Contenu de la décision
[TRADUCTION]
Citation : SM c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 1035
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu
Décision
Partie appelante : | S. M. |
Représentante ou représentant : | Paul Sacco |
Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Décision portée en appel : | Décision de révision datée du 8 août 2023 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Dawn Kershaw |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 4 mars 2024 |
Personnes présentes à l’audience : | Appelante Représentant de l’appelante |
Date de la décision : | Le 22 mars 2024 |
Numéro de dossier : | GP-23-1401 |
Sur cette page
- Décision
- Aperçu
- Ce que l’appelante doit prouver
- Questions que je dois examiner en premier
- Motifs de ma décision
- Début du versement de la pension
- Conclusion
Décision
[1] L’appel est accueilli.
[2] L’appelante, S. M., est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC), payable à partir de mars 2022. Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.
Aperçu
[3] L’appelante a presque 50 ans. Elle était gérante chez X jusqu’au 31 octobre 2021, date à laquelle elle a commencé à ressentir des douleurs aux jambes, des sensations de décharge électrique et de la fatigue. Ensuite, une douleur au bas du dos s’est ajoutée à cette liste.
[4] L’appelante a demandé une pension d’invalidité du RPC le 23 septembre 2022. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. L’appelante a donc fait appel de cette décision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.
[5] L’appelante affirme avoir des poussées imprévisibles. De plus, elle a une extrême difficulté à faire ses activités quotidiennes. Elle doit recevoir de l’aide.
[6] Elle dit qu’elle ne peut même pas travailler à temps partiel, car lorsqu’elle a une poussée, elle ne peut pas faire grand-chose.
[7] Le ministre affirme que l’appelante est atteinte de fibromyalgie et qu’il ne s’agit pas d’un problème de santé invalidant ou progressif. Il dit que seule la médecin de famille a dit qu’elle ne pouvait pas travailler et que les spécialistes ne l’ont pas dit.
[8] Le ministre affirme que l’appelante n’a pas essayé de faire un autre travail, même si elle devrait en être capable.
Ce que l’appelante doit prouver
[9] Pour gagner son appel, l’appelante doit prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2023. Autrement dit, au plus tard le 31 décembre 2023. Cette date est établie en fonction des cotisations qu’elle a versées au RPCNote de bas de page 1. Elle doit aussi prouver qu’elle est toujours invalideNote de bas de page 2.
[10] Le Régime de pensions du Canada définit les adjectifs « grave » et « prolongée ».
[11] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3.
[12] Pour décider si l’invalidité de l’appelante est grave, je dois examiner l’effet global de ses problèmes de santé sur sa capacité de travailler. Je dois aussi tenir compte de facteurs, comme son âge, son niveau de scolarité, son expérience de travail et son expérience personnelle. Ces facteurs me font voir sa situation de façon réaliste. Ils m’aident à décider si son invalidité est grave. Si l’appelante est régulièrement capable de faire un quelconque travail qui lui permet de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.
[13] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 4.
[14] Autrement dit, aucun rétablissement ne doit être prévu. Pour être prolongée, l’invalidité de l’appelante doit l’obliger à quitter le marché du travail pendant longtemps.
[15] L’appelante doit prouver qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée selon la prépondérance des probabilités. En d’autres mots, elle doit me convaincre qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est invalide.
Questions que je dois examiner en premier
J’ai accepté les documents déposés en retard
[16] Comme l’appelante a déposé des documents après la date limite et que je les ai acceptés, j’ai accordé au ministre un délai pour qu’il puisse déposer une réponse.
[17] Le ministre a déposé des observations bien avant la date limite imposée, donc il n’y a pas eu de retard. J’ai accepté ses observations parce qu’il était juste de le faire étant donné les documents tardifs de l’appelanteNote de bas de page 5.
Motifs de ma décision
[18] Je conclus que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à partir de novembre 2021. Elle est toujours invalide. J’ai tiré cette conclusion après avoir examiné les questions suivantes :
- L’invalidité de l’appelante était-elle grave?
- L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?
L’invalidité de l’appelante était-elle grave?
[19] L’invalidité de l’appelante était grave de façon continue. J’ai basé ma conclusion sur plusieurs facteurs. Les voici.
Les limitations fonctionnelles de l’appelante nuisaient à sa capacité de travailler
[20] L’appelante est atteinte de ce que les médecins considèrent maintenant comme de la fibromyalgie et d’un trouble anxieux généralisé.
[21] Toutefois, un diagnostic ne suffit pas à régler la question de son invaliditéNote de bas de page 6. Je dois plutôt voir si ses limitations fonctionnelles l’empêchent de gagner sa vieNote de bas de page 7. Dans cette optique, je dois tenir compte de tous ses problèmes de santé (pas juste du plus important) et de leur effet sur sa capacité de travaillerNote de bas de page 8.
[22] Je conclus que l’appelante a effectivement des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travailler.
Ce que l’appelante dit de ses limitations fonctionnelles
[23] L’appelante affirme que ses limitations fonctionnelles causées par ses problèmes de santé nuisent à sa capacité de travailler.
[24] Je crois l’appelante. Elle a dit franchement ce qui causait ses problèmes et ce qui ne les causait pas. Par exemple, je lui ai posé des questions sur la mention d’une dépression dans sa demande. Elle m’a dit que ce n’était pas un problème pour elle.
[25] De plus, elle n’a rien exagéré. Par exemple, lorsque je lui ai demandé si ses bras lui causaient toujours des problèmes depuis son opération, elle a dit qu’elle en avait encore certains, mais qu’elle s’attend à une amélioration avec le temps.
[26] Elle dit que ses problèmes ont commencé par des douleurs aux deux jambes. Ces douleurs nuisaient à sa capacité de se tenir debout, de marcher et d’être active.
[27] Habituellement, elle essaie de faire ce qu’elle peut dans la maison. Elle ne peut pas soulever beaucoup de choses parce qu’elle a mal. Auparavant, elle pouvait faire ses courses, mais elle doit maintenant les commander en ligne. Elle peut aller chercher la commande, mais elle ne peut pas la sortir de la voiture et l’apporter chez elle.
[28] Elle dit que son plus gros problème est qu’elle a des poussées. Elle ne peut pas les prédire. Lorsqu’elle a une poussée, elle sent que ses membres sont lourds, a mal au dos et est très fatiguée.
[29] Parfois, elle ne peut vraiment rien faire. Elle a de la difficulté à bouger ses membres. Son conjoint doit l’aider à s’habiller. Elle doit dormir pendant la journée.
[30] Elle dit qu’elle prend de la duloxétine, ce qui l’aide, mais elle ressent quand même la fatigue et la lourdeur de ses membres pendant une poussée.
[31] Je l’ai interrogée sur ce que le ministre a dit, à savoir qu’une des recommandations pour la fibromyalgie est d’augmenter son niveau d’activité. L’appelante a dit qu’elle ne pouvait absolument pas le faire. Je lui ai demandé comment elle le savait. Elle m’a dit qu’après avoir essayé, et elle avait subi une poussée.
[32] Elle a dit qu’elle subit des poussées moins fréquentes qu’auparavant, mais qu’elles durent plus longtemps : de 5 à 10 jours. Elle a dit que pendant les poussées, elle ne peut rien comprendre. Elle a dit que sa parole et sa réflexion sont ralenties. Elle passe beaucoup de temps à dormir.
Ce que la preuve révèle sur les limitations fonctionnelles de l’appelante
[33] L’appelante doit soumettre des éléments de preuve médicale qui montrent que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travailler en date du 31 décembre 2023Note de bas de page 9.
[34] La preuve médicale confirme la version des faits de l’appelante.
[35] C’est la médecin de famille de l’appelante qui l’a vue le plus souvent. Elle a dit qu’elle voit l’appelante toutes les six à huit semainesNote de bas de page 10.
[36] La preuve médicale concorde avec ce que l’appelante a dit à l’audience. En général, elle est en difficulté. Elle a des jours où elle a moins de symptômes, mais d’autres jours, elle se sent complètement affaiblie et paralysée par la douleur, même si les médicaments réduisent les picotements et les engourdissementsNote de bas de page 11.
[37] Lorsque ses poussées commencent, elle est très fatiguée. Elle sent que ses bras et ses jambes sont plus lourds. Ses douleurs s’aggravent. Parfois, elle ne peut pas sortir du lit. En mai 2023, elle a eu une poussée qui a duré environ neuf jours. Les médicaments ne l’ont pas aidée à se sentir mieux pendant une pousséeNote de bas de page 12.
[38] En juin 2023, une neurologue a dit que l’appelante ressentait une lourdeur aux deux jambes qui peut être très douloureuse et une douleur musculaire de son dos à ses pieds, qui est pire du côté gauche. Elle avait aussi des engourdissements et une faiblesse à la jambe gaucheNote de bas de page 13.
[39] L’appelante a continué d’avoir des poussées débilitantes jusqu’à la fin de 2023 et d’éprouver des douleurs chroniques. Elle avait peu d’énergie. Elle a continué d’avoir des douleurs et des engourdissements au quotidien. Elle dosait ses efforts pour être en mesure de faire ses activités quotidiennesNote de bas de page 14.
[40] Elle avait des problèmes modérésNote de bas de page 15 avec les activités suivantes :
- faire les tâches ménagères;
- faire l’entretien du terrain;
- faire les courses;
- s’asseoir;
- se tenir debout;
- marcher;
- se pencher ou s’accroupir;
- soulever ou transporterNote de bas de page 16.
[41] Sa médecin de famille a également noté qu’elle avait de légers problèmes de concentration, de planification et de prise de décisionNote de bas de page 17.
[42] La preuve médicale confirme également que l’état de l’appelante s’aggrave lorsqu’elle est plus active. Il a été noté qu’elle avait fait une marche de trois pâtés de maisons et immédiatement ressenti des douleurs importantes et de la fatigue aux bras et aux jambes. Par la suite, elle a été épuisée et a ressenti des douleurs importantes pendant un maximum de cinq joursNote de bas de page 18.
[43] La preuve médicale confirme que la fatigue et les douleurs de l’appelante l’ont empêchée de faire ses activités quotidiennes normalement et d’occuper son emploi habituel. Elle avait aussi des limitations fonctionnelles liées à sa concentration.
[44] Mis à part une mention d’un trouble anxieux dans la demande de l’appelante et une brève mention par sa médecin de famille, il n’y a pas eu d’autres mentions ou rapports médicaux concernant ce trouble ou la dépression. De plus, l’appelante n’a pas dit que ces problèmes l’empêchaient de travailler. J’estime donc qu’il n’y a pas assez d’éléments de preuve que l’appelante avait des limitations fonctionnelles causées par une dépression ou un trouble anxieux qui nuisaient à sa capacité de travailler.
[45] Je vais maintenant chercher à savoir si l’appelante a suivi les conseils médicaux.
L’appelante a suivi les conseils médicaux
[46] Pour recevoir une pension d’invalidité, une personne doit suivre les traitements recommandésNote de bas de page 19.
[47] L’appelante a suivi les conseils médicauxNote de bas de page 20.
[48] Le ministre a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve que l’appelante avait essayé les traitements recommandés, dont la physiothérapie, les programmes d’exercices et l’augmentation du niveau d’activitéNote de bas de page 21.
[49] L’appelante a fait de nombreuses recherches pour tenter de trouver une cause à ses symptômes. Elle a essayé la physiothérapie et fait encore les exercices. Elle a tenté d’accroître son activité, mais ses douleurs se sont aggravées. Elle n’a pas essayé la thérapie cognitivo-comportementale, mais celle-ci ne lui a pas été recommandée.
[50] Je conclus que l’appelante a essayé tous les traitements qui lui ont été recommandés.
[51] À présent, je dois chercher à savoir si l’appelante est régulièrement capable d’occuper d’autres types d’emploi. Pour être graves, ses limitations fonctionnelles doivent l’empêcher de gagner sa vie, peu importe l’emploi, et pas seulement la rendre incapable d’occuper son emploi habituelNote de bas de page 22.
L’appelante est incapable de travailler dans un contexte réaliste
[52] Mon analyse ne peut pas s’arrêter aux problèmes médicaux et à leur effet fonctionnel. Pour décider si l’appelante est capable de travailler, je dois aussi tenir compte des facteurs suivants :
- son âge;
- son niveau de scolarité;
- ses aptitudes linguistiques;
- son expérience de travail et de vie.
[53] Ces facteurs m’aident à savoir si l’appelante est capable de travailler dans un contexte réaliste. Autrement dit, est-il réaliste de dire qu’elle peut travaillerNote de bas de page 23?
[54] Je conclus que l’appelante est incapable de travailler dans un contexte réaliste. Elle n’est pas en mesure de travailler depuis novembre 2021.
[55] L’appelante a presque 50 ans. Son âge peut être un facteur négatif pour la recherche d’un autre emploi ou le recyclage.
[56] Elle a un diplôme d’études collégiales en comptabilité et en tenue des comptes, mais elle a terminé ses études il y a près de 26 ans. Elle n’a aucune compétence en informatique. Elle a ajouté qu’elle n’est pas la meilleure pour taper sur un clavier. Sa scolarité est un facteur neutre dans sa capacité à se recycler ou à trouver un autre emploi, moins physique, parce qu’elle n’est pas récente. De plus, ses études collégiales ne lui ont jamais servi dans ses emplois.
[57] L’expérience de travail de l’appelante n’aura pas un effet entièrement négatif sur sa capacité de se recycler ou de trouver un autre emploi moins physique. Même si elle a travaillé à la chaîne dans une usine pendant trois ans, elle a aussi travaillé comme superviseure, directrice adjointe et directrice de magasin chez X pendant 14 ansNote de bas de page 24.
[58] Je suis d’accord avec le ministre pour dire que son expérience de travail à titre de directrice pourrait être un facteur positif dans ses efforts de recyclage ou de recherche d’un autre emploi.
[59] Dans l’ensemble, cependant, je conclus que l’appelante n’est pas en mesure de travailler ou de se recycler. Il lui arrive parfois d’être si fatiguée qu’elle ne peut pas sortir du lit. À ces moments-là, elle a de la douleur et de la difficulté à bouger ses membres.
[60] Elle ne peut pas prédire quand ces poussées se produiront. Elle aurait donc beaucoup de mal à se recycler ou à trouver un autre emploi qui lui permettrait de prendre congé lorsqu’elle a une poussée, que le travail soit physique ou non.
[61] Selon sa médecin de famille, qui la connaît le mieux et l’a vue le plus souvent, elle ne peut pas retourner au travail. Elle a dit que l’appelante présentait encore beaucoup de symptômes. Elle a dit que l’appelante a de la difficulté à s’asseoir, à se tenir debout ou à marcher, ainsi qu’à accomplir des tâches quotidiennesNote de bas de page 25.
[62] Même s’il a été noté qu’elle peut faire ses tâches ménagères, elle doit doser ses efforts et prendre des pausesNote de bas de page 26.
[63] Même si elle pouvait se recycler ou trouver un autre emploi moins physique, son incapacité à prévoir ses poussées qui la laissent épuisée et dans la douleur ferait d’elle une employée peu fiable. Elle ne serait pas en mesure de travailler pendant celles-ci. De plus, elle ne pourrait pas suivre le rythme attendu de l’emploi parce qu’elle peut seulement accomplir les tâches si elle prend des pauses et dose ses efforts.
[64] Je suis d’accord avec le ministre pour dire que seule la médecin de famille de l’appelante a dit qu’elle ne pouvait pas travaillerNote de bas de page 27. Cependant, je ne pense pas que ce soit parce que les spécialistes pensaient qu’elle le pouvait. Selon moi, c’est parce qu’ils ne semblent pas lui avoir parlé du problème.
Je conclus que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave à partir de novembre 2021.
L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?
[66] L’appelante était atteinte d’une invalidité prolongée.
[67] Le problème de santé de l’appelante a commencé en novembre 2021. Ce problème de santé est toujours présentNote de bas de page 28.
[68] L’appelante a commencé à ressentir des symptômes en octobre 2021 et a dû cesser de travailler le 31 octobre 2021. Elle est incapable de travailler depuis.
[69] Même si plus de trois ans se sont écoulés, son état ne s’est pas amélioré. Sa médecin de famille dit que son pronostic de retour au travail est mauvaisNote de bas de page 29.
[70] Le problème de santé de l’appelante risque d’être là pour de bon. Même si le ministre affirme que l’appelante n’a pas épuisé toutes les recommandations de traitements, elle a essayé tout ce qui lui a été recommandé. Même si elle en essayait d’autres, il n’y a aucune garantie qu’ils l’aideront et aucun délai pour savoir dans combien de temps ils pourraient l’aider.
[71] Je conclus que l’invalidité de l’appelante est prolongée depuis novembre 2021.
Début du versement de la pension
[72] L’appelante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée depuis novembre 2021.
[73] La loi impose un délai d’attente de quatre mois avant le versement de la pensionNote de bas de page 30. Sa pension est donc versée à partir de mars 2022.
Conclusion
[74] Je conclus que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée et qu’elle est donc admissible à une pension d’invalidité du RPC.
[75] Par conséquent, l’appel est accueilli.