Assurance-emploi (AE)

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Decision

[1] L’appel est accueilli, la décision du conseil arbitral en date du 28 novembre 2012 est annulée et l’appel de l’Intimée devant le conseil arbitral est rejeté pour défaut de compétence.

Introduction

[2] En date du 28 novembre 2012, un conseil arbitral a conclu que :

  • - L’Intimée avait droit à la défalcation selon les termes de l’article 43 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») et l’article 56(2) du Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement »).

[3] L’Appelante a déposé un appel de la décision du conseil arbitral devant le juge- arbitre en date du 12 décembre 2012.

Mode d’audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience en personne pour les motifs mentionnés à l’avis d’audience du 18 mars 2014. L’Appelante était représentée par Me Joshua Wilner.

L’Intimée était présente et représentée par Me Jean-Guy Ouellet.

La loi

[5] La division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (le « Tribunal ») est saisie des appels interjetés auprès du bureau du juge-arbitre et non encore entendus avant le 1er avril 2013, conformément aux articles 266 et 267 de la Loi sur l’Emploi, croissance et prospérité durable de 2012. Le 1er avril 2013, le juge-arbitre n’avait pas encore entendu l’appel de l’Appelante ni rendu de décision sur celui-ci. L’appel a été transféré du bureau du juge-arbitre à la Division d’appel du Tribunal. La permission d’en appeler est réputée avoir été accordée par le Tribunal le 1er avril 2013 conformément à l’article 268 de la Loi sur l’Emploi, croissance et prospérité durable de 2012.

[6] Par souci d’équité, la présente demande sera examinée sur la base des attentes légitimes de l’Appelante au moment du dépôt de son appel devant le juge-arbitre. Pour cette raison, le présent appel sera décidé en fonction des dispositions applicables de la Loi en vigueur immédiatement avant le 1er avril 2013.

[7] Conformément au paragraphe 115(2) de la Loi, alors en vigueur au moment de l’appel, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) le conseil arbitral n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[8] Le conseil arbitral avait-il la compétence nécessaire pour trancher la question de défalcation du trop-payé?

[9] Dans l’affirmative, la décision du conseil arbitral concernant l’exercice par l’Appelante de son pouvoir discrétionnaire, est-elle raisonnable?

Arguments

[10] L’Appelante soumet les motifs suivants au soutien de son appel:

  • - Le conseil arbitral a excédé sa compétence en accueillant l’appel de l’Intimée portant sur la question de la défalcation du trop-payé;
  • - Le conseil arbitral, en vertu de l’article 114(1) de la Loi, tel qu’il était au moment de la décision, n’avait pas la compétence de trancher la question de défalcation du trop-payé;
  • - Cette compétence est réservée uniquement à la Cour fédérale qui exerce un pouvoir exclusif en matière de contrôle judiciaire d’un décideur qui constitue un « officier fédéral », incluant l’Appelante et l’ARC, en vertu de la Loi sur les Cours fédérales;
  • - L’Appelante admet que la décision de l’ARC en date du 21 juillet 2011, (Pièce 7-4), constitue le refus de défalcation;
  • - La position de l’Intimée repose essentiellement sur les motifs concourants du juge Stratas dans l’affaire Steel c. Canada (PG), 2011, CAF 153;
  • - Les motifs du juge Stratas ne lient pas le Tribunal puisque la majorité de la Cour a conclu que la question de la compétence du conseil arbitral et du juge- arbitre pour entendre des appels en matière de défalcation ne se posait pas et n’était donc pas justiciable, en l’absence de décision de la Commission sur cette question;
  • - La Cour fédérale dans l’affaire, Bernatchez c. Canada (PG), 2013 CF 111, a reconnu qu’elle n’était pas liée par les propos du juge Stratas puisque la Cour d’appel fédérale n’a pas fait sienne l’opinion exprimée par le juge Stratas et n’a pas explicitement écarté les nombreuses décisions qu’elle a rendues à l’effet qu’une décision de la Commission refusant la défalcation d’une somme ne peut faire l’objet d’un appel au conseil arbitral;
  • - Le conseil arbitral ne pouvait pas décider si l’Appelante avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire en refusant la défalcation en l’absence de la preuve de l’Appelante au soutien de sa décision;
  • - Le conseil arbitral reconnait dans sa décision (p. 12 de la décision) qu’il n’a pu rendre une décision éclairée sur l’exercice par l’Appelante de son pouvoir discrétionnaire;
  • - Si le Tribunal en vient à la conclusion que le conseil arbitral avait compétence, l’Appelante soumet que le dossier devrait être retourné à la division générale afin de lui permettre de faire la preuve des éléments au soutien de sa décision de refuser la défalcation.

[11] L’Intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel de l’Appelante:

  • - Le libellé de la disposition conférant la compétence a fait l’objet d’une analyse détaillée dans une décision récente - Steel c. Canada (PG), 2011 CAF 153;
  • - Il ressort clairement des motifs du juge Stratas que le libellé des articles définissant les procédures d’appel de la Loi a été modifié par le législateur depuis les décisions s’étant prononcées sur un libellé différent des articles antérieurs et étant les décisions maitresses au soutien de l’absence de juridiction du conseil arbitral;
  • - L’objection énoncée dans ses décisions antérieures sur la base de l’utilisation du terme « débiteur » à l’article 56 du Règlement et du terme « prestataire » dans les articles permettant de loger appel ne s’applique plus;
  • - Les modifications utilisent maintenant les termes « Quiconque » et «autres personnes », termes auxquels on se doit de donner une portée et qui, pour toutes les raisons qui seront invoquées sur les autres critères, doivent être interprétés comme incluant la situation du « débiteur »;
  • - L’objet de la Loi est de verser des prestations à des personnes se retrouvant sans emploi. À plusieurs reprises, les tribunaux ont eu à indiquer que cette Loi devait être interprétée libéralement et qu’en cas de doute sur la portée d’un texte, celui-ci devait être interprété en faveur des bénéficiaires du régime;
  • - Les tribunaux ont, au cours des dernières années, rejetés des interprétations visant à limiter la juridiction du tribunal;
  • - Le conseil arbitral a développé une expertise sur la question de contrôle du pouvoir discrétionnaire attribué à l’Appelante que ce soit en matière de refus de proroger un appel hors délai, d’évaluation du nombre de semaines d’exclusion ou du montant d’une pénalité;
  • - La décision du conseil arbitral de conclure à sa juridiction en matière de défalcation est une conclusion raisonnable dans les circonstances;
  • - L’erreur imputable à l’Appelante ou un réexamen rétroactif d’un dossier suite à une erreur s’avèrent reconnus comme motifs de défalcation;
  • - Le conseil arbitral a conclu que le motif indiqué par l’ARC dans sa décision de refuser la défalcation, à savoir la capacité de rembourser la réclamation, ne pouvait être maintenu car il ressortait à la face même du dossier de l’Intimée qu’elle était dans une situation financière précaire au moment des évènements à l’origine de la réclamation ainsi qu’au moment de cette réclamation, éléments pertinents retenus autant par la jurisprudence que ressortant des directives de la Commission;
  • - Le conseil arbitral a retenu les éléments identifiés par les juges-arbitres comme étant des éléments pertinents à l’analyse de la possibilité de défalquer une réclamation : erreur de la Commission, situation financière, préjudice abusif, précarité de l’emploi ou d’en obtenir un, état de santé, âge, délai à procéder à la révision et il a appuyé par des éléments factuels ces conclusions sur ces éléments;
  • - La référence par le conseil arbitral à la jurisprudence ayant identifié des éléments pertinents à l’exercice du pouvoir de défalcation est tout à fait raisonnable et appropriée surtout en l’absence de politique de la part de l’Appelante en cette matière;
  • - La norme de la raisonnabilité doit s’appliquer et l’Appelante ne peut démontrer que la décision ne rencontre pas cette norme en la matière.

Normes de contrôle

[12] Les parties soumettent que la norme de contrôle applicable pour des questions d’erreur de compétence est celle de la décision correcte - Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159, Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. Les décisions de l’Appelante concernant la défalcation d’un trop-payé sont soumises à la norme de la décision raisonnable - Wegener c. Canada (PG), 2011 CF 137.

[13] Le Tribunal retient que la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision d’un conseil arbitral et d’un juge-arbitre relativement à des questions de droit, incluant la question de compétence, est la norme de la décision correcte - Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159, Martens c. Canada (PG), 2008 CAF 240. Les décisions de l’Appelante concernant la défalcation d’un trop-payé sont soumises à la norme de la décision raisonnable - Wegener c. Canada (PG), 2011 CF 137, Claveau c. Canada (PG), 2008 CF 672.

Analyse

Les faits

[14] Les faits au dossier ne sont pas contestés.

[15] Suite à une demande de prestations régulière présentée le 12 novembre 2009 et débutant le 25 octobre 2009 (Pièce 2), l’Appelante a omis de considérer que l’Intimée n’avait pas été sans travail et sans rémunération pendant au moins sept jours consécutifs, tel que requis par l’article 7 de la Loi et l’article 14 du Règlement et a payé des prestations à l’Intimée jusqu’au 31 juillet 2010.

[16] Le 13 novembre 2009, l’Intimée a immédiatement avisé l’Appelante « qu’elle n’a pas subi d’arrêt de rémunération de sept jours consécutifs depuis 1 an. » (Pièce 9-15)

[17] Le 25 août 2010, considérant que la prestataire n’avait pas subi d’arrêt de rémunération, l’Appelante a procédé à la révision du dossier en vertu de l’article 52 de la Loi (Pièce 3), ce qui a entraîné un trop-payé de 7 037$ (Pièce 4).

[18] Le 23 septembre 2010, l’Intimée a porté cette décision en appel devant le conseil arbitral.

[19] Le conseil arbitral a rejeté l’appel de l’Intimée sur la question de l’absence d’un arrêt de rémunération tout en recommandant fortement à l’Appelante de défalquer la totalité du trop payé (Pièce 5-5).

[20] L’Appelante a soumis la recommandation de défalcation faite par le conseil arbitral au recouvrement non fiscal de l’ARC qui était, à l’époque, l’autorité compétente pour statuer sur les demandes de défalcation fondée sur le paragraphe 56(1)f) du Règlement en raison du fait que le remboursement imposerait a la débitrice un préjudice abusif.

[21] Le 12 janvier 2011, l’ARC a refusé de défalquer le trop-payé et a notifié sa décision à l’Intimée le 21 juillet 2011, concluant que « Suite à la révision de votre situation et basée sur la documentation fournie, l’ARC continuera de recouvrer cette ou ces dettes impayées, puisque les éléments de preuve justifient que vous êtes ou pourriez être en mesure de rembourser votre solde impayé (Pièces 6 et 7-4).

[22] Le 28 novembre 2012, le conseil arbitral a accueilli l’appel de l’Intimée portant sur la question de défalcation du trop-payé (Pièces 25-1 à 25-11) d’où le présent appel de l’Appelante;

[23] L’Appelante, après avoir exprimé diverses positions ambiguës sur la question (Pièces 8-1, 8-2, 17-1 et 17-2), reconnaît finalement que la décision de l’ARC constitue un refus de défalcation. (argumentation en appel de l’Appelante, p.4).

Décision du conseil arbitral sur la question de compétence

[24] Lorsqu’il accueilli l’appel de l’Intimée, le conseil arbitral a notamment déclaré ce qui suit sur sa compétence en matière de défalcation:

« Les éléments sur lesquels le Conseil arbitral se base pour déterminer qu’il a juridiction sur le pouvoir de défalcation sont les suivants :

  • - Le changement au niveau de la législation en 1996 (paragraphe 114(1) de la Loi qui prévoit que « quiconque fait l’objet d’une décision de la Commission » peut interjeter appel devant le conseil arbitral;
  • - Le fait que la Commission n’a jamais fourni d’explications à la prestataire quant à la raison pour laquelle elle avait rejeté sa demande de défalcation (voir note de service AP 2012-01, pièce 22);
  • - Le refus de la Commission de répondre aux demandes répétées du Conseil arbitral pour fournir les éléments pris en compte et ceux non pris en compte et de produire la politique de défalcation de l’Agence de Revenu du Canada;
  • - Le jugement de la Cour d’appel fédérale (A-53-10) de Zack Steel dans lequel le Juge Stratas mentione que « une autre personne » peut interjeter appel devant le Conseil arbitral (par. 57).

De plus, des jurisprudences abondent de plus en plus dans le sens d’un plus grand pouvoir donné au Conseil arbitral que ce soit en matière d’avis de violation, de pénalité, etc. par exemple. »

[25] Le conseil arbitral avait-il la compétence nécessaire pour trancher la question de défalcation du trop-payé?

[26] Les parties s’entendent que la norme de la décision correcte s’applique à la stricte question de savoir si le conseil arbitral avait juridiction ou non en matière de défalcation - Hallée c. Canada (PG), 2008, CAF 159.

[27] Le procureur de l’Appelante soumet que le conseil arbitral a excédé sa compétence en accueillant l’appel de l’Intimée portant sur la question de défalcation du trop-payé. Cette compétence dit-il est réservée uniquement à la Cour fédérale qui exerce un pouvoir exclusif en matière de contrôle judiciaire d’un décideur qui constitue un « office fédéral ». Le Tribunal ne serait pas lié par les propos du juge Stratas dans l’affaire Steel c. Canada (PG), 2011 CAF 153 puisque la majorité de la Cour d’appel fédérale ne s’est pas prononcée sur la question de compétence.

[28] Devant le Tribunal et dans son argumentation écrite du 8 mars 2013, le procureur de l’Intimée invoque essentiellement les motifs concourants du juge Stratas dans l’affaire Steel, pour soutenir sa position que le conseil arbitral a correctement exercé sa compétence en l’espèce. Dans le présent dossier dit-il, contrairement à la situation dans Steel, l’Appelante a finalement reconnu que la décision de l’ARC en date du 21 juillet 2011 constitue un refus de la demande de défalcation de l’Intimée (Pièce 7-4).

[29] Dans l’affaire Steel, le prestataire était tenu de rembourser un versement excédentaire de prestations et il a soutenu avoir demandé à la Commission de défalquer cette dette en vertu du paragraphe 56(1) du Règlement en raison d’un «préjudice abusif ». La majorité de la Cour d’appel fédérale, sans effectivement se prononcer sur la question de compétence, en vient à la conclusion suivante :

« En l’absence d’une décision, le conseil et le juge-arbitre n’avaient aucune raison de trancher les questions que M. Steel souhaite soulever en ce qui concerne la défalcation de sa dette. Il n’est pas une « [personne] qui fait l’objet d’une décision de la Commission » qui peut interjeter appel de la décision devant le conseil.

Il n’y a pas non plus de décision qui pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale. La question que M. Steel souhaite soulever ne se pose tout simplement pas dans le présent dossier. L’affaire ne soulève aucune question justiciable. »

[30] Malgré la position de la majorité, le juge Stratas s’est dit d’avis que la question de compétence ne pouvait être évitée et que la Cour avait le devoir au préalable de se prononcer sur cette question. Il mentionne ce qui suit :

« [54] Dans la présente affaire, M. Steel est tenu de rembourser un versement excédentaire de prestations. Il soutient qu’il a demandé à la Commission de défalquer cette dette en vertu du paragraphe 56(1) du Règlement sur l’assurance- emploi, DORS/96-332 en raison d’un « préjudice abusif ». M. Steel prétend que la Commission a rejeté sa demande de défalcation.

[55] Par conséquent, M. Steel a interjeté appel au conseil arbitral, puis au juge- arbitre en vertu des paragraphes 114(1) et de l’article 115 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23. Ces dispositions, reproduites en annexe des motifs de ma collègue, permettent à « quiconque » (en anglais, claimant ou other person) d’interjeter appel devant le conseil arbitral ou le juge-arbitre. Une demande de contrôle judiciaire peut ensuite être présentée à la Cour en vertu de l’article 118 de la Loi.

[56] Selon la jurisprudence de notre Cour, M. Steel n’est pas un « prestataire » : Cornish-Hardy c. Canada (Conseil arbitral), [1979] 2 C.F. 437 (C.A.); conf. par [1980] 1 R.C.S. 1218 et Canada (Procureur général) c. Filiatrault (1998), 235

N.R. 274 (C.A.F.).

[57] Par conséquent, la question de la compétence se résume à savoir si M. Steel est une « autre personne » en vertu du paragraphe 114(1) et de l’article 115 de la Loi. Si M. Steel est une « autre personne », il peut alors interjeter appel devant le conseil arbitral et le juge-arbitre, et il peut ensuite soumettre à la Cour une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 118 de la Loi. Si M. Steel n’est pas une « autre personne », il ne pourra alors procéder que par voie de de contrôle judiciaire du refus de la Commission devant la Cour fédérale en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

[58] Depuis déjà quelque temps, la Cour estime que les personnes lésées par des décisions en matière de défalcation rendues par la Commission doivent agir par voie de demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale : Cornish-Hardy et Filiatrault, précités. Il ne leur est pas possible d’emprunter la voie de l’appel et du contrôle judiciaire devant le conseil arbitral, le juge-arbitre, puis la Cour.

[59] Cependant, les arrêts Cornish-Hardy et Filiatrault ont été rendus sur le fondement de dispositions législatives différentes : avant la réforme législative de 1996, ces dispositions étaient le paragraphe 79(1) et l’article 80 de la Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. 1985, ch. U-1. Elles étaient plus limitées que ne le sont le paragraphe 114(1) et l’article 115 de la Loi actuelle. Le paragraphe 79(1) ne permettait qu’à un « prestataire » ou à « un employeur du prestataire » d’interjeter appel d’une décision de la Commission devant le conseil arbitral. L’article 80 permettait à « la Commission, un prestataire, un employeur ou une association dont le prestataire ou l’employeur est membre » d’interjeter appel d’une décision du conseil arbitral devant un juge-arbitre. Ni l’une ni l’autre disposition ne permettait à une « autre personne » d’interjeter appel.

[60] Bien que le paragraphe 114(1) et l’article 115 de la Loi actuelle aient une portée plus large en ce qu’ils permettent à « quiconque » (une autre personne) d’interjeter appel, la Cour a continué de suivre la position adoptée dans les arrêts Cornish-Hardy et Filiatrault : Buffone c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2001 CanLII 22143 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Mosher, 2002 CAF 355; Canada (Procureur général) c. Villeneuve, 2005 CAF 440.

[61] Dans les arrêts Buffone, Mosher et Villeneuve, la Cour a considéré que la question de la compétence était réglée. Les motifs de chacune de ces décisions laissent entendre que la Cour n’avait reçu aucune observation sur les dispositions législatives applicables. Dans chaque cas, c’est un prestataire non représenté par avocat qui s’est présenté devant la Cour.

(…)

[69] Prenons par exemple la situation difficile dans laquelle se trouve M. Steel. La majorité de la Cour décidera de la présente affaire sans statuer sur la question de la compétence que nous a soumise M. Steel. La Commission déterminera ensuite si M. Steel a droit à une défalcation. Dans l’hypothèse où il est débouté par la Commission, il devra choisir une voie de révision sans le bénéfice d’une décision sur la question de la compétence. S’il choisit la mauvaise voie de révision, il devra revenir à la case départ et tout recommencer. Dans un tel cas, un trop grand dévouement au minimalisme judiciaire peut prendre le prestataire au piège dans un jeu de « serpents et échelles » désagréable.

(…)

[74] Je suis d’avis que la décision du législateur d’ajouter les mots « quiconque » (en anglais other person) au paragraphe 114(1) et à l’article 115 de la Loi actuelle avait pour but de permettre à des personnes comme M. Steel d’interjeter appel de décisions relatives à des demandes de défalcation devant le conseil arbitral et le juge-arbitre, et ensuite de saisir la Cour. Si non, il serait très difficile de déterminer ce que le législateur avait à l’esprit lorsqu’il a ajouté ces mots.

[75] À mon avis, il serait possible de vérifier la validité de cette interprétation en examinant l’intention générale du législateur qui sous-tend le régime administratif, comme le démontrent les dispositions législatives particulières qu’il a adoptées : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394. Ce régime administratif vise à détourner les questions relatives à l’assurance-emploi du système judiciaire pour les diriger vers les mécanismes d’arbitrage plus informels, plus spécialisés et plus efficaces mis en place par le législateur. L’interprétation que je donne du terme « quiconque » est compatible avec cet objectif et favorise sa réalisation.

[76] Une interprétation contraire signifierait que la défalcation d’une obligation de rembourser un versement excédentaire de prestations, question liée à l’admissibilité à des prestations d’assurance-emploi, serait détournée de ce régime informel, spécialisé et efficace et dirigée vers un système judiciaire plus lent, plus formel et plus exigeant sur le plan des ressources. Cette interprétation n’a aucun sens. Seul le plus clair des textes de loi, non présent en l’espèce, pourrait nous conduire à un tel résultat.

[77] Les énoncés des arrêts Buffone, Mosher et Villeneuve qui proposent une réponse différente à la question de la compétence en l’espèce sont au mieux considérés comme ne reflétant pas l’opinion réfléchie des tribunaux qui ont tranché ces affaires. En outre, dans la mesure où les arrêts Cornish-Hardy et Filiatrault empêchent des personnes comme M. Steel d’interjeter appel au conseil arbitral et au juge-arbitre en vertu du paragraphe 114(1) et de l’article 115 de la Loi, ils ne devraient plus être appliqués. Ces décisions reposent sur l’ancienne Loi qui, contrairement à la Loi actuelle, ne permet pas à une « autre personne » d’interjeter appel.

[78] Par conséquent, j’estime que M. Steel était une « autre personne » en vertu du paragraphe 114(1) et de l’article 115 et pouvait interjeter appel devant le conseil arbitral et le juge-arbitre et, qu’en vertu de l’article 118, il pouvait déposer une demande de contrôle judiciaire à la Cour. La Cour a donc compétence. »

(Soulignement du soussigné)

[31] Le Tribunal constate avec regret que l’Intimée est effectivement prise au piège dans un jeu de « serpents et échelles » désagréable. Il ne peut cependant ignorer que la majorité de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Steel n’a pas statué sur la question de compétence malgré la modification législative adoptée en 1996.

[32] La Cour fédérale a récemment eu l’occasion de se pencher sur la question de compétence en matière de défalcation dans l’affaire récente Bernatchez c. Canada (PG), 2013 CF 111. La Cour mentionne ce qui suit :

« [23] Avant d’examiner le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, il convient de se pencher sur le forum approprié pour entendre le présent litige. Lors de l’audition, j’ai soulevé d’office cette question et j’ai invité les parties à faire des représentations à ce sujet, à la lumière des motifs concourants rédigés par le juge Stratas, de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Steel c Canada (Procureur général), 2011 CAF 153 (CanLII), 2011 CAF 153, 418 NR 327. Dans cette affaire, le juge Stratas s’est dit d’avis que depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23 [LAE], « quiconque », et non plus simplement un « prestataire », comme c’était le cas auparavant, peut interjeter appel d’une décision de la Commission devant le conseil arbitral puis devant le juge-arbitre (voir le paragraphe 114(1) et l’article 115 de la LAE). Il s’ensuivrait que, même dans les cas de défalcation, une décision de la Commission peut être portée en appel devant le conseil arbitral, le juge-arbitre et puis la Cour d’appel fédérale, conformément à l’article 118 de la LAE.

[24] Le demandeur n’a pas fait de représentations additionnelles à ce sujet. En revanche, le Procureur général a soutenu que la Cour fédérale est toujours le forum approprié pour entendre une demande de contrôle judiciaire relative à une décision de défalcation de la Commission, dans la mesure où les motifs du juge Stratas ne liaient pas cette Cour.

[25] Il est vrai que les motifs du juge Stratas ne représentent qu’un obiter dictum auquel la majorité n’a pas souscrit. Il est également exact de soutenir que la défalcation ne fait pas partie de l’expertise du conseil arbitral puisque c’est en qualité de débiteur et non de prestataire qu’une personne fait une telle demande. Cela étant dit, le raisonnement du juge Stratas me paraît inattaquable.

La jurisprudence antérieure reposait sur le fait que l’article 79 de la Loi sur l’assurance-chômage, LRC 1985, c U-1, ne conférait un droit d’appel qu’au prestataire, ce qui excluait la personne qui demandait une remise de dette, puisqu’elle agissait alors non pas en tant que prestataire mais plutôt en tant que débitrice. Or, le Parlement a modifié cette disposition en 1996 en introduisant le paragraphe 114(1) de la LAE, lequel prévoit que « quiconque fait l’objet d’une décision de la Commission » peut interjeter appel de cette décision devant le conseil arbitral et le juge-arbitre. Je serais donc porté à me ranger à cet argument et à rejeter la demande de contrôle judiciaire du demandeur pour ce seul motif. Deux raisons m’incitent cependant à examiner sa demande au fond.

[26] Tout d’abord, le défendeur a raison de soutenir que les propos du juge Stratas dans l’arrêt Steel ne lient pas formellement cette Cour tant et aussi longtemps que la Cour d’appel n’aura pas fait sienne l’opinion exprimée par le juge Stratas et n’aura pas explicitement écarté les nombreuses décision s qu’elle a rendues ( avant et après la modification législative adoptée en 1996 ) à l’ effet qu’une décision de la Commission refusant la défalcation d’une somme ne peut faire l’objet d ’un appel au conseil arbitral : voir notamment Cornish-Hardy c Canada (Conseil arbitral) (1979), [1979] 2 CF 437 (disponible sur QL) (CA), conf par 1980 CanLII 187 (CSC), [1980] 1 RCS 1218; Canada (Procureur général) c Idemudia, 236 NR 359 au para 1, 86 ACWS (3d) 253; Buffone c Canada (ministre du Développement des Ressources humaines), [2001] ACF no 38 au para 3 (QL); Canada (Procureur général) c Mosher, 2002 CAF 355 (CanLII), 2002 CAF 355 au para 2, 117 ACWS (3d) 650; Canada (Procureur général) c Villeneuve, 2005 CAF 440 (CanLII), 2005 CAF 440 au para 16, 352

NR 60.

(Soulignement du soussigné)

[33] Le Tribunal est également d’avis que le raisonnement du juge Stratas paraît inattaquable. Cependant, il est vrai que les motifs du juge Stratas ne représentent qu’un obiter dictum auquel la majorité de la Cour d’appel fédérale n’a pas souscrit.

[34] Le Tribunal n’a d’autres choix que de conclure qu’il n’est pas lié par les propos du juge Stratas « tant et aussi longtemps que la Cour d’appel fédérale n’aura pas fait sienne l’opinion exprimée par le juge Stratas et n’aura pas explicitement écarté les nombreuses décisions qu’elle a rendues (avant et après la modification législative adoptée en 1996) à l’effet qu’une décision de la Commission refusant la défalcation d’une somme ne peut faire l’objet d’un appel au conseil arbitral .»

[35] Le Tribunal se doit donc d’intervenir afin de corriger une erreur de droit commise par le conseil arbitral conformément au paragraphe 115(2) de la Loi.

Conclusion

[36] L’appel est accueilli, la décision du conseil arbitral en date du 28 novembre 2012 est annulée et l’appel de l’Intimée devant le conseil arbitral est rejeté pour défaut de compétence.

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