Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

Citation : WN c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2024 TSS 1449

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : W. N.
Représentante ou représentant : S. G.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Érélégna Bernard

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du
2 février 2024 (GP-23-1063)

Membre du Tribunal : Jude Samson
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 20 septembre 2024

Personnes présentes à l’audience :

Appelant
Représentant de l’appelant
Représentante de l’intimé

Date de la décision : Le 20 novembre 2024
Numéro de dossier : AD-24-250

Sur cette page

Décision

[1] Je rejette l’appel du requérant, W. N. Le versement de sa pension d’invalidité ne peut pas commencer avant février 2020.

Aperçu

[2] Le requérant a présenté une première demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada en juin 2010. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande et le requérant n’a pas demandé au ministre de réviser sa décision.

[3] Le requérant a présenté une deuxième demande de pension en janvier 2021. Le ministre a approuvé cette demande et a fixé le début de l’invalidité à octobre 2019, soit 15 mois avant la date de la demande. Selon le ministre, la date de début de l’invalidité lui a permis de verser la pension à partir de février 2020, ce qui correspond à la période de rétroactivité maximale permise par le Régime de pensions du Canada.

[4] Le requérant a porté la décision du ministre en appel auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale, mais celle-ci a rejeté son appel. Il a demandé notamment que le versement de sa pension d’invalidité commence en 2010.

[5] Le requérant a ensuite porté la décision de la division générale en appel auprès de la division d’appel, et je lui ai accordé la permission de faire appel. Par conséquent, j’ai jugé l’appel comme une nouvelle affaireNote de bas de page 1.

[6] Même si je suis très sensible à la situation du requérant, je rejette son appel.

Question en litige

[7] La question en litige est la suivante : le requérant était-il incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension avant le 22 janvier 2021, et ce, pour une période continue?

Analyse

[8] En règle générale, le Régime de pensions du Canada précise qu’une personne ne peut pas être considérée comme invalide plus de 15 mois avant la date où elle a présenté sa demande de pension au ministreNote de bas de page 2. Le versement de la pension commence ensuite quatre mois après le début de l’invaliditéNote de bas de page 3.

[9] Cependant, il existe une exception à cette règle générale. Une personne peut être considérée comme invalide à une date antérieure si elle prouve qu’elle « n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faiteNote de bas de page 4. » De plus, la période d’incapacité doit être continueNote de bas de page 5.

[10] Il s’ensuit que le critère juridique que le requérant doit remplir pour démontrer qu’il avait une incapacité est beaucoup plus exigeant que le critère qu’il a déjà rempli pour établir son invalidité.

Le requérant n’a pas établi qu’il avait une incapacité continue avant janvier 2021

De nombreux facteurs doivent être pris en compte lors de l’évaluation de l’incapacité

[11] Pour évaluer si une personne est atteinte d’une incapacité, il faut se demander si cette dernière avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de pension. L’analyse ne porte pas sur la question de savoir si cette personne avait la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir le formulaire de demande. Il s’agit plutôt de répondre à une question plus simple : la personne avait-elle la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demandeNote de bas de page 6?

[12] En examinant si le requérant était dans un état d’incapacité, je dois tenir compte des éléments suivants :

  • la preuve quant à la nature et à l’étendue de ses limitations physiques ou mentales;
  • la preuve médicale, psychologique ou autre qui vient appuyer la demande;
  • la preuve d’autres activités auxquelles le requérant a pu s’engager au cours de la période concernée;
  • la mesure dans laquelle ces autres activités mettent en lumière la capacité du requérant de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invaliditéNote de bas de page 7.

[13] La capacité du requérant d’accomplir les activités de la vie courante devrait normalement être révélatrice de sa capacité de formuler ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invaliditéNote de bas de page 8.

Le requérant a des limitations fonctionnelles importantes

[14] Le requérant était au travail en juin 2003 lorsqu’un client lui a lancé une chaise. La chaise a heurté son épaule droite, ce qui a bouleversé sa vie pour toujours. Il a arrêté de travailler quelques années plus tard en raison de douleurs chroniques. Le requérant a mis l’accent sur son diagnostic de syndrome douloureux régional complexe lors de son témoignageNote de bas de page 9. De plus, ses douleurs et son syndrome de stress post-traumatique ont entrainé des troubles de sommeil et une dépression majeureNote de bas de page 10.

[15] Pour résumer brièvement sa situation, le requérant a témoigné qu’il a souffert énormément à la suite de son accident du travail. Il avait tellement de douleurs et prenait tellement de médicaments, y compris des opiacés, qu’il pouvait à peine sortir de sa chambre et que sa capacité à prendre des décisions était compromise de façon importante.

[16] Il affirme qu’il n’a pas pu donner suite à sa première demande de pension parce que son ex-épouse lui refusait l’accès à son courrier.

[17] Le requérant a témoigné comment la vie l’a confronté à une série d’immenses obstacles qu’il n’a pu surmonter qu’avec une aide importante de la part d’autres personnes (souvent son ex-épouse, ses enfants et sa voisine, soit une personne de confiance).

[18] Ses symptômes ont persisté, malgré les nombreux traitements que son médecin de famille et les spécialistes ont essayésNote de bas de page 11.

[19] Le ministre reconnait que le requérant est atteint d’une invalidité grave et prolongée depuis longtemps. Par conséquent, il lui a accordé une pension d’invalidité.

La preuve médicale ne confirme pas la présence d’une incapacité

[20] La preuve médicale au dossier ne me permet pas de conclure que le requérant avait une incapacité pendant une période continue avant janvier 2021.

[21] Le requérant a subi plusieurs évaluations psychiatriques. Cependant, les psychiatres n’ont pas noté d’anomalies au niveau de la pensée et ont jugé que les fonctions cognitives du requérant étaient dans les limites de la normaleNote de bas de page 12. Les psychiatres lui ont souvent attribué une note de 70 sur l’échelle d’évaluation globale du fonctionnement. Cette note signifie que le requérant avait « quelques symptômes légersNote de bas de page 13. »

[22] De plus, il est évident que le requérant a participé à ses plans de traitement et consenti à de nombreux évaluationsNote de bas de page 14. Par exemple, il a accepté certains traitements et en a refusé d’autresNote de bas de page 15. Il a également pu se rendre seul à des rendez-vous médicauxNote de bas de page 16.

[23] Le requérant s’appuie fortement sur la lettre du Dr Verma datée du 25 avril 2023Note de bas de page 17. Cependant, cette lettre concerne le début de l’invalidité du requérant. Elle ne porte pas sur son incapacité. Comme je l’ai souligné ci-dessus, il existe une différence importante entre ces deux termes, et cette différence ne peut pas être ignorée.

[24] Enfin, je dois souligner le manque de preuve médicale datant d’après 2015 qui concerne directement l’état de santé mentale du requérant et sa capacité à prendre des décisions.

Les activités du requérant de 2010 à 2021 ne confirment pas la présence d’une incapacité

[25] Lors de l’audience, le requérant et sa voisine ont témoigné des nombreuses façons dont il avait besoin d’aide et de soutien pour gérer sa vie quotidienne. Ils ont décrit de nombreux défis, mais aussi des crises, auxquels il devait régulièrement faire face.

[26] Je reconnais le nombre de défis que le requérant a dû relever et leur gravité. Cependant, je ne peux pas conclure qu’il avait une incapacité pendant la période en question.

[27] Pour arriver à cette conclusion, j’ai accordé beaucoup d’importance aux éléments suivants :

  • Bien qu’il existe des preuves contradictoires quant à son degré d’implication, le requérant a contribué à la gestion de son magasin de prêts sur gagesNote de bas de page 18.
  • En 2009, le requérant a engagé un avocat pour poursuivre un assureur privé et a accepté de régler ce procès en 2016Note de bas de page 19. Même si le requérant a déclaré que son avocat a pris toutes les décisions, les avocates et avocats ne peuvent agir que sur les instructions de leur clientèle. Il n’y a aucune preuve que quelqu’un d’autre que le requérant a donné des instructions à cet avocat ou à une autre personne responsable de le représenter.
  • En 2013, le requérant a mandaté son avocat pour déposer une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels en son nomNote de bas de page 20.
  • En 2016, le requérant et sa conjointe se sont séparés. Le requérant a engagé un avocat et complété des procédures judiciaires en droit de la familleNote de bas de page 21. Lors de l’audience, le requérant a expliqué comment, dans le cadre de la procédure de divorce, il a pu acheter la part de la maison familiale qui revenait à son ex-conjointe. Cela a nécessité l’obtention d’un prêt hypothécaire. Même si sa voisine, une personne de confiance, n’était pas d’accord avec cet achat, elle a respecté le choix du requérant.
  • En 2018, à la suite d’un appel téléphonique avec Service Canada et par l’intermédiaire de son médecin de famille, le requérant a demandé la réouverture de sa demande de pension d’invaliditéNote de bas de page 22. Cette demande témoigne d’une intention, même si le requérant n’a pas été en mesure d’accomplir les étapes suivantes.

[28] Même après le départ en 2016 de l’ex-épouse du requérant, ce dernier a pu subvenir à ses besoins essentiels. Je reconnais qu’il a rencontré des difficultés importantes. Toutefois, il a pu demander de l’aide à sa fille ou à sa voisine lorsque nécessaire.

[29] Toutes ces activités mettent en lumière la capacité du requérant de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité au cours de la période en question.

[30] Par conséquent, je ne peux pas conclure que le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension avant le 22 janvier 2021, et ce, pour une période continue.

Le Tribunal ne peut pas réécrire ou contourner la loi

[31] Au cours de l’audience, le requérant m’a demandé de faire preuve de compassion. Il a évoqué de nombreuses situations difficiles auxquelles il fait face depuis de nombreuses années.

[32] J’éprouve beaucoup de sympathie pour le requérant. Cependant, je ne peux pas fonder ma décision sur des facteurs comme la sympathie, la souffrance et les besoins financiers. Je suis plutôt tenu d’interpréter et d’appliquer les dispositions telles qu’elles sont énoncées dans le Régime de pensions du Canada. Je ne peux pas invoquer des principes d’équité ni considérer les circonstances atténuantes pour réécrire ou contourner la loi ou pour modifier la date de début d’une pension d’invalidité.

Conclusion

[33] Je rejette l’appel du requérant. Il n’a pas établi qu’il était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension avant le 22 janvier 2021. Par conséquent, le versement de sa pension d’invalidité ne peut pas commencer avant février 2020.

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