Contenu de la décision
[TRADUCTION]
Citation : AH c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 614
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu
Décision
Partie appelante : | A. H. |
Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Décision portée en appel : | Décision découlant de la révision datée du 22 août 2024 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Wayne van der Meide |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 5 juin 2025 |
Personne présente à l’audience : | Appelante |
Date de la décision : | Le 16 juin 2025 |
Numéro de dossier : | GP-24-1735 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est rejeté.
[2] L’appelante, A. H., a cessé d’être invalide à compter de janvier 2018. Elle était admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada seulement lorsqu’elle était invalide. Les versements de pension d’invalidité qu’elle a reçus lorsqu’elle n’était pas invalide sont considérés comme un trop-payé (une dette) dû au ministre de l’Emploi et du Développement social.
[3] La présente décision explique pourquoi je rejette l’appel.
Aperçu
[4] Le 19 janvier 2009, l’appelante a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, car elle était atteinte de douleurs abdominales chroniques, de vertiges et d’étourdissements gravesNote de bas de page 1. Le ministre a rejeté sa demandeNote de bas de page 2. Elle a présenté une nouvelle demande le 2 novembre 2011, car elle avait des limitations liées à une sciatique, une tendinite et des problèmes de santé mentaleNote de bas de page 3. Le ministre a rejeté sa demandeNote de bas de page 4. L’appelante a demandé au ministre de réviser sa décisionNote de bas de page 5. Celui-ci a accueilli la demande de l’appelante et les versements ont commencé en juin 2011Note de bas de page 6.
[5] Dans une décision datée du 9 septembre 2021, le ministre a décidé que l’appelante avait cessé d’être invalide à la fin du mois d’avril 2018Note de bas de page 7. Il a donc cessé de lui verser une pension d’invalidité. Le ministre a également exigé qu’elle rembourse une somme totalisant 40 123,43 $, pour les versements qu’elle avait reçus entre mai 2018 et septembre 2021. L’appelante a demandé au ministre de réviser sa décisionNote de bas de page 8. Mais le ministre a maintenu son refus dans une décision de révisionNote de bas de page 9.
[6] L’appelante a fait appel de la décision de révision du ministre à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.
[7] Le ministre affirme que même si l’appelante a toujours des limitations à la fin d’avril 2018, elle a cessé d’être invalide parce qu’elle a démontré qu’elle était capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
[8] L’appelante affirme que même si elle était invalide, elle a été forcée de retourner au travail en 2018 parce que son conjoint l’a quittée ainsi que ses enfants. Elle était mère de famille monoparentale et risquait de se retrouver sans abri. Elle dit qu’elle a fait une erreur en retournant au travail, parce qu’elle s’est blessée et que maintenant ses limitations sont pires qu’elles ne l’ont jamais été.
Ce que je dois décider
[9] Je dois décider si l’appelante a cessé d’être invalide. Dans l’affirmative, je dois aussi décider à quel moment.
[10] Selon la loi, une personne cesse d’être invalide lorsque l’une des deux choses suivantes se produit :
- son invalidité cesse d’être grave;
- son invalidité cesse d’être prolongée.
[11] Le Régime de pensions du Canada définit les termes « grave » et « prolongée ».
[12] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 10.
[13] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 11.
[14] Par conséquent, l’invalidité de l’appelante ne peut pas avoir une date de rétablissement prévue. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité tienne l’appelante à l’écart du marché du travail pendant longtemps.
[15] Pour arrêter de verser une pension d’invalidité à une personne, le ministre doit prouver qu’elle a cessé d’être invalide. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie que le ministre doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelante a cessé d’être invalideNote de bas de page 12.
[16] Pour décider si l’appelante a cessé d’être invalide, je dois établir si elle est devenue régulièrement capable de travailler et de gagner sa vie. Si elle a cessé d’être invalide, elle n’avait pas droit à une pension d’invalidité. Même si l’appelante est redevenue invalide à une date ultérieure, cela n’a pas d’importance.
[17] Si je conclus que l’appelante a cessé d’être invalide, elle n’est plus admissible à une pension d’invalidité. Le ministre peut également exiger qu’elle rembourse les versements qu’elle a reçus alors qu’elle n’était pas invalide.
Motifs de ma décision
[18] Je conclus que l’appelante a cessé d’être invalide à compter de janvier 2018. C’est à ce moment-là que son invalidité a cessé d’être grave.
L’invalidité de l’appelante était-elle grave?
[19] L’invalidité de l’appelante a cessé d’être grave en janvier 2018. J’ai tiré cette conclusion en examinant plusieurs facteurs, que j’expliquerai ci-dessous.
Les limitations fonctionnelles de l’appelante nuisent à sa capacité de travail
[20] La demande de l’appelante a été approuvée parce qu’elle était atteinte de fibromyalgie et de dépression chronique intermittenteNote de bas de page 13. Cependant, je ne peux pas me concentrer sur ses diagnosticsNote de bas de page 14. Je dois plutôt me concentrer sur la question de savoir si ses limitations fonctionnelles l’empêchent de gagner sa vieNote de bas de page 15. Pour ce faire, je doisexaminer tous ses problèmes de santé (pas seulement le plus important) et je dois évaluer leur incidence sur sa capacité de travaillerNote de bas de page 16.
[21] Je conclus que l’appelante avait encore des limitations fonctionnelles qui nuisaient à sa capacité de travail.
Ce que le ministre dit au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelante
[22] Le ministre met l’accent sur le fait que l’appelante a travaillé et obtenu une rémunération véritablement rémunératrice en 2018 et en 2019. Il affirme que même si l’appelante a peut-être des limitations [traduction] « elle ne répondait plus aux critères d’invalidité grave et prolongée au sens du Régime de pensions du Canada à la fin d’avril 2018, lorsqu’elle a démontré qu’elle était capable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 17 ».
Ce que la preuve médicale révèle sur les limitations fonctionnelles de l’appelante
[23] Je conclus que l’appelante a cessé d’être invalide en janvier 2018 parce que c’est à ce moment-là qu’elle a commencé à travailler et à gagner sa vie. Toutefois, je tiens à reconnaître que la preuve médicale montre que l’appelante avait encore des limitations.
[24] En décembre 2019, la Dre Jurenka a évalué l’appelante pour l’arthrite, le syndrome de douleur chronique et la fibromyalgie. L’appelante a déclaré qu’elle avait d’autres limitations qui comprenaient des nausées, des problèmes de sommeil et une dépressionNote de bas de page 18.
[25] Le 8 janvier 2021, l’appelante a vu le Dr Pienaar pour des douleurs au côté inférieur droit de l’abdomen qu’elle avait depuis deux mois, mais le médecin a aussi noté qu’elle [traduction] « se sentait très bien avant celaNote de bas de page 19 ». Le 21 janvier 2021, l’appelante continuait de se plaindre de douleurs, mais le Dr Pienaar a continué de recommander un traitement conservateur parce qu’il n’y avait pas d’explication pathologiqueNote de bas de page 20.
[26] En février 2021, l’appelante a subi une intervention chirurgicale pour enlever un kysteNote de bas de page 21.
Ce que l’appelante dit au sujet de ses limitations fonctionnelles
[27] L’appelante affirme qu’elle a seulement repris le travail parce qu’elle n’avait pas le choix. Elle était une mère de famille monoparentale qui risquait de perdre son foyer et celui de ses enfants. Elle a dit qu’elle ressentait des douleurs constantes lorsqu’elle travaillait et qu’elle avait besoin d’une journée pour se rétablir après avoir travaillé. Elle a expliqué qu’après avoir travaillé, ses mains et ses pieds étaient très enflés et qu’elle ne pouvait pas fonctionner le lendemain. Elle a dit qu’elle vivait pratiquement à la piscine locale et qu’elle utilisait le jacuzzi et le sauna pour soulager ses douleurs. Elle a dit qu’elle a sacrifié son corps en se forçant à travailler et qu’elle s’est blessée. Maintenant, elle dit qu’elle a la COVID-19 de longue durée et que les choses sont pires qu’elles ne l’ont jamais été.
Mes conclusions sur les limitations fonctionnelles de l’appelante
[28] Je conclus qu’à partir de janvier 2018, les limitations fonctionnelles de l’appelante comprenaient des douleurs généralisées, des nausées, des problèmes de sommeil et de la dépression.
[29] Je compatis avec l’appelante, mais la preuve est claire : malgré ses limitations, elle était régulièrement capable d’effectuer un travail véritablement rémunérateur à partir de janvier 2018. En fin de compte, c’est la capacité de travailler d’une personne qui détermine si elle est invalide au sens du Régime de pensions du Canada.
Mes conclusions sur la capacité de l’appelante à travailler
[30] J’estime que l’appelante pouvait travailler dans un contexte réaliste à compter de janvier 2018. C’est à ce moment-là que son invalidité a cessé d’être grave. Pour expliquer comment j’en suis arrivé à cette conclusion, je vais d’abord décrire ses antécédents de travail.
Antécédents de travail de l’appelante
[31] De novembre 2016 jusqu’au début de 2017, elle a travaillé comme caissière chez X. Elle faisait des quarts de travail de quatre heures un ou deux jours par semaine. Elle a été congédiée parce qu’elle manquait trop de quarts de travail parce qu’elle était malade.
[32] Du 8 janvier 2018 au 27 mars 2019, elle a travaillé pour Y. Elle travaillait deux jours par semaine, mais elle a démissionné.
[33] Du 1er avril 2019 au 20 septembre 2019, elle a travaillé pour Z. Elle travaillait 25 heures par semaine. Elle a été congédiée pendant sa période probatoire.
[34] Du 3 août 2019 au 31 mars 2021, elle a de nouveau travaillé pour Y deux jours par semaine, mais elle a été congédiée en raison d’un manque de travail. Cependant, elle a continué à travailler sur appel pour cette entreprise.
[35] Vers le mois de mars 2021, elle a commencé à travailler sur appel pour une compagnie de transport maritime comme conductrice de chariot élévateur à fourche. Elle a été congédiée en 2023 après avoir trébuché et s’être blessée.
[36] Je vais maintenant expliquer comment les antécédents de travail de l’appelante montrent qu’elle a cessé d’être invalide en janvier 2018.
Le revenu de l’appelante était véritablement rémunérateur
[37] Voici un tableau qui montre ce que l’appelante a gagné comparativement à ce qui est considéré comme étant véritablement rémunérateur :
RémunérationNote de bas de page 22 | Revenu véritablement rémunérateurNote de bas de page 23 | |
---|---|---|
2018 | 20 462 $ | 16 029,96 $ |
2019 | 19 146 $ | 16 353,54 $ |
2020 | 14 601 $ | 16 677,26 $ |
2021 | 9 864 $ | 17 025,22 $ |
2022 | 9 751 $ | 17 610,06 $ |
2023 | 22 269 $ | 18 508,36 $ |
L’appelante était régulièrement capable de travailler
[38] Du 8 janvier 2018 au 27 mars 2019 et du 3 août 2019 au 31 mars 2021, l’employeur de l’appelante était Y. Cet employeur a rempli un questionnaireNote de bas de page 24. Il a décrit l’assiduité de l’appelante comme étant acceptable et a souligné qu’elle téléphonait souvent le matin pour demander de prendre un congé de maladie les jours où elle devait travailler.
[39] Le travail de l’appelante était assez régulier pour Y. Elle n’a pas été mise à pied, mais elle a démissionné.
Y n’était pas un employeur bienveillant
[40] Pour établir si un employeur est bienveillant, je dois tenir compte de plusieurs facteurs :
- Le travail de l’appelante était-il productif?
- L’employeur était-il satisfait de son rendement?
- S’attendait-on à ce qu’elle fasse beaucoup moins que les autres membres du personnel?
- L’employeur lui a-t-il offert des mesures d’adaptation allant au-delà de ce qui serait requis dans un marché concurrentiel?
- L’employeur a-t-il éprouvé des difficultés en raison de ces mesures d’adaptation?
[41] Compte tenu des réponses à ces questions, je ne peux pas conclure que Y était bienveillant.
[42] Premièrement, le travail de l’appelante était productif. L’appelante était préposée à l’entretien et conductrice de chariot élévateur à fourche. Il s’agissait d’un travail qui devait être fait. Si l’appelante ne le faisait pas, d’autres personnes auraient été embauchées pour le faire. Les employeurs de l’appelante ne créaient pas de travail simplement pour garder l’appelante à l’emploi.
[43] Deuxièmement, Y était satisfait du rendement de l’appelante. Dans un questionnaire, l’employeur a décrit son travail comme étant satisfaisantNote de bas de page 25. En fait, même après que l’employeur a perdu un contrat avec l’endroit où l’appelante travaillait, il a continué de faire appel à elle au besoin. Cela me dit que l’employeur était satisfait de son travail.
[44] Troisièmement, on ne s’attendait pas à ce que l’appelante fasse beaucoup moins que les autres membres du personnel. Rien ne prouve que les attentes de Y à l’égard de l’appelante étaient très différentes de celles pour les autres membres du personnel.
[45] Quatrièmement, Y n’a pas offert à l’appelante des mesures d’adaptation allant au-delà de ce qui serait nécessaire dans un marché concurrentiel. L’appelante n’avait pas besoin d’équipement spécial ni de l’aide de collèguesNote de bas de page 26. Les jours où elle avait une poussée (elle se sentait courbaturée), son employeur lui faisait reconduire des équipes au lieu de faire de l’entretien. Il s’agit d’un travail productif.
[46] Cinquièmement, Y n’a pas éprouvé de difficultés en raison de mesures d’adaptation. L’employeur de l’appelante a pu s’adapter à ses poussées en lui permettant de conduire. Cela ne lui a pas causé de difficultés.
Je n’ai pas besoin de tenir compte des caractéristiques personnelles de l’appelante
[47] Pour décider si l’appelante est capable de travailler, je dois généralement tenir compte des facteurs suivants :
- l’âge;
- le niveau de scolarité;
- les aptitudes linguistiques;
- l’expérience de travail et de vie.
[48] Ces éléments m’aident à décider si l’appelante est capable de travailler dans un contexte réaliste. Autrement dit, est-il réaliste de dire qu’elle peut travaillerNote de bas de page 27?
[49] Dans la présente affaire, je n’ai pas à tenir compte des caractéristiques personnelles de l’appelante parce qu’elle a déjà démontré qu’elle est régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice dans un contexte réaliste. Son invalidité a cessé d’être grave en janvier 2018, lorsqu’elle a commencé à travailler pour Y.
Conclusion
[50] Le ministre a prouvé que l’appelante a cessé d’être invalide à compter de janvier 2018 et qu’elle n’a plus droit à une pension d’invalidité.
[51] Par conséquent, l’appel est rejeté. Wayne van der Meide Membre de la division générale, section de la sécurité du revenu