ses problèmes de santé la rendent anxieuse, paranoïde et irritable. Elle ne peut pas se concentrer; elle ne peut même pas suivre une liste de courses. Elle a rejeté sa famille et ses amis. Le lorazépam (Ativan) la rend étourdie et lui donne la nausée, tout comme la prégabaline (Lyrica).

[17] En septembre 2021, après avoir eu son troisième enfant, elle a tenté de gagner de l’argent en gardant des enfants chez elle. Elle a finalement commencé à garder un enfant à temps plein et un enfant à temps partiel après l’école. C’était trop pour elle, mentalement et physiquement, même si l’une des mères fournissait les repas de son enfant. Après avoir perdu une cliente ou un client, elle a cherché à élargir sa clientèle sans succès et a abandonné l’entreprise en janvier 2023Note de bas de page 6.

[18] Lorsqu’on lui a demandé si elle pensait pouvoir occuper un emploi de bureau, l’appelante a répondu que non. Si elle reste assise pendant plus d’une heure, son dos commence à lui faire mal. De plus, elle affirme que son pouvoir de concentration et sa capacité de mémorisation se sont grandement affaiblis.

[19] Bien que l’appelante puisse avoir l’impression d’être invalide, je dois éviter de fonder ma décision uniquement sur sa seule vision subjective de sa capacitéNote de bas de page 7 . Dans la présente affaire, la preuve, considérée dans son ensemble, ne donne pas à penser qu’elle a une déficience grave qui l’empêche d’effectuer un travail convenable.

[20] Je fonde cette conclusion sur les facteurs ci-dessous :

L’appelante a cessé de travailler pour des raisons autres que ses problèmes de santé

[21] La preuve donne à penser que l’appelante avait de la difficulté à travailler. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’elle a quitté son dernier emploi chez X, non pas en raison de son état de santé, mais en raison du déménagement de sa famille de Kingston à Trenton. Comme son médecin de famille l’a souligné, elle a déménagé peu de temps après avoir quitté son emploi le 21 mai 2021. Elle a demandé des prestations d’invalidité du RPC seulement six semaines après cette dateNote de bas de page 8.

[22] L’appelante a également déclaré qu’elle a cessé de travailler comme aide ménagère dans un hôtel en août 2019 en grande partie parce que l’entreprise est saisonnière et qu’elle avait beaucoup moins de quarts de travail à la fin de l’été.

[23] Par la suite, l’appelante a tenté de gagner de l’argent en exploitant un service de garde en milieu familial. Cependant, de son propre aveu, elle a renoncé en grande partie parce qu’elle avait de la difficulté à élargir sa clientèle, et non en raison d’un quelconque lien avec ses déficiencesNote de bas de page 9.

Les prestataires de soins de l’appelante n’ont pas exclu le retour au travail

[24] L’appelante mentionne la dépression, l’anxiété, la fibromyalgie, le syndrome du côlon irritable et le trouble de stress post-traumatique comme étant les principaux problèmes de santé qui l’empêchent de travailler. Ces problèmes sont tous chroniques et progressifs. Ils ne surviennent généralement pas du jour au lendemain. Pourtant, le plus vieux rapport médical que je vois date de février 2021, soit seulement trois mois avant que l’appelante ne quitte son dernier emploi de préposée à l’expédition et à la réception chez XNote de bas de page 10.

[25] L’absence de renseignements médicaux avant 2021 fait qu’il est difficile d’avoir une idée claire de l’étendue des problèmes de l’appelante au moment où elle a quitté son emploi. Son dossier documente des interactions régulières avec son équipe de santé familiale après février 2021, mais elles contiennent peu d’indications que son problème de santé était grave.

[26] Au cours des mois précédant son départ de X, l’appelante s’est plainte d’une sensation d’oreille bouchée (disparue après un nettoyage), d’allergies (traitées par des médicaments) et d’une congestion nasale (probablement parce qu’elle a arrêté de fumer l’année précédente). Cependant, l’appelante n’a signalé aucune douleur à ses médecins qu’en mai 2021, lorsqu’elle s’est plainte de ce qui suit :

une douleur linéaire traversant son diaphragme depuis la semaine dernière, qui a commencé par une douleur sourde à gauche de l’abdomen, puis s’est aggravée sous la forme d’une bande traversant son abdomen. Elle n’est pas irradiée. La douleur est maintenant réglée, il n’y a pas d’autres préoccupations à ce sujet. Elle soulevait souvent des charges lourdes à ce moment-là. Aucune douleur au haut de la poitrine n’a été signalée [c’est moi qui souligne]Note de bas de page 11.

[27] Bien que l’appelante ait dit à sa conseillère en santé mentale qu’elle ressentait des douleurs constantes et généralisées, les examens subséquents donnent à penser qu’elles n’étaient pas complètement débilitantes. Dans la note clinique de novembre 2021, l’appelante s’est plainte seulement de « paresthésie » (picotements) dans ses bras, mais après examen, ses poignets ont démontré une amplitude de mouvement complète et une pleine puissanceNote de bas de page 12. Le mois suivant, l’appelante a été vue pour des douleurs au haut du dos et des engourdissements aux deux bras. Cependant, après examen, son dos, son cou et ses membres supérieurs et inférieurs ont démontré une amplitude de mouvement complète et une pleine puissance.

[28] Le dossier ne comporte aucune plainte de douleur pendant près d’un an. En octobre 2022, une membre de l’équipe de santé familiale de l’appelante l’a examinée pour des douleurs au haut du dos qui [traduction] « persistent depuis la grossesse et sont pires depuis qu’elle soulève son bébéNote de bas de page 13 ». L’appelante a été envoyée en consultation pour faire des radiographies. Elles ont révélé une colonne cervicale normale et seulement de légers changements dégénératifs dans sa colonne thoraciqueNote de bas de page 14.

[29] L’appelante s’est plainte d’essoufflement, qui dure depuis mars 2020 selon elleNote de bas de page 15. Cependant, le billet de la médecin donne à penser que le problème de santé était léger : [traduction] « a senti un peu d’essoufflement en haut des escaliers, résorbé après s’être assiseNote de bas de page 16 ». L’appelante a reçu une ordonnance d’inhalateur Ventolin à prendre au besoin. Plus tard, elle a dit à sa médecin que son essoufflement s’aggravait : [traduction] « se produit après n’importe quel effort, par exemple monter les escaliers, marcher quelques pâtés de maisons […] s’aggrave quand elle s’allonge à plat, doit dormir soutenue par des oreillersNote de bas de page 17 ». Cependant, l’examen médical a révélé des poumons clairs et aucun problème cardiovasculaire important. L’exploration fonctionnelle respiratoire n’avait rien d’anormalNote de bas de page 18. Sa radiographie pulmonaire non plusNote de bas de page 19.

[30] L’appelante a également affirmé être invalide en raison de symptômes gastro-intestinaux graves, mais il y a peu d’éléments de preuve indépendants au dossier pour corroborer ces plaintes. Le Dr Moreau et la Dre Le ont rempli un rapport médical pour la demande de prestations d’invalidité du RPC de l’appelante. Parmi les problèmes de santé inscrits, le rapport a mentionné le syndrome du côlon irritable qui causait des nausées, des vomissements, de la diarrhée et des douleurs abdominales. Cependant, de tels symptômes sont mentionnés peu de fois dans les notes de l’équipe de santé familiale, à l’exception d’une référence isolée. En effet, une note de septembre 2022 indique que l’Advil a provoqué une [traduction] « poussée » du syndrome du côlon irritable. La même note précise qu’elle prenait de l’oméprazole pour traiter son problème de santé, mais rien n’indique que ce médicament la soulageaitNote de bas de page 20.

[31] Jusqu’à la fin de 2023, l’appelante a uniquement consulté des spécialistes de l’obstétrique ou de gynécologie, et ce avant l’accouchement de son troisième enfant en juillet 2022. Je constate que même si l’appelante a déclaré des symptômes associés à plusieurs maladies chroniques, son équipe de santé familiale n’a jamais pensé qu’il valait la peine de la diriger vers une ou un spécialiste, que ce soit de chirurgie orthopédique pour ses douleurs articulaires, d’endocrinologie pour sa fibromyalgie, de gastroentérologie pour son syndrome du côlon irritable ou de psychiatrie pour son anxiété et sa dépression. Cela donne à penser qu’au cours de la période entourant le départ de l’appelante de X, ses prestataires de soins croyaient que ses problèmes de santé étaient moins graves.

[32] Les médecins de l’appelante n’ont jamais laissé entendre qu’elle était incapable de travailler. Même le Dr Moreau et la Dre Le, en remplissant le questionnaire d’invalidité du RPC, s’attendaient à ce qu’elle reprenne un travail modifié à l’avenir.

La dépression et l’anxiété de l’appelante étaient en grande partie situationnelles

[33] L’appelante a des problèmes de santé mentale, mais ils sont en grande partie le produit de facteurs externes de stress. La preuve disponible indique que l’appelante a de la difficulté à composer avec la dépression et l’anxiété. Cependant, ce n’est pas en raison d’un important problème de santé sous-jacent, mais en raison de diverses circonstances passagères. Celles-ci sont liées à son dernier emploi, à son déménagement dans une autre ville et à sa troisième grossesse.

[34] Dans leur rapport médical du RPC, le Dr Moreau et la Dre Le ont écrit que l’appelante avait reçu un diagnostic de dépression et de trouble anxieux généralisé avec crises de panique. Ces problèmes de santé sont marqués par une diminution de la concentration et de la motivation, une humeur changeante, une difficulté à prendre des décisions et un stress continu qui mène à un niveau d’énergie et à une productivité médiocres. Les deux médecins généralistes ont ajouté qu’elle avait participé à un groupe sur l’anxiété et la dépression pendant un mois en 2021 et qu’elle avait reçu du soutien grâce au travail social de juin 2017 à juin 2021.

[35] C’est ce que le Dr Moreau et la Dre Le ont écrit en juillet 2021, à la suite d’une période de stress particulièrement intense pour l’appelante. En mars 2021, l’appelante a dit au Dr Simpson que son mari, un membre des Forces armées canadiennes, était absent pour suivre une formation. Elle a dit qu’elle était stressée en raison du test de dépistage de la COVID-19 de son fils et d’une pression liée au travail, qui s’accentuait parce qu’elle travaillait aux côtés de ses parents pour la même entrepriseNote de bas de page 21. Le Dr Simpson a dirigé l’appelante vers Erin Desmarais, une travailleuse sociale affiliée à son équipe, pour des consultations :

  • En avril 2021, Mme Desmarais a déclaré que l’appelante avait des pensées envahissantes et une baisse d’humeur. Elle se sentait dépassée par les tâches de routine à la maison et s’est décrite comme irritable et réactive. Elle estimait également que sa charge de travail était trop lourde et avait de la difficulté à parler de ses difficultés à ses parentsNote de bas de page 22. Elle a continué de se forcer à aller travailler tous les jours même si elle voulait démissionner. En même temps, elle s’occupait de ses enfants tout en recevant seulement un peu d’aide de sa belle-mère le soirNote de bas de page 23.
  • Le mois suivant, Mme Desmarais a souligné que l’appelante faisait face à un facteur de stress supplémentaire : la réinstallation de son mari et le déménagement imminent de sa famille. Elle en avait avisé son employeur, car elle ne pensait pas pouvoir effectuer le trajet entre Trenton et Kingston. Néanmoins, l’appelante a déclaré qu’elle se portait bien en général et qu’elle avait appris plusieurs outils utiles pour gérer le stressNote de bas de page 24.
  • En juin 2021, Mme Desmarais a déclaré que l’appelante avait décrit son humeur comme étant [traduction] « bonne ». Elle et sa famille avaient terminé leur déménagement et tout s’était déroulé [traduction] « en douceur ». Elle avait pratiqué ses compétences en gestion du stress et elle se sentait sûre de pouvoir les mettre en pratiqueNote de bas de page 25.

[36] Ces rapports donnent à penser que i) l’état psychologique de l’appelante était attribuable à des facteurs externes de stress en particulier et que ii) son anxiété et sa dépression répondaient au traitement. Peu de temps après avoir quitté son emploi et déménagé dans une autre communauté, l’appelante a été confrontée à un autre défi : une grossesse difficile et la naissance prématurée de son troisième enfant.

[37] En août 2022, le Dr Simpson a écrit que l’appelante se portait [traduction] « très bien », même si sa santé mentale était gravement affectée par ses circonstances, dont le nouveau-né et le fait d’être [traduction] « enfermée » dans l’unité de soins intensifs néonatals de l’hôpital. Cependant, [traduction] « elle était maintenant à la maison et n’a signalé aucun nouveau problèmeNote de bas de page 26 ». Le mois suivant, le Dr Simpson a écrit ce qui suit : [traduction] « aucune préoccupation physique et aucun problème d’humeurNote de bas de page 27 ».

[38] Il est intéressant de comparer les rapports relativement positifs du Dr Simpson avec ce que l’appelante a dit à son avocate seulement deux semaines plus tard. Lors d’une conversation téléphonique documentée par Kristen Slaney, l’appelante a déclaré que ses symptômes de fibromyalgie étaient pires qu’avant sa grossesse. Ses douleurs corporelles s’étaient aggravées et elle avait une extrême difficulté à marcher, à monter les escaliers et à s’asseoir. Elle a également dit qu’elle avait de la difficulté avec sa concentration, sa mémoire et son niveau d’énergie, et qu’elle avait des problèmes avec certains aspects de ses soins personnels (en raison d’un manque de motivation) et l’entretien ménagerNote de bas de page 28. J’ai de la difficulté à concilier les deux comptes rendus, mais je préfère le témoignage du Dr Simpson, un membre de l’équipe de soins primaires de l’appelante et un professionnel dont le seul intérêt est de transmettre des conclusions objectives.

[39] En mars 2023, la Dre Xu a écrit que l’appelante était engourdie, larmoyante, facilement débordée et irritable, et qu’elle avait peu d’énergie, d’appétit et de concentration. Elle a tout de même attribué la mauvaise humeur de l’appelante à une dépression post-partum, ce qui donne à penser que ses problèmes de santé étaient temporaires. Ils seraient donc le résultat de facteurs qui allaient probablement s’atténuer après la petite enfance de son filsNote de bas de page 29.

[40] L’appelante a continué d’avoir de la difficulté à maîtriser ses émotions, surtout lorsqu’elle s’occupait de ses enfantsNote de bas de page 30. En novembre 2023, le Dr Simpson a écrit que l’appelante se portait [traduction] « bien », même si elle avait récemment été dépassée et frustrée par le comportement de son jeune filsNote de bas de page 31. Elle a déclaré avoir des idées suicidaires, mais sa travailleuse sociale, Mme Desmarais, ne la considérait pas comme une personne à haut risque d’automutilationNote de bas de page 32.

[41] Je reconnais que l’appelante est sujette à l’anxiété et à la dépression et qu’elle a de la difficulté à maîtriser ses émotions lorsqu’elle subit de la pression. Cependant, elle a été en mesure de travailler de 2017 à 2021, même si elle avait les mêmes problèmes de santé à ce moment-là, et rien n’indique qu’ils se sont aggravés de façon importante depuis. La preuve montre qu’elle a bien répondu à des séances de consultation en santé mentale et qu’elle a démontré sa capacité d’utiliser des outils d’adaptation dans le passé. Les deuxième et troisième grossesses de l’appelante étaient difficiles, mais son dossier médical ne contient aucune confirmation qu’elle a déjà reçu un diagnostic officiel de syndrome de stress post-traumatique.

Les médecins de l’appelante continuent d’explorer les options de traitement

[42] L’appelante a reçu un traitement pour ses divers problèmes de santé, mais il a surtout été conservateur. Bon nombre des médicaments qu’elle a essayés pour soulager sa douleur et son anxiété ont produit des effets secondaires indésirables, mais le Tylenol et le Wellbutrin lui ont procuré un soulagement. Elle a aussi réussi à gérer ses symptômes du syndrome du côlon irritable par son régime alimentaire.

[43] De plus, elle n’a pas épuisé toutes les options de traitement. Elle a déclaré qu’on l’a récemment dirigée vers une clinique antidouleur où on lui proposera probablement de faire un bloc nerveux par des injections sous-durales. En novembre 2023, l’appelante a finalement consulté une psychiatreNote de bas de page 33. Elle se plaignait depuis longtemps d’être incapable d’accomplir des tâches et voulait se faire évaluer pour un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ou tout autre problème de santé mentale. À la suite d’une entrevue et d’un examen de son dossier médical, la Dre Richer a conclu que les difficultés de l’appelante concordaient avec un trouble anxieux généralisé, une personnalité obsessionnelle-compulsive et possiblement une apnée obstructive du sommeil non diagnostiquée, pour laquelle elle faisait l’objet d’une enquête. Elle a fait remarquer que les symptômes comme la perte de mémoire, la fatigue et le manque de motivation sont souvent diagnostiqués à tort comme un TDAH, alors que la véritable cause est l’apnée obstructive du sommeil.

[44] Plus tôt ce mois-là, un pneumologue avait diagnostiqué chez l’appelante une apnée obstructive du sommeil modérée à sévèreNote de bas de page 34. Lors de l’audience devant moi, l’appelante a déclaré qu’elle avait commencé à utiliser un appareil de ventilation en pression positive continue en mars 2024, mais qu’après six semaines, elle n’avait constaté aucune amélioration. Cependant, une période de six semaines n’est pas assez longue pour évaluer l’efficacité d’un dispositif conçu pour traiter un problème de santé chronique selon moi. L’appelante peut croire que rien n’a changé jusqu’à maintenant, mais je soupçonne fortement que d’autres évaluations et peut-être des ajustements sont à prévoir. Tant que ce processus n’est pas terminé, je pense qu’il est trop tôt pour conclure que rien ne peut être fait pour l’apnée obstructive du sommeil de l’appelante et ses symptômes.

[45] La Dre Richer a également recommandé un essai de la prégabaline, ainsi qu’une thérapie comportementale dialectique et une thérapie cognitivo-comportementale. L’appelante a déclaré que la prégabaline lui donne des effets secondaires et que, même si elle a pris part à des séances de consultation occasionnelles avec Erin Desmarais, elle n’a jamais suivi une psychothérapie intensive avec une ou un spécialiste de la psychologie ou de psychiatrie. Encore une fois, tant que l’appelante n’a pas exploré toutes les options de traitement raisonnables, il est trop tôt pour dire qu’elle est invalide en raison d’un problème de santé mentale. Je remarque qu’en janvier 2024, l’appelante n’avait jamais accédé aux services de santé mentale qui lui étaient offerts en tant que conjointe de militaire, parce qu’elle craignait que cela puisse nuire au dossier de son époux. Un membre de son équipe de santé familiale a dû l’assurer que tout dossier médical produit par du personnel professionnel de la santé militaire est confidentielNote de bas de page 35.

[46] Il semble que l’appelante et ses prestataires de soins aient récemment redoublé d’efforts pour s’attaquer à ses nombreux problèmes. L’appelante a consulté une psychiatre et un pneumologue, qui ont proposé de nouvelles options. Toutefois, elle ne les a pas encore essayés ou ne leur a donné que peu de temps pour agir. Pour cette raison, j’hésite à conclure que son problème de santé mentale est grave ou prolongé.

L’état de santé de l’appelante, considéré dans son ensemble, ne l’a pas empêchée de travailler dans un contexte réaliste

[47] J’estime que les problèmes de santé physique et mentale de l’appelante, considérés dans leur ensemble, l’ont rendue au moins partiellement capable de travailler. J’en suis encore plus convaincu lorsque j’examine son employabilité globale.

[48] La décision principale sur l’interprétation du terme « grave » est la décision Villani, qui exige que le Tribunal, lorsqu’il évalue l’invalidité, considère une personne qui demande des prestations comme une « personne entière » dans un contexte réalisteNote de bas de page 36 . L’employabilité ne doit pas être évaluée de façon abstraite, mais plutôt en tenant compte de toutes les circonstances. Ces circonstances se divisent en deux catégories :

  • l’état de santé de la personne – il s’agit d’une enquête générale qui exige d’évaluer son état de santé dans son ensembleNote de bas de page 37;
  • les antécédents de la personne – son âge, son niveau de scolarité, ses aptitudes linguistiques, son expérience de travail et son expérience personnelle sont des facteurs pertinents.

[49] Dans la présente affaire, l’appelante affirme être invalide principalement en raison de son anxiété et de sa dépression, de ses douleurs corporelles généralisées et de son incontinence. Cependant, un examen attentif de la preuve médicale disponible m’amène à douter que l’appelante soit complètement incapable d’exercer un emploi convenable. Comme nous l’avons vu, ses problèmes étaient pour la plupart gérables, situationnels ou moins graves que ceux présumés au cours de la période pertinente. Je ne crois pas que leur effet combiné rend l’appelante inapte au travail.

[50] Les antécédents et les caractéristiques personnelles de l’appelante ne constituent pas non plus des obstacles à sa participation continue au marché du travail. L’appelante n’est que dans la trentaine et même si elle manque d’endurance physique et mentale, elle a plusieurs atouts qui l’aideraient dans sa recherche d’emploi. Elle est anglophone de naissance, a fait des études secondaires et a occupé divers emplois pendant plusieurs années, y compris des postes dans des centres d’appels et des entrepôts, qui exigeaient l’utilisation d’un ordinateur.

[51] Dans l’ensemble, je suis convaincu que même avec ses antécédents et ses problèmes de santé, l’appelante est en mesure d’au moins tenter de retourner sur le marché du travail si elle le souhaite. Compte tenu de son âge, de son éducation et de son expérience, elle est bien placée pour occuper un emploi qui pourrait être moins exigeant mentalement et physiquement que ceux qu’elle occupait auparavant.

L’appelante n’a pas essayé un autre emploi

[52] En fin de compte, je n’ai pas été en mesure d’évaluer correctement la gravité de l’invalidité de l’appelante en date du 31 décembre 2023. En effet, elle n’a pas encore fait de démarches sérieuses pour trouver un autre emploi.

[53] Une décision de la Cour d’appel fédérale intitulée Inclima dit que les personnes qui demandent des prestations d’invalidité doivent faire leur possible pour trouver un autre emploi qui soit mieux adapté à leurs déficiences :

En conséquence, [une partie demanderesse] qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer [qu’elle] a de sérieux problèmes de santé, mais où il y a des preuves de capacité de travail, [elle] doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santéNote de bas de page 38.

[54] Ce passage donne à penser que si une personne conserve au moins une certaine capacité de travail, la division générale doit effectuer une analyse pour établir i) si elle a tenté de trouver un autre emploi et ii) dans l’affirmative, si ses déficiences l’ont empêchée d’obtenir et de conserver cet emploi.

[55] De plus, les personnes qui demandent des prestations d’invalidité doivent faire des tentatives significatives pour retourner au travailNote de bas de page 39. Elles ne peuvent pas limiter leur recherche d’emploi au type de travail qu’elles effectuaient avant de devenir invalides. En effet, elles doivent démontrer qu’elles sont régulièrement incapables de détenir toute occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 40. Les personnes qui ne cherchent pas d’autres types d’emploi peuvent ne pas être admissibles aux prestations.

[56] L’appelante a au moins une certaine capacité de travail, ce qui était suffisant pour qu’elle soit obligée de chercher un autre emploi. Toutefois, l’appelante n’a pas démontré que ses problèmes de santé lui ont fait perdre un emploi. Comme nous l’avons vu, l’appelante a quitté une série d’emplois de 2018 à 2021, non pas en raison de déficiences, mais parce qu’il y avait un manque de travail ou parce qu’elle devait déménager dans une nouvelle ville. 

[57] L’appelante a bel et bien tenté de gagner de l’argent en mettant en place un service de garde en milieu familial, mais je me demande pourquoi une personne avec les mêmes problèmes de santé (principalement de l’anxiété et des douleurs corporelles) poursuivrait une telle entreprise. S’occuper de jeunes enfants, même seulement deux ou trois, est difficile physiquement et mentalement. Ils pleurent, ils sont bruyants, ils courent et ils tombent. Parfois, il faut les ramasser. Ils exigent une vigilance et des soins constants. Il y a aussi le stress associé à se constituer une clientèle et la conserver.

[58] À cela s’ajoute le fait que l’appelante a fermé son entreprise, je le répète, non pas en raison de son état de santé, mais parce qu’une personne a retiré son enfant de son service et qu’elle n’a pas été en mesure de faire un remplacement.

[59] Au bout du compte, je n’ai pas pu obtenir une lecture exacte des déficiences de l’appelante parce qu’elle n’a jamais essayé un emploi qui aurait pu être mieux adapté à ses limitations et échoué. Après son départ de X, l’appelante aurait pu chercher un emploi moins stressant et physiquement exigeant que celui qu’elle occupait. Elle ne l’a jamais fait. Pour cette raison, j’estime que l’appelante n’a pas véritablement tenté d’atténuer sa déficience en cherchant un autre emploi.

Conclusion

[60] L’appelante a divers problèmes de santé, mais la preuve disponible donne à penser que ceux-ci ne l’empêchent pas de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. De plus, l’appelante n’a jamais fait de véritable effort pour trouver un emploi qui aurait pu être mieux adapté à ses limitations. Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave en date du 31 décembre 2023.

[61] L’appel est rejeté.

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