Contenu de la décision
[TRADUCTION]
Citation : Ministre de l’Emploi et du Développement social c RS, 2024 TSS 1147
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Représentante ou représentant : | Rebekah Ferriss |
Partie intimée : | R. S. |
Représentante ou représentant : | Frank Van Dyke |
Décision portée en appel : | Décision rendue par la division générale le 12 mars 2024 (GP-23-1305) |
Membre du Tribunal : | Neil Nawaz |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 16 septembre 2024 |
Personnes présentes à l’audience : | Représentante de l’appelant Intimé Représentant de l’intimé |
Date de la décision : | Le 24 septembre 2024 |
Numéro de dossier : | AD-24-406 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est accueilli. L’intimé n’est pas admissible à une prolongation du délai pour demander la révision de sa demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.
Aperçu
[2] L’intimé, qui était autrefois propriétaire d'une petite entreprise, est âgé de 62 ans et a des antécédents cardiaques. En octobre 2012, il s'est rendu à l’hôpital pour subir une angiographie. Il a fait un arrêt cardiaque à cause d'une réaction allergique au colorant lui ayant été injecté par voie de cathéter. Il n’a pas travaillé depuis.
[3] En juillet 2013, l’intimé a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du CanadaNote de bas page 1. Il invoquait une incapacité à travailler attribuable à une faiblesse à sa jambe droite, qui limitait sa mobilité et son endurance, ainsi qu’à une ischémie secondaire ayant résulté d’une intervention médicale. En février 2014, Service Canada, qui fait affaire avec le public au nom du ministre, a rejeté la demande de l’intimé après avoir conclu qu’il n’était pas atteint d’une invalidité « grave et prolongéeNote de bas page 2 ».
[4] Le 7 décembre 2022, soit après plus de huit ans, l’intimé a demandé à Service Canada de réviser sa décision de ne pas lui accorder la pension d’invalidité. Service Canada a rejeté sa demande, puisqu’elle avait été faite bien après les délais prévus par la loiNote de bas page 3.
[5] L’intimé a alors porté en appel du refus de Service Canada devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. L'intimé se disait incertain d’avoir reçu la lettre de refus initiale de Service Canada, précisant qu’il prenait alors de fortes doses de narcotiques puissants, qui l’auraient empêché de comprendre la lettre ou d’y répondre, advenant qu’il l’eût effectivement reçue. Il a précisé qu’il avait une lésion cérébrale due à un accident médical et qu’il avait donc de la difficulté à suivre des processus comportant plusieurs étapes.
[6] La division générale a tenu une audience par vidéoconférence et a accueilli son appel. Elle a conclu que le ministre n’avait pas traité de façon judiciaire la demande de prolongation de délai de l’intimé. Elle a ensuite elle-même examiné les circonstances de l’affaire et décidé qu’une révision de sa demande de pension d’invalidité était justifiée, même si sa demande à cet effet avait huit ans de retard.
[7] Le ministre n’était pas d’accord avec cette décision. Il s’est donc adressé à la division d’appel, reprochant à la division générale d’avoir commis des erreurs de droit. La division d’appel lui a accordé la permission de faire appel. Plus tôt ce mois-ci, j’ai tenu une nouvelle audience pour discuter de la tentative de l’intimé de reprendre sa demande de pension d’invalidité.
[8] Après avoir examiné les observations des deux parties, j’ai conclu que le ministre a effectivement manqué d’examiner de façon judiciaire la demande de prolongation de délai présentée par l’intimé aux fins d’une révision. Cela étant dit, après avoir examiné tous les faits et toutes les circonstances, je ne suis pas d’accord qu’il faille accorder à l’intimé plus de temps pour demander la révision de sa demande de pension.
Questions en litige
[9] Dans le présent appel, je devais trancher les questions suivantes :
- La demande de révision de l’intimé était-elle en retard?
- Si la demande était en retard, le ministre a-t-il agi de façon judiciaire en refusant de donner à l’intimé plus de temps pour demander une révision?
- Si le ministre n’a pas agi de façon judiciaire, faut-il accorder à l’intimé plus de temps pour demander une révision?
Analyse
[10] J’ai appliqué le droit à la preuve disponible, et conclu que le ministre n’a pas traité la demande tardive de révision de l’intimé de manière appropriée. Cependant, après avoir moi-même examiné le dossier, je suis convaincu que le ministre n’est pas obligé de réviser sa décision refusant à l’intimé une pension d’invalidité.
La demande de révision de l’intimé était en retard
[11] Conformément au Régime de pensions du Canada, une personne qui n’est pas d’accord avec la décision initiale du ministre, lui refusant une pension d’invalidité, dispose de 90 jours pour demander au ministre de réviser cette décision. Si plus de 90 jours se sont écoulés depuis qu’elle a été avisée par écrit du refus du ministre, sa demande est en retardNote de bas page 4.
[12] Ici, la demande de révision de l’intimé était en retard. En effet, une lettre datant du 8 février 2014 l’a informé que le ministre avait décidé de rejeter sa demande de pension d’invaliditéNote de bas page 5. L’intimé a dit qu’il n’était pas certain d’avoir reçu cette lettre. Par contre, une note prise par sa médecin de famille laisse croire qu’il l’avait probablement reçue. La docteure Overington a effectivement écrit ceci en date du 1er avril 2014 : [traduction] « R. s’interroge sur sa demande de pension du RPC. Je pense qu’il devrait faire appel, et je rédigerai une lettre pour l’appuyerNote de bas page 6. »
[13] La docteure Overington a rédigé l’ébauche d’une lettre pour appuyer l’intimé, bien que Service Canada dit ne jamais l’avoir reçue. Il n’y a rien au dossier jusqu’au 7 décembre 2022, date à laquelle le ministre a reçu la demande de révision de l’intiméNote de bas page 7.
[14] Je suis convaincu que l’intimé a seulement présenté sa demande de révision plus de huit ans après le délai de 90 jours.
Le ministre n’a pas examiné la demande de prolongation de l’intimé de façon judiciaire
Le ministre doit suivre les lignes directrices législatives et judiciaires lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire
[15] Le ministre a deux types de pouvoir : obligatoire et discrétionnaire. Le pouvoir obligatoire décrit les choses que le ministre est obligé de faire en vertu de la loi. Le pouvoir discrétionnaire, quant à lui, est de nature facultative, c’est-à-dire que le ministre peut l’utiliser s’il le veut, sans y être obligé.
[16] Cela dit, le ministre ne peut pas simplement faire ce qu’il veut, même lorsqu’il s’agit de son pouvoir discrétionnaire. La loi l’oblige à exercer ce pouvoir de façon judiciaire. Ainsi, lorsqu’une personne adresse une demande au gouvernement, le ministre a le devoir de prendre cette demande au sérieux, d’écouter ce que la personne a à dire, et de soupeser les renseignements pertinents pour rendre une décision équitable.
[17] Les tribunaux ont défini l’exercice du pouvoir discrétionnaire de façon judiciaireNote de bas page 8. La Cour fédérale a statué que ce pouvoir n’est pas exercé de façon judiciaire si le décisionnaire a :
- agi de mauvaise foi;
- agi dans un but ou pour un motif irrégulier;
- tenu compte d’un facteur non pertinent;
- ignoré un facteur pertinent;
- agi de façon discriminatoireNote de bas page 9.
[18] Le pouvoir discrétionnaire du ministre comprend notamment celui d’accorder une prolongation de délai quand une personne manque une échéance pour faire une demande. Comme je l’ai précisé, une personne qui n’est pas d’accord avec un refus initial du ministre dispose de 90 jours pour demander au ministre de réviser cette décisionNote de bas page 10.
[19] En vertu de l’article 74.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, le ministre peut accorder un délai plus long pour demander une révision s’il est convaincu que les conditions suivantes sont remplies :
- (i) il existe une explication raisonnable appuyant la demande de prolongation du délai;
- (ii) la personne intéressée a manifesté l’intention constante de demander une révisionNote de bas page 11.
[20] Si la demande de révision est présentée plus de 365 jours après le refus initial, le ministre doit également être convaincu que deux autres conditions sont remplies :
- (iii) la demande de révision a une chance raisonnable de succès;
- (iv) un délai plus long aux fins de la présentation d’une demande ne porterait préjudice à aucune autre partieNote de bas page 12.
[21] Dans la présente affaire, l’intimé a présenté sa demande de révision plus de 365 jours après la décision du ministre qui rejetait sa demande de pension d’invalidité. En examinant cette demande, le ministre devait exercer son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire et appliquer les quatre critères nommés plus haut.
Le ministre a mal appliqué la troisième condition
[22] Le dossier me permet de croire que le ministre n’a pas appliqué la bonne norme pour décider si la demande de révision de l’intimé avait une chance raisonnable de succès. L’évaluatrice de Service Canada responsable du dossier de l’intimé a utilisé une feuille de travail énonçant les quatre conditions de l’article 74.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada. Cette feuille contenait des lignes directrices définissant comme suit une « chance raisonnable de succès » :
[traduction]
Une chance raisonnable de succès existe lorsque la décision de refuser des prestations peut être contestée, débattue ou remise en question. En général, des éléments de preuve supplémentaires doivent être fournis à l’appui d’une demande de révision. À défaut d’une nouvelle information ou d’un motif expliquant pourquoi la décision serait fautive, la demande n’a aucune chance raisonnable de succèsNote de bas page 13.
[23] Il est difficile de dire si cette directive reflète la loi. Par exemple, le Régime de pensions du Canada n’exige pas que la personne qui demande une révision fournisse des éléments de preuve supplémentaires. Tout ce qu’on y prévoit, c’est que la personne ne soit « pas satisfait[e] » de la décision initiale du ministre. Cela étant dit, on compare souvent une « chance raisonnable de succès » à une cause défendable, et on peut assurément dire qu’une cause doit avoir au moins un certain fondement pour justifier que le ministre l’examine à nouveauNote de bas page 14.
[24] Dans son analyse, l’évaluatrice du ministre a soumis cette brève évaluation du dossier de l’intimé :
[traduction]
Vu la durée du retard, on peut soutenir que le ministre ne serait pas en mesure de réexaminer adéquatement la demande du requérant au PPIPC datant du 2013-07-04. Même si le requérant a soumis de nouveaux éléments de preuve avec sa demande du 2022-12-07, cette preuve ne suit que de bien longtemps l’expiration du délai prévu pour demander une révisionNote de bas page 15.
[25] Je ne vois pas en quoi la [traduction] « durée du retard » empêchait le ministre d’évaluer le dossier de l’intimé, à tous le moins d’une certaine façon. Sa demande d’invalidité, quel qu’en soit le bien-fondé, était essentiellement demeurée identique à celle de huit ans plus tôt. Sa période minimale d’admissibilité n’avait pas changé. Le ministre disposait toujours de ses dossiers médicaux et pouvait les examiner. Pourtant, l’évaluatrice s’est exclusivement concentrée sur les nouveaux éléments de preuve soumis par l’intimé, qu’elle a supposé peu pertinents du fait qu’ils étaient récents. Bien que cela puisse être vrai, l’article 74.1 du Régime de pensions du Canada exigeait qu’elle examine l’ensemble de la demande, ce qui nécessitait d’évaluer tous les éléments de preuve disponibles, et pas seulement ceux qui étaient nouveaux.
[26] Le ministre a donc appliqué une norme trop restrictive pour décider si la cause de l’intimé avait une chance raisonnable de succès. Pour cette raison, je suis convaincu que le ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire.
L’intimé ne doit pas bénéficier d’un plus long délai pour demander une révision
[27] Comme le ministre a mal appliqué l’une des conditions de l’article 74.1 du Régime de pensions du Canada, je dois maintenant décider si l’intimé devrait avoir plus de temps pour demander une révision. Pour ce faire, je dois tenir compte des quatre conditions que le ministre devait prendre en considération. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que l’intimé remplisse ces quatre conditions.
L’intimé n’a pas fourni d’explication raisonnable pour son retard
[28] L’intimé invoque les raisons suivantes pour ne pas avoir répondu à la lettre de refus intiale du ministre, datée du 8 février 2014 :
- Il a subi une lésion cérébrale qui affectait sa mémoire et sa capacité de concentration;
- Il a supposé que sa médecin de famille demanderait une révision en son nom.
[29] Je ne juge pas raisonnables ces explications. S’il ne fait aucun doute que l’intimé a bel et bien fait une crise cardiaque pendant son angiographie d’octobre 2012, je ne vois aucune preuve montrant qu’elle lui aurait causé une lésion cérébrale débilitante :
- Lorsque l’intimé a reçu son congé de l’hôpital en décembre 2012, son médecin traitant a rapporté qu’un cathéter, qui avait été inséré dans son artère fémorale droite plutôt que dans une veine, avait induit une anaphylaxie (réaction allergique), une insuffisance rénale aiguë et une ischémie (diminution du débit sanguin menant à un manque d’oxygène) dans sa jambe droiteNote de bas page 16. L’intimé a été transféré à l’unité de traitement des lésions cérébrales acquises de X (X).
- En janvier 2013, un résident en psychiatrie a noté que l’intimé éprouvait d’importantes difficultés émotionnelles en raison de son opération et de ses complications. L’intimé a déclaré qu’il était également préoccupé par une lésion cérébrale acquise potentielle, même si le résident ne [traduction] « trouv[ait] aucune note à cet effet dans le dossier du patientNote de bas page 17 ».
- Plus tard ce mois-là, des tests cognitifs et psychologiques ont révélé une dépression et de l’anxiété de niveau modéré et un rendement moyen à supérieur de ses fonctions exécutives, malgré certains aspects tombant dans la moyenne basse et laissant croire à de légères pertes d’efficacité potentielles sur les plans de l’apprentissage et du monitorage de soiNote de bas page 18.
- À son congédiement de X, le médecin traitant a noté que l’intimé avait été admis en réadaptation [traduction] « pour une supposée lésion cérébrale; pourtant, il va plutôt bien sur le plan cognitif, et la majeure partie de son séjour avait été consacrée à la blessure à son membre inférieur », laquelle [traduction] « guérissait bienNote de bas page 19. »
- En janvier 2014, l’intimé a de nouveau été examiné à l’unité des lésions cérébrales acquises de X. Une spécialiste en réadaptation a noté que l’intimé avait encore de la douleur à la jambe droite et qu’il marchait en utilisant des béquilles et une botte de marche. Il avait obtenu une note de 29/30 à l’évaluation cognitive de Montréal (MoCA) : [traduction] « Sur le plan cognitif, il dit aller bien, même s’il est encore distrait et ne peut pas faire du multitâche. Il dit qu’il perd le fil de ce qu’il fait s’il y a du bruit autour de lui ou s’il prend part à des conversations bruyantesNote de bas page 20. »
[Toutes les mises en évidence en gras qui précèdent ont été ajoutées.]
[30] Dans l’ensemble, la preuve médicale disponible montre que l’intimé a des problèmes cardiaques depuis longtemps, de même qu’une atteinte à la jambe résultant d’un accident médical. Il a également été modérément déprimé et anxieux. Toutefois, rien ne laisse croire à un déficit cognitif qui expliquerait d’avoir présenté sa demande de révision avec huit ans de retard. Il n’y a pas de preuve d’une lésion cérébrale, et l’intimé n’a jamais vu de neurologue. Même si l’intimé avait une certaine difficulté à se concentrer, elle ne pourrait pas raisonnablement expliquer l’ampleur de son retard pour soumettre les documents nécessaires.
[31] Le fait que l’intimé n’ait pas présenté sa demande de révision dans un délai raisonnable est d’autant plus inexplicable quand on considère d’autres aspects de sa vie :
- L’intimé a un diplôme universitaire et a occupé des emplois variés, notamment comme agriculteur, consultant et entrepreneurNote de bas page 21. Il est raisonnable de présumer qu’il avait déjà dû faire affaire avec de grands organismes bureaucratiques, y compris le gouvernement.
- Au cours des années qui ont suivi son accident médical, l’intimé a fait preuve d’autonomie et d’initiative en faisant de nombreuses choses : il a acheté une maison, cherché à obtenir un traitement médical et intenté une poursuite pour faute médicale.
- Constance Howes, pasteure, a déclaré que l’intimé vivait dans l’isolement et dans une maison encombrée qui nécessitait un grand nettoyage, quand elle l’avait d’abord rencontré en 2018. Elle a cependant reconnu qu’il vivait alors de façon autonome et qu’il n’était sujet ni à une procuration ni à un mandataire spécialNote de bas page 22.
[32] Madame Howes a également déclaré que l’intimé dépendait fortement des autres pour veiller à ses intérêts. Selon elle, même s’il avait poursuivi des médecins pour son cathétérisme bâclé, cette poursuite avait été entreprise par son ancienne petite amie. Il demeure toutefois que l’intimé avait dû lui-même consentir à l’embauche d’un cabinet d’avocats et à la décision d’engager des procédures judiciaires. La poursuite avait fini par se régler, et c’est l’intimé qui, agissant en son nom propre, avait approuvé le règlementNote de bas page 23. J’estime peu probable qu’un cabinet d’avocats ait suivi les instructions d’une personne qui aurait paru incapable.
[33] D’après moi, il est aussi révélateur que la demande de pension d’invalidité d’octobre 2013 et le questionnaire médical rempli par la médecin de famille de l’intimé mettaient l’accent sur ses déficiences physiques, et non sur des déficiences mentales ou émotionnellesNote de bas page 24. Certes, l’intimé avait évoqué des difficultés avec sa concentration et sa mémoire à court terme quand il se plaignait de sa force et de son endurance limitées. Néanmoins, il est difficile de concevoir comment de telles déficiences pourraient expliquer d’avoir négligé pendant plus de huit ans sa demande de pension d’invalidité.
[34] En résumé, les preuves sont insuffisantes pour montrer que l’intimé avait des déficiences mentales ou psychologiques qui l’auraient empêché de comprendre et de suivre des instructions sur la façon de demander la révision de sa demande de pension d’invalidité. Après avoir examiné la vie de l’intimé et ses problèmes médicaux de 2012 à 2022, je ne vois pas d’explication raisonnable au retard.
L’intimé n’a pas eu l’intention constante de demander une révision
[35] Il suffit que l’une des quatre conditions énumérées à l’article 74.1 du Régime de pensions du Canada joue contre l’intimé pour que sa demande de prolongation soit rejetée. Même si je n’ai pas à le faire, je vais examiner la seconde condition, qui se trouve ici liée à la première.
[36] L’intimé soutient qu’il avait de bonnes raisons de penser que sa médecin de famille, la docteure Overington, présenterait sa demande de révision en son nom. Il mentionne sa note clinique d’avril 2014 ([traduction] « Je rédigerai une lettre pour l’appuyer »), et le fait qu’elle en avait fait une ébauche qui n’avait apparemment jamais été envoyéeNote de bas page 25. Je reconnais que cette présomption, bien que fautive, ait contribué en partie au retard. En effet, le processus de demande pour la pension d’invalidité est considéré comme complexe par bon nombre de personnes. On peut facilement imaginer que l’intimé ait cru que la docteure Overington présenterait une demande de révision officielle en soumettant une lettre. Cependant, une telle erreur ne suffit pas à expliquer un retard de huit ans.
[37] Rien ne montre que l’intimé aurait communiqué avec Service Canada à un moment ou à un autre pour s’informer du statut de demande. Rien ne montre non plus qu’il aurait demandé à la docteure Overington si elle avait reçu une réponse par rapport à sa demande de révision, alors qu’il croyait qu’elle [traduction] « s’occupait » de sa demande. Rien ne montre non plus que la retraite de la docteure Overington, en 2016, aurait incité l’intimé à s’enquérir du statut de sa demande de pension d’invaliditéNote de bas page 26.
[38] Comme nous l’avons vu, les problèmes de nature mentale et psychologique rapportés par l’intimé se limitent à des problèmes de mémoire à court terme et à une incapacité à faire plusieurs tâches simultanément. Même si ces problèmes étaient corroborés par la preuve médicale, ces problèmes sont relativement courants et ne permettraient pas d’expliquer pourquoi l’intimé a attendu si longtemps pour demander une révision. Tout indique plutôt que l’intimé avait simplement fini par oublier sa demande de pension d’invalidité, après avoir d’abord présumé que la docteure Overington s’occuperait de sa demande de révision, au début de 2014.
[39] Il semblerait que madame Howes ait ravivé l’intérêt de l’intimé envers une pension d’invalidité. Toutefois, ils se sont seulement rencontrés en 2018, et ce n’est qu’en décembre 2022 que l’intimé a officiellement demandé une révision. Même avec les encouragements et l’aide de madame Howes, il lui avait encore fallu jusqu’à quatre ans de plus.
[40] Cet historique ne laisse aucunement croire que l’intimé aurait eu une « intention constante » de demander une révision.
Conclusion
[41] L’appel est rejeté. Certes, le ministre a manqué à l’obligation que lui impose l’article 74.1 du Régime de pensions du Canada en appliquant une norme trop stricte pour décider si la cause de l’intimé avait une chance raisonnable de succès. Cependant, après avoir moi-même examiné le dossier, j’ai conclu que l’intimé ne remplissait pas deux des autres conditions permettant d’accorder une prolongation du délai pour demander la révision lorsque plus d’un an s’est écoulé. Plus précisément, j’ai constaté que l’intimé n’avait pas d’explication raisonnable pour justifier le retard de sa demande et qu’il n’a pas eu l’intention constante de présenter cette demande durant les huit années qui ont précédé.
[42] C’est avec regret que je dois arrêter l’intimé dans sa tentative de reprendre sa demande de pension d’invalidité pour une question de procédure. Toutefois, le législateur a adopté un ensemble de règles détaillé pour régir les demandes de révision tardives, et ces règles doivent être suivies minutieusement. Je comprends que l’intimé estime avoir une explication raisonnable à son retard de huit ans. Cependant, les faits et les circonstances entourant ce retard m’ont conduit à croire le contraire. Son opinion subjective sur ce qui est raisonnable ne peut être le facteur décisif pour le soustraire aux délais prévus par la loi.
[43] Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande de l’intimé pour une prolongation de délai. Sa demande de pension d’invalidité ne sera pas examinée.