Contenu de la décision
[TRADUCTION]
Citation : GC c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 870
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
Partie appelante : | G. C. |
Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
Représentante ou représentant : | Lucky Ingabire |
Décision portée en appel : | Décision rendue par la division générale le 4 février 2025 (GP-24-1504) |
Membre du Tribunal : | Neil Nawaz |
Mode d’audience : | En personne |
Date de l’audience : | Le 30 juillet 2025 |
Personnes présentes à l’audience : | Appelant Représentante de l’intimé |
Date de la décision : | Le 15 août 2025 |
Numéro de dossier : | AD-25-138 |
Sur cette page
Décision
[1] Je rejette l’appel. L’appelant n’a pas droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.
Aperçu
[2] L’appelant est un homme de 49 ans avec des antécédents de douleur chronique et de dépression. Il a travaillé jusqu’en 2002 comme nettoyeur pour la Commission de transport de Toronto (TTC). Il n'a pas vraiment eu de travail depuis, à l'exception d'emplois de courte durée comme gestionnaire immobilier et traiteur à son compte.
[3] En décembre 2023, l’appelant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 1. Il disait être incapable de travailler depuis juillet 2022 en raison de douleurs, d’étourdissements et d'une concentration défaillante.
[4] Service Canada, l’organisme qui fait affaire avec le public au nom du ministre, a rejeté sa demande après avoir établi que l’appelant n’était pas atteint d’une invalidité grave et prolongée durant sa période de protection ayant pris fin le 31 décembre 2004. Service Canada a conclu, entre autres choses, que bon nombre de ses problèmes médicaux étaient seulement devenus graves longtemps après cette date butoir.
[5] L’appelant a porté le refus du ministre en appel devant le Tribunal de la sécurité sociale. La division générale du Tribunal a tenu une audience par vidéoconférence et a rejeté son appel. Elle a conclu que, même s’il était possible que l'appelant soit désormais invalide, il manquait de preuves médicales pour démontrer qu’il aurait été régulièrement incapable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur au terme de sa période de protection.
[6] L’appelant a ensuite demandé la permission de faire appel à la division d’appel du Tribunal. Cette décision lui a été accordée en mars. Le mois dernier, j’ai donc tenu une audience pour discuter en détail de sa demande de pension d’invalidité.
Question en litige
[7] Pour gagner son appel, l’appelant doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée pendant sa période de protection aux fins de la pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, officiellement appelée la période minimale d’admissibilité.
- Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 2. Une personne n’a pas droit à une pension d’invalidité si elle est régulièrement capable de faire un travail qui lui permet de gagner sa vie.
- Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 3. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité tienne l’appelant à l’écart du marché du travail pendant longtemps.
[8] Les parties étaient d’accord pour dire que la période minimale d’admissibilité de l’appelant s’est terminée le 31 décembre 2004Note de bas de page 4. Par conséquent, je devais décider si l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée à cette date et si l’est demeuré depuis.
Analyse
[9] J’ai appliqué le droit à la preuve disponible et j’ai conclu que l’appelant n’a pas droit à une pension d’invalidité. Même si l’appelant souffre aujourd’hui de divers problèmes médicaux, la preuve est insuffisante pour démontrer que ces problèmes l’empêchaient de travailler en date du 31 décembre 2004.
L’appelant n’était pas atteint d’une invalidité grave durant sa période minimale d’admissibilité
[10] La personne qui demande une pension d’invalidité a la responsabilité de prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée pendant sa période minimale d’admissibilitéNote de bas de page 5. Après avoir examiné le dossier, j’ai conclu que l’appelant ne s’est pas acquitté de ce fardeau selon le critère prévu au Régime de pensions du Canada.
[11] Dans sa demande de pension d’invalidité, l’appelant a déclaré ne plus être capable de travailler depuis juillet 2022. Il a dit qu’il était incapable de soulever des objets et de se pencher. Il a dit qu’il avait des étourdissements. Il a dit qu’il était incapable de se concentrer parce que son corps lui faisait mal. Il a qualifié de « passable » ou « mauvais » son niveau de capacité pour bon nombre de capacités physiques, comportementales et émotionnelles.
[12] L’appelant a déclaré que beaucoup de ses problèmes de santé remontaient à l’adolescence. Il travaillait à l’époque comme apprenti électricien et s’est blessé aux genoux en tombant d’une échelle. Bien que largement rétabli, il avait toujours eu mal aux genoux depuis.
[13] En 1999, l’appelant a décroché un emploi à la TTC. Il faisait le quart de nuit et devait nettoyer les rames du tramway. Il aimait ce travail, qui lui permettait aussi de conduire les tramways dans la cour d’entretien. Son épouse, elle, n’était pas enthousiasmée par ses heures de travail, surtout lorsqu’ils ont eu leur premier enfant. Cette situation a causé des tensions dans leur mariage, et l’appelant est devenu déprimé. La santé de sa mère s’est aussi détériorée, ce qui n’a pas aidé les choses. Elle a reçu un diagnostic de lymphome et est décédée en 2003.
[14] Au travail, l'appelant était accablé par un manque d’énergie. Chaque jour, il avait du mal à se lever et à aller au travail. Une fois sur place, il n’arrivait pas à rester éveillé. Il est parti en congé de maladie, puis a démissionné après environ un an. Il insiste sur le fait qu’il n’a pas été congédié.
[15] Après avoir quitté la TTC, l’appelant n’a même pas essayé de travailler. Il avait abandonné. Sa santé mentale était en piètre état. Il restait chez lui et ne faisait rien. Il a cessé de voir son médecin de famille.
[16] Les années ont passé. L’appelant a fini par se rendre compte qu’il devait combattre sa dépression. Ayant toujours eu une passion pour la cuisine, il s’est dit qu’il essaierait de gagner sa vie comme traiteur. Vers 2018, il a commencé à préparer des repas pour de petites réceptions, d’un maximum de 50 personnes. Il faisait tout lui-même et n’a jamais eu de personnel. L’entreprise fonctionnait entièrement avec de l’argent comptant. Il a gagné environ 11 900 $ en 2019 et déclarait tous ses revenus dans ses déclarations d’impôts.
[17] L’appelant a dit qu’il travaillerait sûrement encore comme traiteur si la pandémie n’avait pas mis fin à son entreprise. Du jour au lendemain, sa clientèle s’était envolée. Au début de 2022, il a occupé un emploi comme gestionnaire immobilier. Il travaillait pour un homme d’affaires qui possédait six propriétés industrielles. L'appelant lui servait de chauffeur et s’occupait des problèmes dans les propriétés, au besoin. Cependant, l’appelant a de nouveau commencé à ne plus se sentir bien. Sa dépression a refait surface. Il a commencé à manquer du travail. Après six mois, il a été congédié. Il a ensuite occupé une série d’emplois de courte durée comme chauffeur-livreurNote de bas de page 6. Il a été congédié de chacun de ces emplois parce qu’il manquait le travail.
[18] Bien que l’appelant puisse aujourd’hui être incapable de conserver un emploi, il n’avait pas forcément une invalidité grave et prolongée en date du 31 décembre 2004. L’appelant affirme qu’il est invalide depuis plus de 20 ans. Toutefois, ma décision ne peut pas strictement être basée sur sa vision subjective de sa capacité de l’époqueNote de bas de page 7. Je dois aussi tenir compte de la preuve médicale disponible. Et ici, cette preuve fait défaut.
La preuve médicale ne révèle pas de problèmes médicaux débilitants durant la période minimale d’admissibilité
[19] Toute personne qui demande une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada doit fournir une preuve médicale objective qui étaye les déficiences physiques ou mentales qu’elle dit avoir, y compris des rapports sur leur nature, leur étendue et leur pronosticNote de bas de page 8.
[20] Même si l’appelant insiste pour dire qu’il était invalide avant le 31 décembre 2004, il n’y a pas assez de preuves médicales pour appuyer sa prétention. Le dossier n’inclut que quelques rapports médicaux datant de la période en cause. Trois précèdent de longtemps la période allant de 1999 et 2002, lorsque l’appelant occupait un emploi bien rémunéré à la TTC.
[21] En octobre 1992, l’appelant a vu un physiatre et une physiothérapeute pour des douleurs au genou droit et au bas du dos, après une chute dans un escalier Note de bas de page 9. Il a dit à ses examinateurs que sa douleur aux genoux s’était essentiellement résorbée et que son mal de dos avait diminué de moitié. Les examinateurs ont noté que ses radiographies étaient normales et ne montraient aucun indice d’arthrose. Ils lui ont diagnostiqué des blessures aux tissus mous et l’ont autorisé à reprendre le travail.
[22] En janvier 1995, l’appelant a consulté un pneumologue à cause d’une toux et d’un essoufflement qui duraient depuis cinq jours Note de bas de page 10. Les tests pulmonaires ont révélé une obstruction réversible de ses voies respiratoires terminales, compatible avec l’asthme ou la bronchite. En avril 1995, l’appelant a consulté deux spécialistes pour un nez bouché et de la congestion, qu’il disait avoir depuis trois semaines Note de bas de page 11. Le rhumatologue et l’otorhinolaryngologiste ont diagnostiqué chez l’appelant une sinusite chronique et lui ont prescrit des antihistaminiques et des antibiotiques.
[23] L’appelant a déclaré qu’il avait dû arrêter de travailler en 2002 à cause de sa dépression, mais la preuve relative à sa santé mentale pour cette période se limite à deux rapports psychiatriquesNote de bas de page 12. En novembre 2002, le docteur Caplan a écrit que l’appelant présentait une dépression causée par du stress au travail et à la maison, ainsi que par certains problèmes légaux. Il a noté que l’appelant faisait face à des accusations pour une agression mineure suivant une dispute avec son épouse. Il a cependant dit que leur relation s’était améliorée depuis et que le couple attendait un bébé. Le docteur Caplan a noté que l’appelant prenait un somnifère (Imovane) et lui a prescrit un antidépresseur (Paxil). Trois mois plus tard, le docteur Caplan a déclaré que l’appelant était toujours déprimé et qu’il était en arrêt de travail depuis novembre 2002Note de bas de page 13. Il a noté que l’appelant aurait été traité à Thistletown, un hôpital psychiatrique pour enfants, ce qui laisse penser qu’il avait des difficultés même durant l’enfance. Le docteur Caplan lui a prescrit un autre antidépresseur (Celexa).
[24] Le docteur Caplan a écrit qu’il ferait un suivi deux ou trois semaines plus tard. Cependant, rien ne montre que l’appelant aurait revu le docteur Caplan ou un autre professionnel de la santé mentale. En effet, 17 ans séparent ensuite cette preuve de la seule autre preuve médicale au dossier, soit une étude du sommeil datant de 2005-2006. En octobre 2005, l’appelant avait vu un pneumologue à cause de ronflements et de sommeil agité Note de bas de page 14. Le médecin a posé des diagnostics d’hypertension, de bronchite chronique et d’apnée du sommeil. Il a conseillé à l’appelant d’arrêter de fumer, de perdre du poids et de faire de l’exercice. L’appelant a ensuite fait quelques tests. La radiographie thoracique s’est révélée normale. Un examen fonctionnel respiratoire et une étude sur le sommeil ont toutefois révélé une légère obstruction de ses voies respiratoires et une apnée du sommeil modérée.
[25] Le dossier médical de l’appelant reprend en 2022, quand il s’est blessé en chutant. Il a alors commencé à consulter des spécialistes pour différentes choses. En novembre 2023, son médecin de famille de longue date, le docteur Zaremba, a rempli un questionnaire pour accompagner sa demande de pension d’invalidité. Le docteur Zaremba y a énuméré différents diagnostics, incluant le diabète de type 2, des calculs rénaux, l’hypertension, un trouble dépressif majeur, des douleurs au dos et à l’épaule et une déchirure au cartilage du genou droit Note de bas de page 15. Le médecin a déclaré que les problèmes de santé de l’appelant nuisaient à ses activités quotidiennes, sans toutefois recommander qu’il arrête de travailler.
[26] Quoi qu’il en soit, le rapport du docteur Zaremba a été rédigé longtemps après la fin de la période minimale d’admissibilité de l’appelant, et bon nombre des diagnostics qu’il y pose n’étaient pas problématiques 20 ans plus tôt. En effet, ses problèmes médicaux de l’époque semblaient relativement légers et traitables, soit par des médicaments ou des changements de mode de vie. Je souligne que l’appelant a lui-même déclaré, dans sa demande de pension, qu’il était seulement devenu invalide en juillet 2022.
[27] Même s’il est certain que l’appelant avait des problèmes de santé avant le 31 décembre 2004, ces problèmes n’étaient pas assez graves pour le rendre incapable de travailler. Même si une invalidité totale pourrait être apparue chez lui des années plus tard, elle ne lui est ici d’aucune utilité pour obtenir une pension d’invalidité.
L’appelant n’a pas suivi les recommandations en matière de traitements
[28] Un autre facteur qui joue contre l’appelant est le fait qu’il n’a pas tenté d’être traité pour sa santé mentale pendant de nombreuses années. On peut donc penser qu’il aurait été possible que son état s’améliore, ce qui est important.
[29] Dans l’affaire Lalonde, on explique que les personnes demandant la pension d’invalidité doivent faire leur possible pour atténuer leurs déficiences en suivant les recommandations médicalesNote de bas de page 16. La décision Lalonde explique aussi que les décideurs doivent examiner tout refus à suivre un traitement recommandé pour savoir s’il est déraisonnable et, dans l’affirmative, les répercussions que ce refus est susceptible d’avoir sur l’état de santé de la personneNote de bas de page 17.
[30] L’appelant a déclaré que le docteur Caplan lui avait prescrit du Paxil en 2002, mais que ce médicament avait aggravé son état au lieu de l’aider : [traduction] « J’ai perdu tout intérêt. » Après cette expérience, l’appelant n’a plus voulu prendre d’antidépresseurs. Il ne pouvait pas risquer de se sentir à nouveau aussi mal. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait cessé de voir le docteur Caplan, il a répondu que le Paxil ne fonctionnait pas et qu’il ne pensait pas que le traitement du psychiatre mènerait à quelque chose. Il a également cessé de voir le docteur Zaremba.
[31] Je juge que la décision de l’appelant, d’arrêter tout traitement en santé mentale, n’était pas raisonnable. L’appelant a raconté avoir été terrassé par une dépression qui lui a coûté un bon emploi. Pourtant, il a refusé de prendre tout antidépresseur et n’a pas cherché d’aide psychologique pendant plus de 20 ans.
[32] Même si l’appelant a subi les effets secondaires désagréables du Paxil, il existe des dizaines d’antidépresseurs, dont les efficacités et les profils sont variables. Il est bien connu que toutes et tous ne réagissent pas de la même façon aux psychotropes et qu’il peut falloir du temps pour trouver le médicament, ou la combinaison de médicaments, qui convient le mieux à la psychologie et à la physiologie d’une personne. Ici, pourtant, l’appelant a à peine donné une chance à l’option pharmacologique.
[33] En ne cherchant pas à être traité, il est possible que l’appelant ait raté la chance de prendre du mieux. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé après que le docteur Zaremba eût insisté pour que l’appelant réévalue son opposition aux antidépresseurs. Il y a deux ans, l’appelant a finalement accepté d’essayer la sertraline, qui semble fonctionner : [traduction] « Ça me permet d’être plus stable. »
[34] Il faut certes applaudir l’appelant pour avoir changé d’avis. Néanmoins, ce revirement dans son état de santé vient confirmer ce que je pensais : il n’avait pas, des années plus tôt, fait tout ce qui était raisonnablement possible pour s’attaquer à ses problèmes de santé mentale. Il a abandonné les antidépresseurs trop vite et n’a pas fait de psychothérapie. Qui plus est, il n’a jamais donné de véritable explication pour avoir attendu des années avant de suivre les conseils des médecins.
Je n’ai pas à vérifier si l’invalidité était prolongée
[35] Une invalidité doit obligatoirement être grave et prolongéeNote de bas de page 18. Comme l’appelant n’a pas prouvé qu’il avait une invalidité grave en date du 31 décembre 2004, il est inutile que j’évalue si elle aurait été prolongée.
Conclusion
[36] Même si l’appelant avait des problèmes de santé pendant sa période minimale d’admissibilité, ces problèmes ne donnaient pas lieu à une invalidité grave à ce moment-là. Il s'était blessé aux genoux durant l’adolescence, mais la preuve médicale ne montre pas qu’un problème connexe l’empêchait de travailler en date du 31 décembre 2004. Des problèmes de santé mentale se sont manifestés chez lui au début des années 2000, mais son psychiatre a laissé entendre que sa dépression était largement situationnelle et résultait d'un stress à la maison. Quelle qu’en soit la cause, le problème principal est que l’appelant n’a pas poursuivi de traitement, a renoncé aux antidépresseurs après un seul essai et n’a pas cherché d’aide médicale pendant près de 20 ans.
[37] La question de savoir si quelqu’un est capable de travailler dépend, en plus de la preuve médicale, de l’ensemble des circonstances qui lui sont propres, comme son âge, son niveau de scolarité, son expérience de travail et son expérience personnelleNote de bas de page 19 . À la fin de sa période minimale d’admissibilité, les problèmes de santé de l’appelant étaient relativement mineurs, en plus d’être traitables. Il n’avait à l’époque que 28 ans et, bien que dépourvu d’un diplôme d’études secondaires, il demeurait assez jeune pour continuer des études, ou sinon, pour chercher un emploi peu spécialisé.
[38] Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que l’appelant était régulièrement incapable d’occuper un emploi véritablement rémunérateur en date du 31 décembre 2004.
[39] L’appel est rejeté.