Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] Sur consentement des parties, l'appel est accueilli. La décision du conseil arbitral qui fait l’objet de l’appel est modifiée en conformité avec les présents motifs.

Introduction

[2] L’historique des procédures de ce dossier est long et complexe. Il remonte à l’adoption de la Health and Social Services Delivery Improvement Act (« Projet de loi 29 »), le 28 janvier 2002, par le gouvernement de la Colombie-Britannique.

[3] Le projet de loi 29 modifiait certaines dispositions des conventions collectives de nombreux travailleurs provinciaux du secteur de la santé, ce qui a donné lieu à des mises à pied et a changé les conditions de travail de nombreux employés syndiqués.

[4] Ainsi, le projet de loi 29 a été contesté devant les tribunaux. Le 8 juin 2007, la Cour suprême du Canada a déclaré que certaines parties du projet de loi étaient inconstitutionnelles dans le jugement Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Association c. Colombie-Britannique (2007 CSC 27).

[5] Après cette décision, qui n’accordait aucun dédommagement ni indemnité, le gouvernement de la Colombie-Britannique a entamé des négociations avec les travailleurs concernés par l’intermédiaire de leurs différents syndicats. Ces négociations réussies ont permis le versement de sommes d’argent aux travailleurs concernés dans le cadre d’une entente détaillée. Le processus s’est terminé en janvier 2009.

[6] Un grand nombre des travailleurs touchés avaient reçu des prestations légitimes après leur mise à pied. La Commission a déterminé, en temps opportun, que les sommes reçues en raison de l’entente constituaient une rémunération et qu’elles devraient être réparties conformément à la Loi sur l’assurance-emploi (« la Loi »). Ceci a eu pour effet que certaines prestations devaient être remboursées, en fonction du dossier de chaque prestataire.

[7] Un très grand nombre de prestataires a interjeté appel de cette décision. Pour accélérer le processus, la Commission et les syndicats concernés ont décidé qu’A. R.l représenterait les autres appelants. Les prestataires ont été invités à se joindre à cet appel représentatif et une date limite pour le faire leur a également été imposée. Environ 2200 [2400] prestataires ont profité de cette possibilité.

[8] Le 2 mars 2010, dans une décision partagée, un conseil arbitral (« le premier conseil arbitral ») a conclu que l’appel représentatif concernant la décision de la Commission précédente devait être rejeté. L’appelante a porté la décision du conseil arbitral en appel devant le Bureau du juge-arbitre.

[9] Le 10 avril 2012, le Bureau du juge-arbitre a accueilli l’appel en partie en concluant que la majorité du premier conseil arbitral (et en conséquence, la Commission) avait eu raison de conclure que les sommes d’argent constituaient une rémunération conformément à la Loi. Toutefois, la question de la répartition de ces sommes devait être renvoyée devant un nouveau tribunal de la Commission pour une nouvelle décision.

[10] Le 13 février 2013, un nouveau conseil arbitral (« le deuxième conseil arbitral ») a conclu que la Commission avait réparti la rémunération correctement et a rejeté l’appel. L’appelante a interjeté appel une seconde fois devant le Bureau du juge-arbitre.

[11] Le 1er avril 2013, la division d'appel du Tribunal de la sécurité sociale (« le Tribunal ») a été saisie de tout appel non tranché par un juge-arbitre avant cette date.

[12] Le 17 mars 2014, j’ai présidé une audience en personne. L’appelante et la Commission, représentées par un conseiller, ont présenté leurs observations. L’audience a été ajournée pour permettre aux conseillers de présenter d’autres observations.

[13] Le 25 juin 2014, j’ai présidé une audience en personne. Une fois de plus, l’appelante et la Commission ont présenté leurs observations par l’entremise de leurs conseillers.

[14] Je souligne qu’il s’agit d’un dossier très complexe qui implique de nombreux prestataires. Je tiens à remercier les deux conseillers pour leurs arguments bien documentés et pour la compétence de leurs services dans la résolution de cette affaire.

Analyse

[15] Dans leurs présentations, les parties ont clairement indiqué être d’accord sur le fait que les sommes en question constituent une rémunération et qu’elles doivent être réparties conformément aux paragraphes 36(9) et (10) du Règlement sur l’assurance-emploi, comme il est indiqué dans les décisions précédentes susmentionnées. Elles s’entendent aussi pour affirmer que le dossier de la prestataire représentante ne contient aucun motif d’appel ni d’examen des faits.

[16] Par contre, l’appelante a porté la décision du deuxième conseil arbitral en appel dans l’objectif de protéger certains droits des autres prestataires dans l’affaire. Son conseiller affirme que chaque prestataire est en droit de voir sa demande envoyée devant la division générale du Tribunal pour examiner si des erreurs se sont glissées dans la façon dont la demande a été jugée ou s’il existe des questions juridiques en suspens qui doivent être réglées.

[17] La Commission, après avoir examiné les observations de l’appelante, convient que bien qu’elle n’ait pas relevé de telles erreurs ou questions, il est toujours possible qu’il y en ait. Par conséquent, elle conclut que les prestataires sont en droit de voir leur dossier renvoyé devant la division générale, au besoin.

[18] L’objectif de la présente décision est d’établir les conditions dans lesquelles ce processus d’examen se déroulera.

[19] En vertu du Règlement du Tribunal de la sécurité sociale (« le Règlement »), le Tribunal doit veiller à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent. À cette fin, s’il existe des circonstances spéciales, je peux m’éloigner d’une disposition du règlement ou ne pas l’appliquer.

[20] Je suis d’avis que cette affaire est unique et qu’elle comporte des circonstances spéciales. Pour accélérer autant que possible le règlement de cet appel, j’ordonne ce qui suit :

  1. Les conditions de cette décision doivent s’appliquer uniquement aux quelques 2200 2400 prestataires faisant partie de cet appel représentatif.
  2. Les prestataires concernés peuvent demander une nouvelle décision de la Commission au sujet de leur demande, conformément aux restrictions mentionnées ci-après.
  3. Une telle demande doit être présentée au plus tard le 15 décembre 2014. [Si une demande est présentée,] D’ici le règlement de la demande, les procédures de recouvrement seront suspendues [jusqu’au règlement de la demande. Si aucune demande n’est présentée, les procédures de recouvrement seront suspendues jusqu’au 16 décembre 2014.]
  4. Une telle demande doit être présentée par écrit à la Commission et contenir suffisamment de renseignements pour permettre d’identifier le prestataire, une note indiquant que la demande est faite en vertu de la décision de la division d’appel 2013-0696, ainsi que l’argument précis invoqué par le prestataire (p.ex., calcul erroné, date de début des prestations erronée, erreur sur la rémunération hebdomadaire normale, etc.).
  5. Les prestataires qui sont insatisfaits de la nouvelle décision de la Commission peuvent la porter en appel devant la division générale du Tribunal, selon la procédure normale.
  6. Les nouvelles décisions de la Commission et les audiences de la division générale sont liées par la décision antérieure indiquant que les sommes au cœur de cet appel constituent une rémunération et qu’elles doivent être réparties en conformité avec les paragraphes 36(9) et (10) du Règlement sur l’assurance-emploi.
  7. Je demeurerai saisi de la question jusqu’au 16 décembre 2014. J’agis ainsi pour accélérer le processus et régler le plus rapidement possible les questions ou les demandes relatives à ce dossier complexe.

[21] Il s’est écoulé quatre années depuis le dépôt du premier appel relatif à cette affaire devant le conseil arbitral. Je suis le quatrième arbitre à être saisi de cette affaire et je suis convaincu que certains des prestataires qui se sont engagés dans le processus d’appel défini plus haut verront leur affaire perdurer pour encore un certain temps.

[22] À mon avis, cette situation est due à la nature imprécise du concept de « appel représentatif ». Je crois qu’il serait dans l’intérêt de futurs appelants de clarifier les conditions de ce type d’appel.

[23] Les appels représentatifs existent depuis des décennies dans le cadre réglementaire de l’assurance-emploi. Bien que les appels représentatifs aient été acceptés à toutes les étapes du processus d’appel de l’assurance-emploi, notamment les cours fédérales, je crois savoir qu’aucune règle stricte n’a jamais été établie pour régir de manière précise l’administration de ce type d’appel.

[24] En 1977, dans sa décision Lemieux et al c. Canada (Procureur général) (T-1343-77), la Cour fédérale émet quelques commentaires concernant les appels représentatifs, dont voici un extrait :

« On peut dire en principe que les questions […] à savoir si elles doivent être entendues individuellement ou jointes ensemble pour audition comme causes type, sont clairement des décisions administratives […] Toute commission ou tribunal, y compris les cours elles-mêmes, peuvent avoir plusieurs bonnes raisons […] pour entendre séparément un groupe de causes, même si elles soulèvent des questions semblables, plutôt que de les joindre pour audition et de n'en entendre qu'une comme cause type, à la condition que la décision rendue dans cette cause régisse toutes les autres. Pour des questions relatives à l'assurance-chômage, la pratique selon laquelle une cause type est entendue et les conclusions qu'on en tire sont appliquées à un grand nombre de causes soulevant les mêmes questions, est souvent suivie et constitue une façon utile et souhaitable de procéder. Il en est ainsi particulièrement lorsqu'il faut décider, par exemple, si un grand nombre de travailleurs membres d'un même syndicat ont perdu ou non leur emploi à la même date à la suite d'un conflit de travail. […] Les montants seraient différents dans chaque cas mais, si seuls les calculs étaient en cause, le litige quant à une attribution adéquate pourrait être réglé au moyen d'une cause type. »

[25] La Cour a ajouté que le recours à un dossier représentatif doit être approuvé par le conseil arbitral ou le tribunal, que les parties soient d’accord ou non.

[26] De nombreuses causes depuis Lemieux ont eu recours à un appel représentatif pour simplifier le processus d’appel et éviter le travail en double, notamment la Cour canadienne de l'impôt. Cependant, je n’ai trouvé dans aucun des dossiers des règles établies pour régir ce type de procédure administrative. En plus du manque de clarté, certaines décisions faisaient référence à des « appels collectifs » alors qu’il s’agissait soit d’appels conjoints ou d’appels représentatifs et souvent, les deux termes étaient utilisés de façon interchangeable.

[27] L’article 13 du Règlement indique que le Tribunal peut « joindre plusieurs appels ou demandes ». Malheureusement, il ne précise pas comment procéder, ni si cela diffère, le cas échéant, d’un appel représentatif. En l’espèce, la confusion a provoqué la multiplication d’audiences devant le conseil arbitral et le Bureau du juge-arbitre et, comme le soulignent les parties, a forcé l’intervention de la division d'appel du Tribunal.

[28] En raison de ce qui précède, je suis convaincu qu’il faut clarifier la situation. Je suggère donc les définitions et recommandations suivantes pour aider les parties à l’avenir. Je tiens à souligner qu’il s’agit bien de recommandations. Tous les membres du Tribunal ont le pouvoir de juger les questions de procédures qui se présentent à eux et qui peuvent faire l’objet d’un appel devant la division d’appel.

[29] Un appel conjoint est le fait de plusieurs dossiers que l’on regroupe conformément à l’article 13 du Règlement. Dans ce type d’appel, chaque dossier est examiné selon ses propres mérites à la même audience. Habituellement, on regroupe les dossiers parce que la preuve ou le plaidoyer est commun et qu’il est plus facile d’instruire les dossiers ensemble. Dans ce type d’appel, une décision est généralement rendue pour chaque prestataire. Toutefois, si le Tribunal estime que c’est dans l’intérêt de la justice, il peut rendre une seule décision contenant les faits, les dispositions juridiques et les conclusions propres à chaque dossier.

[30] Un appel conjoint n’offre pas nécessairement de gains en efficacité étant donné que chaque dossier est examiné selon ses propres mérites, mais offre la possibilité d’entendre la preuve une seule fois et d’éviter le travail en double. Un autre avantage est le fait d’instruire une seule fois les observations complexes au lieu de répéter sans cesse des observations qui sont essentiellement les mêmes.

[31] En revanche, un appel représentatif réunit des dossiers qui soulèvent des questions juridiques et/ou des questions de fait communes et dont les décisions s’appliqueront à l’ensemble des prestataires. Généralement, un appel représentatif est instruit parce que les différents prestataires ont des dossiers très similaires et qu’il est inutile de les examiner séparément. Une seule décision est donc rendue et appliquée à tous les prestataires concernés par l’appel.

[32] Étant donné qu’un appel représentatif n’examine que le dossier du prestataire représentatif et ne rend qu’une seule décision, la charge de rédaction est allégée par rapport à un appel conjoint. Cependant, des difficultés surviennent lorsqu’une partie à l’appel soulève des questions qui ne s’appliquent pas au dossier du prestataire représentatif.

[33] Dans le cas qui nous occupe, la décision initiale de procéder par appel représentatif offrait des avantages en termes d’efficacité. Malheureusement, avant que l’affaire ne soit présentée au Tribunal, il est paru évident que certaines des questions à trancher, qui différaient d’un prestataire à l’autre, demeuraient sans réponse même une fois que les questions juridiques principales eurent été réglées à la satisfaction des parties.

[34] Je suis convaincu que bien des délais auraient été évités si le premier conseil arbitral avait demandé à l’appelante s’il existait d’autres questions à trancher que celles concernant la rémunération et la répartition. Si cela avait été fait, le premier conseil arbitral aurait pu trancher ces questions et éviter la tenue de cet appel.

[35] Il est évident que c’est le recul qui me permet de faire une telle déclaration et je ne blâme aucunement le conseil arbitral pour avoir agi comme il l’a fait. Ils ont obtenu l’accord des parties et on ne peut leur reprocher d’avoir tenté de résoudre le nombre considérable d’appels de la manière la plus efficace à leur disposition.

[36] Toute réflexion faite, je recommande que les appels représentatifs, contrairement aux appels conjoints, ne soient utilisés que si une entente est conclue sur l’ensemble des questions à trancher et que les décisions rendues s’appliquent à tous les appelants du groupe. Si d’autres questions, qui diffèrent entre les parties, sont soulevées, il serait alors préférable de procéder à un appel conjoint comme le prévoit le Règlement. Comme le conviennent les parties présentes, il n’est pas du tout souhaitable de devoir instruire à nouveau des dossiers parce que des questions importantes n’ont pas encore été traitées.

Conclusion

[37] Ainsi, de manière consensuelle et pour les raisons susmentionnées, l’appel est accueilli. La décision du conseil arbitral portée en appel est modifiée conformément à ces motifs.

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