Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : GH c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 932

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : G. H.
Représentant : Paul Sacco
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision datée du 6 octobre 2023 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Virginia Saunders
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 18 juillet 2024
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Date de la décision : Le 2 août 2024
Numéro de dossier : GP-24-58

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante, G. H., est admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). Les versements commencent en janvier 2022. J’explique dans la présente décision pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante a travaillé à la facturation dans une bibliothèque universitaire pendant plus de 40 ans. En raison de la pandémie, elle a commencé à faire ce travail de la maison en 2020. Au fil du temps, les exigences du poste et le travail seul sont devenus plus difficiles. Elle a des défis dans sa vie familiale. Elle est devenue stressée et anxieuse. Elle n’avait ni énergie ni motivation. Elle est allée voir son médecin de famille, qui lui a dit d’arrêter de travailler.

[4] L’appelante a pris un congé de maladie en septembre 2021. Elle n’a pas repris son ancien emploi et n’a cherché aucun autre type de travail. Elle a reçu des prestations d’invalidité de longue durée de son assurance au travail jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de 65 ans en janvier 2024. À ce moment-là, elle a été déclarée à la retraite et ses prestations d’invalidité de longue durée ont cessé.

[5] L’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC en octobre 2022. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. L’appelante a porté en appel la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[6] L’appelante affirme qu’elle n’a pas été en mesure de travailler depuis septembre 2021 en raison de limitations causées par le stress, l’anxiété et la dépression.

[7] Le ministre affirme que la preuve médicale ne démontre pas que l’appelante a une invalidité grave.

Ce que l’appelant doit prouver

[8] Pour obtenir gain de cause, l’appelante doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée en janvier 2024, soit le mois où elle a atteint l’âge de 65 ans.

[9] Service Canada se fonde sur les années de cotisations au RPC de la partie appelante pour calculer sa période de protection ou « période minimale d’admissibilité » (PMA). La fin de la période de protection est la date marquant la fin de la PMA. L’appelante a suffisamment de cotisations pour que sa période de couverture se termine après janvier 2024Note de bas page 1.

[10] Toutefois, une pension d’invalidité du RPC ne peut être versée après le mois au cours duquel une personne atteint l’âge de 65 ansNote de bas page 2. De plus, le paiement de la pension d’invalidité commence quatre mois après qu’une personne est devenue invalideNote de bas page 3. Cela signifie que, pour effectivement recevoir quoi que ce soit, l’appelante doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée en septembre 2023 et qu’elle a continué d’être invalide jusqu’en janvier 2024 inclusivement.

[11] Le RPC définit les termes « grave » et « prolongée ».

[12] Une invalidité est grave si elle rend la partie appelante régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas page 4.

[13] Je dois donc examiner l’ensemble des problèmes de santé de l’appelante pour voir quel effet ils ont sur sa capacité de travailler. Je dois également tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité et son expérience professionnelle et personnelle. Ainsi, je pourrai obtenir un portrait réaliste de la gravité de son invalidité. Si l’appelante est régulièrement capable d’effectuer un travail qui lui permettrait de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[14] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas page 5.

[15] Cela signifie que l’invalidité de l’appelante ne peut être assortie d’une date de rétablissement prévue. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche l’appelante de travailler pendant une longue période.

[16] L’appelante doit prouver qu’elle a une invalidité grave et prolongée. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est invalide.

Motifs de ma décision

[17] Je conclus que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au mois de septembre 2021. Elle était toujours invalide lorsqu’elle a atteint l’âge de 65 ans en janvier 2024.

L’invalidité de l’appelante était grave

[18] L’invalidité de l’appelante était grave. J’en suis arrivée à cette conclusion en tenant compte de plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci‑après.

Les limitations fonctionnelles de l’appelante ont nui à sa capacité de travailler

[19] L’appelante a reçu un diagnostic d’anxiété et de dépressionNote de bas page 6. Toutefois, je ne peux pas me concentrer sur ses diagnosticsNote de bas page 7. Je dois plutôt me demander si elle avait des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vieNote de bas page 8. Dans le cadre de cette démarche, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelante (pas seulement le problème principal) et réfléchir à leur incidence sur sa capacité de travailler jusqu’en janvier 2024 inclusivementNote de bas page 9.

[20] Je suis d’avis que l’appelante avait des limitations fonctionnelles qui ont nui à sa capacité de travailler.

Ce que l’appelante dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[21] L’appelante a semblé honnête et directe lorsqu’elle a témoigné à l’audience. Son témoignage correspondait à ce qu’elle a écrit dans sa demande de prestations d’invalidité. Je crois ce qu’elle m’a dit.

[22] L’appelante affirme que sa dépression et son anxiété lui causent les limitations suivantes :

  • elle s’inquiète de tout et ne peut pas se concentrer sur des tâches comme le paiement des factures, la planification de son horaire ou des repas;
  • elle a peur de mal faire les choses, et donc elle repousse l’exécution des tâches et va plutôt s’étendre sur le canapé;
  • elle a une mauvaise mémoire et est facilement distraite;
  • elle ne peut pas dormir la nuit, et donc elle est épuisée et ne peut pas se concentrer le lendemain;
  • elle n’a ni l’énergie ni la motivation pour s’occuper d’elle-même, s’habiller ou accomplir de simples tâches ménagèresNote de bas page 10.

[23] L’appelante m’a dit qu’elle ne s’était pas améliorée du tout depuis qu’elle a cessé de travailler. Elle a de bonnes et de mauvaises journées, mais elle ne peut pas être productive de façon régulière. Elle habite une petite ferme laitière avec son mari, son fils et sa fille adultes et ses parents âgés. Elle ne travaille pas de façon régulière à la ferme. Elle ouvre le courrier et laisse les autres s’en occuper. Elle balaie la grange à l’occasion parce que cette tâche l’aide à se calmer, mais aucune tâche ne lui est attribuée et personne ne compte sur son aide. Elle ne fournit aucun soin personnel à ses parents. Elle s’est occupée de certains de leurs documents, mais a cessé de le faire après avoir commis des erreurs qui leur ont fait perdre leur pension à l’étranger. Elle a renoncé à ses passe-temps, à l’exception d’un projet de crochet qui l’aide à se calmer.

Ce que la preuve médicale révèle au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelante

[24] L’appelante doit fournir une preuve médicale démontrant que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travailler au plus tard en janvier 2024Note de bas page 11.

[25] Le ministre soutient que la preuve médicale n’appuie pas ce que dit l’appelante. Selon le ministre, il n’y a pas de résultats d’examens cliniques, de diagnostics, d’enquêtes, de traitements, de médicaments prescrits ou d’aiguillages vers des spécialistes. Si les symptômes de l’appelante avaient été graves au point où elle ne pouvait pas travailler, il y aurait eu une intervention plus agressive ou une prise en charge régulière par un spécialiste de la santé mentaleNote de bas page 12.

[26] Le ministre a noté que l’appelante a consulté un psychiatre, le Dr Basker, pour une seule consultation en août 2022. Le Dr Basker a remarqué que l’appelante avait un bon contact visuel, un rapport raisonnable, une élocution normale, aucune idée délirante ni preuve de trouble de la pensée. Il a suggéré à l’appelante d’assister à des séances de counseling de groupe pendant qu’elle attendait des séances individuelles et d’adopter une routine structurée pendant la journée, comprenant une activité physique régulière.

[27] Le ministre a fait remarquer que l’appelante trouvait que les séances de psychothérapie étaient utiles, mais qu’elle ne consultait un thérapeute à l’hôpital de sa région que de façon intermittente. Elle n’a eu aucun autre suivi en psychiatrie, en psychologie ou en psychothérapieNote de bas page 13.

[28] Enfin, le ministre a souligné que le Dr Basker a recommandé l’essai de médicaments, mais que l’appelante avait cessé de prendre tous les antidépresseurs en avril 2023.

[29] Je ne partage pas l’opinion du ministre.

[30] Premièrement, il n’y a pas absence de résultats d’examens cliniques ou de diagnostics. En janvier 2023, le médecin de famille de l’appelante, le Dr Kluz, a dit qu’il traitait l’appelante pour de l’anxiété et de la dépression depuis mars 2020. Il lui a recommandé de cesser de travailler en septembre 2021Note de bas page 14. Les notes du Dr Kluz d’octobre 2021 à juin 2022 montrent que l’appelante l’a consulté régulièrement et qu’elle était stressée, anxieuse et dépriméeNote de bas page 15.

[31] Un spécialiste, le Dr Basker, doit avoir accepté les conclusions du Dr Kluz, parce qu’il a recommandé un traitement en fonction de celles-ci, et qu’il n’a pas ordonné d’autres examens, sauf des analyses sanguinesNote de bas page 16.

[32] Deuxièmement, le Dr Basker et le Dr Kluz ont recommandé des traitements qui selon eux convenaient à la situation de l’appelante. Le ministre a soutenu qu’un traitement et des aiguillages différents et plus agressifs auraient été recommandés si l’état de l’appelante avait été suffisamment grave pour qu’elle ne puisse pas travailler. Mais le ministre n’a fourni aucune preuve à l’appui de cet argument.

[33] Je reviendrai plus tard sur la consommation de médicaments de l’appelante.

[34] Troisièmement, bien que le Dr Basker ait fait des observations positives au sujet de l’appelante, il a aussi remarqué ce qui suit :

  • elle était facilement distraite, mais pouvait être redirigée;
  • elle était « assez anxieuse » tout au long de l’entrevue;
  • elle était d’humeur dépressive de façon subjective et objective;
  • son affect était réactif et anxieux;
  • son processus de réflexion était négatif et axé sur la rumination;
  • son processus de réflexion était souvent circonstanciel (c’est-à-dire qu’elle s’éloignait du sujetNote de bas page 17).

[35] La partie appelante n’a pas besoin de montrer tous les signes ou symptômes possibles d’un problème de santé. Ce qui est important, c’est de savoir si ses limitations sont suffisantes pour l’empêcher de travailler suffisamment pour gagner sa vie.

[36] En janvier 2023, le Dr Kluz a affirmé que la concentration de l’appelante, sa mémoire et sa capacité de faire face aux événements stressants de la vie avaient diminué. Elle avait de l’insomnie, des problèmes de motivation et des problèmes avec les directives comportant plusieurs étapesNote de bas page 18.

[37] Les observations du Dr Kluz et du Dr Basker concordent avec le témoignage de l’appelante au sujet de ses limitations. Ils soutiennent qu’elle aurait de la difficulté à accomplir n’importe quel type de travail régulier parce qu’elle n’est pas en mesure de se concentrer, d’accomplir des tâches ou de se motiver. Bien que le Dr Basker ait dit qu’elle pouvait être redirigée lorsqu’elle était distraite, ce genre d’aide ne serait pas disponible dans un lieu de travail.

[38] J’examinerai maintenant la question de savoir si l’appelante a suivi les conseils des médecins.

L’appelante a suivi les conseils des médecins

[39] Pour recevoir une pension d’invalidité, la partie appelante doit suivre les conseils des médecinsNote de bas page 19. Si elle ne le fait pas, elle doit avoir une explication raisonnableNote de bas page 20.

[40] L’appelante a suivi en grande partie les conseils des médecins. Lorsqu’elle ne l’a pas fait, elle avait une explication raisonnable.

[41] L’appelante a essayé de nombreux médicaments différents, mais a dû les arrêter en raison de leurs effets secondairesNote de bas page 21. Elle a notamment pris du Zoloft, que le Dr Basker avait recommandé. Elle m’a dit qu’elle [traduction] « l’a bien essayé », mais qu’elle a dû arrêter parce qu’il lui donnait des nausées et empirait son humeur.

[42] Rien ne prouve que le Dr Kluz ou le Dr Basker croyait que l’appelante était déraisonnable lorsqu’elle a cessé de prendre les médicaments. Quand elle a dit à l’évaluateur médical du ministre qu’elle avait cessé de prendre ses antidépresseurs, ce n’est pas parce qu’elle les avait refusés. Elle était simplement entre deux ordonnances. Elle m’a dit qu’elle essaie maintenant un autre médicament que le Dr Klux lui a prescrit avec réticence. Elle ne se souvenait pas du nom. Elle ne peut le prendre que lorsqu’elle est vraiment stressée. Quand elle le prend, elle dort longtemps le lendemain. Cela n’aide pas son humeur en général.

[43] L’appelante a suivi une thérapie dans la mesure du possible. Elle a dû cesser la psychothérapie individuelle en mai 2022 parce qu’elle a déménagé dans une nouvelle région. Elle tente tout de même d’aller en thérapie de groupe à l’hôpital local, tout comme le Dr Basker l’a recommandé, ce qu’elle trouve difficile parce qu’elle se sent moins bien après avoir écouté les autres participants. Elle ne peut pas se motiver à y aller. Elle n’a toujours pas été en mesure d’obtenir des séances de counseling individuelles. Elle n’a pas pu essayer les ressources en ligne parce qu’elle ne peut pas se concentrer suffisamment pour utiliser un ordinateur.

[44] Ce sont des explications raisonnables. Les listes d’attente empêchent l’appelante d’obtenir des soins individuels. Son état de santé mentale l’empêche d’avoir recours à l’aide qui est offerte. Ce n’est pas de sa faute.

[45] Je dois maintenant décider si l’appelante pouvait occuper sur une base régulière d’autres types d’emploi. Pour être qualifiées de graves, les limitations fonctionnelles de l’appelante doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, pas seulement dans son emploi habituelNote de bas page 22.

L’appelante ne pouvait pas travailler dans un contexte réaliste

[46] Lorsque je décide si l’appelante pouvait travailler, je ne peux pas simplement examiner ses problèmes de santé et leur incidence sur ce qu’elle pouvait faire. Je dois également tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité, ses compétences linguistiques, son expérience de travail et son expérience personnelle.

[47] Ces facteurs m’aident à décider si l’appelante pouvait travailler dans un contexte réaliste, c’est‑à‑dire s’il est réaliste de dire qu’elle pouvait travaillerNote de bas page 23.

[48] Je conclus que l’appelante ne pouvait pas travailler dans un contexte réaliste en septembre 2021. Elle avait de nombreuses années d’expérience dans un poste de facturation, ce qui lui a probablement permis d’avoir quelques compétences transférables. Toutefois, comme elle avait 62 ans et n’avait qu’un diplôme d’études secondaires, il est peu probable qu’elle soit embauchée pour occuper un emploi nécessitant une formation. Il lui faudrait faire un travail non spécialisé.

[49] Mais je ne crois pas que l’appelante pourrait régulièrement occuper n’importe quel type d’emploi. En raison de ses problèmes d’énergie et de concentration, elle ne serait pas en mesure d’accomplir même les tâches les plus simples à temps et sans aide ni supervision. En raison de son manque de motivation, il lui serait difficile de se rendre régulièrement au travail. Le fait qu’elle ne puisse pas effectuer régulièrement des tâches simples à la ferme m’indique qu’elle ne serait pas une employée productive en milieu de travail. Il n’est pas réaliste de dire qu’elle pourrait travailler dans un contexte réaliste.

[50] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était grave en septembre 2021, lorsqu’elle a cessé de travailler sur recommandation de son médecin.

L’invalidité de l’appelante était prolongée

[51] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était prolongée en septembre 2021.

[52] Les problèmes de santé de l’appelante ont commencé en 2020. Elle a pu travailler pendant un an par la suite, mais a finalement dû arrêter. Ses problèmes de santé se sont poursuivis depuisNote de bas page 24. En janvier 2023, le Dr Kluz a indiqué que son état demeurerait probablement le même et durerait plus d’un anNote de bas page 25. J’accepte le témoignage de l’appelante selon lequel elle ne s’est pas améliorée.

Début des versements

[53] L’invalidité de l’appelante est devenue grave et prolongée en septembre 2021.

[54] Il y a un délai de carence de quatre mois avant le début des versementsNote de bas page 26. Cela signifie que les versements commencent en janvier 2022.

Conclusion

[55] Je conclus que l’appelante est admissible à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité est grave et prolongée.

[56] Par conséquent, l’appel est accueilli.

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