Assurance-emploi (AE)

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Contenu de la décision



Décision

[1] Le Tribunal rejette la requête en suspension des procédures présentée par l’intimée.

Introduction

[2] Afin de faciliter la lecture de la présente décision, le nom d’une seule des  parties appelante est mentionné dans l’entête, mais la présente décision s’applique mutatis mutandis à tous les appelant(e)s énuméré(e)s à la liste annexée.

[3] La requête en suspension de procédure a été acheminée au Tribunal le 8 novembre 2013 par le représentant de l’Intimée, Monsieur Éric Giguère, Directeur des appels de l’assurance-emploi. Le 20 novembre 2013, le Tribunal faisait parvenir une lettre aux Appelants visés par la présente requête, ou à leur représentant, les invitant à présenter des arguments quant à ladite requête.

Question en litige

[4] La question en litige est de déterminer s’il est opportun  de suspendre les procédures d’appels devant la Division générale du Tribunal concernant les appelants énumérés en annexe.

Droit Applicable

[5] Les parties n’ont pas référés à des dispositions législatives ou règlementaires particulières. La présente décision découle de l’article 4 du Règlement sur le Tribunal de la Sécurité Sociale qui prévoit qu’à la demande déposée par une partie auprès du Tribunal, celui-ci peut déterminer la règle applicable à toute question relative à l’instance.

Preuve

[6] Aucune preuve supplémentaire particulière n’a été déposée par quelconque partie au soutien de la requête faisant l’objet de la présente décision, à l’exception de ce qui se trouve dans les dossiers.

Faits Particuliers

[7] Plus de 300 dossiers ont été déposés par les anciens employés d’Avéos et Air Canada, mais la présente requête en vise environ 250.

[8] Le Tribunal de la sécurité sociale fait face à la présente situation en raison de sa création par le Parlement du Canada en date du 1er avril 2013. Tous les dossiers visés émanent de décisions initiales ou de décisions relatives à des demandes de révision. Avant le 1er avril 2013, un appel devant un conseil arbitral pouvait être logé d’une décision initiale. Depuis le 1er avril 2013, un appel devant la division générale du Tribunal peut être logé d’une décision de l’intimée relative à demande  révision. C’est pour cette raison que certains appels ont été entendus par des conseils arbitraux et que certains appels sont présentement devant la division générale du Tribunal. De plus, bien que les appels de décisions de conseils arbitraux étaient auparavant entendus par des juges-arbitres, en raison des dispositions transitoires applicables en l’espèce, ces causes ont été transférées à la division d’appel du Tribunal.

[9] La totalité des Appelants visés par ladite requête sont des ex-employés des compagnies Avéos Fleet Performance et Air Canada, et ils font l’objet de demandes de remboursement par l’Intimée de prestations qui auraient été versées en trop, l’Intimée ayant déterminée que le paiement d’une indemnité de départ constituait une rémunération.

Arguments des Parties

[10] L’Intimée a fait valoir que :

  1. Il est préférable de décider des appels à l’instance supérieure au préalable.
  2. La décision du membre de la division d’appel sera prise en considération et pourrait avoir une influence sur la position de l’Intimée en lien avec les autres appels en cours et avoir une incidence sur le résultat des appels à la division générale.
  3. Advenant que ces appels se retrouvent devant la Cour d’appel fédérale, cette décision serait alors contraignante tant pour le Tribunal que pour l’Intimée.

[11] Les Appelants ont fait valoir que :

  1. Il n’y a aucune caractéristique particulière qui justifierait que les procédures soient suspendues. La seule différence entre les dossiers qui ont été entendus devant le conseil arbitral et ceux qui seront entendus par la division générale du Tribunal est la date de réception par l’Intimée des lettres d’appel ou des demandes de révision des prestataires.
  2. Dans la mesure où une décision de la division d’appel  soit rendue avant que les appelants devant la division générale aient eu la chance de présenter leurs explications, ceux-ci pourraient raisonnablement avoir des doutes sur l’impartialité du Tribunal lorsqu’ils devront par la suite se présenter devant la division générale. Les principes de justice naturelle commandent que les Appelants, qu’ils aient déposé leur appel ou demande de révision avant ou après le 1er avril 2013, aient les mêmes occasions devant la justice. Il est primordial qu’il y ait apparence de justice pour tous et chacun.
  3. La division générale pourrait se sentir liée par la décision de l’instance supérieure du Tribunal , ce qui aurait pour effet de donner l’impression aux appelants que l’audience devant la division générale n’est qu’une simple formalité. Ils pourraient à juste titre avoir l’impression que leur sort est réglé d’avance, peu importe ce qu’ils pourraient avancer devant la division générale.
  4. Il n’y a aucun avantage administratif à scinder les dossiers de cette façon, puisque si le Tribunal accueillait la présente requête, et que la jonction des appels est effectuée, il devrait alors y avoir deux audiences séparées plutôt qu’une, ce qui occasionnerait des coûts supplémentaires pour le Tribunal et les parties.
  5. Dans les circonstances, la division d’appel du Tribunal aurait devant elle un second avis provenant d’une instance inférieure (soit les conseils arbitraux et la division générale).

Analyse

[12] Le Tribunal est étonné par le dépôt d’une requête en suspension de procédures déposée à l’encontre de seulement une partie des appelants plutôt qu’ une requête qui aurait pu être déposée à l’encontre de tous les appelants. Au soutient de sa requête, l’Intimée a présenté deux listes d’Appelants visés par la présente requête. Une comprends une vingtaine de noms d’Appelants non-représentés qui, pour l’essentiel, vivent dans l’ouest du pays. Quant à l’autre liste, elle est composée exclusivement d’Appelants représentés par le Mouvement Action-Chômage de Montréal, le seul représentant qui a déposé des représentations aux nom des appelants concernant ladite requête.

[13] Le Tribunal est en accord avec la position des Appelants à l’effet que le fait d’accueillir une telle requête à l’endroit de seulement une partie appelants visés, et non la totalité, est problématique. L’Intimée n’a jamais expliqué pourquoi le Tribunal devrait limiter la portée du jugement interlocutoire aux seuls Appelants identifiés par l’Intimée. Le choix des Appelants semble aléatoire, sans aucune justification territoriale ou linguistique. Le Tribunal note que sur plus de 300 dossiers impliquant des ex-employés d’Avéos et Air Canada, l’Intimée en a choisi environ 250 qui sont soit francophones ou anglophones, ou provenant du Québec, de l’Ontario ou de l’ouest canadien.

[14] Le Tribunal note que la requête vise presque qu’exclusivement la totalité des Appelants représentés par le Mouvement Action-chômage de Montréal, et ce, sans explication valable. Ce seul argument aurait été suffisant pour faire échec à la présente requête, mais le Tribunal tient à traiter des autres questions soulevées par les parties.

[15] Le Tribunal est en désaccord avec l’argument des Appelants  à l’effet que si la division générale s’inspire d’une décision de la division d’appel, ceci pourrait soulever des doutes quant à son impartialité. La division générale est la division de première instance et elle n’est pas liée par le stare decisis quant aux décisions de la division d’appel. Elle peut toutefois légitimement s’en inspirer. Il serait alors peu opportun d’avancer qu’un appel devant la division générale n’est qu’une simple formalité.

[16] Il est vrai qu’il puisse paraître bizarre qu’une partie des appels de première instance aient été entendus par un tribunal administratif et une seconde partie le soit par un tribunal administratif différent. Toutefois cela résulte de la volonté du Parlement qui a prévu expressément que les deux tribunaux puissent émettre des décisions durant une période concomitante.

[17] Le Tribunal est en désaccord avec l’argument de l’Intimée à l’effet qu’il vaille mieux que la division d’appel entende d’abord un appel portant sur une partie des dossiers, ce qui lui permettrait de mieux administrer ses dossiers. Le mandat d’un tribunal administratif n’est pas d’aider une des parties dans l’administration de ses dossiers, mais de rendre un accès équitable à la justice à toutes les parties. Si le Tribunal devait procéder comme le souhaite l’Intimée, cela signifierait que le Tribunal procèderait à l’inverse de son processus de progression naturel qui dicte que les dossiers soient entendus en première instance, et le cas échéant en seconde instance, s’ils sont portés en appel.

[18] La division de première instance du Tribunal n’est pas un simple remplaçant des conseils arbitraux : il s’agit d’un tribunal administratif différent. Certains pouvoirs et la plupart des règles de procédures applicables au Tribunal diffèrent de ceux qui s’appliquaient aux conseils arbitraux.

[19] La division générale est l’instance finale quant à la présentation et l’appréciation des faits. Depuis les audiences devant les conseils arbitraux des autres dossiers d’anciens employés d’Aveos et Air Canada, de nouveaux éléments de preuve pourraient être découverts par les parties, ou de nouveaux principes de jurisprudence pourraient être établis par les instances supérieures. Si ces éléments sont présentés devant la division générale, ils pourront être considérés par la division d’appel du Tribunal. Par conséquent, advenant que la division d’appel décide de joindre les dossiers des conseils arbitraux à ceux provenant de la division générale du Tribunal, ces nouveaux éléments pourraient être déterminants quant au sort des dossiers qui ont été entendus par les conseils arbitraux. Il est clair que la présente situation est particulière à la période de transition relative à une partie de l’année 2013: l’existence de deux tribunaux de première instance différents. Mais c’est une situation que le Parlement a manifestement envisagé en permettant l’existence simultanée des conseils arbitraux et du Tribunal du 1er avril au 31 octobre 2013.

[20] Finalement, le Tribunal est d’accord avec l’argument de nature administrative présenté par les Appelants : il serait illogique que la division d’appel se retrouve avec trois séries de dossiers plutôt que deux, soit ceux provenant des conseils arbitraux, ceux qui auraient été suspendus si la présente requête avait été accueillie, et ceux qui sont devant la division générale du Tribunal et qui ne sont pas visés par la présente requête. Toutefois, comme ce dernier argument est de nature purement administrative, son poids juridique est plus mince.

Conclusion

[21] La requête est rejetée.

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