Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : CH c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 349

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : C. H.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Érélégna Bernard

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 19 mai 2023
(GP-22-372)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Par écrit
Date de la décision : Le 8 avril 2024
Numéro de dossier : AD-23-817

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Décision

[1] J’accueille le présent appel. L’appelante a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

Aperçu

[2] L’appelante est une ancienne aide‑éducatrice de 56 ans qui a de longs antécédents de dépression et d’anxiété. Elle n’a pas travaillé depuis octobre 2017, à la suite d’une série de crises personnelles et en milieu de travail qui l’a empêchée de composer avec son travail.

[3] L’appelante a demandé des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada en juillet 2020Note de bas de page 1. Elle a affirmé qu’elle ne pouvait plus travailler en raison de divers problèmes de santé, dont la dépression et l’anxiété, des douleurs au cou et au dos et de l’arythmie cardiaque. Le ministre a refusé cette demande après avoir conclu que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2020, la dernière date à laquelle elle a bénéficié d’une protection d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

[4] L’appelante a porté en appel le refus du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Elle a tenu une audience par téléconférence et a rejeté l’appel. Elle a conclu que, même si l’appelante avait certaines limitations physiques et psychologiques, elle avait toujours la capacité d’occuper régulièrement un emploi véritablement rémunérateur pendant sa période de protection. Elle a également conclu que l’appelante n’avait pas suivi le traitement recommandé.

[5] L’appelante a demandé la permission de faire appel devant la division d’appel. En septembre dernier, un de mes collègues de la division d’appel a accordé à l’appelante la permission de faire appel. À la demande de l’appelante, j’ai tranché cette affaire en me fondant sur un examen du dossier oral et écrit existant.

[6] Maintenant que j’ai examiné les observations des deux parties, j’ai conclu que l’appelante a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. La preuve démontre que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave au 31 décembre 2020 et qu’elle en a toujours eu une depuis.

Question en litige

[7] Pour obtenir gain de cause, l’appelante devait prouver que, selon toute vraisemblance, elle était devenue invalide pendant sa période de protection et qu’elle l’est demeurée depuis. Suivant le Régime de pensions du Canada, une invalidité doit être grave et prolongée.

  • Une invalidité n’est grave que si elle rend une personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 2. Une personne n’a pas droit à une pension d’invalidité si elle est régulièrement en mesure d’effectuer un travail qui lui permet de gagner sa vie.
  • Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 3. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche la personne de travailler longtemps.

[8] Les parties ont convenu que la protection d’invalidité du Régime de pensions du Canada de l’appelante a pris fin le 31 décembre 2020Note de bas de page 4. Par conséquent, je devais évaluer l’état de l’appelante à cette date et décider si elle avait des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vie.

Analyse

[9] J’ai appliqué la loi à la preuve disponible et j’ai conclu que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée pendant sa période de protection. Je suis convaincu que l’état physique et psychologique de l’appelante au 31 décembre 2020 ne lui permettait pas d’offrir le genre de rendement régulier exigé dans un milieu de travail commercial.

L’appelante avait une invalidité grave pendant sa période de protection

[10] Au fil des ans, l’appelante a été évaluée et traitée pour une grande variété de problèmes de santé, notamment :

  • Dépression et anxiété
  • Douleurs au cou, au dos et à l’épaule
  • Palpitations cardiaques et douleurs thoraciques
  • Insomnie et fatigue
  • Maux de tête et étourdissements
  • Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité
  • Reflux gastro-œsophagien
  • Infections des sinus
  • Acouphène
  • Taux de cholestérol élevé.

[11] Pour décider si l’appelante est invalide, je dois examiner son état dans son ensembleNote de bas de page 5. Toutefois, il est clair que ses problèmes psychologiques constituaient l’une des principales raisons pour lesquelles elle a quitté son emploi.

[12] L’appelante a des antécédents de dépression et d’anxiété depuis son enfance. Elle a été aide‑éducatrice pendant 28 ans, mais les choses ont commencé à se gâter vers 2015, après le suicide d’un de ses collègues, dont elle était très proche. Quelques mois plus tard, elle a perdu son beau-père, une autre personne importante de son réseau de soutien social. Au même moment, elle a commencé à travailler avec un enfant qui faisait beaucoup de crises de colère. L’appelante estimait qu’elle savait comment s’occuper de cet enfant, mais l’enseignante en classe n’était pas d’accord avec son approche. Elle avait l’appui d’une nouvelle directrice, mais elle se sentait de plus en plus isolée au travail. En situation de stress croissant, elle a commencé à penser au suicide. C’en était trop, et elle a cessé de travailler en octobre 2017.

[13] Dans sa demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, l’appelante a écrit qu’elle a quitté son emploi en raison de son anxiété et de son stress, aggravés par des douleurs au dos et au cou et un problème cardiaque ayant causé sa fatigue et ses étourdissements. Elle a signalé peu de limitations physiques, sauf pour ce qui est de se tenir debout, de s’agenouiller et de soulever des objets. Elle a cependant noté de nombreuses difficultés dans ses comportements mentaux et émotionnels. Elle dit éprouver de la difficulté à se souvenir des choses et à classer les tâches par priorité. Elle a dit qu’elle ne pouvait pas se concentrer, organiser ses activités ou faire face à des situations imprévues.

[14] Je ne peux pas fonder ma décision seulement sur le compte rendu subjectif que fait l’appelante de ses déficiences. Toutefois, il y a assez d’éléments de preuve objectifs au dossier pour me convaincre qu’elle était invalide pendant la période pertinente.

Les médecins de famille de l’appelante ont documenté des problèmes de santé mentale importants

[15] Les personnes qui demandent une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada doivent fournir une preuve médicale de limitations fonctionnelles qui nuisent à leur capacité de travaillerNote de bas de page 6. Il ne suffit pas qu’elles énumèrent simplement les diagnostics. Elles doivent également démontrer que leurs problèmes de santé les empêchent de gagner leur vie.

[16] Dans cette affaire, l’appelante a produit de nombreuses preuves d’un problème de santé mentale important, en commençant par des notes cliniques consignant des visites régulières et fréquentes chez ses médecins de famille. Ce qui suit n’est qu’un exemple :

  • En novembre 2017, la Dre Alexiadis a décrit une [traduction] « visite très difficile » au cours de laquelle l’appelante s’est montrée impolie et larmoyante, exprimant un [traduction] « discours désorganisé ». L’appelante a déclaré qu’elle se sentait isolée, en colère et déprimée en raison de conflits interpersonnels au travail. La Dre Alexiadis a diagnostiqué à l’appelante une dépression, du stress au travail et de l’anxiété, ainsi qu’un possible trouble de la personnalité limiteNote de bas de page 7.
  • En décembre 2017, la Dre Kang a conseillé à l’appelante de prendre des prestations d’invalidité de courte durée pour le moment, car elle était incapable de travailler en raison de la dépression, de l’anxiété et du stress. L’appelante voulait indiquer des douleurs au cou et à l’épaule parmi ses affections invalidantes, mais la Dre Kang le lui a déconseillé, puisqu’il ne s’agissait [traduction] « pas des raisons principales » pour lesquelles elle s’absentait du travailNote de bas de page 8.
  • En septembre 2018, la Dre Broaders a vu l’appelante pour des douleurs de longue date au bras gauche et à l’épaule qui s’étaient aggravées au cours des six mois précédents. La Dre Broaders a fait remarquer que l’appelante était une [traduction] « narratrice très vague et désorganisée, passant d’un sujet à l’autre ». Ce qui devait être une séance de 15 minutes a plutôt duré 40 minutes et l’appelante est partie en larmesNote de bas de page 9.
  • En janvier 2019, la Dre Wentzel a noté que l’appelante n’avait pas dormi depuis deux semaines et qu’elle se sentait hyperactive, désorganisée et distraite. Elle pensait avoir oublié quelques doses de Wellbutrin. Elle n’avait pas pris ses médicaments contre le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité depuis un certain temps parce qu’elle n’en avait pas les moyensNote de bas de page 10.
  • En mars 2019, la Dre Wentzel a noté la préoccupation de l’appelante selon laquelle son cœur [traduction] « faisait des siennes ». Elle avait un trou dans sa jambe de pantalon. Elle bougeait fréquemment les mains en parlant, écrivait dans un carnet de notes pour tenter de s’organiserNote de bas de page 11.
  • En octobre 2019, l’appelante a consulté pour examiner les recommandations de son assureur en invalidité de longue durée. La Dre Wentzel a observé qu’elle était très désorganisée et qu’il était [traduction] « difficile d’avoir une conversation avec elle; elle passait du coq à l’âne, était distraite, ne cessait de bouger, de toucher des documents sur le bureau, de bouger dans sa chaise ». La Dre Wentzel a également noté que l’appelante avait [traduction] « une compréhension limitée de sa santé mentale », en se concentrant plutôt sur son cœurNote de bas de page 12.
  • En novembre 2019, la Dre Wentzel a signalé les plaintes de l’appelante concernant des vertiges constants, des maux de tête, des nausées et des bourdonnements dans la tête. Son cou et ses épaules lui faisaient mal, son esprit s’embrouillait; elle se perdait en voiture. Elle semblait très désorganisée — « sa base de référenceNote de bas de page 13 ».
  • En décembre 2019, la Dre Wentzel a écrit que même si le vertige de l’appelante s’était résorbé, son acouphène était actif, ce qui provoquait un bourdonnement constant dans ses oreilles. Elle s’est également plainte d’un brouillard cérébral, de douleurs au cou, à l’épaule et à la mâchoire, ainsi que de symptômes liés au reflux gastro-œsophagienNote de bas de page 14.
  • En janvier 2021, la Dre Wentzel a souligné que l’appelante était une [traduction] « narratrice très difficile à suivre »; elle a ajouté qu’elle avait besoin d’être réorientée et recentrée de façon importante. L’appelante a déclaré qu’elle se sentait [traduction] « bizarre » dans sa tête et qu’elle avait des nausées tous les joursNote de bas de page 15.

Les évaluations médicales confirment une dépression et une anxiété importantes

[17] L’appelante a également été évaluée en fonction de sa demande de prestations par l’assureur pour invalidité de longue durée de son employeur. Ses fournisseurs de traitement et ses médecins examinateurs indépendants ont conclu que l’appelante éprouvait des problèmes importants de santé mentale :

  • En avril 2018, la Dre Alexiadis a rempli un formulaire de demande d’invalidité de longue durée dans lequel elle déclare que l’appelante était incapable de travailler en raison de la dépression, de l’anxiété et du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité. Ces symptômes comprennent la fatigue, la désorganisation et une mauvaise concentration. La Dre Alexiadis n’a pas complètement exclu un retour au travail, mais elle a prévenu que les facteurs de stress liés au travail pourraient nuire au rétablissementNote de bas de page 16.
  • En septembre 2018, puis en mars 2019, un psychiatre a examiné le dossier médical de l’appelante au nom de l’assureur privé de celle‑ci. Le Dr Luczak a convenu que les symptômes de l’appelante concordaient avec ses diagnostics antérieurs de dépression majeure, de trouble d’anxiété généralisée et de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité. Il a conclu que, puisqu’une « détresse insupportable » dans ses rapports avec ses collègues a précipité son départ du travail, son état psychologique actuel était propre à sa situation de travail actuelle et non à l’emploi comme tel. Le Dr Luczak soupçonnait que l’appelante avait décompensé (elle n’avait plus son équilibre antérieur) et évaluait son état comme modéréNote de bas de page 17.
  • En juillet 2019, une évaluation psychiatrique indépendante a conclu que l’appelante satisfaisait aux critères diagnostiques du trouble dépressif majeur et du trouble d’anxiété sociale. Le Dr Rasic a noté que l’appelante avait aussi déjà reçu un diagnostic de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité. Cependant, il n’a trouvé aucune preuve claire de symptômes de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité dans son enfance. Néanmoins, il a conclu que ses symptômes psychologiques se situaient dans la fourchette grave menant à une déficience fonctionnelle importante. Il était peu probable qu’elle soit en mesure d’accomplir des tâches et il a indiqué que le stress en milieu de travail l’exposerait à un risque de détérioration supplémentaire. Il souligne toutefois qu’elle n’a pas encore reçu de traitement intensif pour ses symptômes, dont certains durent depuis longtemps. Il a souligné qu’elle s’était rétablie d’autres périodes de dépression. Il a donc conclu que son pronostic d’amélioration symptomatique et fonctionnelle était justeNote de bas de page 18.

D’autres problèmes de santé ont contribué à l’invalidité

[18] La santé mentale de l’appelante en soi l’aurait rendue admissible à la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Toutefois, deux déficiences physiques pour lesquelles il existe au moins une preuve médicale objective diminuent encore davantage sa fonctionnalité :

  • L’appelante insiste pour dire qu’elle est atteinte de douleurs au cou et à l’épaule. Une radiographie de sa colonne cervicale, qui révèle de l’arthrose et une légère discopathie dégénérative, indique au moins une certaine base biologique de la douleur, même si elle ne tient pas compte de son intensitéNote de bas de page 19.
  • L’appelante s’est longtemps plainte de problèmes cardiaques, y compris de douleurs thoraciques, d’essoufflement et d’arythmie. Il semble y avoir un fondement organique à ces plaintes. Les rapports de spécialistes confirment que l’appelante a subi de l’insuffisance cardiaque en 2011 et que, bien que la crise se soit résorbée, elle s’est retrouvée avec certaines anomalies dans son fonctionnement cardiaque, y compris une réduction légère à modérée de sa fraction d’éjection ventriculaire gaucheNote de bas de page 20.

La capacité de l’appelante était insuffisante lorsqu’elle était considérée comme une personne entière

[19] La décision Villani est la décision principale sur l’interprétation du mot « grave », qui exige que le Tribunal, lorsqu’il évalue l’invalidité, considère une partie appelante invalide comme une « personne entière » dans un contexte réelNote de bas de page 21. L’employabilité ne doit pas être évaluée dans le résumé, mais plutôt à la lumière de « toutes les circonstances ». Ces circonstances se divisent en deux catégories :

  • Les antécédents d’une personne : l’âge, le niveau de scolarité, les compétences linguistiques et l’expérience de travail et de vie antérieure sont pertinents.
  • L’état de santé d’une personne : il s’agit d’une étude exhaustive qui exige que l’état de santé soit évalué dans son ensemble.

[20] Dans cette affaire, je ne crois pas que l’appelante avait quoi que ce soit à offrir à un employeur réel à la fin de 2020. À ce moment-là, elle avait 52 ans. Elle était à plus d’une décennie de l’âge typique de la retraite, mais elle n’était pas jeune non plus. À ce stade de la vie, les gens qui cherchent un emploi sont souvent handicapés par une perception, juste ou non, qu’ils sont trop âgés pour se recycler.

[21] L’appelante a certains avantages à offrir. L’anglais est sa langue maternelle. Elle a un diplôme universitaire en psychologie et en études de l’enfant. Elle possède des années d’expérience de travail. Malgré tout, son domaine est relativement restreint et il n’y a que peu d’emplois pour lesquels elle est qualifiée. Même si l’appelante avait été en mesure de surmonter les préjugés liés à l’âge et d’obtenir un autre emploi, je doute qu’elle ait réussi. Compte tenu de ses antécédents d’anxiété et de dépression, je ne suis pas convaincu que l’appelante aurait été en mesure d’offrir le genre de rendement constant et fiable que les employeurs exigent.

L’appelante a pris des mesures raisonnables pour aller mieux

[22] L’appelante est atteinte, à divers degrés, d’une foule de problèmes de santé. Elle a le mérite d’avoir exploré de nombreuses options de traitement :

  • Pour la dépression et l’anxiété, elle a reçu du counseling (dans le cadre du programme d’aide aux employés offert par l’employeur)Note de bas de page 22 et a essayé un certain nombre de médicaments psychotropes, dont le Wellbutrin, l’Ativan et le Trazodone.
  • Pour le reflux gastro-œsophagien, elle a pris plusieurs médicaments, dont le pantoprazole, l’oméprazole et le zantac.
  • En ce qui concerne les douleurs au cou et au dos, elle a reçu des traitements de physiothérapie, de chiropratique, de massage et de neurostimulation transcutanée, et a pris des analgésiques sur ordonnance comme le Celebrex.
  • Pour son problème cardiaque, elle a pris du Coversyl, du Pravastatin et du Metoprolol.

[23] De plus, l’appelante a régulièrement consulté ses médecins de famille et des spécialistes, dont un cardiologue et un oto-rhino-laryngologiste.

[24] Toutefois, le ministre affirme que l’appelante n’en a pas fait assez pour remédier à ses déficiences. Il allègue notamment que l’appelante a refusé de façon répétée et déraisonnable de se conformer aux recommandations de traitement de ses médecins. Plus particulièrement :

  • Elle a refusé d’essayer la sertraline ou la prégabaline pour son anxiété et sa dépression.
  • Elle a cessé de prendre Adderall pour son trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité.
  • Elle a refusé de recommencer à prendre le Trazodone en raison de son insomnie.
  • Elle n’a pas suivi de thérapie cognitivo‑comportementale.

[25] J’ai examiné les circonstances entourant ces prétendus manquements. J’ai conclu que, dans chaque cas, l’appelante avait une explication raisonnable pour ne pas s’être conformée aux conseils médicaux. De plus, je n’ai rien vu qui indique que la conformité aurait amélioré de beaucoup sa fonctionnalité.

La loi exige que les personnes qui demandent une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada suivent les conseils médicaux

[26] Le Régime de pensions du Canada ne dit rien au sujet du traitement. Toutefois, dans l’affaire Lalonde, il est mentionnéque les personnes qui demandent une pension d’invalidité doivent atténuer (faire ce qu’ils peuvent pour atténuer) leurs déficiences en suivant les recommandations de traitement de leur médecinNote de bas de page 23. La décision Lalonde exige également que les décideurs établissent s’il est déraisonnable de refuser le traitement recommandé et, le cas échéant, quelle incidence ce refus est susceptible d’avoir sur l’invalidité d’une personneNote de bas de page 24.

Les personnes qui demandent une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada ne seront pas pénalisées pour avoir refusé de recevoir des conseils médicaux, pourvu qu’elles aient objectivement de bonnes raisons de le faire

[27] Une longue série de cas a reconnu que les personnes qui demandent une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada peuvent avoir de bonnes raisons de refuser un traitement. Chaque cas est fonction de ses propres faits.

[28] Dès 2000, la Commission d’appel des pensions a conclu que le refus de certains traitements n’était pas toujours déraisonnable compte tenu de l’invaliditéNote de bas de page 25. Dans une affaire appelée Bulger, la requérante était atteinte de fibromyalgie. La Commission d’appel des pensions a estimé qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle participe aux traitements avec le même enthousiasme, la même régularité et la même attitude positive que les personnes qui se remettaient simplement d’une fracture, par exemple.

[29] Dans certains cas, la division générale a suivi la décision Bulger et a conclu que le refus de suivre des recommandations de traitement pouvait être raisonnable, selon la situation particulière d’une personne. Dans une affaire appelée JN, la division générale a conclu qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’un requérant obtienne un traitement pour l’alcoolisme, une maladie qu’il ne pouvait pas admettreNote de bas de page 26. 

[30] Dans une autre décision, la décision JR, la division générale a expressément déclaré que le refus du requérant de se conformer aux recommandations de traitement était « étroitement lié à ses troubles psychologiquesNote de bas de page 27 ». Le requérant a déclaré qu’il manquait d’énergie en raison de sa dépression et son médecin a déclaré qu’il manquait de motivation. La division générale a conclu que son refus de suivre les recommandations de traitement n’était pas déraisonnable, qu’il s’agissait d’un symptôme de sa maladie.

[31] En appel, la division d’appel a infirmé la décision de la division généraleNote de bas de page 28. Toutefois, ce faisant, elle n’a pas nié que le défaut d’un requérant de prendre des médicaments prescrits pouvait constituer le symptôme de sa maladie psychologique. Elle a plutôt conclu que la division générale n’avait pas tenu compte de la preuve selon laquelle la non-conformité du requérant était fondée, non pas sur un manque d’énergie ou de motivation, mais plutôt sur une opposition philosophique aux médicaments d’ordonnance.

[32] À d’autres occasions, la division d’appel a reconnu que les mêmes problèmes de santé qui rendent une personne invalide peuvent également la rendre incapable de chercher ou d’accepter un traitement approprié. Par exemple :

  • Un requérant qui avait reçu un diagnostic de psychose a été dispensé de prendre des médicaments parce qu’il croyait que ses médecins prenaient part à un complot pour le maintenir droguéNote de bas de page 29.
  • Un requérant a été dispensé de s’absenter de la thérapie cognitivo-comportementale parce que son psychiatre avait déjà noté qu’il ne comprenait pas son état de santé mentaleNote de bas de page 30.
  • Le refus d’une requérante de prendre des médicaments contre l’anxiété n’a pas été retenu contre elle parce qu’elle présentait des traits de trouble de la personnalité dits de « groupe B », comme de l’impulsivité, une faible intelligence et, encore une fois, un manque de compréhension de son étatNote de bas de page 31.

[33] Ces décisions montrent que la question de savoir si le refus d’un traitement est déraisonnable est en partie subjective : la situation personnelle est importante, surtout lorsqu’il existe des preuves établissant un lien entre l’état de santé et les symptômes liés au refus de suivre des recommandations de traitement. La question ne consiste pas seulement à savoir si les recommandations de traitement elles-mêmes étaient objectivement raisonnables. Il s’agit aussi d’établir si les décisions ou les comportements de la personne qui a refusé le traitement étaient raisonnables, compte tenu de sa situation.

L’appelante avait des explications raisonnables pour ne pas avoir suivi les recommandations de traitement 

[34] Dans cette affaire, le ministre soutient que l’appelante n’a pas déployé assez d’efforts pour aller mieux. Il souligne des cas précis dans lesquels l’appelante n’a pas suivi les conseils médicaux. Il affirme que ses explications à cet égard ne sont ni convaincantes ni raisonnables. 

[35] Je ne suis pas d’accord, surtout sur ce dernier point. Compte tenu de la situation de l’appelante, je conclus qu’elle avait de bonnes raisons de ne pas suivre les conseils médicaux.

L’appelante ne pouvait pas se permettre certaines thérapies et certains médicaments

[36] Le dossier comporte de nombreuses indications selon lesquelles le coût des traitements recommandés a dissuadé l’appelante de les suivreNote de bas de page 32. 

[37] Dans son examen des dossiers de mars 2019, le Dr Luczak s’attendait à une amélioration une fois que l’appelante aurait recommencé à prendre ses médicaments. Cependant, il a prévenu que le rétablissement dépendrait de sa capacité de payer systématiquement ces médicaments à l’avenir. Il a souligné que son incapacité à payer des médicaments [traduction] « révélait » probablement ses symptômes sous-jacents du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivitéNote de bas de page 33.

[38] En novembre 2020, la médecin de famille de l’appelante a noté qu’il était [traduction] « financièrement inaccessible » pour l’appelante d’être suivie par un audiologiste ou un centre de traitement de l’équilibre et des étourdissementsNote de bas de page 34.

La santé mentale de l’appelante a nui à sa capacité de se conformer aux recommandations de traitement 

[39] Un autre facteur plus important a nui à la capacité de l’appelante de suivre les conseils médicaux : son état psychiatrique. Les dossiers médicaux de l’appelante consignent les nombreuses plaintes de l’appelante au sujet du [traduction] « brouillard cérébral » qui a nui à sa capacité de réfléchir et de se souvenir. Les notes de la Dre Wentzel corroborent ces plaintes et décrivent l’appelante à plusieurs reprises comme une [traduction] « narratrice très difficile à suivre »; qui « avait besoin d’être réorientée et recentrée de façon importanteNote de bas de page 35 ». Selon mon expérience, les médecins réservent un tel vocabulaire aux patientes et aux patients dont les processus cognitifs sont nettement perturbés.

[40] À la suite de son examen médical indépendant de juillet 2019, le Dr Rasic a suggéré à l’appelante d’essayer la sertraline ou la prégabaline, une catégorie d’antidépresseurs appelés inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine. Il a également recommandé six semaines de psychothérapie ainsi que jusqu’à 20 séances de thérapie cognitivo-comportementale.

[41] Il n’est pas clair si l’appelante pouvait s’offrir de tels traitements. Mais même si le coût ne constituait pas un problème, la preuve disponible laisse croire que le jugement de l’appelante était assombri par l’état psychiatrique même pour lequel elle avait besoin d’un traitement.

[42] Lorsque la Dre Wentzel a rencontré l’appelante pour discuter des recommandations du Dr Rasic, elle a constaté que l’appelante semblait distraite et dépassée. Elle a également observé que l’appelante était très désorganisée et qu’il était [traduction] « difficile d’avoir une conversation avec elle; elle passait du coq à l’âne, était distraite, ne cessait de bouger, de toucher des documents sur le bureau, de bouger dans sa chaise ». La Dre Wentzel s’est fait un devoir de souligner que l’appelante avait [traduction] « une compréhension limitée de sa santé mentale [je souligne]Note de bas de page 36 ».

[43] L’appelante a dit à sa médecin de famille qu’elle ne croyait pas pouvoir assister à des séances de counseling psychologique pendant qu’elle suivait également des séances de physiothérapie. Elle voulait également reporter le début de la prise de tout nouveau médicament jusqu’à ce qu’elle ait terminé les analyses sanguines en laboratoire. Plus tard, l’appelante a refusé d’essayer un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine, comme il a déjà été mentionné, parce qu’elle s’inquiétait des effets secondaires éventuelsNote de bas de page 37. Elle a également renoncé à prendre des médicaments pour le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité parce qu’elle craignait les effets sur son cœurNote de bas de page 38.

[44] La Dre Wentzel a tenté d’assurer à l’appelante que ses préoccupations n’étaient pas fondées. Il semble que sa tentative n’ait pas porté fruit. Malgré tout, même si le défaut de l’appelante de poursuivre un traitement n’était peut-être pas raisonnable, elle a agi ainsi pour une raison. La preuve suggère fortement que l’état psychiatrique lui-même de l’appelante l’empêchait de se conformer pleinement aux recommandations médicales. La dépression et l’anxiété, qui ont affligé l’appelante sans qu’elle en soit responsable, l’ont empêchée de prendre conscience de ce dont elle avait besoin pour traiter efficacement ces affections.

On ne peut dire avec certitude que la conformité aurait fait une différence

[45] La loi exige que les personnes qui demandent une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada déploient des efforts raisonnables pour prendre du mieux. Toutefois, rien dans la loi n’exige qu’un requérant donne suite à chaque recommandation de traitement. Dans cette affaire, rien ne laisse croire que l’appelante s’oppose intrinsèquement au traitement médical. Elle a essayé nombre de médicaments et de thérapies et en a refusé seulement quelques-uns. Dans certains cas, elle croyait que les médicaments prescrits causaient des effets secondaires indésirables. Dans d’autres, elle plaide qu’elle ne pouvait pas se permettre des traitements ni les intégrer à son horaire.

[46] Que ces objections soient fondées ou non sur une réalité objective, elles ont presque certainement été influencées, voire motivées, par la maladie psychiatrique de l’appelante, qui a nui à sa capacité de soupeser les risques et les avantages associés à un traitement particulier. Quoi qu’il en soit, il n’est pas évident que l’un ou l’autre des traitements refusés aurait amélioré de beaucoup l’état de l’appelante. Rien ne garantit qu’un traitement particulier, même s’il est recommandé par un médecin, fera une différence appréciable pour soigner une maladie psychiatrique. C’est d’autant plus le cas lorsque la maladie, comme dans le cas présent, a déjà été traitée avec d’autres thérapies, et que le traitement a connu peu de succès.

L’appelante n’avait pas la capacité suffisante pour occuper un autre emploi

[47] Dans une affaire intitulée Inclima, l’on exige que les demandeurs de pension d’invalidité ayant une capacité résiduelle démontrent qu’ils ont déployé des efforts raisonnables pour obtenir et conserver un emploi et que ces efforts se sont révélés infructueux en raison de leur état de santé. Dans cette affaire, l’appelante n’avait pas la capacité résiduelle de déployer de tels efforts. Pour cette raison, je ne tirerai pas de conclusion défavorable de l’absence d’éléments de preuve selon lesquels elle a lancé une recherche d’emploi ou a pris des renseignements au sujet des programmes de recyclage. L’appelante croyait sincèrement qu’elle ne pouvait plus travailler, et la preuve médicale le confirme.

L’appelante a une invalidité prolongée

[48] Les rapports médicaux de l’appelante indiquent qu’elle est atteinte d’une invalidité grave — causée par l’anxiété et la dépression — depuis la fin de sa période de protection en 2020. La preuve médicale, depuis, indique que son état ne s’est pas amélioré et je ne vois aucune chance qu’il s’améliorera, même avec d’autres traitements ou médicaments. Elle est effectivement inemployable depuis sa période de référence, et je ne vois pas de changement dans un avenir prévisible.

Conclusion

[49] Je conclus que l’appelante est invalide depuis octobre 2017, lorsqu’elle a quitté définitivement son emploi d’aide-enseignante. Comme le ministre a reçu sa demande de prestations en juillet 2020, l’appelante est réputée invalide depuis avril 2019Note de bas de page 39. Cela signifie que la date de début de la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada de l’appelante est août 2019Note de bas de page 40.

[50] L’appel est accueilli.

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