Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli et la décision du conseil arbitral en date du 28 septembre 2012 est annulée et l’appel de l’Intimée devant le conseil arbitral est rejeté.

Introduction

[2] En date du 28 septembre 2012, un conseil arbitral a conclu que :

  • - L’Intimée n’avait pas quitté volontairement son emploi sans motif valable aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »).

[3] L’Appelante a déposé un appel de la décision du conseil arbitral devant le juge- arbitre en date du 17 octobre 2012.

Mode d’audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience téléphonique pour les motifs mentionnés à l’avis d’audience du 17 janvier 2014. L’Appelante, représentée par Julie Villeneuve, était présente. L’Intimée était présente et représentée par Me Richard Poitras.

La loi

[5] La division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (le « Tribunal ») est saisie des appels interjetés auprès du bureau du juge-arbitre et non encore entendus avant le 1er avril 2013, conformément aux articles 266 et 267 de la Loi sur l’Emploi, croissance et prospérité durable de 2012. Le 1er avril 2013, le juge-arbitre n’avait pas encore entendu l’appel de l’Appelante ni rendu de décision sur celui-ci. L’appel a été transféré du bureau du juge-arbitre à la Division d’appel du Tribunal. La permission d’en appeler est réputée avoir été accordée par le Tribunal le 1er avril 2013 conformément à l’article 268 de la Loi sur l’Emploi, croissance et prospérité durable de 2012.

[6] Par souci d’équité, la présente demande sera examinée sur la base des attentes légitimes de l’Appelante au moment du dépôt de son appel devant le juge-arbitre. Pour cette raison, le présent appel sera décidé en fonction des dispositions applicables de la Loi en vigueur immédiatement avant le 1er avril 2013.

[7] Conformément au paragraphe 115(2) de la Loi, alors en vigueur au moment de l’appel, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) le conseil arbitral n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[8] Le Tribunal doit décider si le conseil arbitral a erré en fait ou en droit en concluant que l’Intimée n’avait pas quitté volontairement son emploi sans motif valable aux termes des articles 29 et 30 de la Loi.

Arguments

[9] L’Appelante soumet les motifs suivants au soutien de son appel:

  • - Le conseil arbitral a erré en invoquant le bénéfice du doute en vertu de l’article 49(2) de la Loi en l’absence de preuve contradictoire;
  • - Le conseil arbitral a erré en concluant que l’Intimée était justifiée de quitter son emploi parce que le travail ne lui convenait pas et parce que les conditions de travail étaient dangereuses pour sa santé et sa sécurité;
  • - Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la décision du conseil arbitral est déraisonnable;
  • - L’Intimée n’a envisagé aucune solution à son départ volontaire. Elle ne s’est pas laissée suffisamment de temps pour assimiler son nouveau travail et ses nouvelles tâches et elle n’a pas discuté de la situation avec son employeur;
  • - Les conditions de travail n’étaient pas si intolérables qu’elles ne lui laissaient d’autre choix que de démissionner et ce, sans avoir entrepris certaines démarches pour régler sa situation;
  • - La Cour d’appel fédérale a cassé une décision d’un juge-arbitre qui avait accordé un appel au motif que la prestataire avait essayé un emploi qu’elle pouvait considérer comme non convenable et qu’elle était ainsi justifiée de quitter son emploi - Canada (PG) c. Campeau, 2006 CAF 376;
  • - L’Intimée aurait pu demeurer à l’emploi tout en cherchant un autre emploi qui répondait davantage à ses attentes.

[10] L’Intimée soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel :

  • - La décision du conseil arbitral est conforme à la législation ainsi qu’à la jurisprudence en la matière et elle est raisonnablement compatible avec les faits au dossier;
  • - Les erreurs du conseil arbitral n’ont aucun impact sur la décision du conseil arbitral car il a correctement conclu qu’il n’y avait pas d’emploi;
  • - Il s’agissait d’une journée expérimentale seulement afin de vérifier si l’Intimée était capable d’occuper un tel emploi;
  • - Le conseil arbitral est le mieux placé pour évaluer la preuve et le Tribunal ne peut se substituer au conseil arbitral en l’absence d’une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire, ou prise sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Normes de contrôle

[11] L’Appelante soumet que l’interprétation du critère juridique pour volontairement quitter son emploi est une question de droit et la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte - Chaulk c. Canada (PG), 2012 CAF 190 et l’application des critères juridiques aux faits en l’espèce est une question mixte de fait et de droit et la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable - Canada (PG) c. Richard, 2009 CAF 122.

[12] L’Intimée n’a fait aucune représentation quant à la norme de contrôle applicable.

[13] Le Tribunal retient que la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision d’un conseil arbitral et d’un juge-arbitre relativement à des questions de droit est la norme de la décision correcte - Martens c. Canada (PG), 2008 CAF 240 et que la norme de contrôle applicable aux questions mixte de fait et de droit est celle du caractère raisonnable - Canada (PG) c. Richard, 2009 CAF 122, Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159.

Analyse

[14] Dans le présent dossier, le conseil arbitral a commis de multiples erreurs justifiant l’intervention du Tribunal.

[15] Dans un premier temps, le conseil arbitral a considéré que l’Intimée était fondée à quitter volontairement son emploi en vertu de l’article 29c)(iv) de la Loi, soit des conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité, alors que l’ensemble de la preuve ne supportait aucunement une telle conclusion.

[16] Dans un deuxième temps, le conseil arbitral a erré en droit lorsqu’il a appuyé sa décision sur l’article 49(2) de la Loi alors que cette disposition trouve application seulement en cas de preuve contradictoire, ce qui n’était pas le cas en l’instance.

[17] Finalement, le conseil a déclaré ce qui suit à l’appui de sa décision :

« De l’avis du conseil, la prestataire a considéré que l’emploi ne lui était pas convenable après une journée d’essai. De plus, elle n’avait recu comme entraînement qu’une courte période de cinq minutes de formation.

Le conseil considère que compte tenu des explications données, la prestataire était fondée à quitter son emploi car elle considérait que cet emploi ne lui convenait pas.»

[18] Le conseil arbitral cite l’extrait suivant du juge-arbitre Muldoon, décision CUB 15680 , et qui traite du droit de refuser un emploi non convenable :

« Après une courte période (non définie) pendant laquelle il essaie l’emploi offert, un prestataire à la recherche d’un emploi convenable a autant le droit d’invoquer un motif valable pour avoir volontairement quitté l’emploi, s’il s’agit d’un emploi non convenable, que le prestataire qui refuse l’emploi parce qu’il n’est pas convenable a le droit d’invoquer un motif valable pour le refuser. »

[19] Le Tribunal en vient donc à la conclusion que le conseil arbitral en l’instance a fait de la convenance d’un emploi une justification de le quitter au sens de l’article 30 de la Loi.

[20] Or, le juge Létourneau de la Cour d’appel fédérale dans le dossier, Campeau c. Canada (PG), 2006 CAF 376, nous indique ce qui suit :

«[18] Selon l’alinéa 29c) de la Loi, un prestataire est justifié de quitter son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, son départ constitue la seule solution raisonnable dans son cas. L’alinéa 29c) n’est ni limitatif ni exhaustif, mais les sous-alinéas (i) à (xiv) énumèrent le genre de circonstances dont il faut tenir compte. Comme le faisait remarquer le juge Décary dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Côté, 2006 CAF 219 (CanLII), 2006 CAF 219, au paragraphe 11, « toutes les formes de « justification » retenues par le législateur à l’alinéa 29c) de la Loi, à l’exception de celles visées aux sous-alinéas (vi) (« assurance raisonnable d’un autre emploi dans un avenir immédiat ») et (xiv) (« toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement »), supposent l’intervention d’un tiers ». Comme lui, je suis réticent à y inclure par voie jurisprudentielle une forme de justification qui dépendrait en l’ espèce de l’appréciation qu’un prestataire fait de ce qu’est pour lui un emploi convenable.

Dans l’affaire Côté, la forme de la justification à laquelle le juge Décary référait dépendait de la volonté du prestataire de retourner aux études ou de continuer celles-ci.

[19] En outre, la « justification » au sens de l’article 30 n’est pas nécessairement synonyme de « raison » ou « motif » : voir les arrêts Côté et Tanguay, précités. Ainsi, le motif valable auquel réfère l’article 27 pour refuser d’accepter un emploi convenable n’est pas nécessairement une justification au sens de l’article 30 pour quitter celui que l’on occupe.

[20] Dans le cas qui nous occupe, l’article 27 n’avait aucune application puisque, selon les situations couvertes par cet article, la défenderesse n’a ni refusé un emploi convenable, ni omis de profiter d’une occasion d’obtenir un tel emploi. Les dispositions applicables sont celles des articles 29 et 30 qui traitent de l’abandon volontaire d’un emploi lorsque les circonstances sont telles qu’il n’y a pas d’autre solution raisonnable que de quitter l’emploi. Or ici, la défenderesse pouvait conserver son emploi, recevoir des prestations ajustées à son revenu et se chercher un nouvel emploi. C’était là la solution raisonnable pour elle et pour le système d’assurance-emploi qui aurait ainsi été appelé à jouer le rôle de soutien que le législateur lui a confié plutôt que d’être contraint d’assumer la totalité des coûts engendrés sans justification par le geste de la défenderesse.»

(Soulignement du soussigné)

[21] Appliquant les enseignements de la Cour d’appel fédérale au présent dossier, le Tribunal n’a d’autres choix que de conclure que l’Intimée doit être exclue du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification au sens de l’article 30 de la Loi. En effet, l’Intimée avait été embauchée à temps plein, pouvait très bien conserver son emploi, discuter avec son employeur de ses préoccupations et chercher un nouvel emploi dans l’intervalle. Il s’agissait de la solution raisonnable pour elle et pour le système d’assurance-emploi.

Conclusion

[22] L’appel est accueilli et la décision du conseil arbitral en date du 28 septembre 2012 est annulée et l’appel de l’Intimée devant le conseil arbitral est rejeté.

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