Assurance-emploi (AE)

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Comparutions

A. C., la prestataire, a assisté à l'audience en personne. Elle était accompagnée de son époux et de son fils qui lui apportaient leur soutien.

M. L., l'employeuse, a assisté à l'audience en personne.

Décision

[1] Le Tribunal conclut que la prestataire a prouvé qu'elle était fondée à quitter son emploi volontairement au titre des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi (la Loi).

Introduction

[2] La prestataire s'est retrouvée sans emploi le 28 juin 2013. Elle a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi le 18 juillet 2013. Une période initiale de prestations d'assurance-emploi débutant le 30 juin 2014 a été établie. La Commission de l'assurance-emploi du Canada (la Commission) a rejeté la demande parce qu'elle a établi que la prestataire avait quitté son emploi volontairement sans justification. La prestataire a demandé le réexamen de la décision de la Commission, et celle-ci a accueilli la demande dans sa lettre datée du 13 janvier 2014. L'employeuse a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale (TSS).

Mode d'audience

[3] Le présent appel a été instruit par vidéoconférence pour les raisons énoncées dans l'avis d'audience daté du 3 juillet 2014.

Question en litige

[4] Il s'agit de déterminer si la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi aux termes des articles 29 et 30 de la Loi sur l'assurance-emploi (la Loi).

Droit applicable

[5] L'article 30 de la Loi prévoit notamment qu'un prestataire est exclu du bénéfice des prestations s'il quitte volontairement son emploi sans justification.

[6] Selon le sous-alinéa 29c)(ii) de la Loi, le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, y compris une modification importante des fonctions, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas, notamment la nécessité d'accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence.

[7] Dans l'arrêt Tanguay (A-1458-84), la Cour d'appel fédérale (CAF) a établi une distinction entre les notions de « motif valable » et de « justification » en cas de départ volontaire. Dans l'arrêt Landry (A-1210-92), la CAF a déclaré qu'il ne suffit pas qu'un prestataire prouve qu'il a agi de façon raisonnable en quittant son emploi. Agir de façon raisonnable peut être un motif valable, mais cela ne constitue pas nécessairement une justification. Il faut démontrer que, compte tenu de toutes les circonstances, le départ du prestataire constituait la seule solution raisonnable dans son cas.

Preuve

[8] Les éléments de preuve contenus dans le dossier sont les suivants :

  1. a) La prestataire a indiqué dans sa demande initiale qu'elle avait quitté son emploi pour suivre son époux. Ils sont déménagés pour se rapprocher du lieu de travail de son époux et parce que la maison répondait mieux à leur budget. Le déménagement devait durer plus de 12 mois et la distance à parcourir était trop grande (page GD3-7).
  2. b) La Commission a communiqué avec la prestataire et celle-ci a expliqué que, selon les modalités de travail établies avec son employeuse, sa famille et elle devaient vivre dans la maison fournie par l'employeuse. Ils devaient payer un logement subventionné, et la maison servait de garderie pour des enfants ayant des besoins spéciaux. Elle avait les enfants de 7 h 30 à 17 h 30. Elle a dit que son époux travaillait au centre-ville et que le trajet pour se rendre à son lieu de travail était court, mais que l'employeur de son époux avait déménagé à l'autre bout de la ville et qu'il lui fallait presque une heure en voiture pour s'y rendre. Elle a dit qu'ils prévoyaient déménager plus près du lieu de travail de son époux et qu'ils avaient donc acheté une maison située à environ 30 minutes à l'extérieur de la ville, où il n'y aurait pas d'heure de pointe. Elle a précisé qu'elle avait parlé à son employeuse et lui avait demandé si un programme était offert dans ce secteur, mais que celle-ci lui avait répondu par la négative. Elle a indiqué qu'elle avait tenté de trouver un autre emploi, mais que c'était l'été et que les emplois dans son domaine étaient assez limités. Un employeur lui a mentionné qu'il pourrait avoir un emploi pour elle à l'automne. Elle a finalement commencé à travailler durant la première semaine de septembre (page GD1-17).
  3. c) La Commission a déterminé que la prestataire n'était pas fondée à quitter volontairement son emploi et lui a refusé des prestations (page GD3-18).
  4. d) La prestataire a présenté une lettre datée du 7 octobre 2013 à l'appui de sa demande de réexamen. Elle a expliqué que son travail reposait sur le fait qu'elle devait vivre dans la maison de l'entreprise, mais que lorsqu'elle avait emménagé dans une nouvelle maison, elle n'avait pas pu reprendre son emploi. Elle a déclaré qu'elle devait vivre dans la maison de l'employeuse et lui payer un loyer. Elle n'est pas partie parce qu'elle ne voulait pas travailler; elle a perdu son emploi parce qu'ils ne vivaient plus dans leur maison et que la garderie ne pouvait pas fonctionner si elle n'y habitait pas (page GD3-21).
  5. e) La Commission a infirmé la décision dans une lettre datée du18 septembre 2013 à l'étape du réexamen. L'exclusion a été supprimée (page GT3-26).
  6. f) L'employeuse a communiqué avec la Commission et voulait comprendre pourquoi la prestataire avait droit à des prestations. L'employeuse a expliqué qu'elle était en désaccord avec la décision parce que la prestataire avait fait le choix personnel de déménager et qu'elle savait au moment de l'embauche qu'elle devait vivre sur place pour pouvoir travailler (page GD3-29).
  7. g) L'employeuse a présenté la lettre de démission de la prestataire datée du 5 juin 2013, indiquant que la démission prendrait effet le 28 juin 2013. Elle n'a fourni aucune raison pour expliquer sa démission (page GD2-7).

[9] Les éléments de preuve présentés à l'audience sont les suivants :

  1. a) L'employeuse a déclaré que la prestataire lui avait demandé d'inscrire qu'elle était mise à pied sur le relevé d'emploi (RE), mais qu'elle avait expliqué à la prestataire qu'elle ne pouvait pas le faire parce que l'emploi se poursuivait. Elle a ajouté que la prestataire avait déjà trouvé un autre emploi avant de partir et qu'elle devait le commencer en septembre 2013. L'employeuse a déclaré que la prestataire avait l'intention d'ouvrir ultérieurement une garderie dans sa nouvelle maison. L'employeuse a aussi déclaré que la prestataire trouvait que son emploi ne lui convenait pas parce qu'elle ne pouvait pas aller chercher ses enfants après l'école et qu'elle préférait un poste d'enseignante auprès d'enfants plus âgés, mais que les enfants avec lesquels elle travaillait étaient des nourrissons et des tout-petits. L'employeuse a dit que la prestataire était une excellente enseignante et que l'emploi qu'elle avait accepté pour septembre était dans un établissement préscolaire et qu'elle préférait cela. L'employeuse a confirmé que la prestataire était partie principalement parce que son époux et elle avaient acheté une nouvelle maison.
  2. b) L'employeuse a expliqué que le règlement municipal prévoit que les dirigeants de garderies doivent habiter sur place. S'ils pouvaient offrir un poste non résidant, ils aimeraient vraiment le faire, mais ce n'est pas possible. L'employeuse a poursuivi ses explications en disant qu'il est mentionné dans le dossier que la prestataire s'était renseignée sur d'autres postes au sein de la compagnie, mais qu'elle ne se souvenait pas de cette conversation. Toutefois, comme il se serait agi de postes résidants, ce n'aurait pas été une option. L'employeuse a ajouté qu'il y a toujours du travail de suppléance durant l'été dans des endroits où la prestataire aurait pu remplacer un directeur de garderie en vacances. Cela aurait été un travail à court terme, mais une option viable pour les mois d'été.
  3. c) La prestataire a déclaré qu'elle avait décidé de quitter son emploi parce que son époux et elle avaient acheté une maison. Comme l'employeuse l'a expliqué, il s'agissait de postes résidants. La prestataire a donné un mois d'avis à l'employeuse à partie de la date à laquelle ils prendraient possession de leur maison. La prestataire a expliqué que la garderie où elle travaillait était située dans le secteur nord-ouest de la ville et que la maison qu'ils avaient achetée se trouvait à l'extérieur de la ville dans le secteur sud-est; il lui aurait fallu plus d'une heure pour se rendre au travail en voiture. Les autres garderies que possédait l'employeuse étaient toutes situées dans les quartiers se trouvant dans le secteur nord-ouest de la ville. Elle a aussi expliqué que la compagnie de son époux avait déménagé dans le secteur sud-est de la ville et qu'ils avaient pu acheter une maison à l'extérieur de la ville, dans une petite ville située à environ 30 minutes de là parce que c'était plus abordable.
  4. d) La prestataire a précisé qu'elle avait demandé d'inscrire qu'elle avait été licenciée sur son RE, car depuis qu'elle s'était établie au Canada, elle avait fait des contrats de travail de dix mois et ignorait de quelle autre façon fonctionnait le système. Elle avait une bonne relation avec son employeuse et lui avait posé la question parce qu'elle ne connaissait aucune autre façon de faire. La prestataire a expliqué qu'elle avait appris qu'un nouvel établissement préscolaire allait ouvrir ses portes près de sa nouvelle maison et qu'elle s'était fait dire en juin 2013 qu'il y aurait peut-être un emploi pour elle, mais qu'elle n'avait su avec certitude qu'elle avait un emploi qu'à la mi-août 2013. La prestataire a déclaré que dès qu'elle avait su qu'elle allait quitter son poste, elle avait cherché un travail et avait continué à le faire tout l'été, mais qu'il était très difficile pour les enseignants de trouver du travail pendant l'été.

Observations

[10] La prestataire a fait valoir ce qui suit :

  1. a) Elle devait vivre dans la maison fournie par l'employeuse pour pouvoir y travailler et lorsque son époux a acheté une maison ailleurs, l'employeuse ne voulait plus la laisser y travailler et elle avait fini par former sa remplaçante (page GD3-25).
  2. b) Elle n'a pas attendu d'avoir l'emploi qu'elle occupe actuellement parce qu'il aurait été difficile de garder deux ménages puisqu'elle devait payer un loyer à l'employeuse et l'hypothèque. Elle a déclaré qu'elle n'avait pas attendu de trouver un emploi avant de déménager parce que le trajet pour son époux était trop long (page GD3-17).
  3. c) En fait, lorsqu'ils ont pris possession de la maison, ils devaient payer l'hypothèque et n'avaient pas les moyens de payer le loyer de la maison fournie par l'employeuse et l'hypothèque. Elle devait aussi suivre son époux et sa famille.

[11] L'employeuse a fait valoir ce qui suit :

  1. a) La prestataire savait, lorsqu'elle avait signé son contrat original, qu'il s'agissait d'un poste résidant et comprenait les conditions. L'achat d'une maison familiale était le principal facteur ayant décidé la prestataire à partir, mais d'autres raisons ont amené l'employeuse à croire que la prestataire n'aurait pas gardé l'emploi et n'aurait pas été prête à se déplacer même s'il lui avait été possible de vivre à l'extérieur.
  2. b) La prestataire voulait un emploi qui lui permettrait d'aller chercher ses enfants à l'école, mais son emploi actuel l'obligeait à travailler jusqu'à 17 h 30. La prestataire voulait aussi un emploi auprès d'enfants plus âgés, mais dans son emploi actuel, elle devait travailler avec des nourrissons et des tout-petits. L'employeuse a expliqué que la prestataire avait trouvé un emploi qui devait commencer en septembre 2013 avant de partir le 30 juin 2013 et lui avait demandé d'inscrire qu'elle était licenciée sur son RE.

[12] L'intimée a fait valoir ce qui suit :

  1. a) L'employeuse et la prestataire ont toutes deux fait des déclarations crédibles. Lorsque les déclarations sont équilibrées, la Commission est obligée d'accorder le bénéfice du doute à la prestataire. La prestataire avait l'obligation de suivre son époux lorsqu'ils ont décidé d'acheter une maison plus près de son travail. La Commission soutient qu'il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que la prestataire paye un loyer à son lieu de travail et paye l'hypothèque de sa nouvelle maison. La prestataire a tout fait pour garder son emploi, mais l'employeuse n'a pas pu en venir à une entente lui permettant de loger à l'extérieur (page GT4-4).
  2. b) Le départ de la prestataire constituait la seule solution raisonnable dans son cas. Elle ne pouvait pas obtenir une mutation parce qu'aucun lieu de travail ne se trouvait près de chez elle. Son employeuse a refusé d'en venir à une entente de logement à l'extérieur qui lui aurait permis de garder son emploi. En outre, la prestataire a indiqué qu'il aurait été trop difficile de payer son loyer à son lieu de travail et de payer l'hypothèque de leur nouvelle maison (page GD4-4).
  3. c) L'employeuse n'a fourni aucun élément de preuve à l'appui de ses allégations selon lesquelles la prestataire avait des motifs inavoués pour quitter son emploi (page GD4-4).

Analyse

[13] La prestataire doit démontrer que, compte tenu de toutes les circonstances, selon la prépondérance des probabilités, son départ constituait la seule solution raisonnable dans son cas (Tanguay A-1458-84).

[14] Selon la Loi, un départ pour accompagner son époux vers un autre lieu de résidence est justifié aux fins du droit à l'obtention de prestations si le prestataire peut démontrer que les autres conditions d'admissibilité de la Loi sont respectées (Cloutier 2005 CAF 73).

[15] Comme condition d'emploi, la prestataire devait notamment vivre dans la maison fournie par l'employeuse et payer le loyer pour y rester. Lorsque l'époux de la prestataire a été muté à l'autre bout de la ville, la prestataire et son époux ont acheté une maison et déménagé dans une petite ville située à 30 minutes à l'extérieur de la ville. Le Tribunal reconnaît et l'employeuse confirme qu'il s'agissait de la principale raison pour laquelle la prestataire avait quitté volontairement son emploi.

[16] La prestataire a tenté de trouver un autre travail convenable avant de partir. L'employeuse et la prestataire ont toutes deux déclaré que la prestataire avait parlé à un autre employeur, et le Tribunal accepte le témoignage de la prestataire selon lequel on lui aurait provisoirement offert un autre emploi avant qu'elle ne quitte celui qu'elle avait.

[17] Le Tribunal estime que la prestataire était fondée à quitter volontairement son emploi. S'il est vrai que déménager à l'autre bout de la ville ne constitue peut-être pas toujours un motif valable pour quitter son emploi, en l'espèce, la prestataire et son époux n'avaient pas les moyens de payer le loyer et l'hypothèque, et il est déraisonnable de s'attendre à ce qu'elle le fasse. En outre, selon les conditions du contrat de travail, la prestataire ne pouvait pas vivre à l'extérieur de la maison et conserver son travail pour cette employeuse.

[18] La prestataire a également déclaré qu'elle avait continué à chercher du travail durant l'été, puis avait appris à la mi-août qu'elle avait un travail chez l'employeur avec qui elle avait parlé avant de partir. Le Tribunal est convaincu que la prestataire a respecté les autres conditions d'admissibilité selon Cloutier, qu'elle était disponible et qu'elle cherchait du travail. L'employeuse a déclaré que la prestataire aurait pu faire des remplacements durant les mois d'été, mais cela l'aurait obligée à effectuer un trajet d'au moins une heure à l'aller et au retour et cela n'aurait pas été faisable.

[19] L'employeuse a ajouté que la prestataire avait fait le choix personnel de déménager avec son époux. Cela est exact, mais le Tribunal se repose sur le CUB 80120, où le juge Bordeleau, citant le CUB 27800 a dit que le terme « nécessité » du sous-alinéa 29c)(ii) signifie que la loi et la société en général favorisent le maintien et la stabilité de la cellule familiale. Lorsque les conjoints décident, pour des raisons économiques, qu'il est de leur intérêt de déménager, par exemple, pour permettre à un conjoint de profiter d'une promotion ou lorsqu'un conjoint occupe un emploi qui de par sa nature nécessite une relocalisation géographique (par exemple, un membre des Forces armées ou de la Gendarmerie royale du Canada), le fait que l'autre conjoint quitte son emploi pour préserver l'unité familiale va être considéré comme un motif valable. Le Tribunal conclut que la prestataire devait, pour des raisons économiques, déménager pour préserver l'unité familiale et que cela est considéré comme un motif valable.

[20] L'employeuse a aussi déclaré que la prestataire estimait que le travail ne lui convenait pas et qu'elle avait l'intention d'ouvrir ultérieurement sa propre garderie. Le Tribunal ne juge pas cela pertinent dans la mesure où les deux parties ont convenu que la prestataire avait principalement quitté son emploi parce qu'elle avait acheté une maison pour se rapprocher du lieu de travail de son époux.

[21] Pour ces motifs, le Tribunal conclut que la prestataire a prouvé qu'elle était fondée à quitter volontairement son emploi conformément au sous-alinéa 29c)(ii) de la Loi.

Conclusion

[22] L'appel est rejeté.

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