Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est accueilli, la décision du conseil arbitral en date du 31 octobre 2012 est annulée et l’appel de l’Intimé devant le conseil arbitral est rejeté.

Introduction

[2] En date du 31 octobre 2012, un conseil arbitral a conclu que :

  1. - Il y avait lieu de procéder à une révision de la répartition de la rémunération aux termes des articles 35 et 36 du Règlement sur l’assurance-emploi (le « Règlement »).

[3] L’Appelante a déposé un appel de la décision du conseil arbitral devant le juge- arbitre en date du 19 novembre 2012. En date du 4 juillet 2013, une demande de l’Appelante afin de proroger le délai pour déposer des observations a été accordée et les parties devaient déposer leurs observations au plus tard le 1er août 2013.

Mode d’audience

[4] Le Tribunal a tenu une audience en personne pour les motifs mentionnés à l’avis d’audience du 21 mars 2014. L’Appelante était représentée par Me Toni Abi Nasr. L’Intimé était présent et représenté par Éric Lalancette.

La loi

[5] La division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (le « Tribunal ») est saisie des appels interjetés auprès du bureau du juge-arbitre et non encore entendus avant le 1er avril 2013, conformément aux articles 266 et 267 de la Loi sur l’Emploi, croissance et prospérité durable de 2012. Le 1er avril 2013, le juge-arbitre n’avait pas encore entendu l’appel de l’Appelante ni rendu de décision sur celui-ci. L’appel a été transféré du bureau du juge-arbitre à la Division d’appel du Tribunal. La permission d’en appeler est réputée avoir été accordée par le Tribunal le 1er avril 2013 conformément à l’article 268 de la Loi sur l’Emploi, croissance et prospérité durable de 2012.

[6] Par souci d’équité, la présente demande sera examinée sur la base des attentes légitimes de l’Appelante au moment du dépôt de son appel devant le juge-arbitre. Pour cette raison, le présent appel sera décidé en fonction des dispositions applicables de la Loi en vigueur immédiatement avant le 1er avril 2013.

[7] Conformément au paragraphe 115(2) de la Loi, alors en vigueur au moment de l’appel, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) le conseil arbitral n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige

[8] Le conseil arbitral a-t-il erré en fait ou en droit en concluant que l’Appelante devait réviser le calcul du revenu net de l’entreprise aux termes des articles 35 et 36 du Règlement?

Arguments

[9] L’Appelante soumet les motifs suivants au soutien de son appel:

  1. - La rémunération provenant d’une participation aux bénéfices d’une entreprise constitue une rémunération aux termes de l’article 35(10) du Règlement et selon les dispositions de l’article 36(6) du Règlement, cette rémunération doit être répartie sur la période pendant laquelle les services ont été rendus ou sur la semaine où l’opération a eu lieu;
  2. - La décision du conseil arbitral est déraisonnable à la lumière des faits au dossier d’appel;
  3. - Elle a bien tenu compte de la variation mensuelle de l’inventaire et des ventes selon l’état des revenus mensuels fourni par l’Intimé pour toutes les semaines en cause résultant des activités de l’entreprise effectuées pendant que l’Intimé recevait des prestations;
  4. - L’Intimé n’a pas contesté devant le conseil arbitral la répartition faite à partir des états financiers maison mensuels;
  5. - Elle était justifiée de faire la répartition en faisant la moyenne journalière du revenu mensuel net à partir de l’état des résultats soumis par l’Intimé;
  6. - Le conseil arbitral ne pouvait pas seulement accepter l’explication du représentant de l’Intimé lors de l’audience et ignorer la preuve documentaire au dossier.

[10] L’Intimé soumet les motifs suivants à l’encontre de l’appel de l’Appelante:

  1. - La décision du conseil arbitral est bien fondée en fait et en droit;
  2. - L’Appelante se doit de tenir compte de la variation mensuelle de l’inventaire et des ventes;
  3. - L’Appelante aurait dû utiliser le montant du bénéfice net annuel qui apparaît dans l’état des résultats annuel plutôt que celui apparaissant dans chaque état des résultats mensuels puisque le revenu annuel tient compte de la variation d’inventaire, des ventes et de l’amortissement;
  4. - La vente du lactosérum est un revenu qui résulte d’une accumulation de petit lait pendant toute l’année et devrait donc être réparti sur l’ensemble de l’année.

Normes de contrôle

[11] L’Appelante soutient que la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle du caractère raisonnable - Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159.

[12] L’Intimé n’a fait aucune représentation quant à la norme de contrôle applicable.

[13] Le Tribunal retient que la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision d’un conseil arbitral et d’un juge-arbitre relativement à des questions de droit est la norme de la décision correcte - Martens c. Canada (PG), 2008 CAF 240 et que la norme de contrôle applicable aux questions mixte de fait et de droit est celle du caractère raisonnable - Canada (PG) c. Hallée, 2008 CAF 159.

Analyse

[14] L’Appelante interjette appel de la décision du conseil arbitral qui a rejeté l’appel de l’Intimé avec modification « à l’effet que la Commission révise le calcul du trop-payé pour les mois en cause de la présente affaire, conformément aux articles 35 et 36 du Règlement ».

[15] Le Tribunal doit donc déterminer si, selon la norme de contrôle applicable, le conseil arbitral a commis une erreur de fait et de droit lorsqu’il a conclu qu’il y avait lieu de rejeter l’appel de l’Intimé avec modification concernant la question de la répartition de la rémunération aux termes de l’alinéa 35(10)c) et du paragraphe 36(6) du Règlement.

[16] Après avoir entendu les parties lors de l’audience et après avoir étudié attentivement le dossier d’appel, le Tribunal en vient à la conclusion que le conseil a commis une erreur en rejetant avec modification l’appel de l’Intimé relatif à la question de la répartition de la rémunération.

[17] C’est le calcul du revenu prévu à l’alinéa 35(10)c) du Règlement qui est à la source du présent litige.

[18] Les dispositions pertinentes du Règlement sont les suivantes :

« 35.(10) Pour l’application du paragraphe (2), « revenu » vise notamment :

a) dans le cas d’un prestataire qui n’est pas un travailleur indépendant, le montant qui reste de son revenu après déduction des sommes suivantes :

(i) les dépenses qu’il a engagées directement dans le but de gagner ce revenu,

(ii) la valeur des éléments fournis par lui, le cas échéant;

b) dans le cas d’un prestataire qui est un travailleur indépendant exerçant un emploi relié aux travaux agricoles, 15 pour cent du revenu brut qu’il tire, à la fois:

(i) d’opérations agricoles;

(ii) de subventions agricoles qu’il reçoit dans le cadre d’un programme fédéral ou provincial;

c) dans le cas d’un prestataire qui est un travailleur indépendant exerçant un emploi non relié aux travaux agricoles, le reste du revenu brut qu’il tire de cet emploi après déduction des dépenses d’exploitation qu’il y a engagées et qui ne constituent pas des dépenses en immobilisations;

d) dans tous les cas, la valeur de la pension, du logement et des autres avantages accordés au prestataire à l’égard de son emploi par son employeur ou au nom de celui-ci.

36.(6) La rémunération du prestataire qui est un travailleur indépendant exerçant un emploi non relié aux travaux agricoles ou la rémunération du prestataire qui provient de sa participation aux bénéfices ou de commissions est répartie sur la semaine où ont été fournis les services qui y ont donné lieu ou, si la rémunération résulte d’une opération, sur la semaine où l’opération a eu lieu. »

[19] Lorsqu’il a rejeté avec modification l’appel de l’Intimé, le conseil arbitral a conclu ce qui suit :

« Dans la présente affaire, le prestataire n’a pas contesté la méthode de répartition des bénéfices, puisqu’il détient 27% des actions. Il précise que le calcul de la répartition a été fait à partir des états financiers de l’entreprise et que ceux-ci ne tenaient pas compte de la variation mensuelle de l’inventaire, ni de la répartition de la vente de lactosérum sur le plan mensuel.

Les dossiers de l’entreprise indiquent que celle-ci avait réalisé des bénéfices nets moins l’amortissement de 7,288$ en novembre 2008, de 13,114$ en décembre 2008, de 2,492$ en mars 2009, de 467$ en mai 2009.

De l’avis du conseil arbitral et en fonction des renseignements fournis à l’audience par le fiscaliste de l’UPA, l’interprétation des montants à partir desquels la Commission a calculé les montants à répartir ne reflète pas la réalité puisque faits à partir des états financiers maison, qui eux ne tiennent pas compte des variations mensuelles de l’inventaire, ni de la répartition mensuelle des ventes de lactosérum, ces derniers sont inclus dans l’état des résultats annuels de la firme comptable Samson Bélair.

Compte tenu du témoignage crédible du prestataire et de son représentant ainsi que les documents déposés en pièce 28 (en liasse), le conseil arbitral demande respectueusement à la Commission de revoir la répartition des revenus en fonctions des nouveaux éléments déposés. »

[20] Selon l’alinéa 35(10)c), le montant du revenu tiré d’un travail indépendant n’est pas déterminé à partir des bénéfices nets de l’entreprise, mais en fonction du reste du revenu brut tiré de l’exploitation de l’entreprise après avoir déduit les dépenses d’exploitation qui ont été engagées et qui ne constituent pas des dépenses en immobilisations - Lafave c. Canada (PG), 2003 CAF 66.

[21] En vertu du paragraphe 36(6), la répartition de la rémunération doit être faite en fonction des revenus nets perçus au cours de chaque semaine durant la période de prestations même si le prestataire peut avoir subi une perte nette au cours de la période pendant laquelle il a exploité l’entreprise (CUB 69474, CUB 63911).

[22] Le représentant de l’Appelante soumet qu’en l’instance, puisque le revenu net hebdomadaire n’était pas disponible, il était raisonnable pour l’Appelante de se baser sur les revenus nets mensuels qui se rapprochaient plus de la réalité hebdomadaire de l’Intimé que de se baser sur le revenu annuel.

[23] Le représentant de l’Intimé a soumis en début d’audience qu’il ne contestait pas la répartition à partir des états financiers maison. Cependant, a-t-il plaidé, il faut tenir compte de la variation de l’inventaire établie annuellement et de la vente du lactosérum comptabilisée seulement une fois en décembre mais qui se réalise par une accumulation de petit lait pendant toute l’année.

[24] Le Tribunal constate qu’il n’y a eu aucune preuve devant le conseil arbitral de la variation d’inventaire mensuelle qui au dire même du représentant de l’Intimé serait très difficile à établir pour l’entreprise et par le fait même pour l’Appelante. De plus, selon le libellé de l’alinéa 35(10)c), les dépenses que l’Intimé est autorisé à déduire dans le calcul du revenu qu’ils tirent de son emploi sont celles qu’il « y a engagées ». Le Tribunal ne peut se convaincre que la « variation d’inventaire » puisse être une dépense « qu’il y a engagée » au sens du Règlement.

[25] En ce qui concerne la vente de lactosérum, les articles du Règlement ne permettent pas d’étaler le produit de la vente sur toute l’année afin de minimiser les revenus du mois visé par la répartition faite par l’Appelante. Le revenu visé par l’alinéa 35(10)c) n’est pas le revenu annuel, cette notion étant étrangère à la Loi - Canada (PG) c. Talbot, 2013 CAF 53.

[26] Le Tribunal est convaincu que c’est la ventilation hebdomadaire de l’Appelante qui fournit les renseignements les plus exacts pour le calcul du revenu net de l’Intimé au cours de la période à l’étude, ventilation qui a été faite à partir des montants mensuels fournis par l’Intimé lui-même.

[27] En conséquence, la décision du conseil arbitral est annulée et l’appel de l’Appelante est accueilli.

Conclusion

[28] L’appel est accueilli, la décision du conseil arbitral en date du 31 octobre 2012 est annulée et l’appel de l’Intimé devant le conseil arbitral est rejeté.

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