Assurance-emploi (AE)

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

Introduction

[2] Le 22 décembre 2011, un conseil arbitral (ci-après « le conseil ») a établi que l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre d’une décision antérieure de la Commission devait être rejeté. L’appelant a porté la décision en appel devant un juge-arbitre dans le délai prescrit.

[3] Le 1er avril 2013, la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (ci-après « le Tribunal ») a été saisie de tout appel non tranché par un juge-arbitre avant cette date.

[4] Le 12 septembre 2014, une audience en personne a été tenue. L’avocat de l’appelant et celui de la Commission y ont assisté et ont présenté des observations.

Droit applicable

[5] Afin de garantir l’équité, la présente affaire sera examinée en fonction des attentes légitimes de l’appelant au moment du dépôt de l’appel devant le Bureau du juge-arbitre. Pour cette raison, la décision concernant le présent appel sera rendue en application de la Loi dans sa version antérieure au 1er avril 2013.

[6] Selon le paragraphe 115(2) de la Loi sur l’assurance-emploi (ci-après « la Loi »), lequel était en vigueur avant le 1er avril 2013, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. (a) le conseil arbitral n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. (b) le conseil arbitral a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. (c) le conseil arbitral a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[7] L’appelant et la Commission notent tous deux que, dans le cadre de décisions récentes, la Cour fédérale a établi une nouvelle norme de contrôle judiciaire applicable aux appels renvoyés d’un niveau de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié à un autre, et que cette nouvelle norme pourrait un jour s’appliquer à ce Tribunal. Les deux parties reconnaissent toutefois que je dois m’appuyer sur la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale pour déterminer la norme de contrôle judiciaire qui convient, et que je dois l’appliquer dans le cadre du présent appel.

[8] Ainsi, les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle judiciaire applicable aux questions de droit et de compétence est celle de la décision correcte, alors que la norme de contrôle judiciaire à appliquer pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable.

Analyse

[9] La présente affaire comporte un long historique procédural qui remonte à plusieurs années. Dans la décision Steel c. Canada (Procureur général) (2011 CAF 153), nombre des questions juridiques soulevées initialement dans la présente affaire ont été tranchées par la Cour d’appel fédérale, à l’exception de la question de savoir si le conseil ou un juge-arbitre (maintenant la division générale ou la division d’appel) a la compétence nécessaire pour examiner les décisions rendues par la Commission en matière de défalcation.

[10] Après la décision Steel, la Commission a rendu quelques décisions concernant les demandes de défalcation faites par l’appelant. Insatisfait des décisions rendues, l’appelant a interjeté appel devant le conseil.

[11] Dans sa décision, le conseil a tiré des conclusions de fait portant sur la situation de l’appelant et, après avoir examiné le droit applicable, il a confirmé qu’il n’avait pas la compétence nécessaire pour examiner les décisions de la Commission concernant la défalcation. Il a ensuite rejeté l’appel. Par la suite, l’appelant a interjeté appel devant la division d’appel.

[12] J’ai examiné les observations écrites et verbales des parties, lesquelles étaient détaillées et éclairées, et je suis d’accord avec la Commission et le conseil à propos du fait que je n’ai pas la compétence nécessaire pour examiner les décisions concernant les trop-payés et que le présent appel doit donc être rejeté.

[13] Les tribunaux se sont penchés sur les questions de compétence en matière de défalcation à plusieurs reprises, depuis au moins 1980, année où a été rendue la décision Cornish-Hardy c. Canada (Conseil arbitral) (1 RCS 1218). Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada avait confirmé une décision de la Cour d’appel fédérale en déclarant que les décisions rendues par la Commission concernant des demandes de défalcation ne sont pas susceptibles d’un examen par le conseil arbitral ou un juge-arbitre et qu’elles doivent être portées en appel devant la Cour fédérale directement.

[14] D’autres décisions ont été rendues à la suite de ce jugement et peu de changements ont été apportés, et ce, jusqu’en 1996, année où la législation régissant les appels devant le conseil arbitral et un juge-arbitre a été modifiée. Il était désormais possible pour une « autre personne » d’interjeter appel devant un conseil arbitral, alors qu’auparavant, seuls un prestataire, la Commission ou un employeur pouvaient le faire. En l’espèce, l’appelant soutient que ce changement signifie que le conseil avait la compétence nécessaire pour instruire les appels interjetés à l’encontre des décisions de la Commission concernant la défalcation parce qu’un débiteur est une « autre personne ».

[15] Bien qu’au bout du compte la majorité des juges qui a rendu la décision Steel n’ait pas tranché ce genre de question de compétence, le juge Stratas a soutenu ce qui suit, dans une opinion concordante relativement à cette affaire :

« Je suis d’avis que la décision du législateur d’ajouter les mots "quiconque" (en anglais other person) au paragraphe 114(1) et à l’article 115 de la Loi actuelle avait pour but de permettre à des personnes comme M. Steel d’interjeter appel de décisions relatives à des demandes de défalcation devant le conseil arbitral et le juge-arbitre, et ensuite de saisir la Cour. Sinon, il serait très difficile de déterminer ce que le législateur avait à l’esprit lorsqu’il a ajouté ces mots.

[…]

Une interprétation contraire signifierait que la défalcation d’une obligation de rembourser un versement excédentaire de prestations, question liée à l’admissibilité à des prestations d’assurance-emploi, serait détournée de ce régime informel, spécialisé et efficace et dirigée vers un système judiciaire plus lent, plus formel et plus exigeant sur le plan des ressources. Cette interprétation n’a aucun sens. Seul le plus clair des textes de loi, non présent en l’espèce, pourrait nous conduire à un tel résultat.

[…]

Par conséquent, j’estime que [l’appelant] était une "autre personne" [...] et pouvait interjeter appel devant le conseil arbitral et le juge-arbitre. »

[16] Si cette opinion permettait de clore l’affaire, je serais porté à être d’accord avec le juge Stratas et j’accueillerais l’appel interjeté par l’appelant. Cependant, plusieurs facteurs m’empêchent de le faire.

[17] Je cite premièrement de la décision Bernatchez c. Canada (Procureur général) (2013 CF 111) rendue par la Cour fédérale. Dans cette affaire, la Cour a examiné la jurisprudence se rapportant à la compétence du conseil en ce qui concerne l’instruction d’appels relatifs à la défalcation. Le juge de Montigny a notamment soutenu ce qui suit :

« […] les propos du juge Stratas dans l’arrêt Steel ne lient pas formellement cette Cour tant et aussi longtemps que la Cour d’appel n’aura pas fait sienne l’opinion exprimée par le juge Stratas et n’aura pas explicitement écarté les nombreuses décisions qu’elle a rendues (avant et après la modification législative adoptée en 1996) à l’effet qu’une décision de la Commission refusant la défalcation d’une somme ne peut faire l’objet d’un appel au conseil arbitral. »

[18] Deuxièmement, comme l’indique l’extrait ci-dessus de la décision Bernatchez, après que les modifications eurent été apportées en 1996, la Cour d’appel fédérale a rendu plusieurs décisions qui maintiennent la règle selon laquelle les décisions concernant des demandes de défalcation ne peuvent pas être portées en appel devant le conseil ou un juge-arbitre. Bien que l’appelant souligne à juste titre que ces décisions ne concernent pas spécifiquement la modification apportée au libellé, elles permettent de trancher la question et je dois présumer que la Cour d’appel fédérale a pris en considération toutes les dispositions législatives pertinentes avant de les rendre.

[19] Afin d’être clair, je cite la décision du juge de Montigny, selon laquelle des décisions, comme celle rendue dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Villeneuve (2005 CAF 440), continuent d’avoir force exécutoire. Dans cette décision, la Cour a soutenu ce qui suit :

« Enfin, il n’est pas nécessaire d’élaborer longuement sur la question, mais la radiation, la défalcation ou l’extinction d’une dette ne sont pas des pouvoirs qui ressortent de la compétence du juge-arbitre saisi d’un appel d’un prestataire à l’encontre d’une décision d’un conseil arbitral […] »

[20]     Dans son argumentation orale, l’appelant a reconnu avec raison que, si j’arrivais à la conclusion que la défalcation n’était pas du ressort du conseil, le présent appel ne pouvait pas être accueilli. Je souscris à cette affirmation, et le présent appel doit donc être rejeté.

[21] Bien que j’arrive à cette conclusion, je cite la décision rendue par la Cour fédérale dans Campbell c. Canada (Procureur général) (2002 CFPI 811). Dans cette décision, la Cour fédérale a soutenu qu’elle ne pouvait pas intervenir elle-même dans les décisions concernant des demandes de défalcation, tant que la Commission exerçait son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire. Elle a poursuivi en s’exprimant ainsi :

« Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Commission peut-elle tirer une conclusion de fait différente de celle du Conseil arbitral? Je ne le pense pas. La jurisprudence a établi que le Conseil arbitral, qui fonctionne comme un organisme quasi judiciaire, est mieux placé que la Commission, qui ne fonctionne pas comme un organisme quasi judiciaire, pour tirer des conclusions de fait. Les décisions à l’égard desquelles la retenue est de rigueur sont celles que rend le Conseil arbitral sur des questions de fait et non celles de la Commission.

[…]

La Commission ne pouvait faire abstraction des conclusions de fait que le Conseil arbitral a tirées à cet égard.

En ne tenant pas compte des conclusions de fait du Conseil arbitral, la Commission a restreint son pouvoir discrétionnaire et on ne peut pas dire qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. »

[22] Dans l’affaire qui nous occupe, le conseil a examiné la preuve financière portée à sa connaissance et a conclu que l’appelant est [traduction] « à toutes fins utiles, en faillite » et que le fait de l’obliger à rembourser la dette reviendrait à l’exposer à une [traduction] « contrainte excessive ». Je remarque que ni l’appelant ni la Commission n’ont contesté ces conclusions de fait, bien qu’ils en aient eu l’occasion.

[23] L’appelant m’a demandé de formuler une recommandation concernant la défalcation. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, je m’abstiens de le faire. J’aimerais cependant attirer l’attention de la Commission sur la jurisprudence susmentionnée et les conclusions de fait tirées par le conseil, puisqu’elles pourraient l’aider à exercer son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire.

Conclusion

[24] Par conséquent, pour les motifs susmentionnés, l’appel est rejeté.

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