Régime de pensions du Canada (RPC) – invalidité

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[TRADUCTION]

Citation : TV c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 540

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : T. V.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante ou représentant : Andrew Kirk

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 3 octobre 2024
(GP-23-1917)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 14 mai 2025
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentant de l’intimé
Date de la décision : Le 23 mai 2025
Numéro de dossier : AD-25-24

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Décision

[1] Je rejette l’appel. L’appelante n’a pas droit à la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.

Aperçu

[2] L’appelante a 63 ans et elle a travaillé en installation et nettoyage de stores comme travailleuse autonome. Elle a des antécédents de problèmes aux hanches et au dos. Elle a arrêté de travailler en septembre 2021 et a subi une arthroplastie de la hanche droite en avril 2024.

[3] En avril 2022, l’appelante a demandé la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Dans sa demande, elle a affirmé qu’elle ne pouvait plus travailler parce qu’elle avait des douleurs chroniques au dos qui faisaient qu’elle avait de la difficulté à soulever les storesNote de bas de page 1.

[4] Service Canada, l’organisme public du ministre, a refusé la demande après avoir établi que l’appelante n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée au cours de sa période de couverture d’invalidité du Régime de pensions du Canada, qui s’est terminée au plus tard le 31 janvier 2021Note de bas de page 2. Il a notamment fait remarquer que le médecin de famille de l’appelante ne lui avait pas conseillé d’arrêter de travailler avant novembre 2021.

[5] L’appelante a fait appel du refus du ministre à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Celle-ci a organisé une audience par téléconférence et elle a rejeté l’appel. Elle a conclu que, même si l’appelante était peut-être atteinte d’une invalidité maintenant, il n’y avait pas suffisamment de preuves médicales démontrant qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice à compter du 31 janvier 2021.

[6] Par la suite, l’appelante a demandé la permission de faire appel à la division d’appel. En janvier, un de mes collègues a accordé à l’appelante la permission de faire appel. Plus tôt ce mois-ci, j’ai tenu une audience pour discuter en détail de la demande de pension d’invalidité de l’appelante.

Questions en litige

[7] Pour obtenir gain de cause, l’appelante a dû prouver qu’il était plus probable qu’improbable qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée pendant sa période de couverture d’invalidité du Régime de pensions du Canada, ou comme on l’appelle plus formellement, la période minimale d’admissibilité.

  • Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3. La personne n’a pas droit à la pension d’invalidité si elle est régulièrement capable d’effectuer un travail quelconque qui lui permet de gagner sa vie.
  • Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 4. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité tienne la personne à l’écart du marché du travail pendant très longtemps.

[8] Selon son registre des gains et des cotisations, la période minimale d’admissibilité régulière de l’appelante a pris fin le 31 décembre 2020Note de bas de page 5. Comme elle avait également des cotisations modestes en 2021, elle a pu avoir recours à la disposition relative au calcul au prorata, ce qui a prolongé sa couverture jusqu’au 31 janvier 2021Note de bas de page 6. Dans le présent appel, ma tâche consistait à décider si l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à compter de la dernière date.

Analyse

[9] J’ai appliqué la loi aux éléments de preuve disponibles et j’ai conclu que l’appelante n’a pas droit à la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. L’appelante est atteinte de douleurs chroniques au dos et à la hanche, mais il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que cela l’empêchait de travailler avant le 31 janvier 2021.

Les déficiences de l’appelante sont devenues graves après sa période de couverture

[10] Une personne qui demande des prestations d’invalidité a le fardeau de prouver qu’elle était atteinte d’une incapacité grave et prolongée pendant sa période de couvertureNote de bas de page 7. Après avoir examiné le dossier, j’ai conclu que l’appelante ne s’est pas acquittée de cette responsabilité selon le critère énoncé dans le Régime de pensions du Canada. Bien que l’appelante ait eu des problèmes de santé avant le 31 janvier 2021, la preuve montre qu’ils se sont considérablement aggravés bien après cette date.

L’appelante a admis qu’elle pouvait travailler après sa période de couverture

[11] Dans sa demande de prestations, l’appelante a dit qu’elle détenait et exploitait une entreprise de nettoyage de stores depuis 24 ans. Elle a aussi dit qu’elle faisait aussi de la peinture et du ménage comme travail complémentaire dans le domaine de la constructionNote de bas de page 8. Elle a affirmé qu’elle était devenue incapable de faire tout travail en septembre 2021.

[12] À son audience, l’appelante a déclaré qu’elle a toujours eu des migraines et des problèmes de dos, mais qu’ils ont seulement commencé à être vraiment désagréables vers la fin de 2021. Elle a commencé sa carrière au bureau de la paie d’une entreprise qui fabriquait des moteurs électriques, mais elle a quitté cet emploi pour lancer sa propre entreprise en 1997. Au cours des 20 années qui ont suivi, elle a travaillé en installation, réparation et nettoyage de stores à Langley, en Colombie-Britannique.

[13] En 2018, elle a déménagé à plusieurs heures à X, une collectivité beaucoup plus petite, où elle a tenté d’établir une entreprise semblable. Elle a eu de la difficulté à se bâtir une nouvelle clientèle à partir de zéro, alors elle a accepté un travail à temps partiel où elle peignait des bordures de toit qui seraient installées sur l’extérieur des maisons. Lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé, son entreprise en a souffert, mais elle a poursuivi son travail comme peintre.

[14] À l’automne 2021, ses problèmes de dos se sont soudainement aggravés, mais elle ne sait pas trop pourquoi. Elle ne se souvient pas d’un incident ou d’une blessure précis qui aurait pu entraîner cette détérioration, mais en peu de temps, elle a commencé à être de plus en plus chancelante. Elle ne se sentait pas à l’aise de monter dans des échelles, ce qui était un véritable problème en raison de son travail.

[15] À peu près au même moment, elle a commencé à ressentir de la douleur à la hanche gauche, mais elle en a seulement parlé à son médecin au début de 2022. Cette douleur s’est aggravée rapidement, et l’appelante a commencé à faire des chutes. Elle a été placée sur une liste d’attente pour subir une arthroplastie de la hanche et a enfin eu son opération en avril 2024. Cela a soulagé sa douleur, mais son rétablissement a été lent et sa capacité physique n’est plus qu’une fraction de ce qu’elle était. Elle n’a pas travaillé depuis 2021, mais elle fait encore du travail d’entretien à l’occasion.

[16] Par écrit et dans son témoignage, l’appelante a constamment affirmé qu’elle était essentiellement en bonne santé jusqu’à la fin de 2021. Cela faisait longtemps qu’elle avait des maux de dos, mais elle avait réussi à les gérer avec des coussins chauffants et des analgésiques en vente libre. Elle admet que son état s’est soudainement détérioré en septembre 2021, mais sa période de couverture avait déjà pris fin huit mois auparavant.

[17] Même s’il est possible que l’appelante soit invalide maintenant, ce qu’elle a dit laisse entendre qu’elle était encore régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice à compter du 31 janvier 2021.

Les preuves médicales datant d’avant le 31 janvier 2021 ne révèlent pas de problèmes de santé graves

[18] Une personne qui demande des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada doit fournir une preuve médicale objective de l’invalidité mentale ou physique dont elle prétend être atteinte, y compris des rapports sur sa nature, son étendue et le pronosticNote de bas de page 9. Au moins une partie de la preuve doit porter sur la période de couverture de la personne.

[19] Dans la présente affaire, les preuves médicales disponibles ne donnent pas à penser que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave avant le 31 janvier 2021 :

  • En février 2020, la Dre Enns, médecin de famille, a signalé que l’appelante se plaignait de migraines et d’un sommeil de mauvaise qualitéNote de bas de page 10. La Dre Enns a fait remarquer que l’appelante avait signalé qu’elle vivait plus de stress parce qu’elle cherchait du travail, déménageait dans une nouvelle maison et pleurait la mort de ses deux frères. La Dre Enns a prescrit de l’amitriptyline à l’appelante pour ses migraines et son anxiété. Deux mois plus tard, l’appelante lui a dit qu’elle trouvait l’amitriptyline utileNote de bas de page 11.
  • En décembre 2020, l’appelante a informé la Dre Enns qu’elle avait des douleurs à la hanche gauche depuis qu’elle avait fait une chute cinq ans plus tôtNote de bas de page 12. Elle a aussi trouvé Advil utile. La Dre Enns n’a rien relevé d’inhabituel sur les radiographies, mais elle a néanmoins recommandé que l’appelante fasse de la physiothérapie et qu’elle reçoive des injections de corticostéroïdes.
  • Dans une note clinique datant de janvier 2021, quelques semaines seulement avant la fin de la période de couverture, la Dre Gilbank, remplaçant la Dre Enns, a renouvelé l’amitriptyline de l’appelante et a augmenté sa doseNote de bas de page 13. Toutefois, il n’y avait rien dans la note ni dans celles qui l’ont précédée immédiatement pour laisser entendre que l’état de santé de l’appelante s’était considérablement aggravé au point où elle ne pouvait plus travailler.
  • L’entrée suivante a été faite trois mois plus tard. En avril 2021, l’appelante a vu la Dre Enns pour faire renouveler des ordonnances et subir un examen médical, ce qui était normalNote de bas de page 14. Au cours des six mois qui ont suivi, l’appelante a consulté la Dre Enns à six reprises, principalement au sujet d’une douleur intermittente au sein gauche et d’autres problèmes passagersNote de bas de page 15.
  • L’appelante n’a pas mentionné de nouveau ses douleurs à la hanche ou au dos avant novembre 2021, lorsqu’elle a décrit une sensation de « brûlement » autour de la hanche antérolatérale, et parfois jusque dans la fesse et le long de la jambeNote de bas de page 16. Les radiographies subséquentes ont révélé des résultats compatibles avec une scoliose et une discopathie dégénérative liée à l’âgeNote de bas de page 17.
  • Ce n’est qu’en février 2022, bien après la période minimale d’admissibilité, que l’appelante a été aiguillée vers un spécialiste. Le Dr De Wet, qui dirige une clinique de gestion de la douleur, a diagnostiqué des maux de dos chroniques intermittents chez l’appelante et a ordonné des injections de lidocaïneNote de bas de page 18. Ses notes montrent clairement que la douleur de l’appelante n’est devenue aiguë qu’après la période de couverture : [traduction] « [Elle] a dû composer avec des maux de dos intermittents au cours des cinq dernières années environ, qui sont devenus constants au cours de la dernière année. Elle s’est penchée pour ramasser quelque chose en août dernier et a ressenti une douleur aiguë dans le bas du dos [du côté gauche] ou à la jonction lombosacrée. Elle a eu de graves douleurs au dos pendant quelques jours qui se sont apaisées. Après quelques mois, la douleur a commencé à irradier à l’aine [du côté gauche] et à la région latérale de la cuisse jusqu’au son genou. »
  • En mai 2022, la Dre Enns a rempli un questionnaire médical pour accompagner la demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada présentée par l’appelanteNote de bas de page 19. La Dre Enns a diagnostiqué chez l’appelante un syndrome de douleur chronique, une discopathie dégénérative et des migraines, et elle a noté qu’elle avait de la difficulté à accomplir tout travail physiquement exigeant ainsi qu’à demeurer assise ou debout pendant des périodes prolongées. Elle a dit qu’elle avait avisé l’appelante d’arrêter de travailler à compter du 1er novembre 2021.
  • Toutefois, cette opinion ne correspond pas à ce que disait la Dre Enns dans ses notes cliniques de l’année précédente. Comme il a été mentionné, il y a eu les 11 mois entre décembre 2020 et novembre 2021 au cours desquels l’appelante n’a apparemment pas mentionné de douleurs au dos ou à la hanche à sa médecin de famille, même si elle l’a vue à maintes reprises pendant cette période. Et si la Dre Enns a conseillé à l’appelante d’arrêter de travailler en novembre 2021, il n’en était pas fait mention dans ses notes cliniques provenant de cette époque environ. Quoi qu’il en soit, novembre 2021 a eu lieu plusieurs mois après la fin de la période de couverture.
  • En février 2023, un autre médecin de famille, le Dr Lepage, a signalé que la douleur à la hanche gauche de l’appelante avait progressé au cours [traduction] « d’au moins un an et demi », ce qui laisse entendre encore une fois que son état n’est devenu aigu qu’après sa période de couverture. Le Dr Lepage a fait remarquer que, même si les radiographies de l’appelante semblaient normales, elle faisait probablement de l’arthrose et elle était une bonne candidate pour une arthroplastieNote de bas de page 20.

[20] Dans l’ensemble, il n’y a pas de preuves médicales objectives au dossier qui laissent croire que l’appelante avait des déficiences fonctionnelles importantes avant le 31 janvier 2021. Il ne fait aucun doute que l’appelante a des antécédents de douleurs au dos et à la hanche. Toutefois, elle a rarement mentionné des douleurs au dos à la Dre Enns en 2020-2021, et elle n’a pas fait mention de douleurs à la hanche avant décembre 2020 (seulement deux mois avant la fin de la période de couverture). Même à cette époque, l’appelante a déclaré qu’elle avait seulement une [traduction] « sensibilité » à la hanche et qu’on s’en était occupé en lui donnant des injections sous-cutanéesNote de bas de page 21. Ce n’est que l’année suivante que l’appelante a signalé une douleur débilitante qui aurait pu nuire à sa capacité de travailler, si elle travaillait encore. En bref, l’état de santé de l’appelante s’est détérioré bien après sa période minimale d’admissibilité.

L’appelante a travaillé après sa période de couverture

[21] Le témoignage de l’appelante et sa preuve médicale donnent à penser qu’elle était fonctionnelle avant le 31 janvier 2021. Mais il y a aussi le fait qu’elle a gagné une somme véritablement rémunératrice après cette date.

[22] L’article 68.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada attribue chaque année une valeur précise en dollars à une « occupation véritablement rémunératrice ». Tout salaire qui dépasse la somme annuelle maximale qu’une personne peut recevoir à titre de pension d’invalidité est considéré comme provenant d’une occupation véritablement rémunératrice. En 2021, ce montant était de 17 025 $.

[23] Dans sa demande de prestations, l’appelante a dit avoir occupé deux postes différents jusqu’en septembre 2021 : elle travaillait 16 heures par semaine à peindre et nettoyer des maisons et 8 heures par semaine à gérer son entreprise de storesNote de bas de page 22. Dans son témoignage, l’appelante a confirmé qu’elle avait continué de travailler pendant une bonne partie de 2021. Cette année-là, elle a déclaré une rémunération totalisant 18 690 $, bien qu’elle ne sache pas quelle proportion de cette somme provenait d’une entreprise, d’un emploi ou d’une autre sourceNote de bas de page 23. Cette rémunération a dépassé le montant maximal permis pour l’année.

[24] Malheureusement, il n’y a rien dans la loi qui me permette de dire que les rémunérations supérieures au seuil sont autre chose que des rémunérations véritablement rémunératrices. Je comprends que l’appelante a peut-être dû travailler malgré le fait qu’elle avait de la douleur, mais il n’en demeure pas moins qu’elle a conservé deux emplois raisonnablement bien rémunérés pendant une bonne partie de 2021. Selon la philosophie qui régit le Régime de pensions du Canada, soit les personnes qui demandent des prestations sont régulièrement capables de détenir une occupation véritablement rémunératrice, soit elles en sont incapables. La loi ne leur demande pas si elles ont de la difficulté à exécuter leurs tâches. Elle cherche seulement à savoir si elles sont capables de faire leur travail de façon soutenue et si ce travail leur permet de gagner leur vie.

Je n’ai pas à vérifier si l’invalidité de l’appelante est prolongée

[25] L’invalidité doit être grave et prolongéeNote de bas de page 24. Comme l’appelante n’a pas prouvé que son invalidité est grave, il n’est pas nécessaire de vérifier si elle est prolongée.

Conclusion

[26] Les problèmes de dos et de hanche de l’appelante sont peut-être graves maintenant, mais il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’ils étaient graves le 31 janvier 2021, qui est la dernière fois où elle a eu droit à des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Le dossier médical de l’appelante précise que ses douleurs au dos étaient légères et intermittentes pendant une bonne partie de 2021. Cela porte également à croire que sa douleur à la hanche est seulement devenue aiguë l’année suivante. L’appelante a admis qu’elle avait réussi à continuer de travailler jusqu’à la fin de 2021, ce qui est confirmé par sa rémunération supérieure au seuil pour l’année. 

[27] L’appel est rejeté.

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