Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MY c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 302

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : M. Y.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentant : Ian McRobbie

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 9 septembre 2024
(GP-24-840)

Membre du Tribunal : Pierre Vanderhout
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 20 mars 2025
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Représentant de l’intimé
Date de la décision : Le 31 mars 2025
Numéro de dossier : AD-24-674

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. L’appelant n’a pas droit de recevoir sa pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada avant juin 2022.

Aperçu

[2] Dans cette décision, je vais appeler l’appelant (M. Y.) le requérant et je vais appeler l’intimé (le ministre de l’Emploi et du Développement social) le ministre.

[3] Le requérant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada le 31 mai 2023Note de bas de page 1. Le Dr Tewfik, psychiatre, a déclaré que ses principaux problèmes de santé étaient un trouble dépressif majeur et des symptômes d’anxiétéNote de bas de page 2. Le ministre a accueilli la demande du requérant et lui a accordé une pension payable à partir de juin 2022, ce qui correspond à la rétroactivité maximale permise par le RégimeNote de bas de page 3.

[4] Le requérant a demandé au ministre de réviser cette décision pour que le versement de sa pension puisse commencer en 2018. Le ministre a maintenu sa décision initiale, en déclarant que le requérant avait déjà bénéficié de la rétroactivité maximale permiseNote de bas de page 4.

[5] Le requérant a porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Il a dit qu’il n’était pas au courant de l’existence de la pension d’invalidité jusqu’à ce qu’il présente sa demande en mai 2023Note de bas de page 5.

[6] En octobre 2024, la division générale a rejeté l’appel du requérant. Elle a conclu qu’il ne satisfaisait pas aux dispositions du Régime relatives à l’incapacité, ce qui serait la seule façon pour lui de recevoir davantage de versements rétroactifsNote de bas de page 6. Il a ensuite demandé la permission de faire appel à la division d’appel du Tribunal. Un de mes collègues de la division d’appel a accueilli sa demande. La présente décision fait suite à une audience sur le fond de l’appel du requérant.

[7] Les parties conviennent que le requérant avait droit à une pension d’invalidité du Régime. Elles sont seulement en désaccord sur la question de savoir si les dispositions du Régime relatives à l’incapacité lui permettent de recevoir sa pension avant juin 2022.

[8] Je dois décider si le requérant satisfaisait aux dispositions du Régime relatives à l’incapacité avant de demander une pension d’invalidité le 31 mai 2023.

[9] Pour les raisons énoncées ci-dessous, je conclus que le requérant ne satisfaisait pas aux dispositions du Régime relatives à l’incapacité avant de demander une pension d’invalidité en mai 2023.

Question en litige

[10] La seule question en litige dans cet appel est de savoir si les dispositions relatives à l’incapacité du Régime de pensions du Canada permettent au requérant de recevoir sa pension avant juin 2022.

Analyse

[11] Avant d’aborder la question de droit, je vais fournir quelques informations supplémentaires sur le requérant.

[12] Le requérant semble avoir eu une carrière réussie en tant qu’ingénieur jusqu’en 2018. Il travaillait en anglais, même si ce n’était pas sa langue maternelle. Cependant, il dit que les membres de ses communautés religieuse et culturelle l’ont convaincu de devenir prêtre. Il affirme que c’était une erreur. Sa première affectation en tant que prêtre a été en Floride, mais il a dit que ce fut un échec.

[13] Le requérant a déclaré que son église lui avait demandé de revenir de la Floride au Canada. Il a dit que sa famille, son église et sa communauté le considéraient comme un raté. Sa santé mentale en a souffert. Il a essayé de reprendre sa carrière d’ingénieur, mais il n’y est pas parvenu non plus. Finalement, son mariage s’est effondré. Il a déclaré que d’autres personnes avaient monté sa femme, ses enfants et ses amis proches contre lui. Il semble avoir mené une vie isolée depuis.

[14] En règle générale, une personne ne peut pas être réputée invalide plus de 15 mois avant de demander une pension d’invalidité du RégimeNote de bas de page 7. Il y a aussi une période d’attente obligatoire de quatre mois avant le versement de la pensionNote de bas de page 8. Comme le requérant a présenté sa demande en mai 2023, sa pension peut commencer au plus tôt en juin 2022. Il s’agit de la date de début de sa pension fixée par le ministre.

[15] La seule exception à cette règle générale est lorsque les dispositions du Régime relatives à l’incapacité s’appliquent. Ces dispositions peuvent faire en sorte qu’une demande soit réputée avoir été présentée plus tôt. Le versement de la pension pourrait donc commencer plus tôtNote de bas de page 9.

Les dispositions du Régime relatives à l’incapacité permettent-elles au requérant de recevoir sa pension avant juin 2022?

[16] Les dispositions du Régime relatives à l’incapacité ne permettent pas au requérant de recevoir sa pension plus tôt. Je vais maintenant expliquer pourquoi.

[17] Le fait que le requérant a demandé une pension d’invalidité le 31 mai 2023 n’est pas contesté. Il a dit qu’il avait reçu de l’aide pour présenter sa demande. Toutefois, sa signature apparaît trois fois sur le formulaire de demande. L’une de ces signatures autorise le ministre à obtenir des renseignements personnels à son sujet. Le requérant a également refusé de nommer une personne autorisée à agir en son nomNote de bas de page 10.

[18] Par conséquent, je conclus que le requérant a demandé une pension d’invalidité en son nom propre. Cela signifie que l’article 60(9) du Régime de pensions du Canada (que j’appellerai les « dispositions relatives à l’incapacité ») pourrait s’appliquer à lui.

[19] Les dispositions relatives à l’incapacité définissent l’incapacité comme le fait de « [ne pas avoir] la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faiteNote de bas de page 11 ».

[20] Par conséquent, je dois décider si le requérant répondait aux dispositions relatives à l’incapacité avant le 31 mai 2023. Si c’est le cas, je dois ensuite vérifier si sa période d’incapacité et la date de sa demande permettent que celle-ci soit réputée avoir été présentée plus tôt.

[21] Je vais me concentrer sur la capacité du requérant en 2022 et jusqu’au 31 mai 2023 parce qu’une personne ne peut bénéficier des dispositions relatives à l’incapacité que si elle présente une demande dans l’année suivant la date où sa période d’incapacité a cesséNote de bas de page 12.

[22] En d’autres termes, si le requérant a continuellement eu la capacité requise pendant au moins un an avant le 31 mai 2023, les dispositions relatives à l’incapacité ne peuvent pas l’aider. Le fait qu’il ait eu une période d’incapacité avant cette date n’est pas pertinent. Si c’est le cas durant l’année précédent le 31 mai 2023, je dois alors examiner les dates exactes pour voir si les dispositions relatives à l’incapacité lui sont utiles.

Le requérant était-il atteint d’une incapacité en 2022 ou jusqu’au 31 mai 2023?

[23] Je conclus que le requérant avait la capacité requise pendant toute la période pertinente allant jusqu’au 31 mai 2023.

[24] Le requérant était invalide pendant la période pertinente, mais ce n’est pas la question qui se pose dans le présent appel. La question est de savoir s’il avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité du Régime avant le 31 mai 2023Note de bas de page 13.

[25] On ne peut conclure à une incapacité au sens du Régime que dans des circonstances très restreintes. Le critère relatif à l’incapacité n’est pas de savoir si le requérant a la capacité de faire, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de pension d’invalidité. L’accent n’est pas mis sur sa capacité physique à remplir la demande. La clé est de savoir s’il avait la capacité mentale de former ou d’exprimer l’intention de faire d’autres chosesNote de bas de page 14.

[26] Pour aider à répondre à cette question, la Cour d’appel fédérale a expliqué comment appliquer les dispositions relatives à l’incapacité. Le Tribunal doit, au minimum, tenir compte des éléments suivantsNote de bas de page 15 :

  1. a) le témoignage de la personne sur la nature et l’étendue de ses limitations physiques ou mentales;
  2. b) tout élément de preuve médical, psychologique ou autre présenté par la personne à l’appui de sa prétendue incapacité;
  3. c) la preuve d’autres activités auxquelles la personne a pu se livrer au cours de la période pertinente;
  4. d) la mesure dans laquelle ces autres activités jettent un éclairage sur la capacité de la personne de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité pendant cette période.

[27] Je vais maintenant examiner chacun de ces éléments. Je déciderai ensuite si le requérant satisfait aux dispositions relatives à l’incapacité.

a) Le témoignage du requérant concernant ses limitations physiques ou mentales

[28] Le témoignage du requérant à l’audience de la division d’appel concernant ses limitations après juin 2018 était très différent de son témoignage à l’audience de la division générale et de la preuve documentaire.

[29] À l’audience de la division générale en août 2024, le requérant a déclaré qu’il était entièrement responsable du paiement de toutes les factures du ménage depuis 2018. Cela comprenait l’épicerie et les dépenses liées aux enfants. Parce qu’il manquait d’argent, il avait dû utiliser sa carte Visa et sa marge de crédit hypothécaireNote de bas de page 16.

[30] Au cours de l’audience de la division générale, le requérant a également dit qu’il avait décidé lui-même de consulter un psychiatre et un psychologue. Il se rendait seul à ces rendez-vousNote de bas de page 17.

[31] En avril 2024, le requérant a dit avoir été informé de l’existence de la pension d’invalidité du Régime seulement longtemps après son diagnostic de décembre 2018. Il s’est excusé de ne pas avoir eu connaissance de cette pension parce qu’elle aurait pu aider sa famille et leur éviter plusieurs situations péniblesNote de bas de page 18. À peu près à la même époque, il a déclaré qu’il n’avait accès à ses enfants que 40 % du temps après la rupture de son mariage (même s’il demeurait responsable de toutes les dépenses liées à ceux-ci)Note de bas de page 19.

[32] En mai 2023, lorsqu’il a demandé une pension d’invalidité du Régime, le requérant a dit que sa capacité de conduire une voiture était bonne. Il a aussi déclaré que sa capacité d’additionner et de soustraire des chiffres, de lire un court message, de rédiger un courriel et de comprendre ce que les gens disent dans des conversations de tous les jours était bonne. Enfin, il a estimé que sa capacité à prendre des médicaments tels que prescrits, à répondre au téléphone et à ouvrir et à trier le courrier était également bonneNote de bas de page 20.

[33] À l’audience de la division d’appel, cependant, le témoignage du requérant était tout à fait différent. Il a dit qu’il ne pouvait pas effectuer des tâches simples, prendre soin de lui-même ou prendre des décisions. Il a affirmé qu’il se comportait de manière anormale et imprudente. Il a dit qu’il avait été incapable de faire des phrases correctes, en anglais ou dans sa langue maternelle, lorsqu’il avait essayé de reprendre son ancien emploi. Il ne parvenait pas à remplir des formulaires. Il ne pouvait pas planifier ce qu’il devait faire, ni même réfléchir. Il ne pouvait même pas lire les conditions requises pour demander le crédit d’impôt pour personnes handicapées.

[34] Le requérant a décrit d’autres limitations importantes lors de l’audience de la division d’appel. Il a insisté sur le fait qu’il n’avait jamais conduit de 2018 à 2025. Il a déclaré que la police l’avait averti qu’il conduisait mal en 2018. Il avait arrêté de conduire parce que cet avertissement lui avait fait peur et qu’il ne voulait pas mettre les gens en danger. Il n’avait recommencé à conduire qu’en 2025, et uniquement dans son quartier. Au cours des sept années précédentes, il se faisait conduire par un ami non identifié. Cependant, il avait dû recommencer à conduire parce que cet ami avait maintenant un nouvel emploi.

[35] Le requérant a répété à plusieurs reprises à l’audience de la division d’appel qu’il ne serait pas en vie aujourd’hui si cet ami non identifié n’en avait pas fait autant pour lui. Cependant, il n’a pas livré de témoignage cohérent sur la chronologie et la nature de cette amitié.

[36] Comme le requérant a dit que cet ami non identifié était un chef cuisinier, je l’appellerai « l’ami chef cuisinier ». Je n’ai vu aucune mention de celui-ci avant l’audience de la division d’appel. Lorsque j’ai interrogé le requérant à ce sujet, il a déclaré qu’il avait été gêné jusque-là de dire que son ami chef cuisinier l’aidait. Il a dit que recevoir une telle aide était humiliant. Il a affirmé cela bien que la division générale l’ait rassuré à l’audience que son témoignage demeurerait confidentielNote de bas de page 21.

[37] Le requérant a dit que son ami chef cuisinier était en fait l’ami d’un ami. Cet ami chef cuisinier avait commencé à l’aider pour les repas vers 2020 ou 2021. En 2023, après environ un an et demi, ils étaient devenus très amis. Cependant, le requérant a ensuite dit qu’à partir de 2020, son ami chef cuisinier l’avait accompagné à ses rendez-vous médicaux et ouvrait ses lettres pour lui. Plus tard, il a déclaré que son ami chef cuisinier prenait ses rendez-vous médicaux à sa place et qu’il se chargeait même parfois des rendez-vous téléphoniques.

[38] Le requérant a affirmé que son ami chef cuisinier avait rempli la demande de pension d’invalidité en mai 2023. Il lui avait expliqué verbalement le formulaire et lui avait demandé son consentement pour le remplir. Le requérant était d’accord. Il avait ensuite signé le formulaire rempli.

[39] Le requérant a également affirmé qu’il ne vivait plus au domicile conjugal depuis 2020, soit à l’époque où il a fait la connaissance de son ami chef cuisinier. Il a dit qu’il n’était même plus autorisé à entrer au domicile conjugal depuis environ 2020. Plus tard, il a dit que l’ami chef cuisinier l’avait aidé à quitter le domicile conjugal en 2020 ou en 2021.

[40] Le requérant a déclaré qu’il avait dû louer plusieurs logements et qu’il ne recevait le courrier adressé au domicile conjugal que plusieurs mois après son expédition. Il recevait son courrier tous les 3 à 4 mois. Certaines lettres avaient été perdues pendant un an ou plus. Il n’avait demandé une pension d’invalidité qu’après avoir reçu une lettre du Régime de pensions du Canada.

[41] Toutefois, en août 2022, le requérant a dit à Carlton Brown, psychothérapeute, qu’il vivait toujours seul au domicile conjugalNote de bas de page 22.

[42] Je ne peux pas me fier au témoignage du requérant à l’audience de la division d’appel. Il contredit son témoignage précédent. Il est également incohérent. Par exemple, il a déclaré que son ami chef cuisinier l’avait conduit pendant les sept dernières années. Cependant, il a également affirmé qu’il ne l’avait rencontré qu’en 2020 ou 2021 et qu’ils étaient devenus très amis seulement en 2023. Le requérant a aussi déclaré avoir utilisé sa carte Visa et sa marge de crédit hypothécaire pour couvrir les dépenses du ménage de 2018 à août 2024 au moins. Pour faire cela, il faut être capable de réfléchir.

[43] Le requérant a également fait des commentaires sur ses problèmes de mémoire. Il a mentionné avoir une mauvaise mémoire en janvier 2022 et en février 2022. Le Dr Tewfik a également noté des problèmes de mémoire en juillet 2022, en décembre 2022 et en mai 2023Note de bas de page 23. En septembre 2023, le requérant a dit qu’il était resté à la maison pour s’occuper de ses enfants au cours des cinq dernières annéesNote de bas de page 24, ce qui ne correspond pas du tout à ses autres déclarations. Cela suggère aussi que sa mémoire n’est pas bonne depuis un certain temps.

[44] En raison des problèmes de mémoire du requérant et de ses déclarations contradictoires, je suis enclin à préférer les éléments de preuve antérieurs, surtout les éléments objectifs qui ont été produits pendant la période pertinente. Je suis aussi préoccupé par le fait que le requérant n’a pas mentionné son ami chef cuisinier et toute l’aide qu’il lui aurait apportée auparavant.

b) Éléments de preuve médicale, psychologique ou autre présentés par le requérant à l’appui de sa prétendue incapacité

[45] Le requérant s’appuie principalement sur les lettres récentes du Dr Tewfik. Le Dr Tewfik en a rédigé cinq depuis avril 2024 à l’appui de l’appel du requérant.

[46] Les deux lettres rédigées peu avant l’audience d’août 2024 mettent l’accent sur le fait que les symptômes du requérant étaient graves et invalidants, mais n’abordent pas la question de l’incapacitéNote de bas de page 25.

[47] Même après l’audience d’août 2024, les lettres du Dr Tewfik suggèrent qu’il n’a pas bien compris le fondement des décisions sur la prétendue incapacité du requérant. En septembre 2024, le Dr Tewfik a déclaré qu’il n’était pas d’accord avec la décision concernant les versements rétroactifs parce que le requérant était [traduction] « actuellement atteint d’une invalidité grave » en raison de [traduction] « la gravité de ses symptômes actuelsNote de bas de page 26 » [Je souligne]. Mais la seule question en litige à ce moment-là et aujourd’hui est de savoir si le requérant n’avait pas la capacité requise avant sa demande de mai 2023.

[48] En octobre 2024, le Dr Tewfik s’est à nouveau concentré sur les symptômes actuels du requérant. Il a ensuite dit que ses problèmes de santé affectaient sa capacité à prendre des décisions, à demander une pension d’invalidité et à retourner au travail à quelque titre que ce soit. Par conséquent, le Dr Tewfik a déclaré que le requérant n’avait pas la capacité requise depuis 2018Note de bas de page 27.

[49] Finalement, après que le ministre a déposé ses observations détaillées à la division d’appel, le Dr Tewfik a déposé une autre lettre datée du 29 janvier 2025.

[50] Dans cette lettre de janvier 2025, le Dr Tewfik a déclaré que les troubles psychiatriques du requérant le rendaient incapable de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité du Régime à une date antérieure. Cette formulation correspond au libellé des dispositions relatives à l’incapacité. Le Dr Tewfik n’a pas donné la date précise du début de l’incapacité. Cependant, il a dit qu’il traitait le requérant depuis 2018Note de bas de page 28.

[51] Dans la même lettre, le Dr Tewfik a écrit ce qui suitNote de bas de page 29 :

[traduction]
La dépression majeure [du requérant] affecte sa mémoire, sa capacité de concentration, son énergie, sa motivation et sa pensée. Ses problèmes de santé lui font perdre une grande partie de ses capacités et l’empêchent de fonctionner, tant dans la collectivité qu’au niveau personnel. Il a du mal à gérer ses finances et à s’occuper de choses importantes, comme les rendez-vous médicaux et la prise de médicaments.

[52] Le Dr Tewfik a conclu sa lettre ainsiNote de bas de page 30 :

[Traduction]
Par conséquent, mon avis professionnel est [que le requérant] est une personne atteinte d’une invalidité grave et incapacitante en raison de son état psychiatrique actuel. Je continue d’appuyer cette demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

[53] Encore une fois, le Dr Tewfik se concentre sur l’état de santé actuel du requérant. Il n’est pas clair non plus qu’il ait bien pris en compte la distinction entre une invalidité et une incapacité. Il traite également la période écoulée depuis 2018 comme une période d’incapacité ininterrompue. Ces points sont essentiels, car le requérant a personnellement demandé une pension d’invalidité en 2023. Cet acte dépasse de beaucoup le critère peu exigeant prévu par le Régime pour conclure à une incapacité. Il n’a pas seulement formé l’intention de présenter une demande, il l’a fait.

[54] Les lettres récentes du Dr Tewfik contredisent également ses déclarations antérieures sur la capacité du requérant après 2018. Le Dr Tewfik a suggéré plus d’une fois que le requérant pouvait travailler. Cela est clairement incompatible avec une conclusion d’incapacité au titre du Régime de pensions du Canada.

[55] Par exemple, en septembre 2019, le Dr Tewfik a dit que la dépression du requérant s’était considérablement améliorée grâce à un traitement et qu’il pouvait retourner au travail sans restriction. En août 2020, le Dr Tewfik a de nouveau déclaré que le requérant pouvait retourner au travail. Le Dr Tewfik a suggéré qu’il travaille à mi-temps pendant deux semaines, après quoi il pourrait recommencer à travailler à temps pleinNote de bas de page 31.

[56] En septembre 2020, le Dr Tewfik a noté d’autres améliorations et a suggéré un plan de retour au travail encore plus agressif. Les seules mesures d’adaptation suggérées étaient une charge de travail réduite, des rapports plus courts et des dossiers moins compliquésNote de bas de page 32. Bien que le requérant n’ait jamais réussi à retourner à son travail, le Dr Tewfik croyait clairement qu’il avait conservé des capacités importantes à au moins deux reprises après 2018.

[57] Pour ces raisons, j’accorde très peu de poids aux lettres récentes du Dr Tewfik. Je ne suis pas tenu de suivre une déclaration qui reprend le texte des dispositions relatives à l’incapacité, en particulier lorsque l’exactitude de cette déclaration est remise en questionNote de bas de page 33. Comme pour le témoignage du requérant, je préfère de loin les documents objectifs préparés pendant la prétendue incapacité. Ils sont plus susceptibles de donner un aperçu fidèle de la capacité réelle du requérant à ce moment-là.

c) Preuve des autres activités du requérant au cours de la période pertinente

[58] Comme je l’ai mentionné, je ne peux pas me fier au témoignage du requérant à l’audience de la division d’appel en ce qui concerne son véritable niveau d’activité. Les documents médicaux objectifs offrent un compte rendu plus fiable de ce qui s’est réellement passé au cours de la période pertinente. Je vais maintenant souligner certaines des activités du requérant mentionnées dans ces documents.

[59] En janvier 2022, le requérant a communiqué avec son employeur pour lui demander une indemnité de retraite anticipée. Il l’a fait parce qu’il croyait ne plus pouvoir travailler comme ingénieur. Cependant, il a été déçu par le montant de la pension qu’il recevraitNote de bas de page 34.

[60] En février 2022, le requérant a dit à M. Brown qu’il se concacrait à ses traitements, qu’il voyait un psychiatre et qu’il consultait un diététicien pour perdre du poids. Il essayait aussi de faire de l’exercice à la maison. De plus, il continuait à faire du bénévolat en participant à des activités liturgiques la fin de semaine. Il était motivé financièrement à retourner au travail, mais il avait peur d’y retourner tant qu’il n’était pas assuré de bien s’en sortir. Il voulait reprendre son emploi précédent chez le même employeur. M. Brown a indiqué que le requérant était encore capable d’exercer ses fonctions de prêtreNote de bas de page 35.

[61] En mars 2022, M. Brown a déclaré que le requérant avait continué à faire du bénévolat à son église. Il avait peur de retourner au travail parce qu’il pensait qu’il pourrait être congédié. Cependant, il pouvait conduire et se rendre lui-même à ses rendez-vous à l’heureNote de bas de page 36.

[62] En avril 2022, M. Brown a noté que le requérant continuait d’assister à toutes les séances et de bien participer. Il cherchait encore des moyens de réintégrer son métier d’ingénieur. Il avait exprimé le désir de retourner au travailNote de bas de page 37. Le même mois, le requérant a envoyé au Dr Tewfik un formulaire à remplir pour obtenir son crédit d’impôt pour personnes handicapéesNote de bas de page 38.

[63] En mai 2022, le requérant a dit qu’il avait essayé de communiquer avec certains prêtres de sa région pour discuter de ses options. Il avait appris que son église avait nommé un nouvel évêque et il espérait que celui-ci pourrait l’aiderNote de bas de page 39. En juillet 2022, il a déclaré que le nouvel évêque pourrait être en mesure de l’aider à résoudre deux problèmes : son sacerdoce et son mariage. Il a également demandé au Dr Tewfik de télécopier une ordonnance à sa nouvelle pharmacieNote de bas de page 40.

[64] En août 2022, M. Brown a signalé que le requérant pouvait conduire et recevoir des visites de ses enfants. Le requérant espérait toujours que le nouvel évêque pourrait l’aider à trouver un poste rémunéré au CanadaNote de bas de page 41.

[65] Après le rapport de M. Brown d’août 2022, je ne vois qu’un autre document avant que le requérant demande une pension d’invalidité du Régime en mai 2023. Ce document est un questionnaire rempli en décembre 2022 par le Dr Tewfik. Ce questionnaire décrit des états dépressifs graves, mais ne jette pas beaucoup de lumière sur la capacité du requérant de former ou d’exprimer une intentionNote de bas de page 42. Bien que ce formulaire ne soit pas concluant sur la question de la capacité, je note que le fardeau de la preuve dans cet appel incombe au requérant.

[66] La participation du requérant aux traitements médicaux est également importante. Il a suivi de nombreux traitements médicaux avec le Dr Tewfik et d’autres personnes au cours de la période précédant mai 2023. Aucun de ses dossiers de traitement ne suggère que quelqu’un d’autre était avec lui ou a donné des instructions en son nom. En fait, il s’est rendu lui-même à ses traitements.

[67] Le requérant avait des rendez-vous réguliers avec le Dr Tewfik. Cependant, il l’a aussi appelé à de nombreuses reprises pour fixer des rendez-vous urgents. Il l’a fait au moins dix fois entre avril 2019 et décembre 2021. Il l’a également fait en avril 2022, en mai 2022, en juin 2022 et en juillet 2022. Il s’agit de la période clé dans le cadre de cet appelNote de bas de page 43.

[68] En 2022, le Dr Tewfik a souvent écrit que le requérant prenait bien ses médicaments. M. Brown a rapporté la même choseNote de bas de page 44.

[69] Je note également que le requérant n’a jamais été sous la responsabilité d’un curateur public ou d’un tuteurNote de bas de page 45. Cela donne à penser qu’il a conservé la capacité de mener sa vie quotidienne avec une intervention minimale des autres.

[70] La capacité du requérant de former ou d’exprimer une intention avant 2022 est peu importante s’il avait cette capacité en 2022 et dans la première moitié de 2023. Cependant, à titre d’exemple, je remarque qu’il semblait avoir cette capacité en janvier 2021 lorsque le Dr Wolf, psychiatre, l’a évalué.

[71] À ce moment-là, le Dr Wolf a déclaré que le requérant comprenait parfaitement les paramètres de l’évaluation et qu’il avait consenti à être interrogé. Rien n’indique que quelqu’un d’autre était présent pour parler ou consentir en son nom. Le requérant a dit au Dr Wolf qu’il travaillait comme ingénieur depuis son domicile. Il était en arrêt de travail depuis trois semaines. Il avait même compris l’objet de l’évaluation. Il a dit que celle-ci visait à l’aider à se remettre sur pied puisque sa vie s’était écrouléeNote de bas de page 46.

[72] Un autre exemple pour 2021 est celui de ses rendez-vous d’août 2021 avec le Dr Tewfik. Le requérant a dit qu’il avait récemment rencontré un responsable de son église pour discuter de ses problèmes conjugaux et de l’endroit où il pouvait exercer ses fonctions de prêtre. Il se demandait aussi s’il devait prendre une retraite anticipée de son emploi d’ingénieur ou attendre la décision de son église. Il a même donné son accord au Dr Tewfik pour qu’il parle en son nom au responsable de son église. Il a également déclaré qu’il avait fait appel à certaines de ses relations pour pratiquer ses fonctions de prêtre dans des communautés voisines non desservies. Il avait envoyé une lettre au responsable de l’église concernant l’ouverture d’une nouvelle église dans cette régionNote de bas de page 47.

[73] Un autre exemple illustrant la capacité du requérant de former ou d’exprimer une intention date de septembre 2019. Il a alors demandé au Dr Tewfik de remplir un billet de retour au travailNote de bas de page 48.

d) La mesure dans laquelle ces activités jettent un éclairage sur la capacité du requérant de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité pendant cette période

[74] Comme je l’ai mentionné, la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité est un critère peu exigeant. Je dois décider si le requérant avait la capacité mentale de former ou d’exprimer l’intention de faire d’autres choses.

[75] Les activités du requérant montrent qu’il avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité pendant toute la période précédant sa demande. Je vais maintenant expliquer cette conclusion de façon plus détaillée.

[76] Bien que le requérant ait nié s’être livré une quelconque activité importante pendant cette période, les documents objectifs révèlent qu’il s’est acquitté de nombreuses tâches. Il s’est rendu en voiture et a assisté à des rendez-vous médicaux. Il a pris ses médicaments. Il a demandé des soins supplémentaires lorsqu’il estimait que c’était urgent. Il a fait du bénévolat et s’est efforcé de trouver un rôle dans son église. Il a étudié les options qui s’offraient à lui pour prendre sa retraite de son emploi d’ingénieur. Il a cherché de l’aide pour son mariage. Il a consulté un diététicien. Il a essayé de faire de l’exercice.

[77] Toutes ces activités nécessitaient la capacité de former l’intention de faire quelque chose. Elles ne pouvaient pas être réalisées automatiquement. Je reconnais que le requérant n’a pas réussi dans toutes ces activités. Il semble qu’il ait eu du mal à suivre son programme d’exercices, par exemple. Mais la réussite n’est pas la question. Le point est qu’il a tout de même formé et exprimé l’intention de faire de l’exercice, même s’il n’a objectivement pas réussi à le faire à ce moment-là.

[78] La capacité cognitive nécessaire pour conduire est également importante. M. Brown a souligné que le requérant pouvait conduire en mars 2022 et en août 2022. La Cour fédérale a déclaré que des activités comme la conduite automobile peuvent démontrer une « intention précise d’accomplir des actions précises ». Ces activités sont donc pertinentes lorsqu’il s’agit de décider si une personne satisfait aux dispositions relatives à l’incapacitéNote de bas de page 49.

[79] Notamment, le requérant a envoyé au Dr Tewfik un formulaire à remplir pour obtenir le crédit d’impôt pour personnes handicapées. Cela équivaut à prendre des mesures pour demander une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. En faisant cela, il n’a pas seulement formé ou exprimé l’intention de faire une demande, il a donné suite à cette intention. Cela n’est pas du tout compatible avec une incapacité au sens du Régime.

[80] La demande de crédit d’impôt que le requérant a présenté en 2022 montre qu’il voulait bénéficier d’une prestation d’invalidité à laquelle il avait droit. Cela donne à penser qu’il n’a pas demandé de pension d’invalidité avant mai 2023 seulement parce qu’il ne la connaissait pas. Comme je l’ai mentionné, c’est ce qu’il a déclaré en avril 2024Note de bas de page 50, mais le fait qu’il ne connaissait pas la pension d’invalidité ne signifie pas qu’il était atteint d’une incapacitéNote de bas de page 51.

Compte tenu de ces facteurs, le requérant satisfait-il aux dispositions relatives à l’incapacité?

[81] Le requérant ne satisfait pas aux dispositions relatives à l’incapacité.

[82] J’ai tenu compte du témoignage du requérant concernant ses limitations et les raisons pour lesquelles il sentait qu’il n’avait pas la capacité requise. Même si j’ai conclu que ses limitations étaient beaucoup moins importantes que ce qu’il a décrit à l’audience de la division d’appel, j’admets qu’il avait probablement certaines déficiences. J’admets également qu’il ne pouvait pas travailler. Toutefois, cela est plus pertinent pour la question de l’invalidité que pour celle de la capacité.

[83] De même, je ne peux pas m’appuyer sur les déclarations postérieures à la période pertinente du Dr Tewfik selon lesquelles le requérant était atteint d’incapacité. Elles contredisent ses déclarations antérieures ou ne concernent pas la période pertinente. La preuve objective, en particulier, montre que le requérant avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de recevoir une pension d’invalidité pendant toute la période pertinente.

[84] J’ai examiné cette capacité en détail pour la période allant de janvier 2022 à mai 2023. Cette période s’étend sur plus d’un an avant la demande du requérant de mai 2023. Cela signifie que s’il avait la capacité requise pendant cette période, il lui est impossible de bénéficier des dispositions relatives à l’incapacité, même s’il a eu des périodes d’incapacité avant 2022. Cependant, mon examen de la période antérieure à 2022 a révélé des preuves de capacité à ce moment-là également.

[85] Je remarque que certains des éléments de preuve du requérant concernant sa prétendue incapacité ne sont pas non plus recevables parce qu’ils tendent à démontrer une incapacité à remplir une demande, plutôt qu’une incapacité de former l’intention de faire une demande. Cette distinction est essentielle. La mauvaise mémoire du requérant le gêne au moment de remplir un formulaire, pas au moment de former une intention. Avoir besoin d’aide pour remplir un formulaire de demande de prestations est différent d’avoir besoin d’aide pour former l’intention de demander des prestations.

[86] Un exemple de ceci est le (nouveau) témoignage du requérant selon lequel son ami chef cuisinier a rempli son formulaire de demande de pension d’invalidité. Cependant, le requérant a admis avoir consenti à ce qu’il le fasse. Il a également démontré ce consentement en signant le formulaire. Cela montre que le requérant avait la capacité de former et d’exprimer l’intention de faire une demande, même s’il a eu besoin d’aide pour remplir le formulaire.

[87] Je conclus que le requérant avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité à tous les moments pertinents jusqu’au 31 mai 2023. Plus précisément, il avait cette capacité pendant plus que l’année précédant le 31 mai 2023.

[88] Comme j’ai conclu que le requérant n’a pas eu de périodes d’incapacité pertinentes jusqu’au 31 mai 2023, je ne peux pas modifier la date de début de sa pension.

[89] Malgré cette décision, je reconnais les nombreuses difficultés du requérant depuis qu’il est devenu prêtre en 2018. Leurs répercussions sur lui étaient évidentes dans les documents et lors des deux audiences devant le Tribunal. Toutefois, je ne peux pas ignorer la loi applicableNote de bas de page 52. Bien que je ne puisse pas accorder plus de versements rétroactifs au requérant, il a toujours droit à la pension d’invalidité qu’il reçoit déjà.

Conclusion

[90] L’appel est rejeté. Le requérant ne satisfaisait pas aux dispositions relatives à l’incapacité du Régime de pensions du Canada. Cela signifie que la date de sa demande demeure le 31 mai 2023. Sa pension d’invalidité demeure payable à compter de juin 2022.

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