Contenu de la décision
[TRADUCTION]
Citation : NB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 390
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | N. B. |
Représentante ou représentant : | Mark S. Grossman |
Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Représentante ou représentant : | Érélégna Bernard |
Décision portée en appel : | Décision rendue par la division générale le 22 juillet 2024 (GP-23-268) |
Membre du Tribunal : | Neil Nawaz |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 4 avril 2025 |
Personnes présentes à l’audience : |
Appelante |
Date de la décision : | Le 19 avril 2025 |
Numéro de dossier : | AD-24-530 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est rejeté. L’appelante n’a pas droit à la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.
Aperçu
[2] L’appelante est une ancienne opératrice de machine. Elle a 47 ans et est née en Érythrée. Elle est arrivée au Canada en 2015. Elle a travaillé dans une usine de pièces d’automobiles à Guelph pendant près de sept ans.
[3] En mai 2021, elle a ressenti une douleur soudaine à la main droite. La douleur passait par son poignet pour se rendre jusqu’à l’épaule et au cou. Après six mois de congé, elle a repris le travail avec des tâches modifiées. Deux semaines plus tard, elle a repris ses tâches habituelles, mais la douleur est revenue en force. Sa médecin de famille l’a donc mise en congé. Elle n’a pas travaillé depuis janvier 2022.
[4] En mai 2022, l’appelante a demandé la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Dans sa demande, elle a affirmé qu’elle était invalide parce que sa blessure à la main droite l’empêchait de faire un travail répétitif. Service Canada, l’organisation qui interagit avec le public pour le compte du ministre, a rejeté la demande après avoir établi que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée.
[5] L’appelante a porté le refus du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Après une audience par téléconférence, la division générale a rejeté l’appel. Elle a conclu que, même si l’appelante avait certaines limitations fonctionnelles, son problème de santé ne l’empêchait pas de travailler depuis le 31 décembre 2023. C’était le dernier jour où le Régime de pensions du Canada lui offrait une couverture contre l’invalidité. Plus précisément, la division générale a conclu que l’appelante n’avait pas fait assez d’efforts pour trouver un autre travail.
[6] Par la suite, l’appelante a demandé la permission de faire appel à la division d’appel. Au mois d’août dernier, une de mes collègues de la division d’appel lui a donné la permission de faire appel. Plus tôt ce mois-ci, j’ai organisé une audience pour discuter en détail de la demande de pension d’invalidité présentée par l’appelante.
Question en litige
[7] Pour gagner sa cause, l’appelante devait prouver qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) qu’elle est devenue invalide pendant sa période où elle était couverte et qu’elle est toujours invalide depuis. Aux termes du Régime de pensions du Canada, l’invalidité doit être grave et prolongée.
- Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 1. La personne n’a pas droit à la pension d’invalidité si elle est régulièrement capable d’effectuer un travail quelconque qui lui permet de gagner sa vie.
- Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 2. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité tienne la personne à l’écart du marché du travail pendant très longtemps.
[8] Les parties ont convenu que l’appelante était couverte contre l’invalidité par le Régime de pensions du Canada jusqu’au 31 décembre 2023Note de bas de page 3. Par conséquent, il me fallait évaluer le problème de santé de l’appelante et décider si elle avait des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vie au plus tard à cette date.
Analyse
[9] Les personnes qui demandent la pension d’invalidité ont la responsabilité de prouver qu’elles ont une invalidité grave et prolongéeNote de bas de page 4. Après avoir appliqué la loi à la preuve disponible, j’ai conclu que l’appelante n’avait pas d’invalidité grave et prolongée pendant sa période de couverture. Je ne suis pas convaincu que ses problèmes de santé l’empêchaient d’exercer régulièrement un emploi véritablement rémunérateur à ce moment-là.
L’appelante n’avait pas d’invalidité grave
[10] Dans sa demande de pension d’invalidité du Régime, l’appelante a écrit qu’elle ne pouvait pas travailler parce qu’elle ne pouvait plus utiliser sa main droite. Elle a précisé qu’elle avait des douleurs, des engourdissements et des picotements des doigts jusqu’à l’épaule et à la tête. Elle a expliqué que son bras enflait et lui faisait mal quand elle faisait un travail répétitif. Elle n’a signalé aucune difficulté à rester assise ou debout, à marcher ou à se pencher. Par contre, elle ne pouvait pas soulever ou porter des objets ou tendre le bras droit pour attraper quelque chose. Elle a affirmé qu’elle ne pouvait pas conduire ou faire des tâches ménagères pendant de longues périodes.
[11] Durant son témoignage, l’appelante a dit qu’elle avait fait l’équivalent de sa 12e année scolaire dans son pays natal. Elle a quitté l’Érythrée en 2008, puis pendant sept ans, elle a travaillé comme femme de chambre en Arabie Saoudite avant d’immigrer au Canada. Elle a travaillé brièvement dans un établissement de transformation du poulet. Par la suite, elle a été embauchée dans une usine appartenant à X, un fabricant de pièces d’automobile.
[12] Elle travaillait sur une machine. Elle devait donc sortir un composant de la boîte, le déballer, le placer dans la machine et le remettre dans la boîte une fois l’ouvrage terminé. Elle parlait anglais à son patron. Elle est capable de parler et de comprendre les mots simples, mais elle ne pourrait pas avoir une conversation de tous les jours.
[13] Pendant ses six premières années chez X, sa santé était assez bonne. En mai 2021, sa main droite s’est soudainement mise à enfler. Elle en a parlé à son patron, qui lui a dit de travailler plus lentement. La douleur a persisté, alors il l’a mise sur une autre machine et lui a suggéré d’utiliser surtout sa main gauche. Elle devait suivre un rythme plus rapide, et elle était jumelée avec une collègue.
[14] Ses douleurs ont continué d’empirer et se sont étendues à son bras droit, puis à l’épaule et au cou. En novembre 2021, X lui a officiellement assigné des tâches modifiées — elle travaillait sur une ligne régulière, non pas comme opératrice principale, mais comme assistante. Après deux mois, elle n’en pouvait plus.
[15] Quand on lui demande si elle pourrait effectuer un autre type de travail, par exemple dans un café, elle répond que non. Elle a expliqué qu’elle avait mal à la main et au bras même en position assise : [traduction] « Je la sens tout le temps, même quand je ne l’utilise pas. » Elle a dit que, dans son état, elle ne peut même pas chercher du travail. Les médicaments antidouleurs aident, mais seulement pendant de courtes périodes.
[16] Je comprends que l’appelante a le sentiment d’être invalide. Cependant, je ne peux pas fonder ma décision uniquement sur son opinion subjective de sa propre capacité de travailNote de bas de page 5 . Je dois regarder l’ensemble des éléments de preuve, donc pas seulement son témoignage, mais aussi la preuve médicale et d’autres choses, comme son passé, ses caractéristiques personnelles et les efforts qu’elle a faits pour recevoir un traitement.
[17] Au bout du compte, j’ai conclu que l’appelante n’avait pas démontré qu’elle avait une invalidité grave et prolongée à la hauteur des critères juridiques prévus par le Régime de pensions du Canada. Voici pourquoi je suis arrivé à cette conclusion.
L’appelante a subi une lésion due aux mouvements répétitifs, mais qui semble légère et traitable
[18] Les personnes qui demandent la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada doivent fournir des éléments de preuve médicale objective pour appuyer leur allégation d’invaliditéNote de bas de page 6. Dans la présente affaire, l’appelante a présenté des résultats et des rapports qui confirment la présence de pathologies associées avec une lésion due aux mouvements répétitifs :
- En mai 2021, la Dre Al-Zubaidy, médecin de famille, a vu l’appelante pour des douleurs à la main et au bras du côté droit. L’examen a révélé une possible tendiniteNote de bas de page 7 (inflammation du tendon). Les radiographies du poignet et de l’épaule droite n’ont montré aucune anomalieNote de bas de page 8. En revanche, l’échographie de l’épaule droite a révélé des signes de tendinose (inflammation du tendon due à une utilisation répétée) sans déchirure de la coiffe du rotateurNote de bas de page 9.
- En juin 2021, l’appelante a été dirigée vers une neurologue pour faire évaluer ses douleurs au bras droitNote de bas de page 10. Durant l’examen, la Dre Cartagena a noté un tonus musculaire normal dans les bras et le cou de l’appelante. Selon la médecin, ces conclusions ne concordaient pas avec les plaintes d’engourdissements, de picotements et de faiblesse. Les résultats des tests de conduction nerveuse étaient normaux. Elle soupçonnait que les symptômes de l’appelante étaient d’origine myofasciale ou liés à une surutilisation. Elle a recommandé à l’appelante de continuer à faire de la physiothérapie.
- En janvier 2022, une chirurgienne orthopédiste et une ergothérapeute ont fait une évaluation complète du bras de l’appelante dans le cadre de sa demande d’indemnisation à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travailNote de bas de page 11. Durant l’examen de l’appelante, elles ont noté la diminution de l’amplitude de mouvement et des forces de préhension et de pincement au poignet droit et à l’avant-bras droit. Leur diagnostic préliminaire était une ténosynovite de De Quervain avec une possible lésion du ligament interosseux scapholunaire et un syndrome du canal carpien. Elles lui ont suggéré d’effectuer des tâches modifiées qui ne l’obligeaient pas à utiliser la main droite. Elles s’attendaient à un rétablissement complet après environ 6 à 12 semaines.
- En avril 2022, une imagerie par résonance magnétique du poignet droit a révélé une tendinose et un petit œdème de la moelle osseuse, qui résultait sans doute des microtraumatismes engendrés par les mouvements répétitifs du poignetNote de bas de page 12. Quelques mois plus tard, il n’y avait aucune anomalie sur les échographies du poignet droit et de l’avant-bras droit, mais une échographie de l’épaule a révélé une tendinopathieNote de bas de page 13.
- En juillet 2022, la Dre Al-Zubaidy a rempli un questionnaire médical pour accompagner la demande de pension d’invalidité du Régime présentée par l’appelanteNote de bas de page 14. La médecin a écrit que l’appelante a des limitations fonctionnelles en raison de douleurs au bras droit, particulièrement en cas de mouvements répétitifs : elle est incapable de pousser, de tirer ou de soulever des objets avec son bras droit. La Dre Al-Zubaidy n’a pas conseillé à l’appelante de cesser de travailler, mais plutôt d’essayer un travail modifié ou de trouver un autre travail où elle ne ferait aucun mouvement répétitif.
- En septembre 2022, la Dre Al-Zubaidy a écrit que l’appelante s’était récemment rendue à l’urgence pour des douleurs au poignetNote de bas de page 15. Durant son examen, la Dre Al-Zubaidy a simplement écrit [traduction] « fait semblant ».
- En mars 2023, l’appelante a consulté un chirurgien orthopédiste pour obtenir un deuxième avisNote de bas de page 16. Durant l’examen, le Dr Mathew a noté qu’elle [traduction] « protégeait » sa main et qu’elle présentait plusieurs signes [traduction] « comportementaux révélateurs de la douleur ». Il a conclu qu’elle souffrait de douleurs chroniques. Durant un suivi, le Dr Ma[thew] a écrit qu’il avait examiné les imageries par résonance magnétique du poignet et de l’épaule et qu’il n’avait rien vu qui expliquerait la douleur de l’appelanteNote de bas de page 17. Il a conclu que l’appelante avait des douleurs chroniques qui concordaient avec la ténosynovite de De Quervain. Il a écrit qu’elle refusait les injections de cortisone avant de passer l’électromyographie.
- En juillet 2023, la Dre Al-Zubaidy a rempli un formulaire sur les capacités fonctionnelles pour la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail. Elle a écrit que l’appelante était capable de travailler à temps plein avec une seule limitation : ne pas utiliser la main droiteNote de bas de page 18.
- En août 2023, l’appelante a consulté le Dr Mohapatra, un spécialiste de la douleurNote de bas de page 19. Il lui a diagnostiqué une ténosynovite de De Quervain, des douleurs myofasciales, des douleurs mécaniques au cou, une irritation de la coiffe des rotateurs, une épicondylite latérale et un syndrome de douleur chronique. L’appelante a de nouveau refusé les injections jusqu’à ce qu’elle reçoive les résultats de l’électromyographie. Entre-temps, le Dr Mohapatra a suggéré divers médicaments qu’elle pouvait prendre si sa thérapie actuelle ne soulageait pas ses douleurs.
- Le même mois, l’appelante a vu la Dre Ballard, physiatre. Cette dernière a écrit que les principaux problèmes se situaient autour du poignet droit et de la région du pouce. L’électromyographie a révélé un syndrome du canal carpien très léger. Selon la Dre Ballard, des injections de cortisone pourraient aider à soulager les symptômesNote de bas de page 20.
- En octobre 2023, après avoir examiné les résultats de l’électromyographie, le Dr Mathew a affirmé que, comme le problème de santé de l’appelante était multifactoriel, elle bénéficierait d’une approche de traitement multimodaleNote de bas de page 21.
- Dans un questionnaire sur le retour au travail rempli en octobre 2023, un chiropraticien a écrit que l’appelante n’était pas en mesure de reprendre ses tâches modifiées et qu’en raison des douleurs chroniques, le pronostic de rétablissement était réservéNote de bas de page 22. En mars 2025, un autre chiropraticien a rédigé une lettre où il déclare l’appelante inapte au travailNote de bas de page 23.
[19] Les rapports médicaux portés à ma connaissance montrent clairement que l’appelante a subi une blessure réelle et importante en raison des mouvements répétitifs qu’elle faisait quand elle travaillait à l’usine. Les personnes qui l’ont soignée ont diagnostiqué chez elle divers problèmes de santé, dont une tendinose, une ténosynovite de De Quervain et une épicondylite latérale. Cela dit, avoir un diagnostic ne veut pas nécessairement dire qu’on est invalide. Je dois surtout vérifier si l’appelante avait des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de travaillerNote de bas de page 24.
[20] Les tests et les résultats d’imagerie ont révélé peu d’anomalies du côté droit. Plusieurs des médecins de l’appelante ont souligné le contraste entre les pathologies relativement légères observées à la main, au poignet et à l’épaule et l’intensité et la durée des douleurs dont se plaignait l’appelante. Dans la demande de pension d’invalidité du Régime, sa médecin de famille n’a pas mentionné que l’appelante était incapable de faire tout genre de travail. Les seuls emplois qui sont écartés sont ceux où elle aurait à prendre des objets et à utiliser la main droite de façon répétée. La Dre Al-Zubaidy semble avoir maintenu la même position jusqu’à récemment, quand elle a rempli un formulaire de retour au travail où elle précise que l’appelante est incapable de reprendre des fonctions, même si ses tâches sont modifiées. Elle a cependant nuancé cette déclaration en ajoutant « selon la patienteNote de bas de page 25 ». Malgré tout, cette évaluation survient plus d’un an après la fin de la couverture de l’appelante.
[21] Le fait que la médecin de famille ait décrit l’appelante comme quelqu’un qui [traduction] « fait semblant d’être malade » n’a pas aidé les choses. La Dre Al-Zubaidy a utilisé cette expression – qui sert habituellement à désigner les personnes qui simulent une maladie pour éviter d’avoir à travailler – une seule fois sans donner plus de détails. Nulle part ailleurs dans les dossiers qui ont été déposés au Tribunal elle n’a suggéré que sa patiente exagérait l’intensité de ses douleurs. C’est pourquoi je n’ai pas accordé une grande importance à l’usage isolé de cette expression lourde de sens par la Dre Al-Zubaidy.
La blessure de l’appelante est devenue un problème de douleur chronique dont le traitement n’est pas complet
[22] Comme je l’ai mentionné, l’appelante s’est plainte de douleurs dont l’intensité dépassait ce à quoi s’attendaient les personnes qui la soignaient après avoir vu les résultats de l’imagerie. Et ses douleurs ont persisté malgré les prédictions initiales voulant qu’elles disparaissent en l’espace de quelques mois. Après un certain temps, elle a reçu un diagnostic de douleur chronique.
[23] Aucune définition de la douleur chronique ne fait autorité. Malgré tout, on considère en général que c’est une douleur dont l’existence ne repose pas sur des symptômes objectifs et dont l’intensité est disproportionnée ou la durée persiste après la période normale de guérison de la blessure initiale. Dans l’affaire Martin, la Cour suprême du Canada a jugé que la douleur chronique est un problème de santé qui peut véritablement rendre la personne invalideNote de bas de page 26.
[24] La décision Martin ne contient aucune précision sur la façon dont il faut apprécier les éléments de preuve portant sur les douleurs chroniques dans le cadre de l’évaluation de l’invalidité. La décision reste d’ailleurs muette sur la mesure dans laquelle les juges des faits doivent ou non tenir compte des éléments de preuve subjectifs. Cependant, on peut sans doute raisonnablement soutenir qu’une maladie dont la caractéristique déterminante est la façon dont les personnes atteintes perçoivent la douleur s’évalue, du moins en partie, par la prise en compte des éléments de preuve subjectifs qu’elles déposent au sujet de l’intensité de la douleur et de ses effets débilitants. Si cela est raisonnable, la question de la crédibilité de la personne qui demande des prestations prend alors une plus grande importance.
[25] J’ai cru l’appelante quand elle a dit durant son témoignage qu’elle ressentait de la douleur. Ce n’était toutefois pas suffisant pour me convaincre qu’elle avait une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2023. Je dis cela pour deux raisons. Premièrement, ses douleurs étaient localisées : elles touchent surtout son bras droit et ne semblent pas affecter ses autres capacités fonctionnelles, comme s’asseoir, se tenir debout et marcher. Deuxièmement, et c’est le plus important, ses douleurs semblent avoir des origines tant psychologiques que physiques.
[26] La Dre Al-Zubaidy a noté que, même si la médecin lui a souvent assuré le contraire, l’appelante était anxieuse et craignait que ses douleurs découlent d’un problème de santé plus graveNote de bas de page 27. La Dre Jewer et Mme Jeaurond ont souligné que l’appelante se sentait dépassée, qu’elle avait une perception magnifiée de son invalidité et qu’elle avait tendance à envisager le pireNote de bas de page 28. Le Dr Mathew a écrit que la douleur de l’appelante était [traduction] « multifactorielle » et nécessitait une approche d’équipeNote de bas de page 29. Il a ajouté que, si l’appelante n’était pas bientôt dirigée vers une clinique multidisciplinaire, il craignait que ses problèmes de douleur deviennent chroniques.
[27] Malgré les préoccupations du Dr Mathew, l’appelante n’a jamais suivi une thérapie multidisciplinaire. Elle n’a pas non plus été dirigée vers un autre type de consultation pour la gestion de la douleur. Elle n’a pas consulté de psychologue ni de psychiatre. Elle a été dirigée vers un spécialiste de la douleur, le Dr Mohapatra, qui lui a suggéré une série d’autres traitements pharmacologiques, dont au moins deux (Cymbalta et Elavil) sont spécifiquement indiqués pour l’anxiété et la dépression. Il semble qu’elle n’ait pas non plus essayé ces deux médicaments.
[28] On ne sait pas trop pourquoi ni la Dre Al-Zubaidy ni l’appelante elle-même n’ont cherché des façons de traiter les facteurs psychologiques à la base des douleurs de l’appelante. Peu importe la raison, une telle omission nuit à la demande de pension d’invalidité de l’appelante. Selon la jurisprudence, les personnes qui demandent la pension d’invalidité doivent faire des démarches raisonnables pour suivre les traitements recommandés par leurs médecinsNote de bas de page 30. Dans la présente affaire, l’appelante n’a pas essayé toutes les options de traitement recommandées. Par conséquent, je dois me demander si sa déficience est vraiment prolongée.
Le passé de l’appelante et ses caractéristiques personnelles ne la rendent pas incapable d’occuper un emploi
[29] La majorité des éléments de preuve me convainquent que l’appelante a quand même une certaine capacité de travail. J’ai toujours cette impression même après avoir examiné son passé et ses caractéristiques personnelles.
[30] Pour décider si les personnes qui demandent la pension d’invalidité du Régime peuvent travailler, je ne peux pas me contenter d’examiner leurs problèmes de santé. Je dois aussi tenir compte de caractéristiques comme leur âge, leur niveau d’instruction, leurs aptitudes linguistiques, leurs antécédents de travail et leur expérience de vie. Il ne faut pas évaluer l’employabilité de façon abstraite, mais plutôt à la lumière de « toutes les circonstances ». Celles-ci m’aident donc à décider si chaque personne est capable de travailler dans un contexte réalisteNote de bas de page 31 .
[31] Dans la présente affaire, l’appelante a une lésion due à des mouvements répétitifs. Elle a aussi reçu un diagnostic de problèmes de douleurs. En revanche, elle a plusieurs atouts qui l’aideraient à trouver un emploi. Elle avait à peine 47 ans à la fin de sa période de couverture. Elle a fait l’équivalent de ses études secondaires. Pendant six ans, elle a accumulé de l’expérience de travail dans une grande entreprise au Canada.
[32] Ses compétences en anglais sont un désavantage — elle est arrivée au Canada à l’âge adulte et a eu besoin de services d’interprétation à l’audience, mais je suis convaincu qu’elle pourrait se débrouiller dans de nombreux milieux de travail anglophones où les tâches sont peu spécialisées. En 2015, elle a suivi des cours d’anglais langue seconde pendant six semaines. Durant son témoignage, elle a dit qu’elle maîtrisait assez bien l’anglais pour communiquer avec des mots simples. Elle a notamment pu conserver pendant plusieurs années un poste sur une chaîne de production chez X, et ce, même si son patron était anglophone.
[33] Le passé de l’appelante ne fait ressortir aucun obstacle fondamental à son maintien en emploi. En fait, avec son dossier médical peu convaincant, son passé laisse entrevoir qu’elle a toujours une capacité résiduelle de travail. Comme nous le verrons à l’instant, cette capacité résiduelle l’obligeait au moins à tenter de réintégrer le marché du travail.
L’appelante n’a pas tenté d’occuper un autre emploi
[34] Selon une décision de la Cour d’appel fédérale intitulée Inclima, les personnes qui demandent la pension d’invalidité doivent faire des efforts pour trouver un autre emploi qui prend mieux en compte leurs déficiences :
En conséquence, [une personne] qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’[elle] a de sérieux problèmes de santé, mais dans des affaires comme la présente, où il y a des preuves de capacité de travail, [elle] doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santéNote de bas de page 32.
[35] Cette explication donne à penser que, si la personne conserve au moins une certaine capacité de travail, la division générale doit faire une analyse i) pour voir si la personne a tenté de trouver un autre emploi et, si la réponse est oui, ii) pour vérifier si ses déficiences l’ont empêchée d’obtenir et de conserver cet emploi.
[36] De plus, les personnes qui demandent la pension d’invalidité doivent faire des tentatives sérieuses pour reprendre le travailNote de bas de page 33. Elles ne peuvent pas limiter leurs recherches d’emploi au type de travail qu’elles faisaient avant de devenir invalides. En effet, elles doivent démontrer qu’elles sont régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 34. Les personnes qui n’essaient pas de trouver un autre type d’emploi pourraient ne pas avoir droit à la pension.
[37] L’appelante a quand même une certaine capacité de travail — elle est suffisante pour déclencher l’obligation de chercher un autre travail. Mais l’appelante n’a fait aucune démarche sérieuse pour essayer de trouver un autre emploi ou pour se recycler dans un autre domaine.
[38] L’appelante soutient qu’elle a déjà essayé, sans succès, de faire un travail plus léger. C’était chez X, quand elle a fait pendant plusieurs mois ce qu’on appelle des « tâches modifiées ». Toutefois, pendant son témoignage, elle a mentionné que ces tâches étaient en fait exigeantes sur le plan physique. Elle a précisé qu’il était difficile de travailler sur une machine, même avec de l’aide, en utilisant seulement un bras. Au bout du compte, elle travaillait encore sur une chaîne de production qui, indépendamment des mesures d’adaptation mises en place, exige forcément un certain degré de mouvements répétitifs avec la main dominante.
[39] Au bout du compte, je n’ai pas pu évaluer clairement les déficiences de l’appelante parce qu’elle n’a jamais essayé de faire un travail qui prendrait mieux en compte ses limitations. C’est dur de travailler dans une usine. L’appelante n’est peut-être plus capable de travailler comme opératrice de machine, mais cela ne veut pas dire qu’elle est incapable d’essayer un travail qui serait peut-être moins dur pour les mains et les bras.
Je n’ai pas à vérifier si l’invalidité est prolongée
[40] L’invalidité doit être grave et prolongéeNote de bas de page 35. L’appelante n’a pas prouvé que son invalidité est grave. Il n’est donc pas nécessaire de voir si elle est prolongée. Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, le fait que l’appelante n’a pas suivi de traitement multidisciplinaire de la douleur m’amène à penser que son problème de santé ne durera peut-être pas pendant une période longue, continue et indéfinie.
Conclusion
[41] L’appelante a reçu un diagnostic de lésion due à des mouvements répétitifs de la main droite. Cette blessure est devenue un problème de douleurs chroniques. Elle n’a toutefois pas déposé assez de preuves médicales pour démontrer que ces diagnostics ont entraîné des limitations fonctionnelles importantes. La loi exige que les personnes qui demandent la pension d’invalidité essaient de pallier ou de surmonter les effets de leurs déficiences. Même si l’appelante a une capacité résiduelle de travail, elle n’a pas suivi tous les traitements recommandés ni fait assez d’efforts pour trouver un autre travail. Voilà pourquoi je ne suis pas convaincu que l’appelante est régulièrement incapable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur.
[42] L’appel est rejeté.