Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : SV c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 422

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : S. V.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 27 juillet 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Virginia Saunders
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 1er février 2024
Personne présente à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 16 février 2024
Numéro de dossier : GP-23-1815

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelante, S. V., ne peut pas avoir plus de temps pour demander la révision de la décision concernant sa demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

[3] J’explique dans la présente décision pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[4] L’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada en avril 2018. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande le 10 décembre 2018.

[5] Le 9 mai 2023, l’appelante a demandé au ministre de réviser sa décision. Le ministre a refusé de le faire parce que l’appelante avait présenté sa demande plus de 90 jours après avoir été avisée de la décisionNote de bas de page 1.

[6] L’appelante a fait appel de cette décision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[7] Le présent appel ne vise pas à décider si l’appelante devrait toucher une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Il s’agit de décider si elle a présenté sa demande de révision en retard et, dans l’affirmative, si le ministre aurait dû lui accorder plus de temps pour demander une révision.

Ce que je dois décider

[8] Premièrement, je dois décider si la demande de révision de l’appelante a été présentée en retard.

[9] Si tel est le cas, je dois décider si le ministre a agi de façon judiciaire lorsqu’il a refusé de lui accorder un délai plus long pour qu’elle demande une révision.

[10] Si je décide que le ministre n’a pas agi de façon judiciaire, je dois décider si l’appelante devrait avoir plus de temps pour demander une révision.

Questions que je dois examiner en premier

Je n’ai pas tenu compte des observations tardives du ministre (GD6)

[11] Le Tribunal a fixé la date limite de dépôt au 10 janvier 2024. Les deux parties avaient jusqu’à cette date pour déposer des documents à l’appui de leur position dans le présent appelNote de bas de page 2.

[12] L’appelante a déposé une lettre du médecin deux jours avant la date limiteNote de bas de page 3. Le ministre a déposé un argument en réponse une semaine après la date limiteNote de bas de page 4. Le document du ministre était tardif. J’ai décidé de ne pas en tenir compte.

[13] En vertu de l’article 42 des Règles de procédure du Tribunal de la sécurité sociale (Règles), les éléments de preuve tardifs ne sont pas acceptés automatiquement. Pour décider s’il faut tenir compte d’éléments de preuve en retard, je dois prendre en compte tous les facteurs pertinents. Par exemple, je dois décider si :

  • l’élément de preuve est pertinent
  • l’élément de preuve est nouveau
  • la partie aurait pu déposer l’élément de preuve plus tôt
  • l’acceptation de l’élément de preuve serait injuste pour une partie
  • l’acceptation de l’élément de preuve causerait des retards.

[14] Les Règles ne précisent pas ce qui se passe lorsque, comme dans cette affaire, une partie présente des arguments ou d’autres documents en retard qui ne constituent pas un élément de preuveNote de bas de page 5. Cependant, l’article 8 des Règles me permet de décider de la procédure à suivre pour tout ce qui n’est pas couvert par les Règles. L’article 8 me permet également d’adapter les Règles si cela est dans l’intérêt de la justice.

[15] Il est logique et dans l’intérêt de la justice d’appliquer les mêmes facteurs à tous les types de documents, et pas seulement aux éléments de preuve. J’ai donc tenu compte de ces facteurs pour décider s’il convient d’accepter ou non les observations tardives du ministre (GD6).

[16] Les observations tardives n’auraient pas pu être déposées plus tôt parce qu’elles arrivaient en réponse à un nouveau document. Le fait de l’accepter ne retarderait pas l’appel et ne serait pas injuste pour l’appelante.

[17] Toutefois, j’ai décidé de ne pas tenir compte des observations tardives parce que l’élément de preuve n’était pas nouveau. Il était pertinent, mais seulement parce qu’il portait sur le présent appel. Il n’a pas ajouté de valeur à la position du ministre. Bien qu’il ait porté sur les nouveaux éléments de preuve de l’appelante, il ne faisait que répéter les arguments que le ministre avait déjà avancés au sujet d’autres éléments de preuve. Rien dans les nouveaux éléments de preuve de l’appelante n’exigeait que le ministre réponde. Le ministre ne faisait que renforcer ses arguments précédents.

Motifs de ma décision

[18] La demande de révision de l’appelante était tardive. Le ministre n’a pas agi de manière judiciaire. Cependant, l’appelante ne devrait quand même pas avoir plus de temps pour demander une révision.

La demande de révision de l’appelante était tardive

[19] Si une personne n’est pas d’accord avec la décision du ministre de lui refuser une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, elle peut demander au ministre de réviser sa décision. Elle doit en faire la demande dans les 90 jours après avoir été avisée de la décision. Si la personne attend plus de 90 jours, sa demande est considérée comme étant en retardNote de bas de page 6.

[20] La décision du ministre était datée du 10 décembre 2018Note de bas de page 7. L’appelante ne se souvient pas de quand elle l’a reçue. Toutefois, elle a convenu que cela aurait été vers la fin de 2018 ou au début de 2019, parce que c’est à ce moment que ses paiements au titre du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (Programme) ont commencé. Les paiements ne pouvaient pas commencer avant qu’elle ait été refusée pour des prestations d’invalidité du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 8.

[21] Je conclus que l’appelante était avisée de la décision au 31 janvier 2019. Cela signifie que la ministre devait recevoir sa demande de révision au plus tard le 1er mai 2019.

[22] Le ministre a reçu la demande de révision de l’appelante le 9 mai 2023Note de bas de page 9. La demande avait quatre ans de retard.

Le ministre n’a pas agi de façon judiciaire

[23] Le ministre n’a pas agi de manière judiciaire lorsqu’il a refusé d’accorder plus de temps à l’appelante pour qu’elle demande une révision.

Ce que le ministre doit prendre en compte lorsqu’une demande de révision est tardive

[24] Si une demande de révision est tardive, le ministre peut accorder plus de temps à une personne pour la présenter. Pour ce faire, le ministre doit être convaincu de ce qui suit :

  • il existe une explication raisonnable pour laquelle la demande a été présentée en retard;
  • la personne a manifesté l’intention constante de demander la révisionNote de bas de page 10.

[25] Si la demande de révision est en retard de plus de 365 jours, le ministre doit également être convaincu que :

  • la demande de révision a des chances raisonnables de succès;
  • l’autorisation du délai ne porterait pas préjudice au ministre (désavantage injuste)Note de bas de page 11.

[26] La demande de l’appelante était en retard de plus de 365 jours. Le ministre devait donc être convaincu que les quatre facteurs étaient respectésNote de bas de page 12.

Le ministre doit agir de manière judiciaire lorsqu’il tient compte de ces facteurs

[27] La décision du ministre de donner plus de temps à une personne est discrétionnaire. C’est donc dire que le ministre utilise son propre jugement pour décider s’il doit faire quelque chose. Cependant, le ministre doit agir de façon judiciaire lorsqu’il prend une décisionNote de bas de page 13. Cela signifie que le ministre ne doit prendre aucune des mesures suivantes :

  • agir de mauvaise foi
  • agir dans un but ou pour un motif irrégulier (la mauvaise raison)
  • prendre en compte un facteur non pertinent
  • ignorer un facteur pertinent
  • agir de manière discriminatoire envers l’appelanteNote de bas de page 14.

Le ministre n’a pas agi de façon judiciaire

[28] Le ministre a déclaré que l’appelante ne pouvait expliquer de façon raisonnable pourquoi elle avait présenté sa demande après la fin du délai de 90 jours parce qu’il n’y avait aucune preuve qu’elle était incapable de gérer ses propres affaires ou qu’elle était [traduction] « constamment empêchée » de demander une révisionNote de bas de page 15.

[29] Cependant, tel n’est pas le critère. La loi ne dit pas que la personne doit être incapable de gérer ses propres affaires ou constamment empêchée de le faire. Elle exige seulement qu’elle ait une explication raisonnable du retard. La définition courante de « raisonnable » est quelque chose qui est juste ou acceptableNote de bas de page 16.

[30] Dans sa demande de révision, l’appelante a dit au ministre qu’elle subissait de la contrainte psychologique. Elle a énuméré de nombreux problèmes de santé qui, selon elle, ont causé des troubles cognitifs. Elle a dit qu’elle avait souvent besoin d’aide pour les choses administrativesNote de bas de page 17.

[31] Le ministre n’a pas décidé si ces questions pouvaient influer sur la capacité de l’appelante de demander une révision et si cela était raisonnable. Le critère du ministre était trop strict et n’était pas fondé sur la loi. En appliquant ce critère, le ministre n’a pas tenu compte de facteurs pertinents qu’il aurait dû prendre en compte.

Que se passe-t-il lorsque le ministre n’agit pas de façon judiciaire?

[32] Comme le ministre n’a pas agi de façon judiciaire pour décider si l’appelante a fourni une explication raisonnable, je n’ai pas eu à décider s’il a agi de façon judiciaire en tenant compte des trois autres facteurs. Je dois maintenant décider si l’appelante doit disposer de plus de temps pour demander une révision.

L’appelante ne devrait pas avoir plus de temps pour demander la révision

[33] Lorsque je décide si l’appelante doit avoir plus de temps pour demander une révision, je dois prendre en compte les mêmes facteurs que ceux dont le ministre devait tenir compte. Autrement dit, l’appelante doit démontrer ce qui suit selon la prépondérance des probabilités :

  • elle a une explication raisonnable pour justifier son retard;
  • elle a manifesté (démontré) l’intention constante de demander la révision;
  • sa demande de révision a des chances raisonnables de succès;
  • l’autorisation du délai supplémentaire ne porterait pas préjudice au ministre.

[34] L’appelante doit prouver les quatre éléments. Si elle ne prouve pas l’un d’eux, il importe peu qu’elle prouve ou non les trois autresNote de bas de page 18.

L’appelante n’a pas démontré qu’elle avait une intention constante

[35] L’appelante n’a pas manifesté l’intention constante de demander la révision. Cela signifie que je n’ai pas besoin de tenir compte des trois autres facteurs.

[36] Le ministre a rejeté la demande de prestations d’invalidité de l’appelante en décembre 2018 parce qu’elle recevait un traitement et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que son état s’amélioreNote de bas de page 19. L’appelante m’a dit qu’elle pensait pouvoir demander une révision plus tard si son pronostic se révélait erroné. En novembre 2022, il est devenu évident pour elle et son médecin que son état ne s’améliorerait pas. Elle a communiqué avec Service Canada et a demandé une copie de son dossier d’invaliditéNote de bas de page 20. Elle a demandé une révision en mai 2023.

[37] Il ne s’agit pas d’une intention constante de demander la révision. L’appelante savait vaguement qu’elle pourrait demander une révision si sa situation changeait. Ce n’est pas la même chose qu’une intention de présenter une demande. Plus important encore, elle n’a pas démontré une intention constante de quelque façon que ce soit avant que quatre ans se soient écoulés.

[38] Après décembre 2018, l’appelante a été en contact avec l’aide juridique. Elle avait un chargé de cas du Programme. Elle s’est rendue à Service Canada pour régler d’autres questions. Ses problèmes de santé ne l’empêchaient pas de traiter avec ces organismes. Je conclus que si elle avait eu l’intention de demander une révision, elle en aurait discuté avec au moins l’un d’entre eux, ne serait-ce que pour demander de l’aide relativement à la demande de révision. Cependant, il n’y a aucune preuve qu’elle l’a fait, jusqu’en novembre 2022.

[39] Je conclus qu’en décembre 2018 ou en janvier 2019, l’appelante a pris la décision consciente de ne pas demander de révision. Elle a changé d’avis quatre ans plus tard. Par conséquent, elle n’avait pas d’intention constante.

Conclusion

[40] L’appelante ne peut pas avoir plus de temps pour demander une révision de la décision du 10 décembre 2018 concernant sa pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

[41] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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