Contenu de la décision
Citation : ÉS c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 194
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | É. S. |
Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Représentante ou représentant : | Lucky Ingabire et Érélégna Bernard |
Décision portée en appel : | Décision de la division générale datée du 22 mai 2024 (GP-23-2104) |
Membre du Tribunal : | Jude Samson |
Mode d’audience : | Vidéoconférence |
Date de l’audience : | Le 13 décembre 2024 |
Personnes présentes à l’audience : |
Appelante |
Date de la décision : | Le 5 mars 2025 |
Numéro de dossier : | AD-24-540 |
Sur cette page
Décision
[1] Je rejette l’appel de la requérante, É. S. Elle n’est pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada.
Aperçu
[2] La requérante a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Elle travaillait comme préposée aux soins. En mars 2011, elle a subi une blessure à l’épaule droite alors qu’elle tentait de retenir une cliente qui tombait. De plus, la requérante affirme que d’autres problèmes de santé l’empêchent de travailler, notamment la dépression, l’anxiété, la tachyarythmie (un rythme cardiaque trop rapide), des spasmes du sphincter d’Oddi et une maladie intestinale touchant surtout le foie et le pancréas.
[3] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande de la requérante. Il a jugé qu’elle n’avait pas une invalidité grave et prolongée au plus tard le 31 décembre 2013 (le dernier jour de sa période de protection)Note de bas de page 1.
[4] La requérante a porté la décision du ministre en appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Celle-ci a rejeté l’appel.
[5] La requérante a ensuite porté la décision de la division générale en appel devant la division d’appel. J’ai accordé la permission de faire appel à la requérante et j’ai jeté un regard neuf sur l’affaireNote de bas de page 2. Cependant, j’estime que la requérante n’est pas admissible à une pension d’invalidité.
Question en litige
[6] La requérante avait-elle une invalidité grave et prolongée au plus tard le 31 décembre 2013?
Analyse
[7] Pour être admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, une personne doit prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée avant la date marquant la fin de sa période de protection. La période de protection de la requérante s’est terminée en décembre 2013Note de bas de page 3.
[8] La fin de la période de protection est très importante dans cette affaire, car la requérante a été impliquée dans un grave accident de la route en novembre 2016. Compte tenu des conditions d’admissibilité du Régime de pension du Canada, je ne peux pas prendre en considération les séquelles auxquelles la requérante a dû faire face à la suite de cet accident de la route.
[9] Une personne est considérée comme étant atteinte d’une invalidité grave si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Le critère d’une invalidité grave doit faire l’objet d’une analyse dans un contexte réalisteNote de bas de page 4 . Cela signifie qu’au moment de décider si l’invalidité d’une personne est grave, je dois tenir compte de son état global et d’éléments comme son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vieNote de bas de page 5.
[10] Je souligne également ces renseignements importants de la Cour d’appel fédérale :
- La gravité de l’invalidité n’est pas fondée sur l’incapacité de la partie demanderesse d’occuper son emploi régulier, mais plutôt sur son incapacité de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 6.
- C’est la capacité de travailler et non le diagnostic ou la description de la maladie qui détermine la gravité de l’invalidité au titre du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 7.
- Dans les cas où il y a des éléments de preuve de capacité de travail, la partie demanderesse doit démontrer qu’elle a fait des efforts pour trouver un emploi et le conserver, mais que ses efforts ont échoué pour des raisons de santéNote de bas de page 8.
La requérante n’avait pas une invalidité grave au plus tard le 31 décembre 2013
La requérante avait des limitations fonctionnelles avant décembre 2013
[11] Lors de l’audience, j’ai écouté le témoignage de la requérante et des personnes suivantes, qui ont toutes décrit des limitations fonctionnelles auxquelles la requérante faisait face de 2011 à 2013 :
- Dre Dawn-Marie Martin Ward, médecin de famille de la requérante depuis 1999;
- M. M., conjoint de la requérante;
- C. S., amie de la requérante.
[12] La requérante a témoigné au sujet des difficultés auxquelles elle faisait face en essayant de gérer plusieurs problèmes de santé. Certains de ces problèmes étaient imprévisibles et entraînaient des crises aiguës. De plus, elle avait de l’insomnie et assumait d’importantes responsabilités familiales.
[13] La requérante a dit qu’elle était une femme forte, fière, et vaillante. Cependant, l’accident de mars 2011 est venu bouleverser sa vie au point où elle n’était plus fonctionnelle.
[14] À la suite de l’accident de mars 2011, la Dre Martin Ward a orienté la requérante vers le Dr Frenette en raison de douleurs persistantes dans la région de l’épaule droiteNote de bas de page 9. Ce chirurgien orthopédiste a diagnostiqué chez la requérante une tendinopathie et un syndrome d’accrochage de l’épaule droite. Il a conclu qu’elle ne devait pas faire un travail qui exige des mouvements répétés avec le bras droit au-dessus du niveau des épaules.
[15] Selon la Dre Martin Ward, la requérante avait également d’importants problèmes de santé qui n’étaient pas liés à l’accident de mars 2011Note de bas de page 10. Par exemple, elle a été hospitalisée pour une crise de pancréatite et ses problèmes digestifs pouvaient provoquer des crises imprévisibles. Les épisodes de tachyarythmie de la requérante étaient également impossibles à prévoir et nécessitaient des périodes de repos.
[16] Tous ces problèmes ont également eu des répercussions négatives sur la santé mentale de la requérante : la dépression, l’anxiété et une baisse d’humeur.
[17] La Dre Martin Ward a précisé que la requérante est droitière et que les douleurs ressenties au niveau de l’épaule l’empêchaient d’obtenir une bonne nuit de sommeil, ce qui affectait davantage son niveau d’énergie et son humeurNote de bas de page 11.
[18] Les autres témoins ont également souligné l’incidence importante de l’accident de mars 2011 sur le mode de vie de la requérante :
- Le conjoint de la requérante a raconté comment il dort dans une autre chambre pour s’assurer de ne pas déranger le sommeil de sa femme.
- Le conjoint de la requérante a expliqué comment les problèmes digestifs de celle-ci étaient imprévisibles, lui causaient des douleurs intenses, et provoquaient des situations embarrassantes et décourageantes.
- Le conjoint et l’amie de la requérante ont discuté d’à quel point son état de santé l’empêchait de faire les tâches ménagères, ses loisirs, de sortir de la maison et de s’occuper de ses soins personnels.
[19] Je reconnais alors que la requérante avait certains problèmes de santé avant l’accident de mars 2011. Cependant, elle était en mesure d’y faire face sans que ceux-ci nuisent considérablement à sa capacité de travailler.
[20] L’accident de mars 2011 a entraîné des douleurs chroniques chez la requérante, certaines limites dans l’utilisation de son bras droit ainsi que des troubles de sommeil. De plus, elle avait des crises occasionnelles, mais imprévisibles, causées à la fois par des problèmes digestifs et par un rythme cardiaque irrégulier. Ces crises ont aggravé les problèmes de santé mentale de la requérante et nuisaient, dans une certaine mesure, à sa capacité de travailler.
Les preuves médicales contemporaines sont incompatibles avec la présence d’une invalidité grave avant décembre 2013
[21] Quelles que soient les conclusions ci-dessus, les preuves médicales contemporaines sont abondantes et cohérentes : la requérante a conservé une certaine capacité de travail. De plus, les tribunaux ont souligné l’importance des preuves médicales dans un dossier comme celui-ciNote de bas de page 12.
[22] Voici un résumé des preuves médicales dans le dossier d’appel :
- La requérante a consulté un cardiologue en mai 2012 parce qu’elle avait vécu quatre épisodes de tachycardie en un anNote de bas de page 13. Ces épisodes sont survenus à l’effort et surtout en période de stress important. Cependant, le cardiologue n’a imposé aucune restriction par rapport à ce problème de santé.
- En avril 2013, le Dr Frenette a jugé que la requérante pouvait effectuer un travail tant que celui-ci n’exigeait pas de mouvements répétés avec les bras au-dessus du niveau des épaulesNote de bas de page 14. De plus, il a offert certaines options de traitements, mais la requérante les a refusées en raison de ses phobies.
- En mai 2014, la requérante a subi une évaluation multidisciplinaire demandée par Travail sécuritaire Nouveau-BrunswickNote de bas de page 15. Aucune restriction permanente n’a été identifiée lors de cette évaluation. Dans ce rapport, on a noté les antécédents de dépression récurrente et d’anxiété généralisée de la requérante. Cependant, un psychiatre a jugé que la requérante démontrait une bonne gestion de ses symptômes, que son état de santé mentale était stable et qu’il n’y avait aucune raison psychiatrique pour laquelle elle ne pourrait pas retourner travailler. De plus, celui-ci a attribué à la requérante une note de 71 à 80 sur l’échelle d’évaluation globale du fonctionnement. Cette note signifie que ses symptômes sont minimes dans tous les domainesNote de bas de page 16.
- En juillet 2014, Diane Boudreau a étudié l’évaluation multidisciplinaire ci-dessus et a conclu que la requérante était apte à faire un retour au travail. Cette conclusion était fondée sur le fait que la requérante pouvait s’occuper de son fils et de ses soins personnels, effectuer des activités de la vie quotidienne et aller au gymnase.
- En décembre 2014, la requérante refusait toujours les traitements supplémentaires proposés par le Dr Frenette. Cependant, ce médecin était d’accord avec la préférence de la requérante, soit d’être orientée vers un travail sédentaire à raison d’une vingtaine d’heures par semaineNote de bas de page 17.
- En mai 2016, la requérante a fait l’objet d’une évaluation de la capacité fonctionnelle. Alex Corbin, un ergothérapeute, a conclu que la requérante démontrait la capacité d’effectuer des activités de travail à un niveau sédentaire et léger, et ce, pendant de pleines journées.
[23] Je reconnais que la requérante remet en question les conclusions tirées par Alex Corbin à la suite de son évaluation. Cependant, il s’agit d’une évaluation parmi d’autres qui sont toutes parvenues à la même conclusion.
[24] Je reconnais également que la Dre Martin Ward appuie maintenant la demande de prestations d’invalidité de la requérante et déclare qu’elle est atteinte d’une invalidité grave, et ce, depuis décembre 2013 au plus tardNote de bas de page 18. Cependant, les déclarations antérieures de la Dre Martin Ward portent à croire que la requérante avait plutôt conservé une capacité de travailler.
[25] La Dre Martin Ward a déclaré dans de nombreux rapports que la requérante était prête à reprendre le travail à mi-temps et à occuper un poste sédentaire adapté à ses limitationsNote de bas de page 19.
[26] J’accorde plus d’importance aux déclarations antérieures de la Dre Martin Ward (faites dans les années 2011 à 2015) qu’à celles faites 10 ans plus tard. J’estime que les déclarations antérieures reflètent plus fidèlement la situation médicale de la requérante vers la fin de sa période de protection.
[27] Selon le Dr Juéry, conseiller médical et témoin au nom du ministre, le dossier d’appel ne contient aucune information médicale qui justifie la nouvelle conclusion de la Dre Martin Ward.
[28] De plus, le ministre a souligné le rapport médical rempli par la Dre Martin Ward à l’appui de la demande de prestation de la requéranteNote de bas de page 20. Le ministre soutient que ce rapport vient confirmer que l’accident de la route de novembre 2016 est la principale raison pour laquelle la requérante est incapable de travailler.
[29] Lors de l’audience devant moi, la Dre Martin Ward a expliqué que Travail sécuritaire Nouveau-Brunswick mettait beaucoup de pression sur la requérante pour qu’elle reprenne le travail. Elle craignait alors qu’on allait couper les prestations de la requérante si celle-ci ne tentait pas un retour au travail. De plus, elle ne connaissait pas le problème de la période de protection au moment de remplir le rapport médical qui a accompagné la demande de prestation de la requérante.
[30] Je ne doute pas des besoins de la requérante. Toutefois, les justifications de la Dre Martin Ward suscitent une inquiétude selon laquelle elle veille surtout aux intérêts de sa patiente, et ce, au point d’adapter ses déclarations en fonction des critères d’admissibilité associés à la prestation concernée.
[31] Par ailleurs, d’autres rapports médicaux me portent également à croire que l’accident de la route survenu en novembre 2016 a eu une incidence beaucoup plus importante sur l’état de santé de la requérante que l’accident du travail survenu en mars 2011Note de bas de page 21. Cependant, l’accident de la route s’est produit après la fin de la période de protection de la requérante et je ne peux donc pas en tenir compte.
[32] Sur la base de preuves médicales abondantes et cohérentes, j’estime que la requérante conservait la capacité de travailler en décembre 2013, et ce, dans un poste sédentaire adapté à ses limitations.
La requérante n’a pas tenté un retour au travail dans un poste adapté à ses limitations
[33] Je reconnais que la requérante a fait une tentative de retour au travail en 2012 dans son ancien poste comme préposée aux soins. Selon la requérante, cette tentative a échoué en raison de son état de santé.
[34] Cependant, j’estime que cette tentative ne corrobore pas la présence d’une invalidité grave, et ce, pour deux raisons principales.
[35] D’abord, la preuve démontre que l’état de la requérante s’est amélioré avec le temps. En avril 2013, le Dr Frenette était parmi les premières personnes à conclure que la requérante était apte à reprendre le travail. Cependant, la requérante n’a pas fait de tentative de retour au travail après cette date.
[36] De plus, la requérante a tenté de retourner à son ancien poste comme préposée aux soins. Je crois comprendre que la requérante a tenté de reprendre le travail de façon progressive. Cependant, cette tentative n’était pas bien adaptée à ses limitations. Par exemple, la requérante a témoigné qu’elle travaillait cinq jours par semaine. On a plutôt recommandé à la requérante qu’elle commence par occuper un emploi plus sédentaire et travailler moins d’heuresNote de bas de page 22.
[37] Les preuves médicales au dossier d’appel et l’absence d’une tentative de retour au travail à un poste mieux adapté aux limitations de la requérante m’amènent à conclure que celle-ci n’a pas démontré, selon la prépondérance de probabilités, qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
[38] De plus, l’âge de la requérante, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie ne faisaient pas obstacle à sa capacité de travailler en décembre 2013. À l’époque, la requérante avait 47 ans, parlait le français, avait presque terminé ses études secondaires, avait un long historique d’emploi (notamment en tant que réceptionniste) et avait fait preuve d’une capacité de se recycler.
[39] En somme, j’estime que la requérante n’avait pas une invalidité grave en décembre 2013 et qu’elle n’est donc pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.
[40] Compte tenu de cette conclusion, je n’ai pas à vérifier si l’invalidité de la requérante était prolongée.
[41] Je suis sensible à la situation de la requérante. Elle a manifestement besoin d’aide. Cependant, je n’ai d’autre choix que d’appliquer la définition très restrictive du Régime de pensions du Canada concernant le critère d’une invalidité grave. Malheureusement, cette définition ne permet pas à toutes les personnes atteintes de déficiences sérieuses et prolongées de recevoir une pension d’invaliditéNote de bas de page 23.
Conclusion
[42] Je rejette l’appel de la requérante. Elle n’est pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.