Contenu de la décision
[TRADUCTION]
Citation : PR c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2025 TSS 869
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision
| Partie appelante : | P. R. |
| Représentante ou représentant : | Warren Cummings |
| Partie intimée : | Ministre de l’Emploi et du Développement social |
| Représentantes ou représentants : | Daniel Crolla et Ian McRobbie |
| Décision portée en appel : | Décision rendue par la division générale le 28 février 2025 (GP-24-761) |
| Membre du Tribunal : | Neil Nawaz |
| Mode d’audience : | En personne |
| Date de l’audience : | Le 25 juillet 2025 |
|
Personnes présentes à l’audience : |
Appelant |
| Date de la décision : | Le 13 août 2025 |
| Date du corrigendum : | Le 15 août 2025 |
| Numéro de dossier : | AD-25-171 |
Sur cette page
Décision
[1] J’accueille l’appel. L’appelant a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada.
Aperçu
[2] L’appelant a 60 ans. Il travaillait autrefois comme conducteur de camion élévateur de marchandises pour un traiteur desservant un aéroport. L’appelant s’est blessé à la cheville en juin 2016. Après un congé, il a été affecté à des tâches légères par son employeur. Il a conservé son emploi en assumant différentes fonctions, avant d’être mis à pied en mars 2020, au déclenchement de la pandémie de COVID-19. L’appelant a ensuite suivi des formations d'appoint, sans toutefois être capable de décrocher un emploi.
[3] En septembre 2023, l’appelant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 1. Il disait ne plus pouvoir travailler en raison de sa blessure à la cheville, mais aussi à cause d’une douleur au dos, d'un diabète sucré et d’une déficience auditive.
[4] Service Canada, l’organisme qui fait affaire avec le public au nom du ministre, a rejeté la demande de pension de l’appelant après avoir conclu qu’il n’était pas atteint d’une invalidité grave et prolongéeNote de bas de page 2. Le ministre reconnaissait que l’appelant avait certains problèmes de santé, mais jugeait qu’il pouvait encore faire du travail léger respectant ses restrictions.
[5] L’appelant a porté le refus du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par téléconférence et a rejeté son appel. En effet, elle a conclu que l’appelant demeurait régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La division générale a souligné que l’appelant avait continué de travailler pour son dernier employeur pendant des années après s’être blessé à la cheville, et qu’il avait ultimement été congédié pour des raisons indépendantes de sa santé.
[6] L’appelant a ensuite demandé la permission de faire appel à la division d’appel. Cette permission lui a été accordée en mars. Le mois dernier, j’ai donc tenu une audience en personne pour discuter en détail de sa demande de pension d’invalidité.
Question en litige
[7] Pour gagner son appel, l’appelant doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable qu’il avait une invalidité grave et prolongée pendant sa période d’admissibilité.
- Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 3. Une personne n’a pas droit à une pension d’invalidité si elle est régulièrement capable de faire un travail qui lui permet de gagner sa vie.
- Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou si elle doit vraisemblablement entraîner le décèsNote de bas de page 4. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité tienne l’appelant à l’écart du marché du travail pendant longtemps.
[8] Les parties s’entendent pour dire que la période de protection de l’appelant a pris fin le 31 décembre 2024Note de bas de page 5. Par conséquent, je dois décider si l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée à cette date.
Analyse
[9] Toute personne qui demande une pension d’invalidité a la responsabilité de prouver qu’elle a une invalidité grave et prolongéeNote de bas de page 6. Après avoir appliqué le droit à la preuve disponible, je suis convaincu que l’appelant s’est acquitté de ce fardeau. D’après ce que je peux voir, l’état de santé de l’appelant ne lui permet pas d’avoir le rendement régulier auquel on s’attend dans un milieu de travail concurrentiel.
L’appelant a une invalidité grave
[10] Dans sa demande de pension, l’appelant a dit que son invalidité découlait principalement de sa douleur aux jambes et au dosNote de bas de page 7. Il a qualifié de « faible » l’ensemble de ses capacités fonctionnelles.
[11] L’appelant a expliqué qu’il était né au Portugal et avait immigré au Canada en 1985. Il avait vite trouvé un emploi chez X, une entreprise qui livre des repas préparés aux compagnies aériennes de l’aéroport de X. Il a travaillé pour cette entreprise pendant les 35 années qui ont suivi.
[12] Le travail de l’appelant consistait à livrer des chariots de repas pour les avions commerciaux à l’aide d’un chariot élévateur intégré à même un camion. En juin 2016, il est tombé d’une rampe alors qu’il déchargeait son camion. Il s’est foulé la cheville et s’est fracturé des côtes. Il a été transporté à l’hôpital et traité, et a reçu son congé de l’hôpital le jour même. Il a demandé des prestations de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (WSIB), a pris un congé de maladie et a fait de la physiothérapie. Après trois mois, il a repris le travail avec des tâches modifiées. Il a ensuite exercé diverses fonctions de nature légère, jusqu’à ce que la pandémie de COVID-19 frappe au début de 2020. Lorsque les compagnies aériennes ont pu reprendre leurs activités, l’appelant a demandé de reprendre son ancien emploi. Par contre, son employeur l’a informé que son poste avait été aboli.
[13] L’appelant dit qu’il ne s’est jamais complètement remis de ses blessures. Ses côtes avaient guéri, mais sa cheville n’avait jamais vraiment récupéré, malgré la physiothérapie. Il ne parvient pas réellement à soutenir tout son poids ni à monter facilement les escaliers. S’il soulève ses petits-enfants ou d’autres charges importantes, il ne peut pas marcher en les tenant. Il peut toujours conduire, mais seulement 30 minutes à la fois. Il ressent une sensation de brûlure dans ses jambes. Il a maintenant des douleurs au dos.
[14] Cela étant dit, ma décision ne peut pas strictement être fondée sur le tableau subjectif que l’appelant brosse de ses déficiences. Et ici, le dossier contient suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour me convaincre que l’appelant est régulièrement incapable d’occuper une occupation véritablement rémunératrice.
La preuve médicale indique une déficience importante
[15] L’appelant a différentes blessures et des problèmes de santé liés à son âge qui, ensemble, le rendent régulièrement incapable d’occuper un emploi rémunérateur.
[16] Dans un questionnaire médical accompagnant sa demande de pension d’invalidité, son médecin de famille actuel a déclaré que l’appelant était traité pour son principal problème de santé depuis mars 2023Note de bas de page 8. Le docteur Tawadros-Elraheb a indiqué des diagnostics de blessure antérieure à la cheville droite, de discopathie dégénérative du bas du dos, de sciatique et de diabète sucré avec neuropathie périphérique. Il a précisé que l’appelant était incapable de supporter son poids du côté droit et de rester assis ou debout pendant plus de 20 minutes.
L’appelant a gravement été blessé à la cheville
[17] La plupart des difficultés de l’appelant découlent de sa douleur persistante aux jambes. En juillet 2016, son ancienne médecin de famille, la docteure Dautey, a dit que l’appelant s’était foulé la cheville au travail. Il avait manqué une marche et s’était frappé la poitrine et la jambe en chutant vers l’avantNote de bas de page 9. Elle lui a conseillé de ne pas soulever de charges excédant 15 livres, de ne pas monter de marche et de ne pas marcher pendant plus d’une heure. Elle l’a cependant autorisé à reprendre le travail avec des tâches modifiées dans un délai de deux semaines.
[18] Quelques mois plus tard, la docteure Dautey a noté que l’appelant marchait bien, malgré une enflure et une chaleur résiduelles. Une échographie a révélé une entorse avec un épanchement modéré (enflure)Note de bas de page 10. En novembre 2016, elle a noté que l’appelant s’était vu confier des vols plus petits, mais que sa charge de travail était la même. Il a continué à rapporter une douleur vive et ne pouvait pas rester debout ou assis longtemps sans que la douleur irradie le long de sa jambeNote de bas de page 11. Une imagerie par résonance magnétique a révélé la présence d’un tendon déchiré et d’une ténosynovite (inflammation).
[19] En décembre 2016, l’appelant a subi une évaluation complète de ses pieds et de ses chevilles par l’entremise de la WSIBNote de bas de page 12. Les évaluateurs, un chirurgien orthopédiste et un physiothérapeute ont noté que la douleur de l’appelant s’était améliorée grâce à la physiothérapie et qu’il faisait des heures et des tâches normales au travail avec certaines mesures d’adaptation. Ils ont conclu qu’il avait des douleurs neuropathiques et un pincement possible de tissus mous. Une botte orthopédique a été recommandée, parmi différentes options de traitement. Dans un rapport de suivi, les évaluateurs ont écrit que sa douleur allait mieux depuis une injection épiduraleNote de bas de page 13. Une boiterie antalgique minime a été observée dans sa démarche. On lui a dit qu’il pouvait continuer de faire ses heures de travailles normales et ses tâches modifiées.
[20] En février 2017, un algologue a vu l’appelant pour une douleur au pied droit qu’il disait « modérée » et accompagnée de picotementsNote de bas de page 14. L’appelant a montré une sensibilité au pied droit à l’examen, mais peu de signes de neuropathie. Il marchait avec aisance et présentait une amplitude de mouvement quasi normale. L’algologue lui a prescrit une crème anti-inflammatoire et lui a conseillé de continuer à prendre du Tylenol extra fort.
[21] En mars 2017, une physiothérapeute a conseillé à l’appelant d’éviter les surfaces inégales et de ne pas s’accroupir ni se pencher de façon répétitive en sollicitant ses genoux et ses chevillesNote de bas de page 15.
[22] En avril 2017, une évaluation des capacités fonctionnelles commandée par la WSIB a conclu que, même si l’appelant présentait des douleurs et des limitations résultant d’une blessure à sa cheville droite, il était tout de même capable de travailler jusqu’à l’effort physiologique maximalNote de bas de page 16. L’évaluateur a conclu que l’appelant montrait une aptitude à travailler selon le « niveau de demande physique léger ». Il a noté qu’il avait des limitations pour ce qui était de soulever et de transporter des choses et qu’il aurait probablement besoin de faire des micropauses.
[23] En septembre 2021, un interne a indiqué que l’appelant devait prendre des micropauses quand il marchait et qu’il avait des limitations pour soulever des objets, se pencher et monter les escaliers, ainsi que pour rester debout et marcher longtempsNote de bas de page 17. Il a conclu que l’appelant était capable de retourner au travail avec des restrictions.
[24] Le rapport le plus récent provient d’une autre chiropraticienneNote de bas de page 18. En avril 2025, la docteure Bhullar a constaté chez l’appelant que l’extension de sa colonne vertébrale avait diminué de moitié. Le test d’élévation de la jambe tendue était positif pour des douleurs lombaires irradiant dans la jambe droite. Après avoir examiné des radiographies (qui ne figurent pas au dossier), la docteure Bhullar a dit suspecter chez l’appelant une hernie discale à L5-S1. Elle a recommandé, entre autres thérapies, une décompression discovertébrale non chirurgicale.
[25] Dans son ensemble, la preuve médicale disponible montre que l’appelant a subi un grave accident de travail en 2016, et que sa blessure lui cause des limitations fonctionnelles permanentes. Même s’il avait repris son emploi, il avait occupé des fonctions modifiées. Globalement, les médecins s’entendaient pour dire qu’il n’était plus capable de rester debout ou de marcher longtemps, de se pencher, de soulever des charges, de s’agenouiller et de s’accroupir.
Les autres problèmes médicaux de l’appelant ont contribué à son invalidité
[26] En plus de sa douleur à la cheville, l’appelant a vu sa santé altérée par un certain nombre d’autres problèmes médicaux :
- Douleur au bas du dos — En mars 2018, la docteure Dautey a noté que l’appelant se plaignait d’une douleur au bas du dos qui irradiait depuis de sa cheville droite. Elle suspectait que cette douleur soit liée à la modification de sa démarcheNote de bas de page 19. Elle a noté que l’appelant avait fait de la physiothérapie et portait des orthèses, mais qu’il n’en avait tiré qu’un léger soulagement. Elle a diagnostiqué une sciatique et lui a prescrit de la gabapentine. En septembre 2021, un chiropraticien a noté une recrudescence de sa douleur lombaire suivant des travaux d’entretien extérieur. La douleur irradiait dans sa jambe droiteNote de bas de page 20. L’appelant a reçu des diagnostics de bombement discal, d’arthrose facettaire et de syndrome de tassement vertébral.
- Diabète — En février 2020, la docteure Dautey a noté des antécédents de diabète chez l’appelantNote de bas de page 21. En décembre 2023, le docteur Tawadros-Elraheb a indiqué des diagnostics de diabète sucré et de neuropathie périphérique, causant des engourdissements et des picotements aux pieds de l’appelant. Aucune limitation fonctionnelle n’était cependant préciséeNote de bas de page 22.
- Perte auditive — En septembre 2021, un test auditif a révélé une perte auditive légère à modérée dans les deux oreilles de l’appelant, ainsi qu’une perte auditive modérée à grave à son oreille gauche pour les sons de haute fréquenceNote de bas de page 23.
[27] Bien qu’aucun des problèmes de santé qui précèdent n’empêchait individuellement l’appelant de travailler, ils contribuaient à une invalidité grave de par leur interaction avec sa douleur persistante à la cheville droite.
L’appelant a pris des mesures raisonnables pour alléger ses déficiences
[28] Selon la loi, toute personne qui demande une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada doit faire le nécessaire raisonnable pour alléger ses déficiences ou y remédier. À ce titre, elle doit à la fois montrer qu’elle a suivi les conseils médicaux et qu’elle a fait des efforts pour trouver et conserver un autre emploi.
[29] Je suis d’avis que l’appelant a pris des mesures pour améliorer son état de santé et pour demeurer sur le marché du travail malgré ses problèmes médicaux.
L’appelant a suivi les conseils médicaux
[30] Le Régime de pensions du Canada n’aborde pas la question du traitement médical. Par contre, la décision Lalonde explique qu’une personne qui demande une pension d’invalidité doit se conformer aux recommandations des médecins.Note de bas de page 24 Selon Lalonde, il faut également tenir compte des traitements recommandés qui étaient raisonnables mais ont été refusés, et de l’effet qu’ils auraient pu avoir sur l’état de santé de la personneNote de bas de page 25.
[31] Dans la présente affaire, l’appelant a généralement suivi les conseils médicaux. Il a fait de la physiothérapie pendant des mois. Il a vu de nombreux spécialistes. Il a essayé des orthèses sur mesure. Il prend des analgésiques au besoin. Il surveille son alimentation et vérifie régulièrement son taux de glycémie.
[32] Un appareil auditif lui a aussi été recommandé pour sa déficience auditive. L’appelant n’a jamais donné suite à cette recommandation, mais il a expliqué pourquoi : l’appareil coûte plus de 3 000 $ et il dit ne pas pouvoir se permettre cette dépense.
[33] J’ai trouvé cette explication raisonnable. De toute façon, je ne crois pas que la perte auditive de l’appelant joue un rôle déterminant dans sa déficience globale, et l’appelant n’a pas laissé entendre le contraire non plus.
L’appelant a essayé d’obtenir un autre emploi
[34] Selon la décision Inclima, une personne qui demande une pension d’invalidité et qui possède une capacité résiduelle doit montrer qu’elle a fait des efforts pour trouver et garder un emploi, et que ses efforts ont été infructueux à cause de sa santéNote de bas de page 26 .
[35] Les efforts doivent être réelsNote de bas de page 27. De plus, la recherche d’emploi ne doit pas se limiter au type de travail que la personne faisait avant de devenir invalide. Car, ultimement, elle doit démontrer qu’elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice – peu importe l’occupationNote de bas de page 28.
[36] Ici, l’appelant a conservé à tout le moins une certaine capacité de travail — suffisante pour l’obliger à chercher un autre emploi. Je suis convaincu qu’il s’est acquitté de cette obligation.
[37] Après avoir pris congé pour se remettre de sa blessure à la cheville, X a offert à l’appelant un emploi comme répartiteur. Au début, il devait affecter ses collègues à la collecte de produits hors taxes qui seraient vendus durant les vols. Cet emploi a progressivement été aboli. Il a alors été nommé coursier, ce qui lui demandait périodiquement d’aller acheter des ingrédients pour les repas servis en vol. Ses courses ne prenaient habituellement que 15 minutes pour l’aller-retour, et il en faisait habituellement deux ou trois par quart de travail. Ce travail lui convenait parce qu’il pouvait le faire à son rythme. Il utilisait un support spécial pour son dos. Il pouvait se lever et bouger à sa guise. On lui permettait aussi de prendre des micropauses.
[38] L’appelant a occupé ces fonctions jusqu’au début de la pandémie de COVID-19. Il a ensuite voulu revenir quand les restrictions ont été assouplies, mais X lui a dit qu’il n’y avait pas de travail pour lui. Ses anciens patrons avaient pris leur retraite, et les nouveaux ne le connaissaient pas et ne se souciaient pas de son ancienneté.
[39] L’appelant a fait une autre demande à la WSIB. Il a été envoyé dans un collège privé pour parfaire sa formation, d’abord dans un programme d’insertion professionnelle, puis dans un programme de mécanique automobile. Dans le cadre de sa formation, il a travaillé pendant trois mois comme voiturier chez un concessionnaire de véhicules d’occasion. Il devait aller chercher les véhicules achetés lors d’encans automobiles et les ramener chez le concessionnaire. Il travaillait deux jours par semaine, à raison de quatre heures par jour.
[40] L’appelant a dit qu’un rapport psychoprofessionnel l’avait déjà jugé apte à occuper plusieurs emplois, comme préposé au stationnement, chauffeur d’autobus Wheel-Trans ou chauffeur de navettes aéroportuaireNote de bas de page 29. Il avait envoyé de nombreux CV, mais avait seulement été contacté quelques fois. Une bonne partie des emplois supposaient des tâches plus lourdes qu’annoncé. Il a eu trois entretiens d’embauche. Un des emplois était à Scarborough et donc, trop loin de chez lui à Brampton. Un autre demandait de livrer des aliments à une garderie. Il l’aurait obligé à soulever des boîtes de 50 livres et à monter et descendre des escaliers. Le troisième emploi en était un de voiturier. Par contre, l’employeur lui avait qu’il devrait peut-être parfois conduire jusqu’à Ottawa. L’appelant jugeait ne pas en avoir la capacité. Il lui avait aussi dit qu’il pourrait devoir faire des tâches comme nettoyer l’intérieur des véhicules et changer les pneus entre les trajets.
[41] L’appelant avait un ami dont le travail était de livrer à temps partiel des médicaments d’ordonnance auprès de pharmacies. L’appelant pensait qu’un tel travail serait moins exigeant pour son dos et ses jambes. Il a envoyé d’autres CV et est même allé poser sa candidature en personne chez Dynacare, même si Dynacare n’embauchait pas. Quand on lui a demandé s’il aurait accepté un emploi si un poste avait été vacant. L’appelant a répondu qu’il était prêt à essayer, à condition que l’emploi respecte ses restrictions. Il a insisté pour dire qu’il ne pouvait pas faire de travail qui l’obligerait à soulever des charges de plus de 50 livres ou à conduire de longues distances. Il a ajouté qu’il cherchait toujours un emploi.
[42] Ce récit montre que l’appelant a fait de son mieux pour rester sur le marché de l’emploi, malgré ses problèmes de santé. Il avait repris des tâches modifiées chez son employeur de longue date et y était resté pendant trois autres années en occupant différents rôles. Lorsque X l’a congédié, il s’est recyclé pour un emploi qui correspondait à ses capacités et a fait un stage chez un concessionnaire de voitures d’occasion. Il a ensuite postulé à de nombreux emplois et a fait plusieurs entrevues, sans toutefois recevoir une offre d’emploi. Il a eu l’initiative de chercher un emploi de coursier pour des médicaments d’ordonnance, mais n’a trouvé aucun poste vacant.
L’appelant n’est pas employable dans un contexte réaliste
[43] L’appelant a activement tenté de trouver un autre emploi, sans succès. Et il y a une bonne raison à ce revers : il est effectivement inapte au travail.
[44] Selon Villani, qui est l’arrêt de principe sur l’interprétation d’une invalidité dite « grave », le Tribunal doit considérer une personne dans son entièreté et dans un contexte réaliste aux fins de la pension d’invaliditéNote de bas de page 30. L’employabilité ne doit pas être évaluée de façon abstraite. Elle doit l’être à la lumière de « toutes les circonstances ». Ces circonstances comprennent deux catégories :
- L’état de santé de la personne — qui doit être examiné de façon approfondie et évalué de manière intégrale;
- Les caractéristiques personnelles — qui comprennent l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie.
[45] Dans le cas présent, je ne pense pas que l’appelant ait encore quoi que ce soit à offrir à un employeur réaliste. Ses problèmes aux jambes et au dos sont bien documentés et limitent ses capacités physiques. Même si l’appelant a fait un retour chez X après sa blessure en 2016, je soupçonne qu’il avait été possible par l’intervention de son syndicatNote de bas de page 31 et de la WSIB, qui incite les employeurs à reprendre les travailleurs blessés. L’appelant a fait des tâches modifiées durant trois ans, mais ses rôles de répartiteur et de coursier n’étaient pas particulièrement exigeants d’un point de vue mental ou physique. N’eussent été ses 30 années de service, je doute que ces postes lui aient été offerts.
[46] Il semble que l’emploi de l’appelant ait pris fin pour des raisons indépendantes de ses déficiences. Cependant, une fois remercié par X, l’appelant s’est retrouvé face à peu d’options. Il a suivi une formation de voiturier pour concessionnaires d’automobiles, mais n’a pas pu obtenir un emploi dans ce domaine ou un autre domaine comparable. Des évaluations de ses capacités fonctionnelles datant de 2017 et 2021 l’avaient jugé capable de faire un travail léger avec des mesures d’adaptation, mais je ne pense pas qu’elles tenaient compte de sa place sur le marché du travail concurrentiel. En date du 31 décembre 2024, l’appelant approchait la soixantaine et était aux prises avec un éventail de problèmes médicaux qui le gênaient de plus en plus. Même en ayant parfait certaines de ses compétences de base en langue et en informatique, l’appelant demeurait ce qu’il avait toujours été : un immigrant peu éduqué dont l’anglais n’est pas la langue maternelleNote de bas de page 32. À son âge, il était peu probable qu’il soit embauché pour le genre de travail peu qualifié qu’il avait fait dans le passé. Même si l’appelant continue de chercher du travail (ce qui est admirable), il se sent seulement capable d’occuper un emploi à temps partiel et peu exigeant sur le plan physique. Même s’il arrivait à trouver un tel emploi, il serait très peu probable qu’il en tire une rémunération suffisante pour que l’occupation soit considérée comme véritablement rémunératrice au sens de la loiNote de bas de page 33.
[47] Compte tenu de ses problèmes de santé et de ses caractéristiques personnelles, j’ai du mal à imaginer l’appelant décrocher un emploi qui soit un gagne-pain raisonnable.
L’appelant était crédible
[48] L’appelant était un témoin sympathique. Il a répondu aux questions avec franchise et sans réserve. Il a décrit en détail les blessures qu’il a subies en travaillant et leurs symptômes — principalement ses douleurs aux jambes et au dos — qui persistent depuis près d’une décennie. Il a décrit le travail qu’il a fait chez X, avant et après son accident, et a expliqué pourquoi il n’a pas pu trouver un emploi convenable en dépit de ses nouvelles formations.
[49] La crédibilité de l’appelant est corroborée par son parcours professionnel, notamment par les 30 années consécutives où il a travaillé pour le même employeur. Il semble avoir bien gagné sa vie la majeure partie de ces années, et il est difficile d’imaginer qu’une personne ayant fait montre d’une telle éthique de travail demande une pension d’invalidité à moins d’avoir une déficience réelle et importante.
L’appelant a une invalidité prolongée
[50] La preuve disponible montre que l’appelant a une déficience physique importante depuis qu’il s’est blessé à la cheville, il y a neuf ans. Il a essayé de nombreux traitements et a notamment eu recours à la physiothérapie, à des orthèses et à des analgésiques, mais son état ne s’est pas beaucoup amélioré. Le déclin de ses capacités fonctionnelles a sûrement été exacerbé par son vieillissement, et je ne vois aucune perspective réelle que l'appelant se rétablisse.
Conclusion
[51] L’appelant s’est blessé à la cheville droite en juin 2016. Après avoir longtemps été affecté à des tâches modifiées, l’appelant a été mis à pied en mars 2020. Alors dans la mi-cinquantaine, l’appelant était un nouvel employé ou stagiaire moins qu’attrayant compte tenu de son âge et de sa scolarité limitée. L’appelant a fait une formation d’appoint et a véritablement essayé de trouver un emploi convenable, mais en vain. Vu son état de santé et ses caractéristiques personnelles, il est peu probable que l’appelant décroche un autre emploi qui lui procure un salaire décent.
[52] Comme l’appelant a présenté sa demande de pension en septembre 2023, il peut être considéré comme invalide au plus tôt en
octobre 2022 juin 2022.Note de bas de page 34 Par conséquent, sa pension d’invalidité est payable dès
février 2023octobre 2022Note de bas de page 35.
[53] L’appel est accueilli.