Contenu de la décision
[TRADUCTION]
Citation : La succession de CS c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 613
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu
Décision
Partie appelante : | La succession de C. S. |
Représentante ou représentant : | Larry Maloney |
Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Décision portée en appel : | Décision de révision rendue le 12 mars 2024 par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Jackie Laidlaw |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 15 avril 2025 |
Personnes présentes à l’audience : | Partie appelante Représentant de la partie appelante |
Date de la décision : | Le 28 avril 2025 |
Numéro de dossier : | GP-24-1019 |
Sur cette page
- Décision
- Aperçu
- Ce que l’appelante doit prouver
- Motifs de ma décision
- Début du versement de la pension
- Conclusion
Décision
[1] L’appel est accueilli en partie.
[2] La partie appelante, la succession de C. S., a droit à la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada à compter du mois d’août 2024. La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.
Aperçu
[3] La cotisante, qui est maintenant décédée, a travaillé comme commis à X de 2008 à 2019. Elle a cessé de travailler parce qu’elle s’est blessée au bas du dos pendant le travail. Cette blessure est la raison pour laquelle elle a demandé la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Elle a présenté sa demande le 18 juillet 2023. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande. L’appelante a donc porté la décision du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.
[4] En avril 2024, la cotisante a reçu un diagnostic de cancer terminal de l’intestin et du foie. Le 25 septembre 2024, elle a demandé [la pension] du Régime de pensions du Canada pour une maladie en phase terminale. Malheureusement, elle est décédée le 3 octobre 2024.
[5] L’époux de la cotisante décédée a assisté à l’audience comme représentant de la succession. Il a parlé à titre de témoin.
[6] Dans la présente décision, j’appellerai la cotisante décédée « appelante ». Quand je parlerai de son époux, j’utiliserai le mot « témoin ».
[7] Selon le représentant de l’appelante, il faudrait que la date du début soit en juin 2019 en raison des maux de dos et, ensuite, du cancer.
[8] Le ministre dit qu’il est d’accord sur un point : l’appelante était invalide en raison de son cancer à compter du mois d’avril 2024 et il faut retenir avril 2024 comme date de début pour l’approbation de la pension. Par contre, le ministre affirme que l’appelante n’était pas invalide en raison de ses maux de dos.
Ce que l’appelante doit prouver
[9] Pour que l’appel soit accueilli, le représentant de l’appelante doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée au plus tard le 31 décembre 2024Note de bas de page 1. Cette date est établie en fonction des cotisations qu’elle a versées au Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 2.
[10] Le Régime de pensions du Canada définit les termes « grave » et « prolongée ».
[11] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3.
[12] Ainsi, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelante pour évaluer leur effet global sur sa capacité de travail. Je dois aussi regarder son passé (y compris son âge, son niveau d’instruction, ses antécédents de travail et son expérience de vie). Ces éléments dresseront un portrait réaliste de sa situation et me permettront de voir si son invalidité était grave. Si l’appelante était régulièrement capable de faire un travail qui lui aurait permis de gagner sa vie, sa succession n’a pas droit à la pension d’invalidité.
[13] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 4.
[14] Autrement dit, il ne faut pas s’attendre à ce que l’appelante se rétablisse à une certaine date. Il faut plutôt s’attendre à ce que l’invalidité la tienne à l’écart du marché du travail pendant longtemps.
[15] Le représentant de l’appelante doit prouver que l’invalidité de cette dernière était grave et prolongée. Il doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. En d’autres termes, il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) qu’elle était invalide.
Motifs de ma décision
[16] Je conclus que l’appelante avait une invalidité grave et prolongée dès avril 2024. Elle est demeurée invalide jusqu’à son décès le 3 octobre 2024. J’ai tiré cette conclusion après avoir examiné les questions suivantes :
- L’invalidité de l’appelante était-elle grave?
- L’invalidité était-elle prolongée?
L’invalidité était-elle grave?
[17] L’invalidité de l’appelante était grave. C’est ce que j’ai conclu après avoir considéré plusieurs éléments, que j’explique ici.
Les limitations fonctionnelles de l’appelante nuisaient à sa capacité de travail
[18] L’appelante avait :
- des douleurs mécaniques au bas du dos;
- un cancer métastasé de l’intestin.
[19] Je ne peux toutefois pas m’arrêter à ses diagnosticsNote de bas de page 5. En fait, je dois surtout vérifier si des limitations fonctionnelles l’empêchaient de gagner sa vieNote de bas de page 6. Dans cette optique, je dois examiner tous ses problèmes de santé (pas seulement le plus important) et je dois évaluer leurs effets sur sa capacité de travailNote de bas de page 7.
[20] Je juge que l’appelante avait des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travail.
Ce que l’appelante disait au sujet de ses limitations fonctionnelles
[21] L’appelante affirmait que ses problèmes de santé entraînaient des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travail. Dans son avis d’appel, qui est daté du 11 juin 2024, soit avant qu’elle sache que son cancer était en phase terminale, elle a écrit qu’elle avait les problèmes suivants :
- incapacité de faire toute activité physique de façon soutenue;
- besoin de mesures d’adaptation importantes au travail;
- manque de compétences professionnelles transférables, ce qui l’empêchait d’obtenir ou d’exercer régulièrement un emploi rémunérateur.
[22] Le témoin a expliqué que l’appelante avait les limitations fonctionnelles suivantes depuis 2019 :
- Elle ne pouvait pas faire le lavage. C’est lui qui devait s’en occuper.
- Elle ne pouvait pas passer le balai ni faire la vaisselle.
- Elle avait besoin d’aide pour aller à la salle de bain et pour se coucher.
Ce que la preuve médicale révèle sur les limitations fonctionnelles et la capacité de travail de l’appelante
[23] L’appelante devait présenter des éléments de preuve médicale pour confirmer que ses limitations fonctionnelles nuisaient à sa capacité de travail au plus tard le 31 décembre 2024Note de bas de page 8.
Mal de dos
[24] Tous les rapports médicaux indiquent que l’appelante s’est blessée au travail le 16 avril 2019. Ils montrent aussi qu’elle a continué à travailler comme commis des postes jusqu’en mai 2019. Par la suite, elle a fait de la physiothérapie. Elle a tenté de retourner au travail en octobre 2019, sans succès. En mars 2020, elle a vu le Dr Glennie, chirurgien orthopédiste. Il lui a dit que la chirurgie n’était pas une option pour elle.
[25] La lettre que le Dr Glennie a rédigée le 11 mars 2020 confirme que l’appelante a tenté de retourner au travail quatre heures par jour, apparemment trois mois avant la date de la lettre. La lettre confirme aussi que l’appelante avait de la difficulté à entrer dans la douche et qu’elle devait s’asseoir. Elle atteste que l’appelante avait de grosses douleurs quand elle se tenait debout et marchait pendant une longue période. Le Dr Glennie a écrit que, selon son examen du tomodensitogramme et de l’imagerie par résonance magnétique de la colonne lombaire qui dataient de 2019, elle avait un disque aplati entre les vertèbres L2-L3, mais il n’y avait aucun signe de compression de la racine nerveuse. Cette absence de compression est la raison pour laquelle le Dr Glennie ne recommandait pas la chirurgie. La seule recommandation précise était qu’elle devait essayer de trouver un emploi de type administratif où elle aurait un bureau assis-deboutNote de bas de page 9.
[26] L’analyse des compétences transférables effectuée le 25 mai 2020 a révélé une capacité de travail sédentaire. Elle indiquait que les occupations convenables étaient un poste à l’accueil, un emploi administratif ou un travail de bureauNote de bas de page 10.
[27] L’appelante a subi une évaluation des capacités fonctionnellesNote de bas de page 11 à la clinique CBI. Le Dr Panais, la kinésiologue Connie Reid et la psychologue clinicienne Norann Richard ont réalisé l’évaluation. Le résumé directif est daté du 10 août 2020. Cette évaluation très détaillée a révélé que l’appelante avait des douleurs mécaniques au bas du dos. Elle pouvait tolérer le travail de trois à quatre heures par jour, d’après sa capacité démontrée à s’asseoir, à se tenir debout et à marcher. Mme Reid a noté que l’évaluation estimait en particulier la tolérance à l’activité dans un contexte général de travail, et pas seulement pour l’emploi précédent à X. Il a été établi que l’appelante avait la capacité de faire un travail sédentaire.
[28] Les 15 et 16 mars 2021, le kinésiologue Will Kerr a effectué une autre évaluation des capacités fonctionnelles de l’appelante. Le rapport est daté du 5 avril 2021. Il portait spécifiquement sur l’emploi de l’appelante à XNote de bas de page 12. M. Kerr a constaté, comme l’évaluation précédente, qu’elle tolérait le travail pendant de trois à quatre heures. Il a écrit qu’elle était incapable d’effectuer son travail. Elle pouvait cependant faire un travail sédentaire si on lui offrait des mesures d’adaptation, y compris la possibilité de s’asseoir, de se tenir debout, de marcher, de prendre des pauses et d’avoir une chaise ergonomique.
[29] Selon le représentant de l’appelante, si X ne pouvait pas lui offrir un horaire adapté de trois heures par jour, aucun autre employeur ne pourrait le faire. Mais le problème n’est pas que X était dans l’impossibilité de lui offrir trois heures de travail par jour ou même les mesures d’adaptation nécessaires. C’est plutôt qu’aucun emploi qui convenait aux limitations de l’appelante n’était disponible dans sa région. Ce fait est clairement énoncé dans la décision de la commission des accidents du travail, qui a autorisé une pleine compensation financière. La commission a conclu que l’appelante avait une invalidité de 5 % et que la demande de mesures d’adaptation permanentes avait été envoyée à X en mai 2021, en juillet 2021 et de nouveau en septembre 2021. X a informé l’appelante qu’il n’y avait aucun poste vacant dans la région où elle habitaitNote de bas de page 13. X était en mesure d’offrir une journée de travail de trois heures. Il n’y avait tout simplement aucune disponibilité dans sa région. De plus, il existe de nombreux emplois à temps partiel qui permettent de travailler trois heures par jour.
[30] Le représentant de l’appelante a aussi soutenu que seul un employeur bienveillant pourrait lui offrir les mesures d’adaptation dont elle avait besoinNote de bas de page 14. Je ne suis pas d’accord. Les mesures d’adaptation dont on parle ici sont assez modérées et n’importe quelle employeuse ou employeur avec divers postes sédentaires à pourvoir pourrait offrir de telles mesures sans subir de grosses répercussions.
[31] La preuve médicale appuie le fait que les maux de dos de l’appelante l’empêchaient d’occuper son emploi précédent. La preuve confirme aussi qu’elle était capable de faire un travail sédentaire malgré ses maux de dos.
[32] Je juge que la preuve n’appuie pas l’argument voulant que les maux de dos aient entraîné une invalidité grave.
Cancer de l’intestin
[33] L’appelante a commencé à présenter des symptômes de cancer de l’intestin au début du mois d’avril 2024. Elle a été hospitalisée en juin 2024. En septembre 2024, elle a reçu un diagnostic officiel de cancer métastasé de l’intestin. Malheureusement, elle est décédée le 3 octobre 2024.
[34] Le ministre convient qu’elle était incapable de faire tout type de travail à compter d’avril 2024. Je suis d’accord. Comme elle est entrée tout de suite à l’hôpital, puis aux soins palliatifs une fois le cancer détecté, il est peu probable qu’elle ait pu occuper un emploi.
[35] Rien ne prouve qu’elle présentait des symptômes de cancer de l’intestin avant avril 2024. Par conséquent, je conviens que son cancer était une invalidité grave à compter du mois d’avril 2024.
[36] La preuve médicale montre que le cancer de l’intestin était une invalidité grave qui empêchait l’appelante de travailler.
[37] Je conclus donc que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave dès le mois d’avril 2024.
L’invalidité était-elle prolongée?
[38] L’invalidité de l’appelante était prolongée.
[39] L’appelante a présenté des symptômes cancéreux à compter d’avril 2024 jusqu’à son décèsNote de bas de page 15.
[40] Une invalidité est prolongée si elle causera vraisemblablement le décès de la personne.
[41] Je conclus donc que l’invalidité de l’appelante était prolongée à compter d’avril 2024.
Début du versement de la pension
[42] L’invalidité de l’appelante est devenue grave et prolongée en avril 2024.
[43] Il faut attendre quatre mois avant le début des paiementsNote de bas de page 16. Ainsi, la pension est versée à compter du mois d’août 2024. La succession a droit à la pension du mois d’août 2024 jusqu’à octobre 2024, soit le mois où l’appelante est décédéeNote de bas de page 17.
Conclusion
[44] Je conclus que l’appelante avait droit à la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada parce que son invalidité était grave et prolongée.
[45] Par conséquent, l’appel est accueilli en partie.